Charlie Rose : Monsieur le président, je vous remercie beaucoup pour cette occasion de vous parler à un moment très important parce que le président des États-Unis s’adressera à la nation cette semaine et, comme vous le savez, une conversation importante se déroule à Washington et des événements importants se déroulent ici dans votre pays. Vous attendez-vous à un raid aérien ?
Bachar el-Assad : Tant que les États-Unis ne respectent pas le droit international et foulent aux pieds la Charte des Nations Unies, nous avons à craindre que n’importe quelle administration – pas seulement celle-ci – fasse n’importe quoi. Selon les mensonges que nous avons entendus au cours des deux dernières semaines, de hauts responsables de l’administration états-unienne, nous devons nous attendre au pire.
Charlie Rose : Êtes-vous prêts ?
Bachar el-Assad : Nous avons vécu dans des conditions difficiles au cours des deux dernières années et demi, et nous nous préparons à toute éventualité. Mais ce n’est pas parce que vous êtes prêt que les choses s’amélioreront ; Elles s’aggraveront avec toute frappe ou guerre stupide.
Charlie Rose : Que voulez-vous dire par s’aggraveront ?
Bachar el-Assad : Elles s’aggraveront en raison des répercussions, parce que personne ne peut dire quelles seront les répercussions d’une première frappe. Nous ne parlons pas simplement de la Syrie, mais d’une région, et de régions plus vastes. Une région interconnectée, entremêlée, appelez ça comme vous voulez ; si vous frappez à un endroit, il faut s’attendre à des répercussions ailleurs sous différentes formes et d’une manière inattendue.
Charlie Rose : Vous voulez dire que si frappe il y a, il y aura des répercussions contre les États-Unis par vos amis d’autres pays comme l’Iran ou le Hezbollah ou d’autres ?
Bachar el-Assad : Comme je l’ai dit, cela peut prendre différentes formes : directe et indirecte. Directe lorsque les gens, ou les gouvernements, cherchent à se venger. Indirecte lorsque vous obtenez une instabilité et la propagation du terrorisme dans toute la région, ce qui aura un effet direct sur l’Occident.
Charlie Rose : Avez-vous eu des conversations avec la Russie, l’Iran ou le Hezbollah sur la façon de se venger ?
Bachar el-Assad : Nous ne discutons pas de cette question en tant que gouvernement, mais nous discutons des répercussions, ce qui est plus important parce que parfois les répercussions peuvent être plus dévastatrices que la frappe elle-même. Une frappe états-unienne ne produira pas autant de destructions en Syrie que celles déjà produites par les terroristes ; mais parfois les conséquences peuvent être bien supérieures à la frappe elle-même.
Charlie Rose : Mais certains ont laissé entendre que ça pourrait faire pencher la balance en faveur des rebelles et d’aboutir au renversement de votre gouvernement.
Bachar el-Assad : Exactement. Toute frappe serait aussi un soutien direct à l’émanation d’Al-Qaïda appelée Jabhat al-Nusra et à l’État islamique d’Irak et la Syrie. Vous avez raison. Ce serait un soutien direct.
Charlie Rose : À propos de la guerre chimique. Parlons de ça. Approuvez-vous l’usage d’armes chimiques, l’utilisation de produits chimiques mortels ? Pensez-vous que ce soit un outil approprié pour faire la guerre ?
Bachar el-Assad : Nous sommes contre toute destruction massive, les armes de destruction massive, qu’elles soient chimiques ou nucléaires.
Charlie Rose : Vous êtes donc contre l’utilisation d’armes chimiques ?
Bachar el-Assad : Oui, mais pas seulement moi. En tant qu’État, en tant que gouvernement, en 2001, nous avons proposé à l’Organisation des Nations Unies de désactiver ou de détruire toutes les armes de destruction massive au Proche-Orient et les États-Unis se sont opposés à cette proposition. C’est notre conviction et notre politique.
Charlie Rose : Mais vous n’êtes pas signataire de l’accord sur les armes chimiques.
Bachar el-Assad : Pas encore.
Charlie Rose : Pourquoi pas ?
Bachar el-Assad : Parce qu’Israël possède des armes de destruction massive et n’a pas signé, et Israël occupe notre territoire. Nous avons parlé du Proche-Orient, et non pas de la Syrie ou d’Israël ; l’accord doit être global.
Charlie Rose : Pensez-vous que la guerre chimique soit équivalente à la guerre nucléaire ?
Bachar el-Assad : Je ne sais pas. Aucune des deux n’a été tentée.
Charlie Rose : Mais vous êtes un chef de l’État, et vous comprenez pas les conséquences des armes de destruction massive.
Bachar el-Assad : Techniquement, elles ne sont pas les mêmes, mais moralement, c’est la même chose.
Charlie Rose : Du point de vue moral, c’est la même chose.
Bachar el-Assad : C’est la même chose, car en définitif, tuer c’est tuer. Massacrer, c’est massacrer. Parfois, vous pouvez tuer des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de gens avec des armes très rudimentaires.
Charlie Rose : Alors pourquoi avez-vous un tel stock d’armes chimiques ?
Bachar el-Assad : Nous ne discutons pas de cette question en public parce que nous n’avons jamais dit que nous en avions, et nous n’avons jamais dit que nous n’en avions pas. C’est une question syrienne, c’est une question militaire, nous n’en discutons jamais en public avec quiconque.
Charlie Rose : Voici ce qu’on peut lire dans le New York Times ce matin : les dirigeants syriens ont constitué une des plus grandes réserves au monde d’armes chimiques avec l’aide de l’Union soviétique et de l’Iran, ainsi que des fournisseurs d’Europe occidentale, et même une poignée de sociétés américaines. Selon des câbles diplomatiques américains et les dossiers de renseignement déclassifiés, vous avez amassé une des plus grandes réserves d’armes chimiques au monde.
Bachar el-Assad : En avoir ou ne pas en avoir est une possibilité, mais se fier aux dires des médias est absurde, ou se fier à certains rapports des services de renseignement est absurde et cela a été prouvé lorsqu’ils ont envahi l’Irak il y a dix ans et qu’ils ont dit « L’Irak a des stocks d’armes de destruction massive » et il a été prouvé après l’invasion que c’était faux, c’était une fraude. Donc, on ne peut se fier à ce qui est écrit dans un magazine. Mais j’ai dit que c’est quelque chose dont nous ne discutons pas avec n’importe qui.
Charlie Rose : Vous acceptez que le monde croie que vous avez un stock d’armes chimiques ?
Bachar el-Assad : Qui ?
Charlie Rose : Le monde. Les États-Unis et d’autres puissances qui ont également dit que vous avez des armes chimiques.
Bachar el-Assad : Il ne s’agit pas de ce qu’ils croient, il s’agit de la réalité telle qu’elle est, et de cette réalité, si nous en possédons ou pas, nous n’allons pas à en discuter.
Charlie Rose : En parlant de la réalité, que s’est-il réellement passé le 21 août ? Qu’est-il arrivé à votre avis ?
Bachar el-Assad : Nous ne sommes pas présents dans la zone où l’attaque chimique présumée a eu lieu. J’ai dit présumée. Nous ne sommes pas sûrs qu’il se soit passé quelque chose.
Charlie Rose : Même à ce jour, vous n’êtes pas sûr que les armes chimiques – même si vous avez vu la vidéo, même si vous avez vu les corps, même si vos propres fonctionnaires ont été sur place.
Bachar el-Assad : Je n’ai pas fini. Nos soldats dans une autre zone ont été attaqués chimiquement. Nos soldats – ils sont allés à l’hôpital se faire soigner à cause des armes chimiques -, mais dans la région où ils ont dit que le gouvernement a utilisé des armes chimiques, nous n’avions que des vidéos et des photos et des allégations. Nous ne sommes pas présents là-bas, nos forces, nos policiers, nos institutions n’y sont pas. Comment pouvez-vous parler de ce qui s’est passé, si vous n’avez pas de preuve ? Nous ne sommes pas comme l’administration états-unienne, nous ne sommes pas l’administration ou le gouvernement des médias sociaux. Nous sommes un gouvernement qui traite avec la réalité. Lorsque nous aurons des preuves, nous le ferons savoir.
Charlie Rose : Eh bien, comme vous le savez, le secrétaire Kerry a dit que les preuves existent et qu’ils ont vu des roquettes tirées à partir d’une région contrôlée par vos forces vers une région contrôlée par les rebelles. Ils ont des preuves à partir de photos satellites. Ils ont la preuve d’un message qui a été intercepté sur les armes chimiques, et peu après, il y a eu d’autres messages interceptés, alors le secrétaire Kerry a présenté ce qu’il considère comme des preuves incontestables.
Bachar el-Assad : Non, il a présenté sa confiance et ses convictions. Ce n’est pas une question de confiance, c’est une question de preuve. Les Russes ont des preuves qui démontrent tout à fait le contraire, que les missiles ont été lancés à partir d’une région contrôlée par les rebelles. Cela me rappelle – ce que Kerry a dit – sur le gros mensonge que Collin Powell a prononcé devant le monde entier sur des photos satellites et les ADM en Irak avant d’aller à la guerre. Il a dit « voici notre preuve. » En fait, il a fait un faux témoignage. Dans le cas présent, Kerry n’a même pas présenté une preuve. Il a dit « nous avons la preuve » et il n’a rien présenté. Pas encore, rien à ce jour, pas un seul élément de preuve.
Charlie Rose : Avez-vous des remords pour ces cadavres, ces gens. On dit qu’il y en aurait au moins 1 000, peut-être 1 400, qui se trouvaient dans la ghouta orientale, et qui sont morts ?
Bachar el-Assad : Nous ressentons la douleur pour chaque victime syrienne.
Charlie Rose : Qu’en est-il des victimes de cet assaut par arme chimique ?
Bachar el-Assad : Mourir, c’est mourir, tuer, c’est tuer, un crime est un crime. Lorsque vous ressentez une douleur, vous ressentez la douleur des familles des victimes dans votre pays, que ce soit une seule personne tuée ou cent ou mille. C’est une perte, c’est un crime, c’est une question morale. Nous avons de la famille avec qui nous nous asseyons, de la famille qui aimait ses proches. Il ne s’agit pas de la façon dont ils ont été tués, il s’agit du fait qu’ils sont morts maintenant, c’est cela qui est mauvais.
Charlie Rose : Mais y a-t-il eu des remords ou de la tristesse au nom du peuple syrien pour ce qui s’est passé ?
Bachar el-Assad : Je pense que c’est la tristesse qui prévaut maintenant en Syrie. Nous ne ressentons rien d’autre que de la tristesse parce que nous avons ces morts tous les jours, que ce soit par des produits chimiques ou par tout autre moyen. Peu importe comment. Nous vivons avec tous les jours.
Charlie Rose : Mais c’était un acte sans discernement, et des enfants ont été tués, et les gens qui ont dit au revoir à leurs enfants le matin ne les ont pas revus et ne le reverrons jamais, dans la ghouta.
Bachar el-Assad : C’est le cas chaque jour en Syrie, c’est pourquoi il faut arrêter le massacre. C’est pourquoi nous devons arrêter le massacre. Mais que voulez-vous dire par « sans discernement » ?
Charlie Rose : Eh bien, le fait que la guerre chimique est aveugle quant aux victimes, elle tue des innocents aussi bien que des combattants.
Bachar el-Assad : Oui, mais vous ne parlez pas de preuves, vous ne parlez pas de faits mais d’allégations. Donc, nous ne sommes pas sûrs que des armes chimiques ont été utilisées et qui les a utilisées. Nous ne pouvons pas parler de choses virtuelles, nous devons parler de faits.
Charlie Rose : On dit que votre gouvernement a retardé les observateurs des Nations Unies de se rendre dans la ghouta et que vous avez refusé et retardé la Croix-Rouge, puis le Croissant-Rouge d’y aller pour faire des observations et aider.
Bachar el-Assad : C’est le contraire qui s’est produit, c’est votre gouvernement qui a retardé parce que nous avons demandé une délégation en mars 2013, lorsque la première attaque a eu lieu à Alep, dans le nord de la Syrie, ils ont retardé jusqu’à quelques jours avant al-Ghouta quand ils ont envoyé l’équipe, et l’équipe elle-même a déclaré dans son rapport qu’elle a pu faire tout ce qu’elle voulait. Il n’y avait pas un seul obstacle.
Charlie Rose : Mais ils ont dit qu’ils ont été retardés pour y arriver, qu’ils voulaient être là plus tôt.
Bachar el-Assad : Non, non, non. Il y avait un conflit, il y avait des combats, des tirs. C’est tout. Nous ne les avons pas empêché d’aller où que ce soit. C’est nous qui leur avons demandé de venir, pourquoi les aurions-nous retardés ? Même si vous voulez prendre la version états-unienne, ils disent que nous avons employé des armes chimiques le jour même où l’équipe, ou l’équipe d’enquête, est arrivée en Syrie. Est-ce logique ? Ce n’est pas logique. Même si un pays ou armée voulait utiliser cette arme, ils auraient attendu quelques jours jusqu’à ce que l’équipe ait achevé ses travaux. Ce n’est pas logique, toute cette histoire ne tient même pas debout.
Charlie Rose : Nous allons y revenir. Si ce n’est pas votre gouvernement qui l’a fait, malgré les preuves ?
Bachar el-Assad : Il faut être sur place pour obtenir des preuves, comme lorsque cela s’est produit à Alep et que nous avons obtenu des preuves. Et parce que les États-Unis n’ont pas envoyé d’équipe, nous avons envoyé les preuves aux Russes.
Charlie Rose : Mais ne voulez-vous pas connaître la réponse, si vous n’acceptez pas les preuves présentées à ce jour, à la question de savoir qui a fait ça ?
Bachar el-Assad : La question est de savoir qui a lancé des produits chimiques le même jour sur nos soldats. C’est la même question. Techniquement, ce n’est pas les soldats. Les soldats ne lancent pas des missiles sur eux-mêmes. Donc, c’est soit les rebelles, soit les terroristes, soit un tiers. Nous n’avons pas encore la moindre idée. Nous devons être sur place pour recueillir les preuves, alors nous pourrons donner une réponse.
Charlie Rose : Eh bien, on avance l’argument que les rebelles n’ont pas la capacité d’utiliser des armes chimiques, ils n’ont pas les roquettes et ils n’ont pas la fourniture d’armes chimiques que vous avez, ils n’ont donc pas pu le faire.
Bachar el-Assad : Tout d’abord, ils ont des fusées, et ils les lancent sur Damas depuis des mois.
Charlie Rose : Ont-ils des armes chimiques ?
Bachar el-Assad : Des roquettes en général. Premièrement, ils ont les moyens. Deuxièmement, le gaz sarin dont on parle ces dernières semaines est un gaz très primitif. Vous pouvez en fabriquer dans une arrière-cour, c’est un gaz très primitif. Ce n’est donc pas quelque chose de compliqué.
Charlie Rose : Mais ce n’était pas primitif. Il s’agissait d’une utilisation terrible d’armes chimiques.
Bachar el-Assad : Troisièmement, ils l’ont employé à Alep, dans le nord de la Syrie. Quatrièmement, il y a une vidéo sur YouTube où les terroristes font clairement des essais sur un lapin et tuent le lapin et disent : « voilà comment nous allons tuer le peuple syrien ». Cinquièmement, il y a une nouvelle vidéo sur une de ces femmes qu’ils considèrent comme rebelle ou combattante et qui a travaillé avec les terroristes et qui dit : « ils ne nous disent pas comment utiliser les armes chimiques » et une de ces armes a explosé dans un des tunnels et tué douze personnes. C’est ce qu’elle a dit. Ce sont les éléments de preuve dont nous disposons. Quoi qu’il en soit, c’est celui qui accuse qui doit apporter les preuves. Les États-Unis ont accusé la Syrie, et si vous accusez vous devez apporter la preuve, avant tout. Nous devrons trouver des preuves lorsque nous serons sur place.
Charlie Rose : Quelle preuve serait suffisante à vos yeux ?
Bachar el-Assad : Par exemple, à Alep, nous avons mis la main sur le missile lui-même, et le matériel, et des échantillons de sable, de terre, et des échantillons de sang.
Charlie Rose : Mais on avance l’argument que vos forces ont bombardé la Ghouta peu de temps après, avec l’intention de faire disparaître les preuves.
Bachar el-Assad : Comment un bombardement pourrait-il faire disparaître les preuves ? Techniquement, ça ne marche pas. Comment ? Pour être franc, c’est stupide, c’est très stupide.
Charlie Rose : Mais vous reconnaissez les bombardements ?
Bachar el-Assad : Bien sûr, il y avait un combat. Cela arrive tous les jours, il y en peut-être un en ce moment même. Mais, parlons de… nous avons des indications, permettez-moi de terminer ce point, car comment peut-on utiliser des ADM alors que vos troupes sont à seulement 100 mètres de là ? Est-ce logique ? Cela n’arrive pas. On ne peut pas les utiliser ainsi. Toute personne qui n’est pas militaire le sait. Pourquoi employer des armes chimiques pendant que vous avancez ? L’année dernière fut une année beaucoup plus difficile pour nous que cette année, et nous n’en avons pas utilisé.
Charlie Rose : Il y a cette question aussi : si ce n’est pas vous, est-ce que cela veut dire que vous n’avez pas le contrôle de vos propres armes chimiques et que peut-être sont-elles tombées entre les mains d’autres personnes qui pourraient vouloir les utiliser ?
Bachar el-Assad : D’abord, cela implique que nous avons effectivement des armes chimiques. Ensuite, cela implique qu’elles ont été employées. Nous ne pouvons donc pas répondre à cette question avant de répondre à la première partie et la deuxième partie. Troisièmement, admettons qu’un pays ou une armée possède une telle arme ; ce type d’arme ne peut pas être employée par l’infanterie, par exemple, ou par n’importe qui. Ce type d’arme doit être employée par des unités spécialisées, et ne peut donc pas être mise entre n’importe quelles mains.
Charlie Rose : Eh bien, c’est exactement de ça qu’il s’agit.
Bachar el-Assad : Et sous un contrôle centralisé.
Charlie Rose : Ah, donc vous dites que si, en fait, votre gouvernement l’avait fait, vous auriez été au courant et vous l’auriez approuvé.
Bachar el-Assad : Je parle d’un cas en général.
Charlie Rose : En général, vous dites que si, en fait, c’est bien arrivé, j’aurais été au courant et je l’aurais approuvé. C’est ça la nature du pouvoir centralisé.
Bachar el-Assad : En règle générale, dans tous les pays, oui. Je parle des règles générales, parce que je ne peux pas discuter ce point en détail avec vous sans dire ce que nous possédons et ce que nous ne possédons pas, et c’est un sujet que je ne vais pas aborder, comme je le disais au tout début, parce qu’il s’agit d’une question militaire qui ne peut pas être discutée.
Charlie Rose : Avez-vous des doutes sur l’article du New York Times que je viens de vous lire, qui affirme que vous auriez un stock d’armes chimiques ? Vous ne le niez pas.
Bachar el-Assad : Non, nous ne disons ni oui ni non, car tant que cette question est classifiée, on ne peut pas en parler.
Charlie Rose : Les États-Unis sont prêts à lancer une attaque contre votre pays parce qu’ils croient que les armes chimiques sont si odieuses, que celui qui les utilise franchit une ligne rouge et que, par conséquent, dans ce cas, il faut leur donner une bonne leçon de sorte à ne pas recommencer.
Bachar el-Assad : Quelle ligne rouge ? Qui l’a dessinée ?
Charlie Rose : Le président dit que ce n’est pas seulement lui, que le monde entier l’a tracée par leur révulsion contre l’emploi d’armes chimiques, que le monde entier a tracé cette ligne rouge.
Bachar el-Assad : Pas le monde entier, car c’est Obama qui a tracé cette ligne, et Obama peut tracer des lignes pour lui-même et pour son pays, pas pour les autres pays. Nous avons nos propres lignes rouges, comme notre souveraineté, notre indépendance. Et si vous voulez parler de lignes rouges dans le monde, les États-Unis ont utilisé l’uranium appauvri en Irak, Israël a utilisé du phosphore blanc à Gaza, et personne n’a rien dit. Où sont les lignes rouges ? Nous ne voyons pas de lignes rouges. Ce sont des lignes rouges politiques.
Charlie Rose : Le président est prêt à frapper, et peut-être qu’il va obtenir l’autorisation du Congrès, ou non. La question alors est : seriez-vous disposés à renoncer aux armes chimiques si cela empêchait le président d’autoriser une frappe ? Est-ce un accord que vous accepteriez ?
Bachar el-Assad : Encore une fois, vous impliquez sans cesse que nous possédons des armes chimiques.
Charlie Rose : Je suis bien obligé, parce que c’est l’hypothèse du président. C’est son hypothèse, et c’est lui qui ordonnera les frappes.
Bachar el-Assad : C’est son problème à lui, s’il a une hypothèse. Mais pour nous, en Syrie, nous avons des principes. Nous ferions n’importe quoi pour éviter à la région une nouvelle guerre folle. Il ne s’agit pas seulement de la Syrie, car cela ne fera que commencer en Syrie.
Charlie Rose : Vous feriez n’importe quoi pour empêcher la région de connaître une nouvelle guerre folle ?
Bachar el-Assad : La région, oui.
Charlie Rose : Réalisez-vous les conséquences pour vous s’il y a une frappe ?
Bachar el-Assad : Il ne s’agit pas de moi. Il s’agit de la région.
Charlie Rose : Il s’agit de votre pays, il s’agit de votre peuple.
Bachar el-Assad : Évidemment, mon pays et moi, nous faisons partie de cette région, nous ne sommes pas isolés. Nous ne pouvons pas discuter uniquement de la Syrie ou de moi, il faut le faire dans un cadre, dans un ensemble, dans une globalité. C’est ainsi qu’il faut l’aborder.
Charlie Rose : Certains se demandent pourquoi le feriez-vous ? C’est une chose stupide à faire, si vous vous attirez une frappe sur la tête en utilisant des armes chimiques. D’autres disent que vous le feriez parce que vous êtes désespéré, ou selon une autre version, parce que vous voulez faire peur, parce que ce sont des armes terribles et si quelqu’un sait que vous en possédez, et plus précisément vos adversaires en Syrie, les rebelles, alors vous avez réussi votre coup et qu’ils vivront dans la peur, et que, par conséquent, le président doit faire quelque chose.
Bachar el-Assad : Vous ne pouvez pas être désespéré lorsque votre armée progresse. Cela aurait dû se produire – en admettant que cette présomption est correcte et correspond à la réalité – vous employez de telles armes lorsque vous êtes dans une situation désespérée. Notre position est bien meilleure qu’avant. Donc, ce n’est pas correct.
Charlie Rose : Vous pensez que vous êtes en train de gagner la guerre.
Bachar el-Assad : « gagner » est un mot subjectif, mais nous progressons. C’est le mot juste, parce que pour certaines personnes, on gagne lorsque la partie est terminée.
Charlie Rose : Certains disent que si vous êtes en train de gagner, c’est en raison de l’aide que vous avez récemment obtenue de l’Iran et du Hezbollah et des fournitures supplémentaires obtenues. Des gens à l’extérieur de la Syrie qui vous soutiennent contre les rebelles.
Bachar el-Assad : l’Iran n’a pas de soldats en Syrie, alors comment l’Iran pourrait-il m’aider ?
Charlie Rose : Par des fournitures, des armes ?
Bachar el-Assad : Tout ça, c’était avant la crise. Nous avons toujours eu ce type de coopération.
Charlie Rose : Le Hezbollah, les combattants du Hezbollah sont venus ici.
Bachar el-Assad : Les combattants du Hezbollah sont sur les frontières avec le Liban, où les terroristes les ont attaqués. Sur les frontières avec le Liban, c’est là que le Hezbollah a riposté, et c’est là que nous avons une coopération, et c’est une bonne chose.
Charlie Rose : Les forces du Hezbollah sont aujourd’hui en Syrie ?
Bachar el-Assad : Sur la zone frontière avec le Liban où ils veulent se protéger et coopérer avec nous, mais ils ne sont pas dans toute la Syrie. Ils ne peuvent pas être dans toute la Syrie de toute façon, pour de nombreuses raisons, mais ils sont sur les frontières.
Charlie Rose : Quels conseils recevez-vous des Russes ?
Bachar el-Assad : À quel sujet ?
Charlie Rose : À propos de cette guerre, sur la façon de mettre fin à cette guerre.
Bachar el-Assad : Tous les amis de la Syrie cherchent une solution pacifique, et nous en sommes convaincus. On nous donne ce conseil, mais même sans ce conseil, nous en sommes convaincus.
Charlie Rose : Avez-vous un plan pour mettre fin à la guerre ?
Bachar el-Assad : Bien sûr.
Charlie Rose : Lequel ?
Bachar el-Assad : Au tout début, il était entièrement politique. Quand vous avez ces terroristes, la première partie de ce plan qui est politique doit commencer par l’arrêt de la contrebande de terroristes venant de l’étranger, l’arrêt du soutien logistique, de l’argent, tous les types de soutien qui parviennent à ces terroristes. C’est la première partie. Deuxièmement, nous pouvons avoir un dialogue national où les différentes parties syriennes s’assoient et discutent de l’avenir de la Syrie. Troisièmement, vous pouvez avoir un gouvernement intérimaire ou un gouvernement de transition. Ensuite, vous avez des élections, des élections parlementaires, une élection présidentielle.
Charlie Rose : Mais la question est : voulez-vous rencontrer les rebelles aujourd’hui pour discuter d’un règlement négocié ?
Bachar el-Assad : Dans l’initiative que nous avons publié au début de cette année, nous avons dit toutes les parties, sans exception, pourvu qu’elles déposent leurs armes.
Charlie Rose : Vous rencontrerez les rebelles et tous ceux qui se battent contre vous s’ils abandonnent leurs armes ?
Bachar el-Assad : Aucun problème.
Charlie Rose : Alors ils vont dire : "vous ne déposez pas vos armes, pourquoi devrions-nous déposer les nôtres ?"
Bachar el-Assad : Est-ce qu’un gouvernement renonce à ses armes ? Avez-vous déjà entendu parler de ça avant ?
Charlie Rose : Non, mais les rebelles normalement n’abandonnent pas leurs armes pendant des négociations, ils ne le font qu’après un succès…
Bachar el-Assad : L’armement du gouvernement est un armement légal. Toute autre armement est illégal. Alors, comment pouvez-vous les comparer ? C’est complètement différent.
Charlie Rose : Il y a un débat intense en cours sur toutes ces questions qui sont abordées à Washington, et s’il y a bien une frappe, elle émanera de la décision des États-Unis de le faire. Qu’aimeriez-vous dire, au cours de cette semaine très importante, à l’Amérique, et à Washington, au peuple américain, aux membres du Congrès, au président des États-Unis ?
Bachar el-Assad : Je pense que la partie la plus importante est, disons, le peuple états-unien, mais les sondages montrent que la majorité aujourd’hui ne veut pas d’une guerre, où que ce soit, pas seulement contre la Syrie. Mais le Congrès va voter à ce sujet dans quelques jours, et je pense que le Congrès est élu par les gens, il représente le peuple, et travaille dans son intérêt. La première question qu’ils doivent se poser est : qu’est-ce que les guerres ont rapporté à l’Amérique, depuis celle contre le Vietnam et jusqu’à présent ? Rien. Aucun gain politique, aucun gain économique, une mauvaise image. La crédibilité des États-Unis est au plus bas de tous les temps. Cette guerre est donc contre l’intérêt des États-Unis. Pourquoi ? Tout d’abord, cette guerre va soutenir Al-Qaïda et les mêmes personnes qui ont tué des Etats-uniens au cours du 11-Septembre. La deuxième chose que nous voulons dire au Congrès, c’est qu’ils demandent, et nous attendons d’eux qu’ils le demandent au gouvernement, les preuves sur l’emploi d’armes chimiques et les accusations qui ont été portées.
Je ne dirai rien au président ou à tout autre fonctionnaire, parce que nous sommes déçus par leur comportement récent, parce que nous nous attendions à une administration différente de celle de Bush. Ils adoptent la même doctrine avec différents accessoires. C’est tout. Donc, si nous voulons espérer quelque chose de cette administration, ce n’est pas un signe de faiblesse, mais le contraire, que de dire « nous n’avons pas de preuves », et que « nous devons obéir au droit international », que « nous devons retourner au Conseil de sécurité et devant les Nations Unies ».
Charlie Rose : La question demeure : que pouvez-vous dire au président qui croit que des armes chimiques ont été employées par votre gouvernement, que cela ne se reproduira plus.
Bachar el-Assad : Je lui dirai très simplement : présentez ce que vous avez comme preuves au public, soyez transparent.
Charlie Rose : Et s’il le fait ? S’il présente des preuves ?
Bachar el-Assad : C’est là où nous pourrons en discuter, mais il ne les a pas. Il ne les a pas présentées parce qu’il n’en a pas, Kerry n’en a pas. Personne dans votre administration n’en a. S’ils en avaient, ils les auraient présentées aux médias dès le premier jour.
Charlie Rose : Ils les ont présentées au Congrès.
Bachar el-Assad : Rien. Rien n’a été présenté.
Charlie Rose : Ils ont montré au Congrès ce qu’ils avaient, et les éléments de preuve dont ils disposent, des messages interceptés par satellite, etc.
Bachar el-Assad : Rien n’a été présenté jusqu’à présent…
Charlie Rose : Ils les ont présentées au Congrès, Monsieur.
Bachar el-Assad : Vous êtes journaliste. Obtenez ces preuves et montrez-les au public dans votre pays.
Charlie Rose : Ils les présentent aux représentants du public. Ils ne montrent pas leurs preuves et leurs actions et leurs plans qu’à un cercle restreint. Ils les montrent aux représentants du peuple qui voteront sur une autorisation de frappe, et s’ils ne trouvent pas les preuves suffisantes…
Bachar el-Assad : Tout d’abord, nous avons le précédent de Collin Powell, il y a dix ans, quand il a montré des preuves, elles étaient fausses, c’était une invention. Première chose. Deuxièmement, vous voulez me faire croire aux données fournies par les États-uniens et ne voulez pas que je croie aux données dont nous disposons nous-mêmes. Nous vivons ici, c’est notre réalité.
Charlie Rose : Quelles sont vos données ?
Bachar el-Assad : Que les rebelles ou les terroristes ont utilisé les armes chimiques dans le nord d’Alep, il y a cinq mois.
Charlie Rose : Et le 21 août ?
Bachar el-Assad : Non, non, non. C’était avant. Le 21, une nouvelle fois ils les ont employées contre nos soldats dans une région que nous contrôlons, et nos soldats sont allés à l’hôpital, vous pouvez les voir si vous voulez.
Charlie Rose : Mais la ghouta n’est pas contrôlée par vos forces, elle est contrôlée par les forces rebelles. La zone où l’attaque a eu lieu est contrôlée par les forces rebelles.
Bachar el-Assad : Et s’ils ont des stocks qui ont explosé à cause du bombardement ? Et s’ils ont lancé le missile par erreur sur eux-mêmes ?
Charlie Rose : Passons maintenant à la question d’une éventuelle frappe, que j’ai déjà abordée. Vous avez été prévenu à l’avance. Vous êtes-vous préparés, en déplaçant des cibles potentielles, avez-vous déplacé des cibles au sein de la population civile, toutes les choses que vous auriez faites si vous aviez le temps de les faire et que vous aviez été clairement avertis de la possibilité ?
Bachar el-Assad : La Syrie est en état de guerre depuis que son territoire a été occupé il y a plus de quarante ans, et la nature des frontières en Syrie implique que la majeure partie de l’armée se trouve dans les zones habitées, la plupart des centres sont dans des zones habitées. Vous trouverez difficilement une base militaire dans les zones éloignées des villes sauf s’il s’agit d’un aéroport ou quelque chose comme ça, mais la plupart des bases militaires ou des centres se trouvent dans des zones habitées.
Charlie Rose : Y’aura-t-il des attaques contre les bases américaines au Proche-Orient, en cas de frappe aérienne ?
Bachar el-Assad : Vous devez vous attendre à tout. Pas nécessairement de la part du gouvernement. Les gouvernements ne sont pas les seuls acteurs dans cette région. Vous avez différentes parties, différentes factions, vous avez des idéologies différentes, vous avez de tout dans cette région maintenant. Il faut donc s’attendre à tout.
Charlie Rose : Dites-moi ce que vous entendez par « s’attendre à tout. »
Bachar el-Assad : Attendez-vous à n’importe quelle action.
Charlie Rose : Y compris la guerre chimique ?
Bachar el-Assad : Cela dépend. Si les rebelles ou les terroristes dans cette région ou tout autre groupe en possèdent, cela pourrait se produire, je ne sais pas. Je ne suis pas un devin pour vous dire ce qui va se passer.
Charlie Rose : Mais nous aimerions en savoir plus, je pense que le président voudrait savoir, le peuple américain aimerait savoir. S’il y a une attaque, quelles pourraient être les répercussions et qui pourrait être engagé dans ces répercussions ?
Bachar el-Assad : Bon, avant le 11-Septembre, dans mes discussions avec de nombreux responsables des États-Unis, certains d’entre eux sont membres du Congrès, j’avais l’habitude de dire que « ne traitez pas avec les terroristes comme dans un jeu. » C’est une autre histoire. Vous allez en payer le prix si vous n’êtes pas prudents avec les terroristes. Nous avons dit que vous alliez subir des répercussions à cause de votre manière erronée de traiter avec eux, de traiter le terrorisme, mais personne ne s’attendait au 11-Septembre. On ne peut donc pas prévoir. Il est difficile pour quiconque de vous dire ce qui va se passer. C’est une région où tout est au bord de l’explosion. Vous devez vous attendre à tout.
Charlie Rose : Parlons de la guerre aujourd’hui. Cent mille personnes tuées. Un million de réfugiés. Un pays détruit. Assumez-vous une certaine responsabilité pour cela ?
Bachar el-Assad : Cela dépend de la décision que j’ai prise. Dès le premier jour, j’ai pris la décision en tant que président de défendre mon pays. Alors, qui a tué, ça c’est une autre question. En fait, les terroristes ont tué nos gens depuis le début de cette crise, il y a deux ans et demi, et le peuple syrien voulait que le gouvernement et les institutions de l’État et de l’armée et de la police le défende, et c’est ce qui s’est passé. Nous parlons donc de la responsabilité, ma responsabilité selon la Constitution syrienne, qui dit que nous devons nous défendre.
Charlie Rose : Monsieur le président, vous dites constamment « ce sont des terroristes. » La plupart des gens observent les rebelles et disent qu’Al-Qaïda et d’autres forces étrangères à la Syrie ne représentent plus que 15 ou 20 % des forces sur le terrain. Les autres 80 % sont des Syriens, sont des transfuges de votre gouvernement, et des transfuges de votre armée. Ce sont des gens qui sont Syriens et qui croient que leur pays ne doit pas être dirigé par un dictateur, ne devrait pas être géré par une famille, et qui veulent un gouvernement différent dans leur pays. C’est 80 % des personnes qui se battent contre vous, pas des terroristes.
Bachar el-Assad : Nous n’avons pas dit que 80 %, par exemple, ou la majorité ou la grande majorité, sont des étrangers. Nous avons dit que la grande majorité sont Al-Qaïda ou une des filiales d’Al-Qaïda dans cette région. Quand on parle d’Al-Qaïda, peu importe qu’il soit syrien ou américain ou européen ou africain. Al-Qaïda a une idéologie et obéit à la même direction, que ce soit en Afghanistan ou en Syrie ou en Irak. C’est ça la question. Vous avez des dizaines de milliers d’étrangers, c’est certainement vrai. Nous les combattons sur le terrain et nous le savons.
Charlie Rose : Mais c’est 15 ou 20 % du total. De combien parlons-nous ?
Bachar el-Assad : Personne ne le sait parce que quand ils sont tués, ils n’ont pas de pièce d’identité. Vous regardez leurs visages, on dirait des étrangers, mais d’où viennent-ils ? Il est difficile de faire une estimation précise, mais certainement la majorité sont d’Al-Qaïda. C’est cela qui nous préoccupe, pas leur nationalité. Que ce soit Al-Qaïda syrien, ou pakistanais ou saoudien, quelle est la différence ? Quelle importance ? La chose la plus importante est que la majorité sont d’Al-Qaïda. Nous n’avons jamais dit que la majorité n’était pas des Syriens, mais nous avons dit que la minorité est ce qu’ils appellent « l’Armée syrienne libre ». C’est ce que nous avons dit.
Charlie Rose : Croyez-vous que ça devient une guerre de religion ?
Bachar el-Assad : Cela a commencé en partie comme une guerre sectaire dans certaines zones, mais maintenant, ce n’est pas le cas, parce que quand vous parlez de guerre sectaire ou guerre de religion, il faut une ligne très nette entre les sectes et les religions en Syrie selon la géographie et la démographie, ce que nous n’avons pas. Donc, ce n’est pas une guerre religieuse, mais Al-Qaïda utilise toujours les religions, l’islam en fait, comme un prétexte et comme couverture et comme un manteau pour leurs guerres et leur terrorisme et leurs mise à mort et les décapitations et ainsi de suite.
Charlie Rose : Pourquoi cette guerre dure-t-elle depuis deux ans et demi ?
Bachar el-Assad : En raison de l’ingérence extérieure, car il s’agit d’un programme de l’extérieur pris en charge par, ou disons dirigée par, les États-Unis, l’Occident, les pays des pétrodollars, principalement l’Arabie Saoudite, et avant c’était le Qatar et la Turquie. C’est pourquoi elle dure depuis deux ans et demi.
Charlie Rose : Mais que font-ils, ces pays vous avez cités ?
Bachar el-Assad : Ils ont des objectifs différents. Pour l’Occident, il s’agit de saper les positions syriennes. Pour les pays des pétrodollars comme l’Arabie Saoudite, ils pensent que porter atteinte à la Syrie va saper l’Iran sur une base sectaire. Pour la Turquie, ils pensent que si les Frères musulmans contrôlent le reste de la région, ils seront très à l’aise, ils seront très heureux, ils feront en sorte que leur avenir politique soit garanti. Ils ont donc des plans et des objectifs différents.
Charlie Rose : Mais en même temps, comme je le disais, vous avez utilisé le Hezbollah et obtenu le soutien de l’Iran, de la Russie. Alors, qu’est-ce qui se passe ici. Est-ce une sorte de guerre qui n’existe que grâce aux soutiens des deux côtés ?
Bachar el-Assad : C’est de la coopération, je ne sais pas ce que vous entendez par soutien. Nous avons une coopération avec des pays depuis des décennies. Pourquoi parler de cette coopération aujourd’hui ?
Charlie Rose : Alors dites-le moi, qu’est-ce que vous recevez de l’Iran ?
Bachar el-Assad : Un soutien politique. Nous avons des accords avec de nombreux pays, dont l’Iran, dont la Russie, y compris avec d’autres pays sur différentes choses, y compris l’armement. C’est de la coopération comme toute coopération entre deux pays, ce qui est normal. Ce n’est pas lié à la crise. Vous n’appelez pas ça un soutien, parce que vous payez pour ce que vous obtenez. Ainsi, on ne peut pas l’appeler un soutien, c’est une coopération. Appelez ça comme vous voulez, mais le mot « soutien » n’est pas correct. De la Russie par exemple, nous recevons un soutien politique, ce qui est différent de la coopération. Nous avons une coopération depuis 60 ans maintenant, mais actuellement nous avons un soutien politique.
Charlie Rose : Eh bien, les Russes ont dit qu’ils vous soutenaient, mais au-delà d’une coopération politique. Je veux dire par là qu’ils ont des traités signés avec la Syrie.
Bachar el-Assad : Exactement.
Charlie Rose : Et ils fournissent toutes sortes d’armes défensives.
Bachar el-Assad : Vous avez dit traités, et un fonctionnaire russe a dit, nous avons des accords… des contrats à respecter, et ces contrats sont comme pour n’importe quel pays, vous achetez de l’armement, vous achetez ce que vous voulez.
Charlie Rose : Mais croyez-vous que cela est devenu un conflit entre sunnites et chiites ?
Bachar el-Assad : Non, pas encore. C’est ce que les Saoudiens ont en tête, et c’est dans l’esprit des Wahhabites.
Charlie Rose : Et dans l’esprit des Iraniens ?
Bachar el-Assad : Non, non, en fait ils font le contraire. Ils ont essayé d’ouvrir des voies avec les Saoudiens, avec de nombreuses autres entités islamiques dans la région afin de parler de la société islamique, et non pas de sociétés sunnites et chiites.
Charlie Rose : Y a-t-il eu un moment pour vous, quand vous avez vu le printemps arabe approcher la Syrie, où vous vous êtes dit « J’ai vu ce qui s’est passé en Libye, j’ai vu ce qui s’est passé en Tunisie, j’ai vu ce qui s’est passé en Égypte, ça ne va pas arriver à Bachar el-Assad. Je me battrai contre quiconque qui essaie de renverser mon régime avec tout ce que j’ai. »
Bachar el-Assad : Non, pour une raison : parce que la première question que je me pose est : ai-je le soutien du peuple ou non. C’est la première question que je me suis posée en tant que président. Si je n’ai pas le soutien du peuple, s’il y a le soi-disant « printemps arabe » – ce n’est pas le printemps, de toute façon – mais que ce soit le cas ou pas, sans le soutien du peuple, il faut abandonner, il faut partir. Avec le soutien du peuple, quelles que soient les circonstances, il faut rester. C’est votre devoir, vous devez aider les gens, il faut servir le peuple.
Charlie Rose : Quand vous dites « soutien du peuple », certaines pointent du doigt la Syrie et disent qu’une secte minoritaire, les alaouites, contrôle une population majoritairement sunnite, et parlent de « dictature », et qu’ils peuvent le faire grâce à la puissance de leurs propres instruments de pouvoir. C’est de ça dont vous bénéficiez, pas de l’appui du peuple, dans cette guerre entre Syriens.
Bachar el-Assad : Aujourd’hui, ça fait deux ans et demi, d’accord ? Deux ans et demi et la Syrie résiste encore aux États-Unis, à l’Occident, à l’Arabie saoudite, aux pays les plus riches de la région, y compris la Turquie, et, compte tenu de ce que votre question implique que même la grande majorité ou la majorité de la population syrienne serait contre moi, comment puis-je encore résister ? Suis-je un surhumain ou Superman, ce n’est pas le cas !
Charlie Rose : Ou vous avez une armée puissante.
Bachar el-Assad : L’armée est issue du peuple, elle n’est pas composée de robots. Elle est faite de gens.
Charlie Rose : Vous n’êtes sûrement pas en train de suggérer que cette armée n’est pas à vos ordres et aux ordres de votre famille.
Bachar el-Assad : Qu’entendez-vous par « aux ordres de la famille ?
Charlie Rose : La volonté de votre famille. Votre frère est dans l’armée. L’armée a été… tout observateur de la Syrie estime que c’est un pays contrôlé par votre famille et contrôlé par les alaouites qui sont vos alliés. C’est ça le contrôle.
Bachar el-Assad : Si c’était le cas – ce que vous dites – nous n’aurions pas résisté pendant deux ans et demi. Nous aurions vu l’armée se désintégrer, et se désintégrer l’ensemble de l’institution de l’État, nous aurions assisté à une désintégration de la Syrie, si tel était le cas. Ce serait intolérable en Syrie. Je parle de la réaction normale de la population. Si ce n’est pas une armée nationale, elle ne peut pas bénéficier de l’appui, et si elle n’a pas le soutien de chaque confession, elle ne peut pas faire son travail, et accomplir les progrès récents. Elle ne peut pas. L’armée d’une famille ne mène pas une guerre nationale.
Charlie Rose : Certains diront que vous n’avez pas eu ce soutien, car en fait les rebelles gagnaient avant que vous n’obteniez le soutien du Hezbollah et un soutien plus large des Iraniens, que vous étiez en train de perdre et puis ils sont venus et vous ont donné du cou de main et vous avez pu au moins commencer à gagner, à obtenir au moins un match nul.
Bachar el-Assad : Non, le contexte est incorrect, parce que parler de gagner ou de perdre, c’est comme si vous parliez de deux armées qui s’affrontent, ce qui n’est pas le cas. Ce sont des gangs, en provenance de l’étranger pour infiltrer les zones habitées, tuer les gens, prendre leurs maisons, et tirer sur l’armée. L’armée ne peut pas faire la même chose, et l’armée n’est pas présente partout.
Charlie Rose : Mais ils contrôlent une grande partie de votre pays.
Bachar el-Assad : Non, ils sont allés partout où l’armée était absente, et l’armée y est allée pour nettoyer la zone et les chasser. Ils n’attaquent pas l’armée dans une zone que l’armée a occupé et reprise. C’est complètement différent, ce n’est pas correct, ou ce n’est pas précisément ce que vous dites. C’est donc complètement différent. Ce que l’armée est en train de faire est de nettoyer ces zones, et l’indication que l’armée est forte, c’est qu’elle progresse dans ce domaine. Elle n’est jamais allée à un endroit sans pouvoir y entrer – c’est une indication. Comment cette armée pourrait elle faire si c’était l’armée d’une famille ou l’armée d’une secte ? Qu’en est-il du reste du pays qui soutient le gouvernement ? Ce n’est pas réaliste, ça n’arrive pas. Sinon, tout le pays s’effondrerait.
Charlie Rose : Un petit point sur l’implication américaine ici. Le président a été beaucoup critiqué parce qu’il n’a pas accordé plus de soutien aux rebelles. Comme vous le savez, il y a eu une dispute entre ses propres conseillers, de la secrétaire d’État Hillary Clinton, du directeur de la CIA David Petraeus, le Département de la Défense, Leon Penetta, secrétaire à la Défense, et d’autres, qu’il aurait du aider les rebelles il y a deux ans, et que nous serions dans une situation très différente, et donc que le président n’a pas suffisamment apporté de soutien aux rebelles, de l’avis de beaucoup de gens. Et il y a des critiques selon qui lorsque la décision a été récemment prise d’apporter ce soutien, ce soutien n’est pas parvenu aux rebelles parce qu’il y a une inquiétude quant à la composition de la rébellion.
Bachar el-Assad : Si l’administration états-unienne veut soutenir Al- Qaïda – allez-y. C’est ce que nous leur dirions, allez-y et soutenez Al-Qaïda, mais ne parlez pas de rebelles ou d’Armée syrienne libre. La majorité des combattants sont désormais d’Al-Qaïda. Si vous souhaitez les soutenir, vous soutenez Al- Qaïda, vous créez le chaos dans la région, et si cette région n’est pas stable, le monde entier ne pourra pas l’être.
Charlie Rose : Sauf votre respect, Monsieur, la plupart des gens ne croient pas que la majorité des forces soient d’Al-Qaïda. Oui, il y a un certain nombre de gens qui sont affiliés à Al-Qaïda et qui sont ici et qui souscrivent aux principes d’Al-Qaïda, mais ce n’est pas la majorité des forces, comme vous le savez. Vous savez que la composition qui se battent contre votre régime diffère selon les régions en Syrie.
Bachar el-Assad : Les responsables états-uniens doivent apprendre à composer avec la réalité. Pourquoi les États-Unis échouent-ils dans la plupart de leurs guerres ? Parce que leurs guerres reposent toujours sur des informations erronées. Alors, qu’ils le croient ou non, c’est la réalité. Je dois être très clair et très honnête. Je ne vais pas leur demander de croire s’ils ne veulent pas croire. C’est la réalité, je vous dis la réalité de notre pays. Nous vivons ici, nous savons ce qui se passe, et ils doivent écouter les gens d’ici. Ils ne peuvent pas écouter uniquement leurs médias ou leurs centres de recherche. Ils ne vivent pas ici, personne ne vit ici à part nous. Donc, c’est la réalité. S’ils veulent croire, c’est bien, ça va les aider à comprendre la région et à mieux réussir dans leur politique.
Charlie Rose : Beaucoup de gens pensent que ce n’est pas une situation tenable, que cette guerre ne peut pas continuer, parce que le coût pour la Syrie est trop élevé. Trop de morts – une centaine de milliers et ça continue -, un trop grand nombre de réfugiés, trop de destructions, l’âme d’un pays en danger. Si c’était pour le bien du pays, seriez-vous prêt à quitter le pouvoir ?
Bachar el-Assad : Cela dépend de la relation entre mon poste et le conflit. Nous ne pouvons pas discuter juste pour dire que je dois démissionner. Démissionner, pourquoi, et quel est le résultat attendu ? Ça c’est la première chose. Ensuite, quand vous êtes au milieu d’une tempête, quitter votre pays simplement parce que vous devez le quitter sans aucun motif raisonnable, cela signifie que vous abandonnez votre pays et ça c’est une trahison.
Charlie Rose : Vous dites que ce serait une trahison pour vous de quitter le pouvoir à cause de vos devoirs envers le pays ?
Bachar el-Assad : Sauf si le peuple le demande.
Charlie Rose : Comment le sauriez-vous ?
Bachar el-Assad : Par les deux ans et demi de résistance. Sans le soutien du peuple, on ne résiste pas pendant deux ans et demi. Regardez les autres pays, regardez ce qui s’est passé en Libye, en Tunisie et en Égypte.
Charlie Rose : Vous êtes inquiet à ce sujet, de ce qui est arrivé à Kadhafi ?
Bachar el-Assad : Non, nous sommes inquiets que les rebelles prennent le contrôle dans de nombreux pays, et regardez les résultats. Êtes-vous satisfait en tant qu’États-unien ? Quels sont les résultats ? Rien. Très mauvais – rien de bon.
Charlie Rose : Il y avait un rapport récemment dont vous avez parlé, ou un de vos représentants en a parlé, une sorte d’accord dans lequel vous et votre famille quitteraient le pays si on vous garantissait un sauf-conduit, si vous étiez assurés qu’il n’y aurait aucune poursuite pénale. Vous êtes au courant de ces rapports ?
Bachar el-Assad : Nous avons reçu de telles garanties dès le premier jour de la crise.
Charlie Rose : En raison de vos actes ?
Bachar el-Assad : Non, en raison des objectifs politiques dont j’ai parlé. Pour certains, je devais partir, tout simplement. Ils ont donc dit « nous avons toutes les garanties si vous voulez partir, et tout l’argent et tout ce que vous voulez. » Bien sûr, il suffit de l’ignorer.
Charlie Rose : On vous a donc offert cette possibilité ?
Bachar el-Assad : Oui, mais il ne s’agit pas de moi, encore une fois, ce combat n’est pas mon combat, ce n’est pas la lutte du gouvernement, c’est la lutte du pays, du peuple syrien. C’est ainsi que nous voyons les choses. Il ne s’agit pas de moi.
Charlie Rose : Il ne s’agit pas de vous ?
Bachar el-Assad : Il s’agit de tous les Syriens.
Charlie Rose : Comment finira cette guerre ? Quelle est la fin de partie ?
Bachar el-Assad : C’est très simple, une fois que les pays occidentaux cessent de soutenir les terroristes et de faire pression sur les pays marionnettes et serviles tels que l’Arabie saoudite et la Turquie et d’autres, il n’y aura plus de problème en Syrie. Il sera résolu facilement, parce que ces combattants, la partie syrienne dont vous parlez, a perdu son terreau naturel dans la société syrienne – ils n’ont plus de terreau, c’est pourquoi ils doivent en chercher à l’étranger. Ils ont besoin d’argent de l’étranger, ils ont besoin de soutien moral et un soutien politique à l’étranger. Ils n’ont pas de base, pas de terreau. Ainsi, en arrêtant la contrebande, on règle les problèmes.
Charlie Rose : Oui, mais en même temps, comme je l’ai déjà dit, vous avez le soutien de l’étranger. Il y a ceux qui disent que vous ne seriez pas en mesure de survivre sans le soutien de la Russie et de l’Iran. Votre gouvernement ne serait pas en mesure de survivre.
Bachar el-Assad : Non, ce n’est pas moi, je n’ai pas de soutien. Pas moi, mais toute la Syrie. Chaque accord est conclu entre toutes les classes et tous les secteurs de la Syrie ; gouvernement, population, commerce, militaire, culturel, tout, c’est comme la coopération entre votre pays et tout autre pays dans le monde. C’est la même coopération. Il ne s’agit pas de moi, ce n’est pas un soutien de crise.
Charlie Rose : Je voulais dire votre gouvernement. Vous dites que les rebelles ne survivent que parce qu’ils ont le soutien de l’Arabie saoudite, de la Turquie, des États-Unis et du Qatar peut-être, et je dis que vous ne survivez que parce que vous avez le soutien de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah.
Bachar el-Assad : Non, l’aide extérieure ne pourra jamais remplacer le soutien intérieur, jamais, c’est certain. Et l’exemple que nous devons examiner de près, c’est l’Égypte et la Tunisie. Ils ont tout le soutien de l’Occident et du Golfe et de la plupart des pays du monde. Quand ils n’ont pas eu le soutien à l’intérieur de leur pays, ils n’ont pu tenir plus de – combien ? – trois semaines. Donc, la seule raison pour laquelle nous sommes ici depuis deux ans et demi, c’est parce que nous avons le soutien interne, l’appui du peuple. Alors tout soutien extérieur, si vous voulez appeler ça du soutien alors employons ce terme, c’est… comment dire… ça vient en plus, mais ce n’est pas sur cette base là qu’il faut s’appuyer, pas plus qu’en Syrie.
Charlie Rose : Vous et moi avons parlé de cela auparavant, nous nous souvenons de Hama et votre père, Hafez el-Assad. Il a … impitoyablement… entrepris l’élimination des Frères musulmans. Êtes-vous simplement en train d’imiter votre père ?
Bachar el-Assad : Je ne sais pas ce que vous entendez par impitoyablement, je n’ai jamais entendu parler d’une guerre douce. Avez-vous déjà entendu parler d’une guerre douce ? Il n’y a pas de guerre douce. La guerre est la guerre. Toute guerre est impitoyable. Quand vous combattez les terroristes, vous vous battez comme dans n’importe quelle autre guerre.
Charlie Rose : Alors, les leçons que vous avez apprises ici sont les leçons que vous avez apprises de votre père et de ce qu’il a fait à Hama, qui, dit-on, vous a influencé considérablement en termes de votre perception du devoir.
Bachar el-Assad : Question : que feriez-vous en tant qu’États-unien si les terroristes envahissent votre pays d’un peu partout et commencent à tuer des dizaines de milliers d’États-uniens ?
Charlie Rose : Vous les appelez des terroristes, mais en fait il s’agit d’une révolution populaire, c’est ce que les gens croient, contrairement à vous, qui fait partie du printemps arabe qui a influencé d’autres pays.
Bachar el-Assad : la Revolution doit être être syrienne, elle ne peut pas être importée de l’étranger.
Charlie Rose : Elle n’a pas commencé de l’étranger, elle a commencé ici.
Bachar el-Assad : Ce que vous ne savez pas, c’est que ceux qui l’ont commencée ici soutiennent désormais le gouvernement. Ce que vous ne savez pas en tant qu’États-unien, vous ne le savez pas en tant que journaliste. C’est pourquoi parler de ce qui s’est passé au tout début est complètement différent de ce qui se passe actuellement – ce n’est pas la même chose -. Il y a une grande dynamique, les choses évoluent de jour en jour. C’est une image complètement différente. Ces gens qui voulaient la révolution coopèrent désormais avec nous.
Charlie Rose : Je vous le demande encore une fois, est-ce qu’en fait vous êtes le fils de votre père et croyez-vous que la seule façon de chasser les gens est de les éliminer comme votre père l’a fait ?
Bachar el-Assad : Pour être indépendant ? Oui. Pour lutter contre les terroristes ? Oui. Pour défendre le peuple syrien et le pays ? Oui.
Charlie Rose : Quand je vous ai interviewé pour la première fois, il était question de Bachar el-Assad… qui représentait l’espoir, la réforme. Ce n’est plus ce qu’ils disent.
Bachar el-Assad : Qui ?
Charlie Rose : Les gens qui écrivent sur vous, les gens qui parlent de vous, les gens qui analysent la Syrie et votre régime.
Bachar el-Assad : Exactement. L’espoir d’un États-unien diffère de celui d’un Syrien. Selon moi, je dois être l’espoir de la Syrie, pas l’espoir de quelqu’un d’autre, pas l’espoir d’un États-unien, ni d’un Français, ni de quelqu’un d’autre. Je suis président pour aider le peuple syrien. Donc, cette question doit être posée du point de vue syrien. S’il y a eu ou non des changements relatifs à cet espoir, c’est au peuple syrien qu’il faut poser la question, et à personne d’autre.
Charlie Rose : Mais maintenant, ils vous qualifient – ce sont leurs propres termes – de boucher. On vous compare aux pires dictateurs que le monde a jamais connus. L’emploi d’armes qui vont au-delà de la guerre. Tout ce qu’on peut dire de mal sur un dictateur, ils sont en train de le dire sur vous.
Bachar el-Assad : Tout d’abord, lorsque vous avez un médecin qui doit amputer une jambe pour sauver un patient de la gangrène, on ne l’appelle pas un boucher, on l’appelle un médecin, et on le remercie de sauver des vies. Quand vous avez le terrorisme, vous avez une guerre. Quand vous avez une guerre, vous avez toujours des victimes innocentes qui pourraient être les victimes de n’importe quelle guerre. Nous n’avons donc pas à discuter de l’image en Occident avant de discuter de l’image en Syrie. C’est ça la question.
Charlie Rose : Ce n’est pas seulement l’Occident. Je veux dire que c’est l’Est et le Proche-Orient, et je veux dire, vous savez, le monde entier a le regard braqué sur la Syrie. Nous avons vu des atrocités des deux côtés, mais du votre aussi. Ils ont vu la brutalité d’un dictateur qui, disent-ils, vous classe dans la catégorie des pires.
Bachar el-Assad : Nous devons donc permettre aux terroristes de venir tuer des Syriens et détruire le pays beaucoup, beaucoup plus. C’est comme ça qu’on devient un bon président ? C’est ce que vous laissez entendre.
Charlie Rose : Mais vous ne pouvez pas admettre l’idée qu’il y a une opposition à votre gouvernement à l’intérieur de la Syrie. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas imaginer.
Bachar el-Assad : D’avoir une opposition ? Nous l’avons, et vous pouvez aller les rencontrer. Nous avons certains d’entre eux au sein du gouvernement, nous avons certains d’entre eux hors du gouvernement. Ils sont l’opposition. Elle existe.
Charlie Rose : Je parle de ceux qui se battent contre vous.
Bachar el-Assad : L’opposition est différente du terrorisme. L’opposition est un mouvement politique. L’opposition ne veut pas prendre les armes et tuer des gens et tout détruire. Les gens à Los Angeles dans les années 90, vous les appelez des rebelles ou l’opposition ? Comment les Britanniques ont-ils appelés les rebelles d’il y a moins de deux ans à Londres ? Les ont-ils appelés opposition ou rebelles ? Pourquoi devrions-nous les appeler opposition ? Ce sont des rebelles. Ce ne sont même pas des rebelles, ce sont des coupeurs de têtes. Une opposition qui s’oppose à un pays, au gouvernement, avec des décapitations ? En faisant des barbecues avec des têtes ? En mangeant le cœur de leurs victimes ? C’est une opposition, ça ? Comment appelez-vous les gens qui ont attaqué les deux tours, le 11-Septembre ? L’opposition ? Même s’ils ne sont pas États-uniens, je le sais, mais il me semble que l’un d’entre eux avait la nationalité états-unienne. Ce sont pour vous des opposants ou des terroristes ? Pourquoi devriez-vous utiliser un terme aux États-Unis et en Angleterre et peut-être dans d’autres pays et utiliser un autre terme en Syrie ? Il s’agit d’un double standard que nous n’acceptons pas.
Charlie Rose : Un jour je vous ai demandé ce que vous craignez le plus et vous avez répondu la fin de la Syrie en tant qu’état laïque. Est-ce déjà le cas ?
Bachar el-Assad : D’après ce que nous avons vu récemment dans les zones contrôlées par les terroristes, où ils interdisent aux gens d’aller à l’école, interdisent aux jeunes hommes de raser leurs barbes, et où les femmes doivent être couvertes de la tête aux pieds, bref, là où ils vivent à la manière des Talibans en Afghanistan, totalement avec le même mode de vie, à échéance, oui, il y a de quoi être inquiet. Parce que l’État laïque doit refléter la société laïque, et cette société laïque, avec le temps, si vous ne vous débarrassez pas de ces terroristes et ces extrémistes et du mode de vie wahhabite, bien sûr, celui-ci exercera une influence sur les nouvelles générations et celles à venir. Donc, nous ne nions pas sa présence, nous sommes toujours un État laïque, mais avec le temps, cette laïcité sera érodée.
Charlie Rose : Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir permis d’avoir cette conversation à propos de la Syrie et de la guerre qui y règne ainsi que de l’avenir du pays. Je vous remercie.
Bachar el-Assad : Je vous remercie d’être venu en Syrie.
Traduction VD pour Le Grand Soir.
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