Le massacre de Marikana illustre le fait que l’apartheid économique subsiste en Afrique du Sud au-delà de l’apartheid politique. Mais pour Manlio Dinucci, le problème n’est pas sud-africain, il est celui de l’exploitation des peuples du tiers-monde.
« Avec une énorme tristesse je pleure avec vous la perte de tant de collègues » a déclaré le 13 août, pendant le deuil national en Afrique du Sud, le président de Lonmin Plc. Les « collègues » sont les 34 mineurs noirs en grève tués par la police à Marikana où Lonmin, société dont le siège légal est à Londres, possède une grande mine de platine. Les mineurs faisaient la grève non seulement pour des salaires plus élevés, mais contre un insoutenable système d’exploitation.
Lonmin, qui jure agir avec « honnêteté, transparence et respect », se procure une grande partie de sa main d’œuvre à travers des sous-traitances dans des communautés éloignées de la mine, en exerçant un chantage contre les travailleurs et en les dressant les uns contre les autres. Et même si son « code moral » affiche un « risque zéro pour les personnes et l’environnement », le recours au travail précaire est la cause de fréquents accidents mortels, auxquels s’ajoutent les graves dommages sanitaires et environnementaux provoqués par les déchets de la mine. Celle-ci confisque même l’eau aux habitants, qui ne peuvent l’avoir que la nuit et, de plus, polluée.
Quand 3 000 mineurs ont eu recours à une grève sauvage pour bloquer la mine, Lonmin, le 16 août, les a taxés de « grévistes illégaux », en leur donnant, sur la base d’une « ordonnance du tribunal », « l’ultimatum final » : ou bien immédiatement au travail ou licenciés. Pour 34 d’entre eux l’ultimatum a vraiment été final : la police les a tués, provoquant aussi 78 blessés en frappant dans le dos nombre d’entre eux pendant qu’ils fuyaient. Quatre jours plus tard, Lonmin annonçait qu’ « à Marikana la situation est calme » et qu’un tiers des 28 000 mineurs avait repris le travail.
Le président d’Afrique du Sud Jacob Zuma (Congrès national africain, ANC) a nommé une commission d’enquête pour éclaircir les responsabilités de la tuerie. Il est évident que quelqu’un la voulait, cette tuerie : sinon, contre des manifestants armés de bâtons, on n’aurait pas envoyé des policiers armés de fusils d’assaut automatiques. Il est facile de comprendre qui a été le mandant occulte : les mineurs ont été tués par des balles en platine.
L’industrie sud-africaine du platine —qui couvre 80 % de la production mondiale de ce métal stratégique (il sert entre autres à fabriquer les pots catalytiques)— est dominée par trois groupes multinationaux ; Lonmin, Impala Platinum Holding et Anglo American Platinum. L’apartheid politique a été extirpé par la longue et dure lutte menée par l’ANC, mais ses racines économiques demeurent. Raison pour laquelle la Ligue de la jeunesse ANC, contournant les sommets du parti, demande la nationalisation des mines.
L’affaire va bien au-delà de l’Afrique du Sud. Elle est emblématique d’un apartheid global, à travers lequel de puissantes élites économiques et financières s’accaparent la richesse produite avec le travail et les ressources du monde entier, en excluant la plus grande majorité de la planète de leurs bénéfices. Quand on se rebelle contre leur pouvoir, les armes pointent sous le manteau de la légalité. Il n’y a donc pas à s’étonner si, sur la base de la loi H.R. 3422i du Congrès étasunien, le matériel militaire retiré d’Irak et d’Afghanistan sera utilisé pour donner la chasse aux travailleurs mexicains qui, exploités dans les maquiladoras, essaient d’entrer aux États-Unis pour avoir des salaires plus élevés. Pour les confiner derrière le mur du nouvel apartheid on utilisera les drones qu’on vient juste de tester dans les guerres menées pour les mêmes intérêts des multinationales.
Apostille de la traductrice
Sur le site de la multinationale, on trouvera la galerie de portraits des « collaborateurs » dirigeants (pas encore éplorés) de Lonmin Plc. : tous (sauf deux) bien blancs, et (so) « british » :
On trouvera aussi au chapitre « Principaux risques » le paragraphe suivant, autre témoignage, sans doute, du « code moral » de la multinationale :
« Risques liés aux salariés :
Comme indiqué plus haut, les activités minières en Afrique du Sud sont fortement syndiquées et, dans le cas de Lonmin, un seul syndicat représente la grande majorité des travailleurs du groupe. Il existe donc un risque que des grèves ou autres types de conflit avec les syndicats ou les employés se produisent qui, s’ils étaient importants, pourraient avoir un effet négatif sur la performance du groupe et sa situation financière. Le SIDA reste le défi de santé majeur que rencontrent les activités du Groupe ; une enquête épidémiologique de 2003 (l’une des plus vastes jamais entreprises en Afrique du Sud) suggère que 26 % de nos salariés sont séropositifs. En conséquence, le Groupe a lancé un programme de médicaments antirétroviraux pour ceux qui veulent en bénéficier, soutenu par un encouragement à procéder à un test HIV par un dépistage volontaire et un programme de test. Bien que ses résultats aient été très encourageants, la majorité des bénéficiaires potentiels étant maintenant sur ART et en général de retour au travail, le SIDA posera un risque permanent et vraisemblablement croissant dans l’immédiat. Les autres défis principaux auxquels est confronté le Groupe sont la tuberculose et autres maladies pulmonaires professionnelles, en particulier parmi ceux qui ont travaillé auparavant dans les mines d’or d’Afrique du Sud, tandis que demeure toujours un risque qu’une autre pandémie affecte notre main-d’œuvre." (Traduction Mireille Rumeau)
Ancien hymne de l’ANC, aujourd’hui hymne de l’Afrique du Sud
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