Déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien et débat sur cette déclaration
M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les députés, le Président de la République l’a annoncé le 7 septembre dernier : la France a décidé de procéder à des vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie.
Comme le prévoit l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, j’ai immédiatement informé les présidents des deux assemblées et j’ai décidé d’organiser ce débat au début de la session extraordinaire, ici, avec le ministre de la défense, et au Sénat, avec le ministre des affaires étrangères. Je tiens à vous expliquer pourquoi nous intervenons, dans quel contexte, et à vous dire les objectifs que se fixe la France.
Vous le savez, le chaos règne en Syrie. Il déstabilise l’ensemble du Moyen-Orient. Il constitue le repaire des terroristes djihadistes, à la fois de Daech comme d’autres groupes dans la mouvance d’Al Qaïda, comme Jabhat al-Nosra. Il alimente le drame des réfugiés, qui fuient non seulement Daech, mais aussi et surtout —ne l’oublions jamais— la barbarie du régime de Bachar al-Assad.
Au cours des derniers mois, les territoires contrôlés par les groupes terroristes se sont étendus sur le sol syrien ; une progression qui a déstabilisé plus encore l’ensemble de la région. Soyons lucides : cette avancée de Daech est avant tout le résultat du calcul cynique de Bachar al Assad. Daech a d’abord été l’instrument pour prendre l’opposition modérée en étau, puis pour l’écraser. Ce fut, aussi, pour le régime, la terrible justification de crimes, de l’emploi d’armes chimiques, contre sa propre population. Aujourd’hui, le résultat, c’est l’abandon aux mains des djihadistes de régions entières. Dorénavant, c’est tout le grand Est syrien, c’est-à-dire 30 % de la Syrie, qui constitue pour Daech un solide bastion, avec les conséquences funestes que nous connaissons.
La première conséquence, je l’ai dit, c’est la menace pour notre sécurité. Nous le savons, la menace djihadiste —celle dirigée contre la France— provient des zones que Daech contrôle. Il y a, en Syrie, des centres de commandement de cette organisation. C’est également depuis la Syrie que s’organisent les filières qui recrutent de nombreux individus voulant prendre les armes, mener les combats là-bas, mais aussi frapper, en retour, leur propre pays. C’est, enfin, en Syrie que se structure et s’alimente la propagande qui, par la mise en scène de la violence, irrigue constamment les réseaux sociaux, notamment francophones. À ce jour, nous l’avons souvent rappelé avec le ministre de l’intérieur, entre 20 000 et 30 000 ressortissants étrangers sont recensés dans les filières irako-syriennes. Nous estimons le nombre de Français ou des résidents en France enrôlés dans les filières djihadistes à 1 880 : 491 sont sur place, 133 ont à ce jour trouvé la mort et de plus en plus au travers d’actions meurtrières, sous forme d’attentats suicides.
Deuxième conséquence : dans cet immense espace, Daech impose sa domination. Daech est plus qu’une organisation terroriste voulant fédérer différents mouvements d’un djihadisme composite. C’est un nouveau totalitarisme qui dévoie l’Islam pour imposer son joug. Il ne recule devant rien : massacre de mouvements de résistance, mise en scène de la torture et de la barbarie, asservissement des minorités, trafics, vente d’êtres humains. Il y a aussi l’anéantissement systématique de l’héritage culturel et du patrimoine universel de cette région : le tombeau de Jonas, le musée et la bibliothèque de Mossoul, les ruines assyriennes de Nimrod ou encore les vestiges antiques de Palmyre. C’est une part de l’humanité et de son génie qui s’envole à jamais.
La troisième conséquence —elle est intimement liée à la deuxième—, c’est bien sûr le drame des réfugiés. La Syrie, aujourd’hui, est un peuple décimé, dispersé. Plus de 250 000 morts en quatre ans, dont 80 % sous les coups du régime et de sa répression. C’est un peuple déplacé. Des millions de Syriens sont pris en étau sur le territoire, entre la répression de Bachar al Assad et la barbarie de Daech. C’est un peuple, enfin, réduit à l’exil. Quatre millions de Syriens se sont réfugiés dans les camps du Liban, de Jordanie et de Turquie. Ils ont souvent un seul espoir : atteindre l’Europe pour y trouver l’asile. La crise des réfugiés est la conséquence directe et immédiate du chaos syrien. Nous y consacrerons, ici même, le débat de demain.
Mesdames, messieurs les députés, depuis le mardi 8 septembre, nos forces aériennes survolent donc la Syrie. Il s’agit d’abord et avant tout d’une campagne de renseignement grâce à des vols de reconnaissance. Plusieurs missions ont d’ores et déjà été réalisées. Cette campagne durera le temps qu’il faudra, plusieurs semaines certainement.
Nous devons mieux identifier et localiser le dispositif de Daech pour être en mesure de le frapper sur le sol syrien et d’exercer ainsi —je veux le souligner tout particulièrement— notre légitime défense, comme le prévoit l’article 51 de la Charte des Nations unies. Ces missions de reconnaissance sont conduites à titre national, en pleine autonomie de décision et d’action.
Pleine autonomie de décision, car nous choisissons seuls les zones de survol où porter notre recherche.
Pleine autonomie d’action car, le Président de la République l’a encore dit hier, des frappes seront nécessaires. Et nous choisirons seuls les objectifs à frapper. Mais bien sûr, il est hors de question que, par ces frappes, nous contribuions à renforcer le régime de Bachar al Assad.
Ces missions, coordonnées —pour des raisons opérationnelles évidentes— avec la coalition que dirigent les États-Unis, s’appuient sur les moyens actuellement mobilisés dans le cadre de Chammal. Douze Rafale et Mirage 2000, un Atlantique 2 et un ravitailleur Cl35 sont engagés. Notre frégate Montcalm, déployée en Méditerranée, continue, quant à elle, de collecter les renseignements sur la situation en Syrie. Et je veux rendre devant vous hommage à l’action de nos soldats engagés au Levant. (Applaudissements sur tous les bancs.) Avec courage, ténacité, professionnalisme, ils défendent nos intérêts, nos valeurs, protègent nos compatriotes et agissent pour la sécurité de la nation.
Cette stratégie aérienne est-elle suffisante ? En d’autres termes, faut-il envisager d’intervenir au sol ? J’ai entendu des voix plaider pour une telle option. Et si oui, comment ? La France seule ? Nous l’avons fait au Mali, mais les circonstances, chacun le reconnaît, étaient totalement différentes.
Intervenir avec les Européens ? Mais qui, parmi eux, seraient prêts à une telle aventure ? Avec les Américains ? Le veulent-ils ? Non ! Et puis, il faut savoir tirer les enseignements du passé. Ils sont douloureux. Je pense, en particulier, à la bataille de Faloudja, en Irak.
Plus globalement, ce que les exemples en Irak et en Afghanistan nous apprennent, c’est qu’il faudrait mobiliser plusieurs dizaines de milliers d’hommes, qui seraient alors exposés à un très grand danger. C’est d’ailleurs le piège qui nous est tendu par les djihadistes : nous contraindre à intervenir sur leur terrain pour nous enliser, pour invoquer contre nous un soi-disant esprit de « croisades », pour susciter une solidarité devant une prétendue « invasion ».
Le Président de la République a donc répondu de manière très claire : toute intervention terrestre, c’est-à-dire toute intervention au sol de notre part ou occidentale, serait inconséquente et irréaliste. Aucun de nos partenaires ne l’envisage d’ailleurs.
Mais si une coalition de pays de la région se formait pour aller libérer la Syrie de la tyrannie de Daech, alors ces pays auraient le soutien de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mener une guerre, ce n’est pas, comme s’y emploient certains, faire de grandes déclarations, fixer des échéances irréalistes. Mener une guerre, c’est se fixer des objectifs et se donner les moyens de les atteindre. C’est surtout faire preuve de constance, de cohérence dans l’action.
Nous ne changeons pas de stratégie. Nous ne changeons pas de cible. Nous luttons contre le terrorisme. Mais —avec la vigilance et la connaissance des situations qu’a Jean-Yves Le Drian—, nous adaptons nos moyens militaires et notre présence en fonction du contexte politique.
Dans la bande sahélo-saharienne, dans le cadre de l’opération Barkhane, nos armées sont déployées aux côtés des unités africaines. Elles infligent de lourdes pertes aux groupes terroristes d’AQMI, d’Ansar Eddine ou du MUJAO ; autant de groupes qui prospèrent aussi sur la déliquescence des États. Je pense en particulier au vide politique qui s’est installé en Libye après l’intervention de 2011.
Nous luttons ensuite en Irak où, depuis un an, nos forces aériennes sont engagées à la demande des autorités irakiennes. Les opérations de la coalition ont permis d’enrayer la progression de Daech, notamment dans le Kurdistan.
Mais, nous le savions dès le départ et, sans démagogie, nous devons cette vérité à nos concitoyens : combattre les groupes terroristes, lutter contre Daech ne peut être qu’un combat de longue haleine. Il doit être mené en soutien des forces locales qui sont en première ligne sur le terrain. Je pense en particulier aux Peshmergas kurdes [1] que nous aidons et dont je tiens à saluer le courage.(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Nous n’en sommes qu’au début. Il nous faut donc continuer à agir, consolider les acquis sur le terrain, ne rien abandonner de la partie. Toutes ces actions militaires sont nécessaires. Elles ne sont pas suffisantes. Sans solution politique durable, il n’y aura pas de stabilisation de la situation. L’impératif, c’est d’arrêter un engrenage fatal : celui de la dislocation du Moyen-Orient.
Il faut aujourd’hui tout faire pour stopper cette mécanique infernale : les fractures régionales qui réapparaissent ; la tectonique des rivalités ancestrales, celles en particulier entre chiites et sunnites [2] qui se réveillent ; les appétits de puissance qui transforment la Syrie en champ clos des ambitions régionales, et empêchent l’Irak de se relever des conséquences de l’intervention de 2003.
Face aux risques de fragmentation du Moyen-Orient, nous devons intensifier nos efforts pour faire émerger des solutions politiques qui refondent l’unité de ces États et de ces peuples. En Irak, d’abord, où le Gouvernement doit rassembler toutes les communautés du pays pour lutter contre Daech. Le Président de la République l’a dit fortement lors de son déplacement à Bagdad pendant l’été 2014. Car un gouvernement qui ne respecterait pas la minorité sunnite continuerait de précipiter celle-ci dans l’étreinte mortelle de Daech.
Nous devons également intensifier nos efforts en Syrie. Nous ne ferons rien qui puisse consolider le régime. L’urgence, c’est au contraire d’aller vers un accord qui tourne définitivement la page des crimes de Bachar al Assad. Il est une grande part du problème. Il ne peut en aucun cas être une solution. Avec un homme responsable de tant de morts, de crimes de guerre et contre l’humanité, aucun compromis, aucun arrangement n’est possible. Transiger, pactiser, comme le proposent certains, ce serait d’abord une faute morale. Dès août 2013, nous étions prêts à réagir, mais les États-Unis et la Grande-Bretagne n’étaient finalement pas au rendez-vous.
Ce serait aussi une faute politique, stratégique. Les combattants ne poseront les armes en Syrie que quand l’État syrien garantira leurs droits et ne sera plus aux mains d’une bande criminelle. C’est pourquoi il faut travailler sans relâche à accélérer cette transition politique. Elle devra rassembler dans un gouvernement de transition les forces de l’opposition —qui sont aujourd’hui encore trop affaiblies— et les éléments les moins compromis du régime. Mais, en aucun cas, cette transition ne peut remettre dans le jeu les factions terroristes. Il y a une ligne qui ne peut pas être franchie.
Cette solution politique ne pourra voir le jour que par la convergence des efforts diplomatiques, de tous les efforts diplomatiques.
Ces paramètres du règlement de la crise syrienne, nous les connaissons, pas depuis un mois, pas depuis six mois : ils ont été déterminés lors des réunions de Genève, dès 2012, et adoptés par les principaux pays intéressés par l’avenir de la Syrie. La tâche est bien sûr difficile, mais cela ne doit pas être un prétexte au statu quo, à l’inaction, au renoncement.
La France parle à tous. Et je voudrais saluer l’action remarquable que conduit Laurent Fabius à la tête de notre diplomatie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Nous parlons, bien sûr, d’abord à nos partenaires membres permanents du Conseil de sécurité. Contrairement à ce que j’entends dire parfois, nous parlons en particulier avec la Russie —le président Hollande et le président Poutine évoquent régulièrement ce dossier—, dont les positions demeurent éloignées des nôtres. Nous avons tous un devoir de responsabilité : tout soutien militaire au régime de Bachar al Assad ne fait qu’alimenter la spirale de la violence. Nous devons d’autant plus parler à la Russie qu’il faut surmonter avec les Russes la défiance née de l’intervention en Libye en 2011.
Parler à tous, c’est aussi travailler avec l’ensemble des acteurs de la région. C’est l’histoire qui parle, mais c’est aussi la géographie qui s’impose.
Parler à tous, c’est d’abord parler aux pays arabes sunnites : Égypte, Jordanie, bien sûr, Arabie saoudite, pays du Golfe. C’est parler aussi à la Turquie, qui a besoin de l’Union européenne, et dont nous avons besoin. Elle doit toutefois préciser davantage ses objectifs.
C’est parler, enfin, à l’Iran. Le Président de la République recevra à Paris, en novembre, le Président iranien Rohani. Nous, la France, nous recevrons l’Iran, car après la conclusion de l’accord sur son programme nucléaire, Téhéran doit peser positivement, en faveur d’une solution politique.
La France parle à tous. C’est son rang et c’est sa vocation : agir militairement, agir politiquement, mais aussi agir sur le plan humanitaire pour protéger les minorités au Moyen-Orient.
Ce qui est en jeu, c’est la survie de communautés entières, les Chrétiens, les Yézidis, et avec elles, la diversité culturelle, religieuse et ethnique de cette région. J’ai reçu, il y a quelques jours, comme vous, le patriarche de l’Église chaldéenne d’Irak, Monseigneur Raphaël Sako. C’est un nouveau cri d’alarme qu’il nous a lancé, un appel à l’aide, mais il m’a dit aussi sa grande confiance en la France.
Le 8 septembre, il était d’ailleurs présent à la réunion organisée sous l’égide de la France et présidée par Laurent Fabius [3]. Lors de cette conférence internationale consacrée aux victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient, les participants ont tous été bouleversés par le témoignage de Jinan, cette jeune Yazidie. Le plan d’action de Paris a été adopté. Notre devoir est d’en assurer la mise en œuvre.
Dans l’attente d’un retour de la Syrie à la stabilité, nous devons venir en aide au peuple syrien. La France —le Président de la République l’a proposé— organisera une conférence internationale sur les réfugiés pour mobiliser tous les pays, pour dégager les ressources financières qui font aujourd’hui tant défaut —je pense, en particulier, aux moyens dont doivent disposer le Haut Commissariat pour les réfugiés et le Programme alimentaire mondial—, et pour organiser, au-delà des initiatives prises par l’Europe, la solidarité pour l’accueil des réfugiés avec les pays hôtes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je l’ai dit devant cette assemblée : la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme, l’islamisme radical. C’est un combat qui, derrière le Président de la République, mobilise toute la nation, un combat auquel sont consacrés tous les moyens que nous jugeons nécessaires.
Nous savons qu’il sera long. Il faut le dire. La vérité et la lucidité le commandent. Ceux qui prétendent qu’on pourra régler le problème en quelques jours se trompent et trompent les Français. Nous savons que ce combat sera long, qu’il sera marqué par les épreuves, car la menace est lourde. Mais nous savons aussi que c’est un combat majeur, car il y va de nos valeurs, de ce que nous sommes, de ce en quoi nous croyons. Il y va de l’avenir de peuples voisins et amis, de notre propre avenir aussi. Et nos concitoyens sentent bien qu’il se joue là quelque chose de fondamental.
C’est pour cela qu’il faut chercher à se rassembler et ne pas faire de cette question un sujet de politique intérieure et de polémique. Alors soyons unis, rassemblés, sérieux et graves, à la hauteur des enjeux, pour agir et pour porter ce combat. C’est comme cela que nous pourrons l’emporter. Et j’ai la ferme conviction que nous l’emporterons parce que nous sommes la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Nauche, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Philippe Nauche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, il y a de cela un an, presque jour pour jour, était lancée l’opération Chammal destinée à assurer un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre le groupe terroriste Daech, qui se fait appeler « État islamique en Irak et au Levant ».
Conduite par nos armées au sein d’une large coalition internationale, cette opération consiste en des missions de renseignement, mais aussi en des frappes ciblées.
Ainsi, depuis le 19 septembre 2014, près de 1 200 sorties ont été réalisées, plus de 340 objectifs ont été détruits dans la profondeur. À ce jour, notre dispositif mobilise douze avions de chasse de l’armée de l’air, un avion de patrouille maritime Atlantique 2 et 700 militaires.
Une partie de ces personnels est projetée dans les secteurs de Bagdad et d’Erbil au Kurdistan pour former et conseiller les forces de sécurité irakiennes dans des domaines pouvant s’avérer décisifs dans un conflit de type insurrectionnel, comme la topographie, la lutte contre les engins explosifs improvisés, ou encore les techniques commando.
Notre action, comme l’ensemble de celles menées par la coalition, s’inscrit dans le temps long, mais elle a déjà permis d’enrayer la progression de Daech sur le territoire irakien et d’y stabiliser la ligne de front.
Au nord de l’Irak, les terroristes poursuivent leurs actions de harcèlement contre les Peshmergas qui leur ont repris plusieurs zones disputées, mais ne mènent pas d’offensive majeure.
Au centre et sud du pays, après plusieurs victoires tactiques, comme la prise de la ville de Ramadi dans l’Anbar, Daech se réorganise et renforce ses défenses grâce au flot continu de combattants étrangers, transitant depuis ses bases arrière situées en Syrie et qui ne cessent de s’agrandir, avec toutes les conséquences que nous connaissons.
C’est cette situation qui a conduit le Président de la République à élargir au territoire syrien la zone d’action de l’opération Chammal, initialement limitée à l’Irak. Car la folie destructrice de Daech ne se cantonne plus à la seule région du Levant : elle veut désormais toucher le cœur de l’Europe, le cœur de la France, à travers des attentats visant à faire le plus grand nombre de victimes possible.
À Paris en janvier, à Villejuif en avril, en Isère en juin, dans un train reliant Amsterdam à Paris en août : les projets d’attentats se multiplient depuis le début de l’année, avec à chaque fois des liens établis avec des individus appartenant à Daech et agissant depuis la Syrie.
Nos services de renseignement travaillent d’arrache-pied pour juguler la menace terroriste en amont ; notre armée veille à la protection de la population sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle, aux côtés de la police et de la gendarmerie. La France a cependant conscience que le risque zéro ne peut exister.
Face à ces agressions armées, à ces nombreuses atteintes à sa sécurité, notre pays n’a d’autre choix que d’exercer son droit de légitime défense, tel que défini à l’article 51 de la Charte des Nations unies. Aussi, si des frappes d’opportunité venaient à se présenter lors des vols de reconnaissance dont nous discutons aujourd’hui, elles s’inscriraient dans une légalité internationale tout à fait transparente.
Face à la permanence de la menace terroriste venue du Levant, certains semblent céder à une forme de fébrilité, et se laisser aller à des scénarios maximalistes prévoyant une intervention terrestre.
Mes chers collègues, être va-t-en-guerre est une chose, être un chef des armées averti en est une autre. Fort heureusement pour notre pays et pour les femmes et les hommes qui le servent, le Président de la République appartient à la seconde catégorie. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Je savais que cela vous ferait plaisir…
Car oui, prôner un déploiement de troupes au sol est bel et bien inconséquent et irréaliste. Qui, à ce jour, peut croire qu’à elle seule, la France, avec quelques milliers de soldats, réglerait la situation en Syrie ? (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Le 30 juin dernier, lors de son audition devant la commission de la défense, le ministre de la défense affirmait que le théâtre syrien se trouvait dans une situation d’atomisation croissante, dans laquelle aucune force ne semble prendre le dessus militairement. Entre l’opposition modérée, les forces armées du régime en place, les groupes insurgés alliés au Front Al Nosra et les forces de Daech, la Syrie est en proie à un véritable chaos où —je cite le ministre de la défense— « il est parfois difficile d’identifier qui combat et contre qui ». Envoyer des soldats français dans un tel bourbier relèverait de la pure folie et ne peut être considéré avec sérieux lorsqu’on a le sens des responsabilités. Comme l’a rappelé tout à l’heure le Premier ministre, il s’agit bien, si cela se révèle possible, d’accompagner les forces régionales qui pourraient se coaliser et intervenir au sol avec toute la légitimité nécessaire. Il nous faut donc continuer à former les troupes irakiennes et à leur donner l’appui de la coalition. Oui, cela prendra du temps, mais une guerre comme celle-ci ne peut se gagner qu’avec une vision stratégique de long terme, quand précipiter les événements par des opérations hasardeuses serait contre-productif.
C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste, républicain et citoyen apporte tout son soutien à la poursuite de l’opération Chammal et à son extension au territoire syrien, telle que décidée par le chef de l’État. Les vols de reconnaissance permettront de renforcer considérablement notre capacité autonome d’appréciation de la situation sur le terrain en Syrie. Cela permettra les actions qui seront jugées nécessaires sur les centres névralgiques et logistiques de Daech, qui constituent aussi la base arrière de leurs attaques contre notre population. En tant que membre de la délégation parlementaire au renseignement, je souhaite souligner à quel point cette autonomie en termes de recueil d’informations, puis d’analyse en temps réel, est précieuse. Ce sont ces éléments qui permettent d’avoir une autonomie de décision concernant nos propres objectifs, en coordination, bien sûr, avec nos alliés.
Notre action en Syrie est donc dans la suite logique de celle que nous entreprenons en Irak. Ce n’est bien sûr en aucun cas —le Premier ministre vient de le rappeler— un geste de soutien au régime de Bachar al Assad, qui a contribué à la création du monstre Daech et massacré impunément sa population.
À ce titre, l’adoption, le 17 août dernier, d’une déclaration du conseil de sécurité des Nations unies en soutien à un processus de transition politique en Syrie sous l’égide de Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général, a peut-être marqué un tournant dans la recherche d’une solution politique [4]. En effet, c’est la première fois depuis deux ans qu’a été trouvé un consensus au sein du conseil de sécurité et de ses cinq membres permanents sur la nécessité de mettre en place un gouvernement de transition, doté des pleins pouvoirs exécutifs, conformément aux principes du communiqué de Genève.
Monsieur le Premier ministre, dans la continuité de ce consensus et du succès diplomatique que constitue l’accord sur le nucléaire iranien, il est nécessaire de rendre possibles les accords de Genève III, cette fois-ci suivis d’effets et avec la participation à la fois des pays voisins de la Syrie —vous les avez cités tout à l’heure— et des puissances régionales que sont la Russie et l’Iran. Je crois pouvoir parler au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen, en encourageant de nouvelles négociations qui permettraient, sans Bachar al Assad mais avec les éléments alaouites « raisonnables » du régime, de constituer un gouvernement de transition avec l’opposition modérée.
Notre action militaire est une condition nécessaire pour enrayer la progression des groupes terroristes, mais elle ne peut suffire à elle seule. Sans une formation solide des forces irakiennes qui ont vocation à intervenir sur le terrain, sans un règlement politique de l’imbroglio syrien, l’idéologie funeste et les exactions barbares de Daech continueront de prospérer sur les ruines de notre impuissance diplomatique, tandis que l’action militaire ne pourra, au mieux, que les contenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.
M. Christian Jacob. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, la pudeur, dans la vie publique, est une vertu. Mais il faut bien confesser que face à l’image insoutenable du corps du petit Aylan Kurdi, nous avons, comme tant de nos concitoyens, eu les larmes aux yeux.
Les larmes face au cauchemar d’un enfant, les larmes face au destin brisé d’une famille, d’une famille qui aurait été dans le cortège de celles et ceux qui, depuis plusieurs mois, traversent les Balkans vers l’Europe centrale, avec un but : rejoindre l’Occident. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ce peuple de damnés, venus du Moyen-Orient à feu et à sang, n’espère qu’une chose, fuir la barbarie vers ce que l’Occident, pour le monde entier, incarne, à savoir la liberté, la démocratie et le respect absolu de la personne humaine.
Oui, chez nous, ici en France et partout dans les pays qui partagent nos valeurs, la vie d’un homme, la vie d’un enfant, n’a pas de prix, et nous considérons que ce fondement de notre civilisation est universel.
L’urgence du moment, le chaos à certains égards, imposent un sens aigu de la responsabilité aux dirigeants et responsables publics européens et français, un sens des responsabilités d’autant plus grand que comme nous, vous savez bien qu’un grand pays comme la France ne peut définir sa politique sous la pression des événements. C’est vrai de notre diplomatie, c’est vrai de notre action militaire ; c’est vrai aussi de notre politique migratoire.
La France est souveraine. Elle a donc le devoir de surveiller ses frontières. La France et la République ont le devoir de dire la vérité aux Français. Nous ne pouvons pas laisser béante la brèche qui s’est ouverte en Europe.
Nous n’avons pas le droit de laisser naître des espoirs inconsidérés chez des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui sont des réfugiés de guerre. Ce serait irresponsable de penser ou de laisser croire qu’ils pourront se maintenir sur le territoire national dans la durée.
Demain, nous aurons ce débat dans l’hémicycle. Nous attendons de connaître la position du Gouvernement, qui a beaucoup zigzagué sur la question des migrants et des quotas. (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) À votre décharge, monsieur le Premier ministre, le Président de la République a été incapable, sur ce sujet comme sur d’autres, de donner un cap.
M. Henri Emmanuelli. Et Sarko ?
M. Christian Jacob. À l’heure du chacun pour soi en Europe, il n’y aura pas d’autre solution qu’un Schengen II. II n’y aura pas d’autre solution que d’interdire la libre circulation des non communautaires. II n’y aura pas d’autre solution que de privilégier l’accueil des réfugiés de guerre, à l’exclusion de tous les autres et dans des conditions qui leur permettront, le moment venu, de rejoindre leur pays.
Aujourd’hui, c’est de nos armées que la Constitution nous engage à parler. Nous allons donc en parler, d’abord en vous rappelant que là aussi, la constance n’a pas été la marque de fabrique du Président de la République. Le 4 septembre 2013, vous n’étiez pas encore chef du Gouvernement, monsieur le Premier ministre, François Hollande convoquait déjà le Parlement pour l’informer de sa décision d’engager l’armée française en Syrie.
On se souvient de ce qu’il en est advenu : un véritable fiasco diplomatico-militaire.
M. Pascal Popelin. C’est réécrire l’histoire !
M. Christian Jacob. Un fiasco parlementaire également, qui ne fut pas à l’honneur de l’Assemblée nationale. Tenez-vous bien : nous avions débattu d’une décision que le Président de la République n’avait pas encore formellement prise et que, d’ailleurs, il ne prendrait pas, s’étant aligné sur la position des Américains, qui entre-temps avaient changé d’avis.
M. Henri Emmanuelli. Cela ne vole pas haut !
M. Christian Jacob. Force est de reconnaître que la situation, en deux ans, est devenue incontrôlable. L’État islamique a imposé un califat de la terreur et de la barbarie, un califat qui revendique le viol, la torture et l’esclavage des femmes. Une monstruosité dont sont victimes les chrétiens d’Orient, les Yézidis, les Kurdes et des populations civiles innocentes et désarmées. Une monstruosité qui s’est importée ici en France, une France qui a été attaquée au plus profond d’elle-même en janvier et qui, depuis, redoute de nouveaux crimes, comme l’a rappelé l’attentat déjoué du Thalys.
Oui, monsieur le Premier ministre, vous avez raison de dire que nous sommes confrontés à une guerre de civilisation. Ce califat veut notre mort, la mort de la civilisation judéo-chrétienne, celle de notre héritage gréco-romain ; et c’est ce qu’il a commencé en détruisant le site millénaire de Palmyre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Face à un ennemi bestial, il nous faut une détermination totale, avec des objectifs diplomatiques et militaires précis. Car ce qui se joue fondamentalement, c’est, pour les décennies qui s’ouvrent, notre capacité à nous faire respecter, à montrer que nous ne transigerons jamais —je dis bien jamais— avec la défense de nos racines profondes. Ce qui est en jeu, c’est notre détermination à éviter la gangrène de l’islamisme radical pointant sur les rives est et sud de la Méditerranée, c’est-à-dire à nos portes.
Notre objectif, notre seul objectif, c’est l’éradication de Daech ; et en vous entendant, monsieur le Premier ministre, nous restons inquiets et dubitatifs sur la stratégie du Président de la République, qui, sur la question syrienne, a tout faux depuis le début.
En septembre 2013, il voulait engager la France, seule avec les États-Unis, dans une aventure en Syrie sans base légale internationale. En septembre 2014, il a pris le parti d’une intervention aérienne en Irak, mais pas en Syrie, prétextant qu’il n’avait pas de base légale. Comprenne qui pourra !
M. Pascal Popelin. Vous n’y comprenez rien !
M. Christian Jacob. En septembre 2015, il exige des opérations militaires en Syrie. Admettez que ces changements de cap successifs sont incompréhensibles !
Nous, nous nous tenons au contraire à la ligne que nous avons défendue ici, à cette tribune, en septembre 2013, en septembre 2014 et aujourd’hui : oui à une intervention en Syrie, mais à plusieurs conditions. D’abord, avec une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela impose un dialogue avec les Russes —sans les Russes, vous ne ferez rien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Ensuite, une coalition des puissances voisines, notamment la Turquie, l’Arabie Saoudite ; et vous l’avez dit, il faudra bien parler avec l’Iran.
M. Yves Fromion. Très bien !
M. Christian Jacob. À l’heure où nous parlons, la question n’est plus de savoir s’il faut intervenir. Refuser d’intervenir, ce serait poser un genou à terre face à Daech. La question, la seule, est de savoir comment nous intervenons. Est-ce qu’une intervention exclusivement aérienne, sans mandat international, sans mobilisation des grandes puissances régionales, apporterait un bénéfice stratégique dans la durée ? Nous pensons clairement que non.
Monsieur le Premier ministre, ce que nous demandons au Président de la République, c’est de prendre l’initiative d’une grande coalition internationale. Ce que nous lui demandons, c’est de préciser ses objectifs en Syrie. Quel est votre objectif prioritaire ? Est-ce le départ de Bachar al Assad comme vous l’avez dit, ou est-ce la défaite de Daech ? Si réellement, c’est bien cet objectif que nous poursuivons, alors il faudra emporter l’adhésion de tous les pays qui ont des intérêts à défendre dans la région, et parfois faire des compromis, quoi qu’il en coûte à l’orgueil présidentiel.
M. Pascal Popelin. Oh là là !
M. Jean Glavany. Quelle hauteur de vue ! Avec lui, on n’est jamais déçu !
M. Christian Jacob. La politique étrangère de la France a besoin de clarté, elle a besoin de profondeur et d’indépendance. Aujourd’hui, elle n’en a pas. Ni clarté —on ne sait pas où on va—, ni profondeur, car nous avons déséquilibré nos alliances historiques, notamment avec la Russie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen ; applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains), ni indépendance, car la France n’est plus le pays écouté et capable d’entraîner ses partenaires.
Il est grand temps, plus que temps, que le Président fasse vivre la voix singulière de la France dans le concert des nations.
M. Henri Emmanuelli. Comme en Libye !
M. Christian Jacob. Il en a une occasion unique, mais je crains que ce ne soit mal engagé. Mal engagé, car nous ne viendrons à bout de Daech que par la force que confère le droit international. Mal engagé, car nous n’en viendrons à bout que par une action militaire puissante, coordonnée dans les airs et au sol.
Des frappes exclusivement aériennes —tous les militaires le disent— risquent de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. L’histoire nous a enseigné que l’on peut combattre le totalitarisme —ce califat fanatique en est un— mais par un engagement total. Nos soldats auront évidemment notre soutien en Syrie, comme ils l’ont en Irak ou au Mali. Ils sont les valeureux fantassins d’un combat essentiel pour nos valeurs et pour la sécurité des Français. Nous leur en sommes profondément reconnaissants. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Autour d’eux, la nation doit se donner les capacités de gagner, dans le cadre de l’ONU, avec nos alliés et toutes les puissances qui ont des intérêts dans cette région. Votre responsabilité, celle du Président de la République, c’est d’être à la hauteur du rang de la France. Ce jour-là, n’en doutez pas une seconde, l’opposition sera avec vous, pour l’intérêt supérieur de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. François Rochebloine. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, la France a été touchée en plein cœur par des attentats visant à détruire nos valeurs. Des massacres et des exactions sont perpétrés sans relâche contre les civils en Irak et en Syrie. Des crimes à grande échelle sont commis contre les droits de l’homme, et plus particulièrement envers les femmes, victimes de viols, réduites à l’asservissement et dont les enfants sont réduits en esclavage. Les minorités religieuses, au premier rang desquelles les chrétiens d’Orient, sont la cible d’une épuration terrible et l’on dénombre, enfin, des réfugiés par milliers, morts pour beaucoup sur les rivages du sud de l’Europe.
Le point commun entre ces catastrophes porte un nom : Daech. Contre Daech, il ne peut y avoir de demi-mesure, d’attentisme ou de compromis possible : nous devons nous donner les moyens de l’éradiquer.
M. François Rochebloine. Très bien !
M. Philippe Folliot. Or, chaque jour qui passe est malheureusement un jour de plus qui permet à ces terroristes de gagner du terrain. La communauté internationale n’a que trop tardé à agir efficacement.
Quand la barbarie menace nos valeurs et la sécurité de nos concitoyens, menace tout simplement la civilisation, les querelles partisanes doivent s’effacer devant le devoir d’union nationale, voire internationale. C’est pourquoi les députés du groupe UDI ont soutenu sans réserve le Président de la République et le Gouvernement au Mali, en Centrafrique et, bien évidemment, lors du lancement de l’opération Chammal en Irak, il y a maintenant un an.
Je veux saluer ici le courage et le professionnalisme des militaires français, qui servent notre pays avec courage et abnégation. (Applaudissements sur divers bancs.) Ils sont la fierté de la France.
Cela étant, la question des moyens consacrés à notre défense, comme j’ai pu personnellement le constater au cœur du Sahara cet été, se pose toujours avec acuité.
L’engagement des forces françaises en Irak était une absolue nécessité face à l’agression terroriste fulgurante qui a conquis un tiers de ce pays en quelques semaines. Mais aujourd’hui, l’emprise de Daech se répand bien au-delà des frontières de l’Irak, avec tout ce que cela comporte. En Syrie, tout d’abord : depuis un an, Daech n’a cessé de conquérir de nouveaux territoires ; la prise et la destruction de la cité antique de Palmyre en est un terrible exemple. Ce ne sont pas seulement des points sur une carte qui passent d’un camp à un autre : pour les populations civiles, chaque avancée des islamistes fanatisés entraîne de nouvelles souffrances. Les plus fragiles, les femmes, les enfants, les personnes âgées et handicapées, ainsi que les populations civiles musulmanes, mais également les minorités religieuses, sont les proies quotidiennes de Daech.
M. François Rochebloine. Eh oui !
M. Philippe Folliot. Ces hommes et ces femmes fuient par dizaines de milliers les atrocités, sont arrachés à leur foyer et se jettent à corps perdu dans un exil synonyme de danger et, souvent, de mort.
Au-delà de l’Irak et de la Syrie, chaque semaine, chaque jour, l’influence de Daech continue de s’étendre, dans les pays voisins et au-delà : plus d’une vingtaine de mouvements djihadistes dans le monde ont prêté allégeance à Daech, non seulement au Nigeria, en Libye, au Yémen, en Tunisie, mais également en Égypte, en Afghanistan, en Algérie, en Arabie Saoudite, et jusqu’en Tchétchénie. Le fragile équilibre de la région est plus que jamais menacé par la folie meurtrière et destructrice de Daech. Les États vacillent. Le risque de voir la Turquie, la Jordanie, ainsi que le Liban basculer, est réel. Ces pays doivent à la fois se battre à leurs frontières contre Daech et les terroristes, et s’organiser face à l’afflux toujours plus important de réfugiés.
S’agissant du Liban, le pourcentage de réfugiés, ramené à l’échelle de notre pays, représenterait 15 millions de personnes. À cet égard, les polémiques à propos des 24 000 réfugiés paraissent quelque peu dérisoires.
M. François Rochebloine. Eh oui !
M. Philippe Folliot. La France est grande et telle qu’elle-même, quand elle est généreuse et ouverte envers celles et ceux qui sont pourchassés dans leur pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.) Être une terre d’asile fait partie de notre ADN et de cela, nous ne pouvons nous détourner.
Enfin, cette crise sans précédent a atteint l’Europe de manière spectaculaire. Le défi est immense. Les réfugiés tentent par milliers de rejoindre nos rivages. L’aide humanitaire que nous pouvons essentiellement leur apporter en les accueillant est essentielle, mais ne pourra résoudre le cœur du problème : tant que Daech prospérera, les civils continueront, au péril de leur vie, à fuir la barbarie et les territoires dévastés.
Par ailleurs, les combattants étrangers venant grossir les rangs de Daech affluent de plus d’une centaine de pays. La France occuperait d’ailleurs, assez tristement, la première position parmi les pays européens : près de 1 700 Français seraient impliqués d’une façon ou d’une autre dans les filières irako-syriennes. Chaque individu qui rejoint ces terroristes met en péril la sécurité de la France et des Français : les auteurs des terribles attaques sur notre sol ces derniers mois avaient d’ailleurs, dans leur immense majorité, combattu en Syrie.
Force est donc de constater que l’action de la communauté internationale en Irak n’a pas atteint son but. Si les frappes aériennes ont peut-être permis de freiner l’avancée des terroristes et de reprendre le contrôle de certaines villes, elles n’ont suffi ni à entamer une véritable reconquête territoriale, ni à affaiblir durablement Daech.
Le temps de la parole politique est passé, et les jours sont comptés : pour éliminer Daech, il convient de mener une action déterminée là où ce mouvement est né, en Syrie. À ce titre, nous saluons l’inflexion de la politique du Président de la République, qui a décidé de se tourner vers la Syrie, alors qu’il avait affirmé lors du lancement de l’opération Chammal que la France n’interviendrait qu’en Irak. Les députés du groupe UDI soutiendront les vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie. Nous appelons également le Gouvernement à décider sans plus tarder de frappes aériennes : elles ne constituent à nos yeux qu’une première étape, qui aurait dû être engagée depuis de nombreux mois. Nous ne pourrons toutefois pas en rester là. Pour mieux faire face au soulèvement de son peuple, Bachar al Assad, dans un premier temps, et pour mieux déstabiliser ses opposants, a laissé avancer Daech qui, dès lors, a malheureusement pu prendre l’ampleur inédite que nous connaissons aujourd’hui. L’absence d’opposition solide aux terroristes en Syrie pendant de si nombreux mois leur a permis de s’y implanter de manière durable, de se comporter en véritable État et de s’enraciner toujours plus profondément dans les territoires qu’ils contrôlent.
Nous devons, dès à présent, nous engager de manière décisive pour une intervention terrestre, aux côtés des forces locales affrontant les djihadistes —les combattants kurdes, les milices chiites en Irak et l’Armée syrienne libre, qui, à eux seuls, sont malheureusement incapables de changer la donne. Au-delà, nous devons, avant tout, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, être le fer de lance d’une mobilisation internationale permettant de déboucher sur le vote d’une résolution autorisant une opération au sol avec le concours des puissances de la région —Arabie Saoudite, Égypte, Iran, Turquie—, avec une participation active des États-Unis, aux côtés de la France et de l’Europe, sans oublier la Russie, à replacer au cœur du jeu.
Entre deux maux, il faut avoir le courage de choisir le moindre. Si dans l’indicible horreur, Daech et le régime syrien se valent, force est de constater que l’un nous fait la guerre et l’autre pas : il est urgent d’en tirer les conséquences. Pour résoudre la question des réfugiés en Syrie et en Irak, cette résolution devrait prévoir très rapidement une force d’intervention du type de la Force intérimaire des Nations unies au Liban —FINUL ; elle devrait être engagée afin de sécuriser des camps de réfugiés sur place, dans l’attente d’une solution politique au conflit, tant en Syrie qu’en Irak.
Les immenses moyens financiers de Daech et l’assèchement de ceux-ci sont une des clefs de ce conflit. Tout un chacun sait, en effet, que ces soutiens financiers ont conduit de nombreux soldats de l’Armée syrienne libre à rejoindre les milices de Daech ou les groupes djihadistes. Pour qu’une intervention étrangère sur le sol syrien soit réellement efficace, il apparaît essentiel d’aider la coalition nationale syrienne, afin d’identifier les combattants républicains, les équiper et les former militairement, car eux seuls sont parfaitement connaisseurs de la région et des positions terroristes, et, partant, sont rodés à les combattre.
C’est seulement de cette manière que la communauté internationale se donnera les moyens de détruire Daech. C’est une décision extrêmement lourde et grave. C’est pourtant une décision que nous ne pouvons plus repousser. Le grand dessein d’un pays comme le nôtre reste non seulement d’être partie prenante de la décision, mais aussi de donner du temps et de la profondeur à sa politique étrangère, qui doit retrouver des inspirations gaulliennes, et non être tributaire de la tyrannie de l’émotion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
C’est pourquoi les députés du groupe UDI soutiennent sans réserve cette proposition mais, au-delà, appellent solennellement le Président de la République à mobiliser immédiatement la communauté internationale pour le vote d’une résolution aux Nations unies donnant enfin les moyens d’intervenir efficacement contre la bête immonde du terrorisme incarnée par Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Pour quel groupe ?
M. le président. S’il vous plaît ! Chacun ses problèmes ! (Sourires.)
M. François de Rugy. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, il y a plus de quatre ans, la répression du « printemps arabe » par le régime de Bachar al Assad s’est transformée en guerre civile. Depuis quatre ans et demi, les violences et les crimes perpétrés en Syrie, et par ce régime, et par les combattants de l’État islamique, ont conduit à une crise sans précédent. Je veux ici en rappeler l’ampleur et la gravité : plus de 220 000 personnes, dont 31 000 enfants, ont trouvé la mort en Syrie ; 4 millions de Syriens ont dû quitter leur pays et sont aujourd’hui réfugiés, avant tout dans les pays voisins —le Liban, la Jordanie et la Turquie— et 7,5 millions de civils sont déplacés dans leur propre pays —ce chiffre pourrait franchir la barre des 9 millions d’ici à la fin de l’année. Ce mouvement de réfugiés, jetés sur les routes de l’exil par cette guerre, touche maintenant l’Europe. De l’aveu du coordinateur de l’action humanitaire des Nations unies en Syrie, l’Europe pourrait bientôt être confrontée à une crise des réfugiés similaire à celle qui a conduit à la création du Haut Commissariat pour les réfugiés. Il s’agissait à l’époque, rappelons-le, de venir en aide aux populations déplacées par la Seconde guerre mondiale.
Les conséquences de la crise syrienne sont manifestes partout en Europe avec l’afflux massif de réfugiés que connaît notre continent et qui appelle, de la part de tous les États de l’Union européenne, une réaction d’humanité, de solidarité et de responsabilité.
Mme Brigitte Allain et M. Noël Mamère. Très bien !
M. François de Rugy. Il faut pour cela plus d’Europe, plus de coordination européenne, et non pas moins d’Europe et un repli national et nationaliste. L’attitude de certains États européens est inacceptable parce qu’elle est contraire à l’essence même du projet européen.
La crise syrienne a cependant aussi des ramifications en France : la Syrie est devenue la destination privilégiée des jeunes Français en voie de radicalisation et demeure un des creusets du djihadisme international qui nous a tragiquement frappé il y a neuf mois et plusieurs fois depuis lors. Dans ce contexte, le Président de la République a annoncé la semaine dernière l’autorisation de vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie, alors que la participation militaire de la France était jusqu’alors circonscrite au territoire irakien.
Je tiens tout d’abord, monsieur le Premier ministre, à m’associer à mon tour, au nom de mon groupe, à l’hommage que vous avez rendu à l’action des soldats qui assurent la présence française sur ce territoire si difficile.
La décision du Président de la République nous semble relever du bon sens. Il était tout d’abord incohérent de concentrer nos frappes sur l’Irak alors que les leviers de puissance de l’État islamique —ses centres opérationnels, ses postes de commandement— sont en grande partie situés en Syrie. Ensuite, les informations que ces vols permettront de recueillir constituent un atout non négligeable pour évaluer les forces en présence et adapter notre stratégie. Enfin, dans la mesure où elle matérialise la possibilité d’une riposte, une présence aérienne peut amener à une négociation favorable.
Aussi, mes chers collègues, la question qui se pose aujourd’hui est d’abord celle non pas des moyens, mais de la stratégie : à quelle logique la France obéit-elle en engageant des capacités aériennes en Syrie ? Quels sont les objectifs militaires ou politiques poursuivis ? C’est à ces questions que le débat parlementaire d’aujourd’hui doit permettre de répondre.
Depuis plusieurs jours, certains collègues de l’opposition plaident en faveur d’une intervention militaire française au sol,…
M. Christian Jacob. Non, pas nécessairement !
M. François de Rugy. …mais encore faut-il préciser les contours d’un tel scénario. Depuis un an, les différentes composantes de la coalition ne parviennent pas à s’accorder sur les finalités de l’opération. Dispersée, l’action militaire se limite à des manœuvres d’endiguement et ne peut permettre un recul durable de l’État islamique, alors que celui-ci continue de mettre en œuvre son projet totalitaire. De plus, l’imbrication des problématiques territoriales, ethniques et religieuses empêche les puissances régionales de s’accorder sur un relais au sol.
Par ailleurs, si l’intervention terrestre devait être assumée par la coalition internationale, il faudrait que les partenaires soient disposés à fournir les moyens humains, budgétaires et matériels nécessaires à un engagement d’une telle ampleur. Plusieurs experts militaires estiment que, pour être efficace, cette intervention devrait s’appuyer sur au moins 40 000 hommes dans un premier temps pour contrôler et sécuriser le territoire, puis 100 000 hommes pour garantir la stabilité de la région le temps d’une transition politique.
Enfin, au regard de la détermination des combattants de l’État islamique et des méthodes de guérilla qu’ils emploient —dispersion, dissimulation dans la population, utilisation de véhicules civils—, une opération au sol coûterait nécessairement des pertes militaires et civiles importantes. Aucun pays ne semble aujourd’hui disposé à payer le prix humain et politique d’un tel engagement et il apparaît effectivement qu’une intervention militaire terrestre serait inconséquente et irréaliste, comme l’a dit le Président de la République voilà quelques jours.
Il y a deux ans, nous avions soutenu la position de la France, qui refusait l’inaction et proposait une riposte après l’utilisation d’armes chimiques par Bachar al Assad contre son propre peuple. Malheureusement, la communauté internationale n’avait pas suivi et a ainsi offert un terrible répit à ce régime.
Voilà douze mois, à cette tribune, j’avais plaidé en faveur de l’organisation d’une conférence internationale pour la paix au Moyen-Orient qui traiterait en priorité de la question des garanties données aux minorités. Les Chrétiens d’Orient, les Yézidis et les Kurdes sont les premières victimes du chaos qui s’installe en Syrie et en Irak. Le comble, c’est que les Kurdes, qui combattent l’État islamique avec la dernière énergie, se retrouvent bombardés par l’armée turque.
Mme Laurence Dumont. Très bien !
M. François de Rugy. Une sortie de la guerre civile en Syrie ne peut être envisagée sans une démarche politique de ce type. Pour les écologistes, une amélioration de la situation dans la région passe nécessairement par une solution politique négociée et, concernant les Kurdes, la France doit défendre le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Qu’est-ce qui permet en effet aujourd’hui à l’État islamique de se maintenir et de prospérer ? C’est le soutien populaire dont il bénéficie dans un certain nombre de provinces sunnites. Considérer les intérêts des tribus, des communautés et des groupes locaux, poser la question de l’autonomie régionale ou de nouveaux modes d’administration, notamment pour les Kurdes, c’est apaiser les relations entre les peuples et priver l’État islamique de sa légitimité. Ces initiatives sont les seules à même de créer les conditions d’un retournement de la population contre l’État islamique et de garantir qu’un accord de paix durable pourra être réellement appliqué.
La conférence internationale pour la paix devrait réunir toutes les parties prenantes : non seulement les États-Unis et l’Union européenne, dont la France, bien sûr, mais aussi les États arabes de la région, les monarchies du Golfe, la Turquie, et l’Iran, qui, depuis la signature de l’accord sur le nucléaire civil et militaire, a désormais vocation à réintégrer la communauté internationale. La Russie doit également prendre sa part dans les négociations. La semaine dernière, le Président de la République a indiqué que pour la première fois depuis de nombreux mois les accords de Minsk étaient en passe d’être respectés. Cette nouvelle donne doit permettre de placer la Russie devant ses responsabilités. Son soutien constant et important au régime syrien, avec celui de l’Iran, est en effet ce qui a permis à Bachar al Assad de se maintenir au pouvoir.
La presse s’est par ailleurs fait l’écho d’une présence militaire russe renforcée ces derniers jours sur le territoire syrien. Des avions de transport auraient atterri à l’aéroport Bachar al Assad, des bâtiments de débarquement de chars auraient accosté au port de Tartous. Ces initiatives doivent être prises en considération avec le plus grand sérieux. Si la Russie souhaite reprendre sa place de grande puissance dans la communauté internationale et s’assurer demain une présence au Moyen-Orient, alors nous disposons de leviers pour engager avec elle de nouvelles tractations diplomatiques, ce qui s’apparente, chers collègues de l’opposition, non pas à une nouvelle alliance, mais plutôt à un nouveau bras de fer.
À propos du conflit syrien, un colonel de l’armée française spécialiste des questions de doctrine militaire, Michel Goya, écrivait récemment : « Il n’existe fondamentalement que deux manières de terminer une guerre : la négociation, plus ou moins explicite, ou la destruction de l’un des camps. » À défaut de pouvoir ou de souhaiter opter pour la deuxième option, nous devons aujourd’hui résolument nous engager dans la première. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Moignard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Jacques Moignard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, chers collègues, la Syrie s’enfonce chaque jour davantage dans la violence et le chaos.
Comment pourra-t-on écrire l’histoire d’une révolte populaire pacifique qui s’est transformée sur le champ en rébellion armée en réaction à une répression sanglante ? Comment pourra-t-on expliquer que ce terrible conflit fratricide a ouvert une brèche à l’avancée d’un État qui se proclame islamique ? Aujourd’hui, quatre ans après le début des événements, quatre années au cours desquelles plus de 300 000 personnes ont été tuées, à présent que des milliers et des milliers de migrants se pressent aux frontières de l’Europe, que des réfugiés occupent le sol libanais, jordanien, comment agir face à ce chaos qui embrase la moitié de la planète ?
M. Jean-Luc Laurent. C’est la question !
M. Jacques Moignard. Il s’agit bien du verbe agir, agir contre Daech, à l’origine branche dissidente d’Al Qaïda, qui s’est autoproclamée depuis juin 2014 « État islamique en Irak et au Levant » et qui est devenue l’organisation terroriste la plus puissante de la région.
Cette organisation représente un danger à plus d’un titre.
M. Jean-Luc Laurent. Il faut l’éradiquer !
M. Jacques Moignard. Tout d’abord, elle a à ce jour sous son contrôle un immense territoire : il faut le rappeler, Daech étendrait son influence sur environ la moitié des territoires irakien et syrien. Elle y contrôle les principaux points de communication et axes stratégiques que sont les villes, les fleuves et les postes-frontières. Sur ce vaste territoire, l’État islamique a rétabli le califat avec à sa tête Abou Bakr al-Baghdadi, proclamé calife sous le nom d’Ibrahim. Dans cette expansion terroriste, ce sont désormais Alep et Bagdad qui sont visées, puisque Daech ambitionne d’établir à terme un califat allant du Levant —la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine— à l’Irak.
Cette organisation est un danger car elle dispose de moyens financiers et d’une force combattante considérables, cela a été rappelé. Sans une fortune estimée à 2 milliards de dollars, fortune alimentée par des sources de financements divers tels que des donateurs privés, le butin de la banque centrale de Mossoul, l’exploitation des puits de pétrole et le racket commis dans les zones sous son contrôle, l’EI ne pourrait mener ses exactions barbares. Il ne pourrait pas non plus y parvenir sans la force combattante d’environ 30 000 individus venus d’Irak, de Syrie et, pour la plupart d’entre eux, d’Occident.
Daech est surtout un danger par son idéologie, cela a également été rappelé tout à l’heure. Sous le couvert de principes islamiques, elle prône une doctrine mafieuse et criminelle pour asservir les populations sous son contrôle. Elle y parvient en menant une épuration ethnique et religieuse aux conséquences humaines et humanitaires désastreuses. Ainsi exécute-t-elle presque systématiquement les militaires et miliciens des armées irakiennes et syriennes faits prisonniers et les rebelles syriens. Ainsi massacre-t-elle des civils, notamment dans certaines communautés comme celles des Chrétiens d’Orient, des Yézidis, des Turkmènes, des Kurdes, des Shabaks.
Les méthodes d’exécution barbares sont toujours les mêmes —fusillades, décapitations et crucifiements—, à tel point que, à juste titre, l’EI est accusé de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité par l’ONU, la Ligue arabe, les États-Unis et l’Union européenne.
En plus de s’en prendre aux hommes, aux femmes et aux enfants, les terroristes s’attaquent à l’histoire, à la culture et à l’art. Ce sont déjà le musée de Mossoul, la cité assyrienne de Nemrod, la cité parthe de Harta, le temple de Bêl à Palmyre qui ont été saccagés. Daech veut éradiquer toutes les traces d’un passé dans lequel ont coexisté les civilisations et les grandes religions.
Cette organisation fait donc montre par son idéologie, ses méthodes et ses objectifs d’une dangerosité exceptionnelle qui a pris, en une année, une ampleur considérable, avec les dramatiques conséquences que nous connaissons tous, à commencer par ce que nous voyons tristement chaque jour désormais : un afflux historique de réfugiés qui fuient la guerre et les massacres vers les pays limitrophes et jusqu’aux portes de l’Europe. Parmi eux, 4 millions de Syriens auraient déjà fui leur pays, soit la moitié de la population du pays ! Un de nos quotidiens titrait dernièrement, et M. Folliot l’a rappelé : « Si la Syrie était la France, 32,5 millions de personnes auraient été déplacées par le conflit ».
Pour répondre à ce drame humanitaire, il est nécessaire d’accueillir ces réfugiés. Depuis le début du conflit, la France a offert à 6 268 Syriens le statut de réfugiés. Nous saluons le choix d’en accueillir plus de 24 000 le plus prochainement possible.
Les conséquences dramatiques de l’avancée de l’EI, nous les subissons aussi chaque jour sur notre propre territoire. Les événements tragiques que nous vivons depuis le début de l’année l’illustrent bien sombrement. Qu’il s’agisse des attaques meurtrières de janvier ou de celle qui a avorté fin août dans le Thalys, les auteurs et commanditaires ont tous un point commun : ils ont pour base arrière la Syrie.
En effet, la France est aujourd’hui confrontée, comme d’autres pays de l’Union européenne, au basculement de plusieurs centaines d’individus dans l’engagement radical violent, le plus souvent en lien avec des filières qualifiées de djihadistes. Il convient de rappeler à ce titre que la loi visant à renforcer les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme que nous avons votée en décembre dernier trouve dans ce contexte toute sa justification : en mettant en place une interdiction administrative de sortie du territoire, elle fait obstacle à ce que des Français, souvent très jeunes, quittent le territoire national pour se former à la lutte armée ou pour se radicaliser davantage et deviennent à leur retour un danger pour la sécurité nationale.
Il est bon aussi de rappeler que, face à cette menace durable pour toute la région du Proche et du Moyen-Orient et pour le monde entier, la France n’a pas tardé à réagir. Dès le mois d’août 2014, en parallèle des frappes aériennes américaines menées contre l’EI dans le nord de l’Irak, notre pays a commencé par envoyer de l’aide humanitaire aux réfugiés fuyant l’avancée de l’État islamique. Il a ensuite livré des armes aux forces kurdes et irakiennes qui se trouvaient en première ligne dans le combat contre les djihadistes.
Quand une large coalition internationale s’est formée à la demande du gouvernement irakien dans le cadre des résolutions adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, la France a pris l’initiative d’organiser à Paris une conférence internationale pour la paix et la sécurité en Irak ; c’était il y a un an, jour pour jour. Réunissant vingt-neuf pays et organisations, dont onze États de la région, elle a souligné l’urgente nécessité de mettre un terme à la présence de l’EI dans les régions où celui-ci avait pris position en Irak.
Quatre jours seulement après la conférence, le 19 septembre 2014, la France lançait l’opération Chammal. Basée aux Émirats arabes unis et en Jordanie, elle est composée de 800 militaires et dotée d’un dispositif important avec six avions Rafale, six avions Mirage, un ravitailleur, un avion de patrouille maritime et une frégate antiaérienne.
Cette opération, menée elle aussi en étroite coordination avec nos alliés présents dans la région, vise à acquérir du renseignement sur les positions, les mouvements et les vulnérabilités des terroristes tout en se tenant prêt à assurer des frappes en cas d’identification de cibles d’opportunité au sol. Très active, elle a permis des avancées significatives dans cette véritable guerre d’usure. Cependant, l’EI constitue toujours une menace grave pour la Syrie, l’Irak et l’ensemble de la communauté internationale. En effet, Daech poursuit ses atrocités et accroît son emprise. Face à une telle menace, une nouvelle action est donc nécessaire.
Le Président de la République, chef des armées, a décidé la semaine dernière d’engager nos forces aériennes dans des vols de reconnaissance au-dessus du territoire syrien. Il s’agit là d’une réorientation de la position française adoptée jusqu’alors. Ces survols permettront aux services français de collecter du renseignement sur les centres d’entraînement et de décision de l’EI en Syrie et pourront être suivis de frappes sur ses camps. Ils n’entraîneront cependant aucune modification du dispositif existant s’agissant de l’Irak, et il est exclu d’envoyer des forces au sol.
L’objectif est aussi, ne l’oublions pas, d’atténuer la menace terroriste sur notre territoire, car Daech nous menace directement. Sans relâche, depuis des mois, nos services de renseignement sont mobilisés pour lutter contre la radicalisation, démanteler les filières terroristes qui nous menacent et identifier et surveiller les individus projetant, depuis la Syrie ou en France même, de perpétrer des attentats sur notre sol. Le temps est venu d’amplifier cet effort. Parallèlement, il faut aussi travailler à ce qui constitue sans doute la solution durable, c’est-à-dire une transition politique en Syrie visant à rendre aux Syriens une perspective politique viable.
Il est donc prioritaire d’accélérer les négociations en vue d’installer à Damas un gouvernement de transition, composé d’éléments du régime comme de membres de l’opposition modérée, et grâce auquel chaque communauté verrait ses droits respectés. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas envisager l’envoi sur place d’une délégation parlementaire à même de se rendre compte de la situation et de connaître les positions des forces en présence ?
En tout état de cause, seule une véritable transition politique mettra un terme au drame dont se nourrit Daech et portera un coup d’arrêt définitif à l’expansion de cette organisation qui nous menace tous.
Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient un tel engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, un an après le déclenchement de l’opération Chammal, les barbares de Daech continuent de semer la mort sur la surface du globe. Sur notre sol, le massacre des journalistes de Charlie hebdo a suivi celui des enfants juifs de Toulouse. Là-bas, c’est un cortège de décapitations, de viols, d’épuration ethnique et d’atrocités sans fin. En détruisant Palmyre, symbole des influences arabe, grecque et romaine entremêlées, Daech s’est attaqué aux plus hautes œuvres de l’esprit et a bafoué ce que la Méditerranée, creuset de toutes les cultures et trait d’union entre l’Orient et l’Occident, a de plus beau.
Ce fanatisme qui nous ramène aux pages les plus sombres de l’Histoire, les députés du Front de gauche sont résolus à le combattre sans merci et sans états d’âme. Nous sommes résolus à le combattre par la force car le dialogue, face à des monstres d’une telle brutalité, est impossible, par l’intelligence, car elle seule fournit durablement un rempart contre l’obscurantisme et la folie, et par la fraternité car cette barbarie n’a rien à voir avec la culture musulmane qu’elle trahit et instrumentalise. Dans cette lutte, nous avons toujours pris nos responsabilités, notamment lors de l’intervention au Mali. Pour autant, ce même esprit de responsabilité nous a amenés à formuler de fortes réserves lors du déclenchement de l’opération Chammal et à ne pas approuver sa prolongation en janvier dernier.
Pourquoi ? Parce que nous étions en désaccord avec notre diplomatie sur deux points majeurs. Nous ne partagions pas le signe d’égalité placé par la France entre Bachar al Assad et Daech. S’il n’existe pas de hiérarchie dans l’horreur, on ne peut pour autant mettre sur un même rang un dictateur et une idéologie porteuse de l’anéantissement de l’humanité. Cette position, plus atlantiste même que celle des États-Unis, nous a menés à l’isolement et à l’impuissance diplomatiques, tout comme notre intransigeance sur le nucléaire iranien. Nous déplorions également que l’intervention militaire se déroule sous l’égide de l’OTAN, ce qui ne manquerait pas de raviver la thèse du choc des civilisations, sans même parler de nos interrogations sur l’efficacité de telles frappes aériennes à défaut de tout volet politique consistant !
Un an après, force est de constater que nos craintes étaient fondées pour l’essentiel. Nous nous trouvons aujourd’hui en situation d’échec. Militairement, Daech a consolidé son emprise géographique. Malgré les milliers de frappes aériennes, aucune ville irakienne n’a été reprise. Si 10 000 djihadistes sont tombés, le fanatisme a fait son œuvre et de nouveaux combattants sont venus les remplacer. Les armées locales, notamment l’armée irakienne, demeurent incapables d’assurer la sécurité de leurs populations.
Sur le plan diplomatique, Erdogan a marchandé sa place dans la coalition de l’OTAN afin d’engager une répression inouïe contre les Kurdes qui sont notre seul rempart contre Daech. C’est un comble : le déclenchement de l’intervention américaine a affaibli notre seul allié fiable, laïc et progressiste de la région !
Du point de vue humanitaire, la persécution des minorités s’est accentuée, tout comme le drame des réfugiés. Notre continent a cru un temps s’en tenir à l’écart en érigeant une Europe forteresse et en se défaussant sur les pays frontaliers de la Syrie. Malgré notre opposition, les moyens de l’agence FRONTEX ont été considérablement augmentés. L’aide au développement a été sans cesse amputée. En fin de compte, la Méditerranée a cessé de représenter l’espoir d’une main tendue pour devenir peu à peu le cimetière de milliers de vies. Face à cette tragédie, les députés du Front de gauche réaffirment que les migrants sont une richesse et non une menace ! C’est pourquoi nous refusons tout tri des migrants au nom même de la fraternité qui fonde notre République !
Au sujet de la Syrie, notre position est claire. Nous soutenons avec détermination le principe de l’engagement d’une force militaire contre Daech pour autant qu’il s’inscrive dans le cadre de l’ONU et s’accompagne d’une feuille de route politique associant l’ensemble des acteurs régionaux. Hélas, nous regrettons que le plan proposé aujourd’hui par l’exécutif emprunte un chemin opposé ! En écartant les Russes, un cavalier seul de la France en Syrie ne ferait qu’éloigner la perspective d’une grande coalition contre Daech. Par ailleurs, une intervention hors de toute autorisation onusienne placerait la France dans l’illégalité au regard du droit international. Enfin, nous maintenons nos interrogations sur les véritables buts de guerre d’une telle opération. Initialement annoncée comme une mission de surveillance et de renseignement, elle s’est muée ces dernières heures en mission de bombardement. Le sentiment qui domine, c’est la confusion ! S’agit-il de combattre Daech ou d’affaiblir l’autorité du régime syrien sur son territoire ?
M. Pierre Lellouche. Bonne question !
M. François Asensi. Le flou demeure ! Dans ces conditions, les députés du Front de gauche ne peuvent approuver l’extension de notre engagement en Syrie. Il est encore plus préoccupant que des va-t-en-guerre toujours plus nombreux prônent une intervention au sol sur le modèle de l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan ou de la Libye. Il s’agirait d’une pure folie vouée à l’échec le plus cuisant ! Les députés du Front de gauche refusent catégoriquement le scénario d’une intervention au sol dépourvue d’un mandat de l’ONU.
Faute d’une grande coalition réunissant sans exclusive tous les États de la région, sunnites comme chiites, toute action de ce type sera immanquablement perçue comme une guerre de civilisation entre l’Occident et les composantes du monde arabe. Rappelons que l’Europe et les États-Unis ont commis une erreur historique en tentant d’imposer par la baïonnette le modèle démocratique occidental. Cette absence de discernement à propos des printemps arabes, valable en Libye mais aussi en Syrie, a mené à la marginalisation des forces progressistes dans ces pays, voire à leur élimination. Pourtant, Nicolas Sarkozy se flatte encore d’avoir déclenché l’intervention militaire en Libye qui a rayé ce pays de la carte et fourni aux terroristes des armes en quantité considérable ainsi qu’une gigantesque base arrière !
Mme Marie-Françoise Bechtel. Exactement !
M. François Loncle. Très juste !
M. François Asensi. Quel cynisme alors qu’il est responsable d’un chaos dont nous paierons l’addition pendant des décennies !
M. Jean Glavany. Très bien !
M. François Asensi. Rappelons aussi que Daech est le fruit de la politique néocolonialiste de l’OTAN et même la « créature des États-Unis », selon les propres mots de la secrétaire d’État Hillary Clinton, repris hier par Bruno Le Maire sur une radio nationale. Par la balkanisation du pays, la marginalisation des sunnites et la décapitation des cadres de l’ancien régime, les États-Unis ont armé Daech. Enfin, rappelons que nous avons trop longtemps fermé les yeux sur le soutien qu’apportent les pétromonarchies aux djihadistes. Qatar et Arabie Saoudite ont joué les apprentis sorciers…
M. Marc Dolez. Bien sûr !
M. François Asensi. …en déstabilisant les pays de la région. En connaissance de cause, nous avons maintenu d’excellentes relations avec ces régimes autoritaires qui bafouent quotidiennement les droits de la femme et de l’homme. Par un marchandage pusillanime, nous avons fait passer nos intérêts économiques et sécuritaires avant les valeurs universelles. Nous en payons aujourd’hui chèrement le prix. L’indignation très sélective de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, abîme chaque jour un peu plus l’image de la France comme étendard des droits de l’homme et de la liberté dans le monde !
Nous vous exhortons donc à sortir de ce logiciel dépassé pour promouvoir une autre voie. Tous les efforts de la France doivent converger vers quatre objectifs : bâtir une grande coalition militaire contre Daech sous mandat de l’ONU impliquant Russes, Iraniens, sunnites et chiites, voire d’autres forces ; élaborer une feuille de route concertée pour la transition politique en Syrie sans en faire un préalable à la coalition ; appuyer immédiatement les efforts des résistants kurdes et les aider militairement ; et enfin assécher les sources de financement du terrorisme. Il est en effet inconcevable que Daech revende sans entrave plus d’un million de dollars de pétrole chaque jour ! L’ambassadrice de l’Union européenne en Irak a affirmé l’an dernier que certains États membres en achètent.
M. Alain Bocquet. Eh oui !
M. François Asensi. Comment la France compte-t-elle faire la lumière sur ces transferts honteux ? Sommes-nous décidés à taper du poing sur la table afin que la Turquie, membre de l’OTAN, cesse de les faciliter ? Le peuple kurde constitue notre plus sûr allié contre Daech. C’est pourquoi nous ne pouvons tolérer les bombardements menés par Erdogan au Kurdistan turc et syrien. Les hommes et les femmes qui ont lutté héroïquement à Kobané sont aujourd’hui pris dans un étau. Face à ces crimes de guerre, les pays occidentaux observent un silence coupable. Nous le disons avec force : assez de complaisance ! Quelles sanctions la France compte-t-elle prendre contre le régime d’Erdogan ? Si nous laissons anéantir les Kurdes, nous aurons perdu la bataille contre Daech !
M. Alain Bocquet. Eh oui !
M. François Asensi. J’ai noté que le Président de la République et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez proposé que la France engage enfin un dialogue avec la Russie et l’Iran. C’est un peu tard mais, comme dit l’adage, il n’est jamais trop tard pour bien faire et il est bon que nous nous engagions dans cette voie ! Avec un temps d’avance sur la France, Obama a compris qu’il est urgent de s’appuyer sur l’Iran, allié indéfectible de la Syrie, en facilitant un accord sur le nucléaire en juillet dernier. Il s’agit d’un point décisif pour amener le régime iranien à jouer un rôle plus constructif dans le dialogue avec les autorités de Damas.
De même, nous devons tirer parti de l’inflexion de la Russie, qui a enfin voté en août, après deux ans de refus, un plan de paix onusien pour la Syrie. Une réalité s’impose à tous : nous avons besoin de l’appui de ces grandes puissances contre le terrorisme. Tout en demandant des explications sur le déploiement des forces russes dans la région, la France doit peser de tout son poids pour amener les partenaires autour de la table. Dans un passé proche, face aux pires menaces, les ennemis d’hier ont su se rassembler sur l’essentiel. Aujourd’hui, la communauté internationale doit à nouveau se montrer à la hauteur du péril pour opposer à Daech et à toutes les formes de barbarie une résistance de tous les instants !(Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous savons que la situation en Syrie ne cesse de se dégrader dans tous les domaines. Nous savons aussi que l’urgence est humanitaire et atteint également notre sécurité intérieure. La décision d’engager des moyens aériens en Syrie s’inscrit dans une action globale. Nous devons d’abord intensifier le combat mené contre les terroristes. Nous devons aussi accélérer la mise en œuvre d’une transition politique en Syrie. Enfin, nous devons simultanément contribuer à la formulation d’une réponse plus solidaire à la crise des réfugiés.
Militairement, les vols de reconnaissance visent à renforcer notre capacité de renseignement tout en restant dans le cadre de la légalité internationale fixée par l’article 51 de la Charte des Nations unies. Nous savons que des menaces sont dirigées contre la France à partir du territoire syrien, notamment depuis des centres de décision ou des camps d’entraînement. Nous devons être en mesure de localiser les auteurs des menaces et de mener des frappes si nécessaire. Comme l’a précisé M. le Premier ministre, ces moyens aériens garantissent notre autonomie de décision et d’action en lien avec la coalition internationale contre Daech. Parallèlement, les efforts internationaux se poursuivent pour trouver une solution politique, seule vraie solution durable. La Syrie a besoin d’un gouvernement de transition associant des éléments du régime et de l’opposition modérée. Nous ne devons pas condamner les Syriens à choisir entre Daech et Bachar al Assad qui est le premier responsable du chaos qui règne dans son pays. Sans ce chaos, Daech n’aurait jamais pu connaître de telles avancées. Pour vaincre les terroristes, il faut donc redonner une perspective politique à la population.
Nous devons éviter également l’effondrement complet de ce qui reste de l’État syrien pour protéger les populations civiles, notamment les chrétiens, les Alaouites et toutes les autres composantes ethniques et religieuses du pays. Seule une solution négociée et ordonnée permettra de rétablir une Syrie où tous auront la possibilité de vivre en paix, en sécurité et dans le respect de leurs droits les plus fondamentaux.
Pour construire cette transition politique, ce qui risque d’être long et difficile, il n’y a d’autre chemin que le dialogue avec la Russie et l’ensemble des pays de la région, y compris, bien sûr, l’Iran, les pays du Golfe et la Turquie.
M. François Rochebloine. Eh oui !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Troisième volet de notre action, l’assistance au plan humanitaire, que nous venons de nous engager à renforcer. C’est un devoir moral et politique pour un pays comme la France. Mais les efforts doivent aussi être partagés au sein de l’Union européenne, dans son ensemble. Sa réponse doit enfin être portée à la hauteur de la situation.
Au plan national, je rappelle que nous nous sommes engagés à accueillir plus de 24 000 réfugiés supplémentaires au cours des deux prochaines années. Il devrait notamment s’agir de réfugiés syriens.
La France est aussi à l’initiative lorsqu’il s’agit de protéger les victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. À cet égard, je veux saluer l’action engagée par le Président de la République et le ministre des affaires étrangères, qui ont souhaité que se tienne à Paris, le 8 septembre, une conférence coprésidée par la France et la Jordanie, et réunissant 56 États et 11 organisations régionales et internationales. Il a été décidé d’un plan d’action selon trois axes : aider les populations réfugiées ou déplacées ; lutter contre l’impunité ; préserver la diversité et la pluralité du Moyen-Orient. Car s’il devient impossible de continuer à vivre dans son propre pays, les terroristes de Daech auront gagné.
Au plan financier, nous sommes aussi à l’initiative : un fonds national d’urgence a été annoncé pour financer des actions en matière de logement, d’éducation, de santé ou encore de lutte contre l’impunité.
Au niveau européen, il nous faut une véritable politique d’asile commune, afin de garantir une répartition équitable entre les États membres. Si des efforts ont déjà été entrepris en matière d’harmonisation des normes, il est vrai qu’il nous reste à instaurer une solidarité effective, grâce à un mécanisme permanent et obligatoire pour l’accueil des réfugiés. Nous aurons l’occasion d’en reparler demain, lors du débat consacré à ce sujet.
Notre devoir de solidarité doit aussi s’exercer envers les pays proches de la Syrie, en particulier le Liban, la Jordanie, la Turquie, l’Égypte et l’Irak. Ces pays font un effort considérable pour protéger, héberger et prendre en charge la très grande majorité des réfugiés —au Liban, ceux-ci représentent un quart de la population— et nous devons les aider davantage. Nous attendons des États du Golfe qu’ils remplissent également leur devoir de solidarité à l’égard des populations syriennes fuyant la guerre et des pays qui les accueillent, par une aide financière, mais aussi en prenant leur part de l’accueil des réfugiés.
Enfin, l’éducation des jeunes réfugiés est une nécessité, à laquelle nous devons répondre en donnant à l’ONU les moyens humains et financiers d’y faire face. Dans un camp de réfugiés, l’éducation représente le seul espoir.
Je terminerai en m’adressant à nos collègues de l’opposition, dont certaines remarques m’ont semblé outrées. Ce que l’on sait de la responsabilité d’une intervention en Libye, suivie d’aucune initiative politique et diplomatique, et du chaos qui règne maintenant dans ce pays, devrait inciter certains d’entre eux à plus de modération. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. François Loncle et M. Gérard Charasse. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, notre pays a choisi de changer de posture face aux évolutions de la situation en Syrie. L’ensemble des aspects de la question ayant été évoqué, je n’y reviendrai pas.
Je voudrais faire part d’un étonnement. Comme nous tous, j’ai entendu un certain nombre de commentateurs, et des responsables politiques, attribuer à des interventions militaires extérieures la responsabilité de la situation dans ces pays proches, actuellement déchirés par la guerre civile. Il est indéniable que les choix des États-Unis après le 11 septembre 2001 ont eu un impact important sur l’ensemble de la région. Il est vrai, aussi, que beaucoup de choses auraient pu être entreprises autrement, avec plus de discernement.
M. François Rochebloine. C’est vrai !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je le dis d’autant plus simplement que cela a été dit à l’époque, dans cet hémicycle.
Mais s’agissant des théâtres d’opération qui nous intéressent depuis ces dernières années, depuis que nous avons quitté l’Afghanistan, il ne faut pas avoir la mémoire courte. C’est la vague de contestation populaire des printemps arabes qui a marqué la fin d’une époque de stabilité politique. Souvenons-nous de la Libye. L’intervention militaire, au demeurant limitée, s’est déroulée un mois après le début de la révolte, qui a fini par balayer Kadhafi. En Syrie, la révolte populaire contre le régime a éclaté dès janvier 2011, bien avant la survenue des frappes américaines et anglaises. Je souhaite donc que l’on évite de confondre causes et conséquences.
En tant que présidente de la commission de la défense, il m’appartient d’évoquer ici ce qui est le plus important : l’adéquation des moyens aux missions, et la prise en compte du contexte stratégique. Je ne doute pas que dans quatre mois, si la question se pose, la poursuite des opérations militaires en Syrie sera votée.
M. François Rochebloine. Au sol !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Il conviendra alors de prendre en compte cette nouvelle mission, dont le terme n’est pas connu. On pourrait déplorer ce nouvel effort opérationnel imposé à des armées que Barkhane et Sentinelle placent déjà sous grande tension. Il faut plutôt reconnaître que l’augmentation du nombre des missions découle, d’abord, de la prise en compte d’un contexte en voie de dégradation.
M. Pierre Lellouche. Il était temps !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. L’actualisation de la loi de programmation militaire récemment votée a marqué une rupture avec la baisse ininterrompue des moyens de la défense depuis plus de vingt ans, baisse dont nous sommes tous responsables.
M. Pierre Lellouche. À ce stade, il n’existe pas de nouveaux moyens !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous assistons donc au début d’une remontée en puissance. Depuis son vote en 2013, la loi de programmation militaire a été, pour la première fois, monsieur le ministre, totalement respectée, et je vous en félicite.
M. Jean Launay. C’est vrai !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Merci, madame la présidente.
M. Pascal Popelin. Cela n’a pas toujours été le cas !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Cette remontée en puissance n’est pas destinée à permettre à notre pays de remédier à toutes les crises mais simplement —je dirais avec modestie— de contribuer à stabiliser un environnement incertain.
M. Pierre Lellouche. De quelle remontée parlons-nous ?
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je me félicite que cet objectif puisse être largement partagé.
Au moins treize pays européens voient leur budget de défense augmenter. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour consolider et mutualiser ces efforts. L’Union européenne, qui réunit ces jours-ci les ministres de la défense et de la sécurité intérieure, doit en tenir compte. Sans un accord, dans le cadre du pacte de stabilité, il sera difficile aux pays membres de respecter l’engagement, pris lors du dernier sommet de l’OTAN, de porter leur budget de défense à hauteur de 2 % de leur PIB. J’espère que l’Union européenne, qui se dotera au mois de juin d’un livre blanc, prendra les dispositions nécessaires pour permettre aux pays européens d’atteindre cet objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les députés, je souhaiterais faire quatre remarques en réponse aux différentes interventions.
Tout d’abord, je souhaiterais apporter quelques précisions concernant la coalition en Irak et l’opération Chammal. En premier lieu, Chammal avait pour but d’empêcher la progression de Daech, qui menaçait d’occuper Bagdad et une partie du Kurdistan, voire Erbil. Ce sont les frappes de la coalition, il faut le rappeler, qui ont permis d’obtenir ce résultat. Par ailleurs, dans le cadre de la coalition, nous formons les forces de sécurité irakiennes —les FSI— et les Peshmergas en vue d’une reconquête de leur territoire. Il est prévu que nous intervenions en appui à leur pénétration au sol par des frappes aériennes. C’est ce qui a été fait dans certaines opérations et qui se poursuivra. Enfin, au plan diplomatique, nous devons faire en sorte que le gouvernement de M. Al-Abadi soit suffisamment inclusif pour que l’Irak retrouve sa sérénité intérieure.
Il est vrai que la situation est relativement gelée. Mais il n’y a pas d’alternative et nous n’avons jamais caché que cette feuille de route prendrait du temps. Profitant d’une certaine stabilisation —même si des affrontements se produisent en ce moment même à Baïji—, Daech a déporté sa force en Syrie.
Cela m’amène à expliquer les raisons du changement d’appréciation sur la Syrie. La situation est en effet caractérisée par une progression très importante de Daech dans ce pays. Si Daech remportait l’offensive qu’elle mène contre la ville de Marea, dans la région d’Alep, ce que l’on appelle encore l’Armée syrienne libre, ou ce qu’il en reste, serait réduit à néant. Par ailleurs, la volonté affichée de Daech est de rompre l’axe Damas-Homs, une opération qui, si elle aboutissait, placerait le Liban dans une situation très difficile.
Par ailleurs, comme Bernard Cazeneuve l’a dit à plusieurs reprises, des menaces à la sécurité nationale, des projets d’attentat ont été conçus, organisés et contrôlés depuis la Syrie.
M. Pierre Lellouche. Vous le saviez déjà l’année dernière !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Non, monsieur le député, la situation était différente l’année dernière.
Enfin, des frappes contre Daech n’entraîneraient pas des actions permettant de renforcer par ailleurs Bachar al Assad. Celui-ci se trouve aujourd’hui sur un périmètre de repli, et dans une situation plus fragile qu’auparavant.
Tels sont les trois éléments d’une évaluation nouvelle, qui a amené le Président de la République à prendre les initiatives rappelées par le Premier ministre.
Ma troisième remarque porte sur la nécessité d’intervenir au sol, que n’étaye aucun argument crédible. Le Premier ministre l’a rappelé tout à l’heure, et je dois le dire en tant que ministre de la défense : une intervention au sol des forces françaises serait proprement suicidaire. D’abord parce que nous serions seuls. Je n’ai vu personne aujourd’hui lever le doigt et se déclarer prêt à aller au sol !
M. Christian Jacob. Personne ne le propose !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ensuite parce que cela nécessiterait d’engager de très nombreux soldats. Je suggère à ceux qui argumentent en faveur d’une intervention au sol de se souvenir des dizaines de milliers de militaires américains mobilisés pour la seconde guerre du Golfe, et même en Afghanistan.
M. Pierre Lellouche. Personne ne le propose. Vous parlez pour ne rien dire !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’est la dure réalité des faits.
Non seulement il faudrait du monde, ne surtout pas être seuls, mais imaginez les conséquences politiques, idéologiques, d’une intervention au sol —M. le Premier ministre évoquait l’ « esprit de croisade » tout à l’heure—, sans parler de l’impossibilité pour les forces syriennes libres, la coalition nationale, de mobiliser les forces autour d’elle pour préparer une alternative à Bachar al Assad. Ce ne serait pas opérant du tout.
M. Pierre Lellouche. Je le répète : qui le demande ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La seule possibilité qui nous reste a été présentée par le Premier ministre : les forces d’opposition et insurrectionnelles de Syrie doivent s’organiser avec le soutien des pays de la région. Elles pourront ensuite recevoir l’appui de la France et des autres pays de la coalition qui le souhaiteraient.
Quatrième remarque, suscitée par M. de Rugy, à propos de la présence militaire russe en Syrie. Selon nos informations, elle se renforcerait en ce moment dans le port de Tartous et dans celui de Lattaquié.
M. Pierre Lellouche. Qu’en pensez-vous, justement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’est à la fois un signe de faiblesse de la position de Bachar al Assadet un signe inquiétant. Le renforcement de la présence russe sur ces deux sites est significatif et des manœuvres navales importantes ont été annoncées en Méditerranée, au large du Liban, pour les prochains jours. La situation est préoccupante et nous souhaitons que l’implication de la Russie dans la sécurisation du littoral syrien ne ruine pas les chances d’aboutir à un accord pour une transition politique.
Voilà les quatre remarques que je voulais vous faire avant la réponse du Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Après les propos très précis du ministre de la défense, je voudrais répondre à mon tour aux différents orateurs, non sans les remercier au préalable pour la qualité du débat. Nous y reviendrons demain à l’occasion des questions au Gouvernement et d’un débat important relatif à l’accueil des réfugiés en France et en Europe.
À la suite de M. Le Drian, je demande au Gouvernement de ne pas perdre de vue la gravité des défis que nous avons à relever.
Monsieur Philippe Nauche, vous avez eu raison d’évoquer le temps long. Nous sommes engagés dans la durée et nous ne devons pas tromper nos compatriotes : nous ne viendrons pas à bout de Daech en quelques jours. La lutte contre le terrorisme est une action globale dont les moyens ont déjà été rappelés ici. C’est d’abord une action militaire, comme celle qui a été menée en Irak et celle aujourd’hui envisagée en Syrie dans les conditions que nous avons évoquées.
C’est aussi une action diplomatique, que j’ai détaillée il y a un instant. Je reprends votre formule : nous ne sommes pas des va-t-en-guerre. C’est Daech qui a déclaré la guerre contre nos valeurs, contre l’idée même que nous nous faisons de la civilisation. Rappelons-le, les musulmans sont les premières victimes de ce terrorisme. Je le dis souvent au-delà de ces murs : il ne peut s’agir d’une guerre qui opposerait, d’un côté, les Occidentaux chrétiens et de l’autre, les musulmans. Ne tombons pas dans le piège que Daech nous tend.
M. Pascal Popelin. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Merci, monsieur Philippe Folliot, pour le ton que vous avez adopté et le soutien de votre groupe, d’ailleurs constant au-delà des nuances qui peuvent exister. Vous connaissez bien ces sujets – le Mali, l’Irak, et maintenant la Syrie. Vous avez raison, il faut donner les moyens à nos armées. La présidente Patricia Adam le rappelait aussi et je la remercie pour son intervention. Le budget augmentera de 3,8 milliards sur cinq ans. Les effectifs diminueront moins vite que prévu. Nous sauvegardons des emplois, nous investissons 1 milliard pour nos services de renseignement et les forces de sécurité chargées de la lutte anti-terroriste. Nous sommes au rendez-vous, ce qui a été rappelé dans le cadre des universités de la défense à Strasbourg, par l’ensemble des commissaires de la défense, de l’Assemblée nationale comme du Sénat. Sur ce sujet-là, aussi, nous devons essayer de dépasser les querelles.
Merci encore, monsieur Folliot, pour votre analyse pertinente de la situation en Syrie, que nous avons retrouvée dans la plupart des interventions. Bien sûr, je ne partage pas votre point de vue s’agissant de l’intervention au sol. Oui si elle est le fruit d’une coalition des pays de la région,…
M. Philippe Folliot. Bien entendu !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …avec notre soutien, mais sans notre participation sur le terrain.
Je remercie également le président François de Rugy pour le soutien qu’il nous apporte, les propos qu’il a tenus sur la nature du régime, et la proposition de moyens nécessaires à une action terrestre, qui illustrent le débat. Merci pour l’analyse que nous partageons sur la démarche politique, sur une nouvelle conférence de Genève. Son intervention, jointe à celles de Philippe Nauche et Jacques Moignard, témoigne, ce qui est une bonne chose de la part de la majorité parlementaire, d’une analyse commune de ces questions et du soutien à l’action du président de la République, chef des armées.
Monsieur Moignard, vous avez raison, Daech est une mafia, qui vit de trafics et d’extorsions. Nous devons donc nous attaquer aussi aux circuits de financement. Merci également d’avoir salué la loi relative au renseignement et les instruments dont nous disposons dorénavant pour lutter contre les filières djihadistes vers la Syrie. Vous avez évoqué nos dispositifs dans la région, en particulier en Jordanie. Je m’y rendrai mi-octobre avec Jean-Yves Le Drian. C’est par ailleurs un pays que nous devons soutenir, comme nous devons soutenir la Turquie et le Liban. Le Président de la République l’a rappelé. Il s’y rendra parce que ces pays, en première ligne, subissent le choc de l’afflux des réfugiés et les conséquences de la déstabilisation de la région.
Monsieur François Asensi, je tiens à vous rassurer, l’OTAN n’est en rien impliquée, ni en Irak, ni en Syrie. Notre mot d’ordre est notre autonomie de décision et d’action. Nous avons déjà participé à des coalitions —encore aujourd’hui, en Irak— mais à chaque fois, nous conservons notre autonomie de décision —c’est une position constante de la France.
D’ailleurs, en 2003, nous nous sommes retrouvés très largement sur le fait que nous pouvions pas intervenir en Irak.
M. Gérard Bapt. Eh oui !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous le présagions à l’époque mais nous savons aujourd’hui qu’elles pouvaient en être les conséquences. C’est pour cette raison que nous avions salué la position de Jacques Chirac et le discours de Dominique de Villepin aux Nations Unies, que j’invite chacun à relire régulièrement. Aujourd’hui, la région paie au prix fort les conséquences de cette intervention.
Vous évoquiez également le cadre juridique, monsieur Asensi. Daech a été reconnu comme organisation terroriste par la résolution 2170 du Conseil de sécurité. Mme Guigou le rappelait, nous sommes pleinement dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, et nous sommes en situation de légitime défense collective.
Nous sommes enfin d’accord sur votre stratégie, monsieur Asensi, qui vise à lutter contre le circuit de financement du terrorisme.
Madame Guigou, merci pour votre analyse de la situation. Vous avez raison quant au devoir de solidarité des États du Golfe à l’égard des réfugiés syriens. Je salue également la justesse de vos propos sur les besoins éducatifs et sanitaires dans les camps de réfugiés. Nous avons d’ailleurs annoncé la semaine dernière une contribution française de 25 millions d’euros supplémentaires pour venir en aide aux réfugiés de Jordanie, du Liban et de Turquie. Comme vous, je remercie Patricia Adam pour ses analyses. Pour l’essentiel, les deux commissions concernées de l’Assemblée ont la même perception de la situation.
Monsieur Jacob, vous avez eu raison de lier les deux débats, celui d’aujourd’hui et celui de demain. J’ose souhaiter que nous puissions, pour l’ensemble de ces questions, nous retrouver sur l’essentiel. Cela étant, à vous écouter, je désespère de vous convaincre. Pourquoi ces polémiques ? Ces mots qui se veulent blessants à l’égard du Président de la République même si, rassurez-vous, ils ne l’atteignent pas ?
Vous parlez de cohérence, monsieur Jacob, mais votre intervention, du moins les mots que vous employez à l’endroit du Président de la République, visent plutôt à masquer vos propres incohérences.
Si je voulais polémiquer et souligner le trait, je pourrais rappeler que ce n’est pas l’actuel président de la République qui a accueilli le 14 juillet 2008, Bachar al Assad, à la tribune sur les Champs Elysées. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, républicain et citoyen et écologiste.) Le même Président de la République constatait, trois ans plus tard, la nature du régime de Bachar al Assad et, en août 2012, premier acte public après l’élection présidentielle, signait un communiqué avec le président du Conseil national syrien, demandant une intervention en Syrie contre Bachar al Assad.
J’ai bien entendu vos propos concernant la Russie et la nécessité de dialoguer avec elle mais rappelons combien, après le vote au conseil de sécurité des Nations Unies et l’abstention de la Russie sur l’intervention en Libye, la Russie s’est sentie flouée sur la nature même de l’intervention en Libye. C’est sans doute à cause de ce moment-là que la Russie a durci ses positions. Vous me demandez de la cohérence, ce qui est votre rôle en tant que président de groupe, mais je vous en demande moi aussi, car sur ces questions, la position de la France, qui doit être un continuum, mérite d’être rappelée à chaque fois. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, républicain et citoyen et écologiste.)
Quant à la Russie, nous débattons avec elle. C’est à travers l’initiative du Président de la République sur un autre sujet, ô combien dramatique, que, le 6 juin 2014, grâce au « Format Normandie » associant le Président de la République, la Chancelière Angela Merkel et les présidents ukrainien et russe, nous avons abouti aux accords de Minsk, qui trouvent aujourd’hui, heureusement, une traduction sur le terrain.
Nos diplomaties, les ministres des affaires étrangères, ne cessent de discuter de cette question. Il y eut la conférence de Genève mais nous souhaitons trouver une solution politique à laquelle participent la Russie et l’Iran, car c’est essentiel. C’est notre diplomatie, avec Laurent Fabius, qui a participé pleinement à l’accord sur le nucléaire iranien. Notre position est constante : pas de suivisme. Or, j’ai l’impression que l’on nous demande, dans vos rangs, de suivre la Russie, l’Iran ou le Hezbollah, si ce n’est les trois à la fois. Ce n’est pas la position de la France. Le Président de la République l’a exprimé : nous sommes indépendants et nous voulons préserver les intérêts des uns et autres dans la région pour favoriser le retour à la stabilité et à la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Votre position vise tout simplement à masquer vos incohérences. D’ailleurs, au fond, quelle est-elle ? Si vous étiez au pouvoir, quelle serait votre ligne directrice ? Celle de la majorité est claire. Celle du Président de la République est déterminée.
M. Pierre Lellouche. Celle que nous avons défendue à trois reprises !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Laquelle ? Celle de M. Juppé, qui nous rejoint et est raisonnable ? Celle de M. Le Maire qui a commencé par demander une intervention au sol, poursuivi immédiatement par M. Xavier Bertrand, qui demandait à en faire encore un peu plus ? Celle de M. Fillon qui vient de se déclarer favorable à une intervention commune et conjointe de l’Iran et de la Russie, massive, à laquelle s’associerait la France ?
M. Christian Jacob. Celle que j’ai défendue ici même !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Laquelle, monsieur Jacob ? Celle de M. Nicolas Sarkozy, qui a commencé par demander intervention au sol puis a changé d’avis, et qui, au-delà des attaques personnelles, rejoint au fond l’idée qu’une intervention diplomatique est nécessaire en évitant surtout de s’appuyer sur Bachar al Assad ? Celle de M. Fillon, qui demande que l’on préserve ledit Bachar al Assad ? Monsieur Jacob, vous qui êtes dans l’opposition, vous qui avez gouverné et qui voulez de nouveau gouverner, quelle est votre position devant les Français ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
M. Christian Jacob. Si ce n’est pas de la polémique !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Eh bien, comme l’a dit M. Nauche, la position de la France est incarnée par le Président de la République, par le Gouvernement et par ses armées, comme la cohérence l’exige. L’incohérence est de votre côté ; la cohérence nécessaire, celle que veulent les Français, elle est ici, elle est du côté du chef de l’État ! (Mêmes mouvements. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. Merci, monsieur le Premier ministre.
Le débat est clos.
[1] Le Premier ministre évoque ici les soldats kurdes d’Irak. Il ne parle pas des Kurdes turcs et syriens, beaucoup plus engagés contre Daesh, mais qu’il considère comme des terroristes. Ndlr.
[2] Contrairement aux propos du Premier ministre, il n’y a jamais eu dans l’Histoire de conflit sunnites/chiites comme aujourd’hui. Ce à quoi nous assistons est la conséquence de l’affrontement, soutenu par Washington de 1978 à l’accord nucléaire avec Téhéran, entre , l’Arabie saoudite et l’Iran. Ndlr.
[3] « Audition de Laurent Fabius au Sénat sur les minorités persécutées au Moyen-Orient », Réseau Voltaire, 9 septembre 2015.
[4] « Réunion du Conseil de sécurité sur la Syrie (déclaration présidentielle) », Réseau Voltaire, 17 août 2015.
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