La séance est ouverte à 15 heures.
L’ordre du jour est adopté.
La Présidente (parle en anglais) : Conformément à l’article 37 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite le représentant de la République centrafricaine à participer à la présente séance.
En vertu de l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite S. E. M. Smaïl Chergui, Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, à participer à la présente séance.
Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.
Je souhaite chaleureusement la bienvenue au Secrétaire général, S. E. M. Ban Ki-Moon, et je lui donne la parole.
Le Secrétaire général (parle en anglais) : Je remercie S. E. M. Smaїl Chergui d’être des nôtres aujourd’hui. J’attache la plus haute importance à l’existence de relations étroites avec l’Union africaine. À l’Organisation des Nations Unies, nous continuerons à travailler main dans la main avec l’Union africaine pour promouvoir le développement et la paix durable sur le continent africain.
La crise qui se poursuit en République centrafricaine met l’ensemble de la communauté internationale à l’épreuve. La situation dans ce pays figure à l’ordre du jour du Conseil de sécurité depuis de nombreuses années, mais l’urgence actuelle lui confère une tout autre ampleur, plus inquiétante. Il s’agit d’une calamité qui interpelle vivement la conscience de l’humanité. Au cours de l’année écoulée, nous avons été témoins, en succession rapide, du renversement du Gouvernement par la violence, de l’effondrement des institutions de l’État et d’une descente dans l’anarchie et une violence sectaire. Plus de 2,5 millions de personnes – soit plus de la moitié de la population – ont besoin d’une aide humanitaire immédiate.
Le nouveau Chef de l’État par intérim, Mme Catherine Samba-Panza, est déterminée à rétablir l’autorité de l’État, et je salue ses efforts courageux. Mais sans budget, avec des ressources dérisoires et face à la pauvreté généralisée du pays, ses possibilités sont très limitées. Le chemin vers le rétablissement de l’autorité de l’État sera très long.
Des civils innocents sont tués en grand nombre. Ces victimes ne sont pas ce que l’on appelle des « dommages collatéraux » des combats entre les groupes rebelles. Elles sont tuées délibérément, prises pour cible en raison de leurs croyances religieuses et de leur appartenance à une communauté donnée – pour ce qu’elles sont. Les musulmans sont particulièrement visés, mais les ex-Séléka continuent également de s’en prendre aux chrétiens.
On dénombre près d’un million de personnes déplacées, et beaucoup de maisons ont été réduites en cendres pour les empêcher d’y revenir un jour. Des populations entières ont été forcées de se déplacer. L’on assiste à une partition progressive et de facto du pays, avec les musulmans d’un côté et les chrétiens de l’autre. Cette séparation sème les germes du conflit et de l’instabilité pour des années, voire des générations, à venir.
L’Union africaine et la France ont déployé des troupes en République centrafricaine pour essayer d’endiguer la violence. Nous devons à ces dirigeants et à ces soldats toute notre gratitude pour avoir sauvé tant de vies et protégé les populations là où ils peuvent. Nous devons à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) et à l’opération Sangaris notre solidarité et notre aide.
Cependant, étant donné l’ampleur et la portée géographique de la violence, les besoins en matière de sécurité dépassent de loin les capacités des effectifs internationaux déployés dans le pays à l’heure actuelle. Dans les zones où il n’y a pas de forces internationales, pour beaucoup trop de civils, il n’y a qu’un seul choix : fuir ou être tué.
La famille humaine ne doit pas se dérober face à ce qui se passe aujourd’hui en République centrafricaine. Nous ne devons pas non plus nous dérober à nos responsabilités – celles du Conseil comme les miennes – en vertu de la Charte des Nations Unies. Les événements en cours en République centrafricaine ont des répercussions dans l’ensemble de la région et nous somment de défendre des valeurs universelles. Cette crise politique, humanitaire, de sécurité et des droits de l’homme complexe exige une riposte globale et intégrée.
L’ONU travaille avec l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), l’Union européenne et la Banque mondiale pour s’attaquer aux divers problèmes que rencontre ce pays. Ces efforts seront toutefois vains si nous ne faisons pas plus pour mettre un terme aux atrocités, à la destruction de communautés et au déplacement massif de populations.
Le Conseil de sécurité m’a demandé de formuler des recommandations sur une future opération de maintien de la paix des Nations Unies. J’indiquerai bientôt au Conseil les lignes générales d’une mission dotée d’un solide mandat de protection des civils et de promotion de la stabilité. Néanmoins, le déploiement d’une opération de maintien de la paix, s’il est autorisé, prendra des mois ; le peuple centrafricain ne peut pas attendre des mois. La communauté internationale doit prendre maintenant des mesures résolues pour prévenir toute nouvelle aggravation de la situation et répondre aux besoins pressants de la population du pays. Dans cet esprit, je propose aujourd’hui une initiative en six points pour parer aux risques les plus graves auxquels est exposée la population centrafricaine.
Premièrement, et surtout, je préconise le renforcement rapide des contingents de l’Union africaine et des contingents qui sont maintenant présents sur le terrain, avec le déploiement d’au moins 3000 effectifs militaires et de police supplémentaires. Ce nouveau personnel, y compris les unités de police constituées, doit être déployé le plus rapidement possible, dans les jours et semaines à venir, et avoir la mobilité nécessaire, notamment aérienne, pour être en mesure d’opérer partout où cela est nécessaire. La Présidente de la Commission de l’Union africaine, Mme Dlamini-Zuma, m’a informé qu’elle proposera au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine un renforcement de la MISCA. Je salue son initiative et invite les membres du Conseil de paix et de sécurité à l’approuver. Le Président français, M. Hollande, a annoncé une augmentation de 25% des effectifs de l’opération Sangaris, ce qui portera le contingent à 2000 hommes au total. En outre, l’Union européenne est sur le point de faire passer de 500 à 1000 hommes le déploiement prévu, une première capacité opérationnelle devant être sur le terrain début mars. J’apprécie ces engagements. Il faut cependant en prendre d’autres rapidement, et l’ensemble de la communauté internationale doit partager ce fardeau.
Deuxièmement, je propose que toutes les forces internationales en République centrafricaine soient placées sous un commandement coordonné et que la mission de ces forces soit axée sur les priorités les plus pressantes, à savoir contenir la violence, protéger les civils, prévenir de nouveaux déplacements, créer un environnement sûr pour l’acheminement de l’aide humanitaire et mettre en place des conditions propices au passage du témoin à une force de maintien de la paix des Nations Unies dans les meilleurs délais.
Troisièmement, je propose que les contingents africains qui joindront cette force bénéficient d’un appui logistique et financier, y compris des rations, de l’eau et du carburant et le remboursement de leur matériel militaire non létal principal. Le coût de ce train de mesures, qui comprend le strict minimum, est estimé à 38 millions de dollars pour une période transitoire de six mois.
Quatrièmement, je recommande de fournir un appui rapide et concret au Gouvernement centrafricain en vue de l’aider à mettre en place des capacités minimales pour fonctionner. Cet appui doit comprendre l’aide financière nécessaire pour que la police retourne dans la rue, pour que les juges retournent dans les salles d’audience et pour que les gardiens de prison reprennent leur travail. Je suis heureux d’annoncer qu’aujourd’hui le Danemark a confirmé une contribution de 2 millions de dollars au profit de cette initiative. J’ai l’intention de m’assurer qu’il soit fait rapidement bon usage de ces ressources. La Norvège a également confirmé aujourd’hui qu’elle fera un don en faveur de cet effort.
Cinquièmement, je préconise l’accélération d’un processus politique et de réconciliation afin de prévenir une rupture plus grande des liens communautaires et pour jeter les bases de la fin du conflit. Les chefs communautaires et religieux auront un rôle particulièrement important à jouer dans la promotion de la tolérance, de la coexistence pacifique et de la non- violence. Un processus politique exigera également la participation active de la CEEAC, de l’Union africaine et de la communauté internationale. Je tiens à saluer tout particulièrement les efforts inlassables du Médiateur en chef de la CEEAC, le Président de la République du Congo, M. Denis Sassou Nguesso.
L’ONU renforce actuellement les capacités analytiques et opérationnelles du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine afin que nous puissions aider les autorités nationales à remettre la transition sur les rails, à étendre l’autorité de l’État et à mettre en place des institutions crédibles dans tout le pays.
L’application du principe de responsabilité et les mesures de justice doivent être des éléments clefs de tout processus de paix et de réconciliation. De façon plus immédiate, de telles mesures contribueront à prévenir les violations des droits de l’homme qui se poursuivent. Je suis heureux d’annoncer que le Président de la commission d’enquête mandaté par le Conseil de sécurité ainsi qu’une mission préparatoire se rendront en République centrafricaine pour exécuter leur tâche importante.
Sixièmement, enfin, j’appelle au financement urgent de l’aide humanitaire, actuellement insuffisant pour faire face à la crise. Seuls 15% des ressources nécessaires cette année ont été reçus, malgré les généreuses promesses de don faites à la conférence sur le financement tenue à Bruxelles le mois dernier. La Coordonnatrice des secours d’urgence, Mme Valerie Amos, se trouve en République centrafricaine. Elle s’est dit choquée par ce qu’elle a vu aujourd’hui à Bossangoa et a indiqué que les tensions intercommunautaires sont très vives et que les gens craignent pour leur vie. Elle a insisté sur le fait que des effectifs supplémentaires étaient nécessaires sur le terrain pour assurer sécurité et protection dans tout le pays.
Ces derniers jours, j’ai, ainsi que mes collègues de haut niveau, contacté des dizaines d’États Membres afin qu’ils appuient mes propositions. J’ai été encouragé par leur réponse positive. Certains envisagent d’envoyer des effectifs militaires et de police supplémentaires, d’autres se sont engagés à fournir un appui budgétaire au Gouvernement. Ces engagements auront des retombées concrètes dans les prochains jours.
Pour sa part, l’ONU, grâce à l’appui généreux du Canada et d’autres, a alloué 5 millions de dollars du fonds d’affectation spéciale de la MISCA pour fournir du matériel de communication essentiel aux contingents africains, et ces articles sont en train d’être acheminés à Bangui en ce moment même.
L’initiative en six points que je viens de présenter vise à appuyer et à compléter le travail difficile actuellement réalisé par divers acteurs. Elle vise à atteindre les objectifs les plus pressants, à savoir stabiliser les conditions de sécurité et sauver des vies qui seraient autrement perdues à cause d’une haine confessionnelle gratuite. Ces propositions appellent des contributions de nombreux acteurs. Elles nous obligent à éviter une approche décousue dans laquelle certaines propositions bénéficient d’un plus grand appui que d’autres. Pour être efficaces, ces propositions doivent être adoptées et mises en œuvre comme un ensemble intégré.
Nous savons ce qui se passe en République centrafricaine. Nous savons pourquoi cette situation est différente de précédentes flambées de violence. Nous savons pourquoi cela est important pour chacun d’entre nous et ce que nous devons faire.
Nous ne disposons pas seulement de connaissances. Par une action collective, telle que prévue par la Charte des Nations Unies, nous avons le pouvoir de mettre fin à la tuerie et de sortir la République centrafricaine du cauchemar qu’elle vit actuellement.
J’exhorte le Conseil à appuyer ma proposition, et j’appelle les États Membres à prendre les mesures nécessaires pour la mettre en œuvre. Montrons au peuple centrafricain que l’ONU est à ses côtés et que l’appui dont il a besoin de toute urgence est en route. C’est notre responsabilité commune. Les Centrafricains ont demandé notre aide. J’exhorte le Conseil à se joindre à moi pour répondre à leur appel.
La Présidente (parle en anglais) : Je remercie le Secrétaire général de sa déclaration.
Je donne maintenant la parole à M. Chergui.
M. Chergui : Nous voilà réunis pour débattre d’une situation grave qui fait l’objet d’une attention internationale croissante. Nous espérons ardemment que la présente séance fera date, en ce qu’elle marquera une étape nouvelle et déterminante dans la mobilisation internationale en faveur de la République centrafricaine.
Je remercie le Conseil de sécurité pour le suivi permanent réservé à cette question. Je voudrais tout particulièrement exprimer la gratitude de l’Union africaine à la Présidente du Conseil pour avoir eu l’obligeance et l’élégance de décaler la présente séance pour permettre à notre délégation d’y participer. Qu’il me soit également permis de réitérer, au nom de la Présidente de la Commission de l’Union africaine, Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, l’appréciation de l’Union africaine au Secrétaire général, M. Ban Ki- moon, pour son engagement soutenu et son implication personnelle pour alléger les souffrances du peuple centrafricain.
Au cours des derniers jours, le Secrétaire général et la Présidente de la Commission de l’Union africaine ont régulièrement communiqué sur ce qu’il convient d’entreprendre pour contribuer au renforcement de l’action internationale en faveur de la République centrafricaine. Ces échanges sont une illustration supplémentaire de leur préoccupation commune face à cette tragédie, ainsi que de leur conviction qu’une réponse internationale efficace doit nécessairement reposer sur une vision partagée des mesures à prendre, dans le droit fil du partenariat étroit et novateur que l’Union africaine et l’ONU s’emploient à bâtir dans le domaine de la paix et de la sécurité.
Comme le savent les membres du Conseil, la situation en République centrafricaine figure depuis plusieurs années au cœur des priorités de l’Union africaine. Au moment de la reprise des hostilités dans ce pays, en décembre 2012, et parce que précisément nous craignions que la situation ne dégénérât en une violence généralisée aux conséquences catastrophiques pour la République centrafricaine et son peuple, nous avions appelé à une action internationale coordonnée en appui aux efforts méritoires des pays de la région sous la conduite des Présidents Idriss Déby Itno, du Tchad, et Denis Sassou Nguesso, de la République du Congo.
Je voudrais saisir cette occasion pour renouveler notre appréciation du volontarisme de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), de l’engagement personnel des dirigeants de la région et des sacrifices consentis dans la quête de la paix, de la sécurité et de la stabilité en République centrafricaine.
À l’évidence, ces efforts de prévention n’ont pas abouti. Nous devons en tirer des enseignements pour nos actions futures de promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent, tant il est vrai que la communauté internationale ne peut continuer à attendre la survenance de situations désastreuses pour commencer à agir avec la célérité et la vigueur requises.
Aujourd’hui, nous devons faire face à une situation difficile et complexe. Celle-ci appelle de notre part diligence, efficacité et flexibilité. Notre action doit procéder d’une appréciation exhaustive des efforts actuels et des défis qui restent à surmonter. Elle doit viser à apporter les réponses les plus adaptées qui soient aux problèmes auxquels nous faisons face.
Depuis le 19 décembre 2013, la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) a pris la relève de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique de la CEEAC. Cette relève s’est faite dans un contexte on ne peut plus difficile, marqué par les attaques qu’a connues Bangui au début du mois de décembre 2013, les actes de violence extrême dont la population civile a été l’objet, des déplacements forcés qui ont affecté tant des communautés nationales qu’étrangères, ainsi que les haines et tensions communautaires et religieuses qui en ont résulté et qui sont si profondément préjudiciables au futur du pays et à sa cohésion sociale.
Au regard des défis qui se posaient sur le terrain, une des premières mesures prises par l’Union africaine a été le renforcement des contingents présents sur place. Nous avons ainsi pu, dans le mois qui a suivi le transfert d’autorité, déployer, grâce à la sollicitude des États-Unis, deux bataillons supplémentaires de 850 personnels chacun. Hier même, à Kinshasa, une équipe de la Commission a conclu les discussions avec le Gouvernement de la République démocratique du Congo en vue de l’intégration effective du contingent de la République démocratique du Congo au sein de la Mission.
Aussi, au moment où je m’adresse au Conseil, je peux confirmer que la Mission a quasiment atteint son effectif autorisé de 6 000 personnels en uniforme. Grâce à ce renforcement et au soutien de l’opération française Sangaris, ainsi qu’à d’autres mesures, notamment la sectorisation de la ville de Bangui, la situation dans la capitale s’est considérablement améliorée. Le nombre des incidents de sécurité s’est significativement réduit. Évidemment, beaucoup reste à faire pour assurer un retour total à la normalité.
Des crimes inacceptables continuent d’être commis contre des civils innocents. Des actes de vandalisme et de pillage, qui s’expliquent aussi en partie par la misère sociale qui frappe les Centrafricains, notamment la jeunesse, n’ont pas totalement disparu. De nombreux déplacés, y compris ceux qui sont massés dans des conditions infrahumaines à l’aéroport, ne sont pas encore revenus à leurs domiciles, et la peur demeure une réalité que l’on ne peut nier.
La MISCA, avec le soutien de l’opération Sangaris, s’emploie à relever ces défis, tant par la mise en place de points de contrôle fixes que par la conduite de patrouilles de jour comme de nuit.
La Mission est sur le point de parachever son plan de déploiement à l’intérieur du pays. Au total, 4 000 militaires devraient être positionnés en différents endroits de l’arrière-pays. Cette opération est en cours au moment où je parle. Cette présence, couplée à celle de Sangaris, a permis d’éviter bien des atrocités, de rassurer les communautés et de faciliter l’action humanitaire. Encore une fois, nous devons faire beaucoup plus, agir plus vite et conférer plus d’efficacité à l’action qui est la nôtre. La MISCA est déterminée à relever ces défis.
Je voudrais également mentionner d’autres missions de la MISCA. Il y a évidemment la tâche de protection des dirigeants de la transition, essentielle pour qu’ils puissent, dans le contexte que nous connaissons en matière de sécurité, accomplir la lourde tâche dont ils ont la charge. Il y a aussi la facilitation de l’acheminement de l’aide humanitaire grâce à l’escorte et à la protection des convois qui empruntent le couloir vital qui relie la République centrafricaine au Cameroun. Je me dois d’ajouter que 500 camions et autres véhicules ont pu bénéficier de cette protection, qui contribue également à la reprise des flux commerciaux et à la collecte effective par l’État centrafricain des droits de douanes et des taxes connexes à prélever sur les marchandises et autres biens destinés à la République centrafricaine pour lui permettre de disposer des ressources si nécessaires à l’exercice de ses fonctions régaliennes.
Ces efforts ont été confortés par l’évolution encourageante du processus politique, dans le prolongement des décisions du sommet de la CEEAC des 9 et 10 janvier 2014. L’élection d’un nouveau Chef de l’État de la transition, en la personne de Mme Catherine Samba-Panza, la nomination subséquente d’un nouveau Premier Ministre et la formation d’un gouvernement ont permis de relancer la transition.
La principale menace à laquelle nous sommes présentement confrontés sur le plan de la sécurité est liée à l’action des milices dites anti-Balaka. En réponse, la MISCA, avec l’appui de l’opération Sangaris, s’emploie à mettre en œuvre une série de mesures pratiques pour neutraliser ces milices. Ces efforts, qui ont commencé il y a quelques jours à Bangui, seront poursuivis et intensifiés, y compris à travers leur extension à l’ensemble du territoire centrafricain.
Nous aurons l’occasion, dans le cadre des rapports périodiques au Conseil de sécurité, de fournir des informations plus détaillées sur les efforts déployés et les difficultés rencontrées. Sur ce dernier point, je voudrais relever certains des défis qui entravent l’action de la МISCA. Ils ont trait à l’insuffisance des moyens logistiques et de communication, malgré le concours appréciable des partenaires internationaux dont je voudrais, à nouveau, saluer la contribution. Ils ont aussi trait aux limites des capacités actuelles du Gouvernement centrafricain. Ainsi, l’absence d’un système judiciaire rend extrêmement difficile l’entreprise de rétablissement de l’ordre, en ce que les éléments interpellés par les forces internationales ne peuvent tout simplement pas être soumis à la rigueur de la loi. Nous avons pour autant pu, avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement, établir un arrangement transitoire qui fonctionne actuellement.
À l’occasion de cette réunion, le Secrétaire général a soumis des propositions sur ce qu’il estime devoir être entrepris au regard de la situation présente en République centrafricaine. Dans sa lettre du 17 février 2014, dont nous avons demandé transmission aux membres du Conseil de sécurité pour information et action en tant que de besoin, la Présidente de la Commission de l’Union africaine a identifié une série de mesures qui, mises en œuvre rapidement, nous permettront de renforcer significativement l’efficacité de l’action qui est la nôtre. Je ne pourrai dans le cadre de cette déclaration énumérer ces mesures dans le détail. Qu’il me soit donc permis d’en faire l’économie en citant tout simplement les mesures suivantes.
Premièrement, concernant l’impératif du renforcement de la MISCA, il doit s’agir tant de renforcer les effectifs de la Mission, notamment en termes de personnels de police, que d’accroître les équipements. Comme nous avons eu l’occasion de le dire, des pays africains sont disposés à fournir des personnels supplémentaires. Aussi, pour cette raison et pour d’autres, liées notamment au lancement de l’opération européenne, ne sommes-nous pas favorables à la mise en place d’une quelconque « coalition des volontaires », qui ne ferait que nous détourner de la tâche urgente et impérative du renforcement de la MISCA. En attendant le déploiement de troupes supplémentaires, et en réponse aux préoccupations exprimées par le Secrétaire général s’agissant de la distribution de l’aide alimentaire à l’intérieur du pays, la MISCA est prête à escorter les convois humanitaires destinés aux localités concernées.
Deuxièmement, j’aborderai la prise de mesures complémentaires pour consolider les acquis déjà enregistrés et hâter la restauration durable de la sécurité à travers l’ensemble du territoire centrafricain. Je me réfère ici au paiement des salaires des agents de la fonction publique et des pensions de retraite, ainsi qu’à un appui à la reprise du fonctionnement des services publics de base, y compris la reconstitution d’un noyau de forces de sécurité, la remise en place du système judiciaire et des structures carcérales. Dans notre esprit, il ne s’agit pas de problèmes à moyen terme qui devraient être traités une fois que la sécurité sera restaurée, mais plutôt d’urgences pour lesquelles une action immédiate est requise. Ne nous y trompons pas, aucune force internationale, quelle que soit sa taille, ne pourra assurer le degré de sécurité requis sans la participation active de la partie centrafricaine. Le coût financier de ces mesures représente une fraction infime de ce qui devrait être mobilisé pour une nouvelle opération militaire.
Troisièmement, s’agissant de la consolidation des avancées enregistrées dans le processus politique, grâce à l’action décisive des dirigeants de la CEEAC, il va sans dire qu’il ne saurait y avoir de gain sécuritaire durable sans volet politique viable. Les dirigeants de la région font preuve d’un volontarisme et d’un engagement exceptionnels. Nous nous devons de mieux soutenir leur action, notamment à travers le Groupe de contact international pour la République centrafricaine qui, je l’espère, sera convoqué bientôt.
Enfin, pour ce qui concerne la mise en œuvre rapide et effective des dispositions pertinentes des résolutions récemment adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU, il s’agit ici d’assurer l’application de sanctions ciblées contre les individus et entités qui sapent les efforts actuels, et d’accélérer le travail de la Commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire, tant il est vrai que ces mesures contribueront significativement à prévenir d’autres atrocités. Je félicite le Secrétaire général pour l’annonce qu’il a faite aujourd’hui. Je peux assurer cette Commission de la pleine sollicitude et de la pleine coopération de la MISCA et de l’Union africaine.
Je voudrais à ce stade souligner que la démarche que nous proposons est celle qui permettra de soutenir au mieux les efforts africains. Il s’agit d’une considération essentielle car, en définitive, il n’y aura pas de solution durable aux défis à la paix et à la sécurité que connaît le continent sans appropriation africaine. Lorsqu’il existe une forte volonté politique africaine, et tel est indéniablement le cas s’agissant de la République centrafricaine, cette dernière doit être soutenue et confortée. Nos partenaires, quelle que soit leur bonne volonté, ne pourront pas toujours pallier nos insuffisances.
La démarche proposée s’inscrit ainsi dans le cadre d’une approche d’ensemble qui permet de combiner les avantages comparatifs respectifs de l’Union africaine et des Nations Unies. Dans la phase actuelle de stabilisation, une opération de soutien à la paix de l’Union africaine est l’option la mieux indiquée. Son succès ouvrira la voie au déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies pour soutenir, dans le long terme, le processus de relèvement de la République centrafricaine.
Nous voyons donc la MISCA comme une étape essentielle à une implication plus forte des Nations Unies et, à dire vrai, de l’ensemble de la communauté internationale. Dans cette perspective, et en vue de léguer aux Nations Unies une mission forte pour conduire la prochaine phase du processus de paix, il importe que le Conseil de sécurité envisage favorablement la mise en place d’un module de soutien logistique à la MISCA, comme le Secrétaire général vient de le proposer, financé par les contributions mises en recouvrement. Nous remercions le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de son engagement d’œuvrer dans ce sens.
Nous sommes à une étape cruciale de nos efforts visant à relever avec succès les défis qui se posent en République centrafricaine. La priorité est claire : protéger les populations civiles, faciliter l’acheminement de l’assistance humanitaire et créer les conditions d’une transition réussie. Comme l’a si justement dit le Secrétaire général, les défis auxquels nous faisons face requièrent l’implication de tous. Ils dépassent nos capacités individuelles. L’effort doit être collectif pour qu’il y ait succès.
Aussi est-il urgent de déterminer comment combiner au mieux les avantages respectifs de chacun des acteurs concernés, tout en faisant avancer notre objectif commun d’une plus grande responsabilisation de l’Afrique dans la gestion des problèmes auxquels le continent est confronté. Nous croyons sincèrement que les propositions faites par la Présidente de la Commission, Mme Dlamini-Zuma, nous permettront de répondre de façon satisfaisante aux défis du moment.
Dans quelques années, lorsque nous jetterons un regard rétrospectif sur la République centrafricaine et sur la manière dont nous aurons géré la situation présente, nous devrons être en mesure de dire que nous avons répondu à l’appel au secours du peuple centrafricain, en même temps que nous avons fait avancer le partenariat international en faveur de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Il appartient au Conseil de ne pas ajouter à la frustration de l’Afrique, seul continent à ne pas avoir de représentants permanents au sein de cette très importante institution, et d’inscrire aujourd’hui et pour toujours la nécessaire consultation préalable de l’Union africaine dans le cadre de l’examen de toute question relative à l’Afrique. D’ores et déjà, nos trois représentants non permanents sont prêts à remplir la mission, sinon de rédacteur, au moins d’adjoint, s’agissant des situations de conflit sur le continent.
Je ne saurais conclure sans exprimer notre profonde appréciation à tous nos partenaires internationaux qui soutiennent la MISCA. La Conférence d’appel de fonds qui a eu lieu à Addis-Abeba le 1er février 2014 a été l’occasion d’un véritable élan de solidarité avec les Centrafricains et de soutien à la MISCA. Puisse la présente séance du Conseil de sécurité conforter cette dynamique et, partant, nous rapprocher encore davantage de la réalisation des nobles objectifs communs que nous poursuivons ensemble en République centrafricaine.
La Présidente (parle en anglais) : Je remercie M. Chergui de son exposé.
Je donne maintenant la parole au représentant de la République centrafricaine.
M. Dembassa Worogagoi (République centrafricaine) : Je me permettrai tout d’abord de saluer l’engagement de la communauté internationale dans la recherche de solutions durables à la crise centrafricaine, engagement qui s’est manifesté ces derniers mois par l’adoption des résolutions 2121 (2013), 2127 (2013) et 2134 (2014), autorisant le déploiement des forces africaines de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), appuyées par les forces françaises et européennes, avec un mandat robuste au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
La présence des forces africaines de la MISCA, soutenues par les forces françaises de l’opération Sangaris, a permis d’éviter que la République centrafricaine ne tombe dans le chaos total. Je voudrais ici exprimer la profonde gratitude du peuple centrafricain aux pays qui ont engagé des troupes sur le terrain, troupes qui ont payé un lourd tribut en vies humaines lors des opérations de sécurisation des villes de Bangui et de Bossangoa, épicentres de la crise.
Cependant, même si le pire a été évité à Bangui, la capitale, la situation reste volatile. La capitale reste confrontée à un problème de maintien de l’ordre public – qui relève de la responsabilité de la police et de la gendarmerie, appuyés par un appareil judiciaire fonctionnel, qui contraint une bonne partie de la population à rester dans les camps de déplacés, aux abords de l’aéroport, dans les églises et dans les mosquées.
Dans le reste du pays où vit la majorité des 4,5 millions de la population centrafricaine, le défi sécuritaire reste entier. Profitant de la disparition de l’État dans cet immense pays de 623000 kilomètres carrés – de la taille de la France et de la Belgique réunies – des hordes de criminels de tous genres se livrent à des meurtres, viols, pillages et autres graves violations des droits de l’homme, et la population civile est contrainte de se réfugier dans la brousse, en proie à la faim et aux maladies. L’arrivée imminente de la saison des pluies fait craindre le pire.
Au-delà des questions sécuritaires, un État est à reconstruire en Centrafrique. Cette tâche est immense car il faut remettre en marche une administration, rétablir un état civil et préparer les élections.
C’est pour aider à relever tous ces défis que les autorités centrafricaines ont officiellement demandé au Secrétaire général, par correspondance du 27 janvier 2014 transmise au Secrétariat le 3 février 2014 (S/2014/83, annexe), le déploiement rapide d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies. Le déploiement d’une opération de maintien de la paix multidimensionnelle en République centrafricaine paraît la solution la mieux adaptée aux défis actuels, et cela pour trois raisons essentielles.
D’abord, il permettrait d’augmenter l’effectif des troupes engagées avec les moyens leur permettant d’assurer une mobilité suffisante, c’est-à-dire véhicules et moyens de transports aériens, afin d’opérer sur un territoire comportant peu d’infrastructures routières.
Ensuite, un tel déploiement permettrait l’accès aux ressources et à l’expertise que réclame la situation en République centrafricaine, tout en s’appuyant sur l’expérience acquise par les Nations Unies en matière de gestion des crises complexes. Je voudrais ici faire allusion aux défis de l’humanitaire, du suivi des violations de droits de l’homme, de la lutte contre l’impunité, et de la restauration des capacités de l’État sur tout le territoire centrafricain.
Enfin, il crédibiliserait le processus de désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement.
La mise en place d’une opération de maintien de la paix en Centrafrique doit être décidée le plus rapidement possible, compte tenu des délais requis pour son déploiement effectif et de l’extrême volatilité de la situation sécuritaire en République centrafricaine.
Je voudrais, pour finir, souligner qu’il n’y a d’opposition entre le déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies et l’action des forces africaines de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Je n’y vois que complémentarité, car la MISCA a vocation à devenir le cœur d’une opération de maintien de la paix en Centrafrique.
La Présidente (parle en anglais) : Il n’y a plus d’autres orateurs inscrits sur ma liste. Le Conseil de sécurité a ainsi achevé la phase actuelle de l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.
La séance est levée à 15 h 40.
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