Le géographe Manlio Dinucci revient ici sur les vraies raisons du retournement de Washington contre le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, et sa destitution malgré sa victoire électorale. Il expose les vraies motivations de la prétendue coalition mondiale contre l’Émirat islamique. Et si tout ceci n’était qu’une vaste et sanglante mise en scène ?
Demain —veille du 13ème anniversaire du 11 septembre qui marqua le commencement de la « guerre mondiale contre le terrorisme » centrée sur Al Qaeda et sur l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak par des coalitions conduites par les USA— le président Obama annoncera, dans un discours solennel à la nation, le lancement d’une nouvelle offensive sous conduite US visant, selon ce qu’il a déclaré dimanche dans une interview télévisée à NBC, à « affronter la menace provenant de l’État islamique de l’Irak et de la Syrie ». Tout en n’envoyant pas officiellement des forces terrestres en Irak et en Syrie, le président promet : « Nous dégraderons systématiquement les capacités des militants sunnites de l’Émirat islamique, nous restreindrons le territoire qu’ils contrôlent et, enfin, nous les vaincrons ».
La stratégie a été officialisée dans la Déclaration finale du récent Sommet de l’Otan [1], dans laquelle on affirme (point 37) que « l’Émirat islamique, par sa récente avancée en Irak, est devenu une menace transnationale ». Qui en est responsable ? Les 28 gouvernements Otan (celui de Renzi compris) n’ont aucun doute : « Le régime d’Assad qui a contribué à l’émergence de l’Émirat islamique en Syrie et à son expansion au-delà de ce pays ». On renverse ainsi la réalité : comme cela a déjà été amplement documenté, les premiers noyaux du futur Émirat islamique se forment quand, pour renverser Kadhafi en Libye en 2011, l’Otan finance et arme des groupes islamistes définis comme terroristes jusque peu de temps auparavant (en exprimant maintenant, dans la Déclaration du Sommet, « une profonde préoccupation pour les actuelles violences en Libye »). Après avoir contribué à renverser Kadhafi, ces groupes passent en Syrie pour renverser Assad. C’est là, en 2013, que naît l’Émirat islamique qui reçoit financements, armes et voies de transit de la part des alliés les plus étroits des États-Unis : Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Turquie et Jordanie. Sur la base d’un plan à coup sûr coordonné par la CIA.
L’Émirat islamique lance ensuite l’offensive en Irak, et sans hasard au moment où le gouvernement présidé par Nouri al-Maliki est en train de prendre ses distances de Washington, et de se rapprocher de plus en plus de la Chine. Celle-ci achète environ la moitié de la production pétrolifère de l’Irak, qui a fortement augmenté, et effectue de gros investissements dans son industrie d’extraction. En février dernier, les deux gouvernements signent des accords qui prévoient des fournitures militaires par la Chine. En mai dernier al-Maliki participe, à Shanghai, à la Conférence sur les mesures d’interaction et de renforcement de la confiance en Asie, avec le président russe Vladimir Poutine et Hassan Rouhani, président de l’Iran. Pays avec qui le gouvernement al-Maliki avait signé en novembre 2013 un accord qui, défiant l’embargo voulu par Washington, prévoit l’acquisition d’armes iraniennes. C’est sur ce fond que vient se placer l’offensive de l’Émirat islamique, qui met le feu à l’Irak en trouvant une matière inflammable dans la rivalité sunnites-chiites.
L’Émirat islamique joue ainsi un rôle fonctionnel dans la stratégie USA/Otan de démolition des États à travers la guerre secrète. Ceci ne signifie pas que la masse de ses militants, provenant de différents pays, en soit consciente. Elle est très composite : en font partie à la fois des combattants islamiques, qui se sont formés dans le drame de la guerre, des ex-militaires de l’époque de Saddam Hussein qui ont combattu contre les envahisseurs, et de nombreux autres dont les histoires sont toujours liées aux situations tragiques provoquées par la première guerre du Golfe et par les suivantes sur plus d’une vingtaine d’années. En font partie aussi divers combattants provenant des États-Unis et d’Europe, dont les masques cachent certainement aussi des agents secrets spécialement formés pour de telles opérations.
Ceci dit, il existe des faits incontestables montrant que l’Émirat islamique est un fantassin du nouveau grand jeu impérial au Moyen-Orient. En mai 2013, un mois après avoir fondé l’Émirat islamique, Ibrahim al-Badri —le « calife » aujourd’hui connu sous le nom de bataille de Abu Bakr al-Baghdadi— rencontre en Syrie le sénateur étasunien John McCain, chef de file des républicains chargé par le démocrate Obama de mener des opérations secrètes pour le compte du gouvernement. La rencontre est documentée photographiquement (cf. article de Thierry Meyssan [2]).
Très suspect aussi l’accès illimité de l’Émirat islamique sur les grands réseaux médiatiques mondiaux, dominés par les colosses états-uniens et européens, à travers lesquels il diffuse les vidéos des décapitations qui, en suscitant l’horreur, créent une vaste opinion publique favorable à l’intervention de la coalition sous conduite états-unienne en Irak et en Syrie. Intervention dont le but stratégique réel est la réoccupation de l’Irak et la démolition de la Syrie.
S’ouvre ainsi, préparée par 145 attaques aériennes effectuées en un mois en Irak par l’aviation états-unienne, une « mission prolongée » de guerre qui —précise Antony Blinken, vice-conseiller d’Obama pour la sécurité nationale— « durera probablement au-delà de l’actuelle administration ». Guerre dans laquelle le gouvernement de Matteo Renzi, en ignorant le Parlement, s’est déjà engagé à faire participer l’Italie. Nos chasseurs-bombardiers sont prêts, a annoncé la ministre de la « Défense » Roberta Pinotti, pour « une action militaire, qu’il faudrait avoir le courage de faire ».
[1] « Déclaration finale du sommet de l’Otan », Réseau Voltaire, 5 septembre 2014.
[2] « John McCain, le chef d’orchestre du « printemps arabe », et le Calife », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 18 août 2014.
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