Le Président (parle en anglais) : Je souhaite une chaleureuse bienvenue aux chefs d’État et de gouvernement, au Secrétaire général, aux ministres et aux autres représentants qui sont parmi nous dans la salle du Conseil de sécurité. Leur présence aujourd’hui souligne l’importance de la question à l’examen.
Conformément à l’article 37 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite le représentant de la République arabe syrienne à participer à la présente séance.Conformément à l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite M. Staffan de Mistura, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, à participer à la présente séance.
Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.Je donne à présent la parole à S. E. le Secrétaire général Ban Ki-moon.
Le Secrétaire général, Ban Ki-moon (parle en anglais) : Je remercie le Premier Ministre Key d’avoir organisé cette très importance séance.La tragédie syrienne nous déshonore tous. L’échec collectif de la communauté internationale devrait tourmenter chacun des membres du Conseil de sécurité. Le nombre de Syriens tués dépasse largement 300 000, la moitié de la population du pays a été déracinée et une grande partie de son infrastructure est en ruines. De nombreux Syriens craignent que la prochaine étape soit la fragmentation de leur État, d’autant que les entités associées à Daech et Al‑Qaida sont prêtes à exploiter une aggravation du chaos. Les pays voisins accueillent des millions de réfugiés syriens, tandis que nombreux autres Syriens perdent la vie en tentant de parvenir en Europe. Les forces que le conflit a déchaînées sont en train de déstabiliser toute la région. Des attaques terroristes liées à la crise ont frappé le monde entier. Les normes internationales du droit humanitaire sont violées de manière flagrante. Nous avons été témoins d’attaques aveugles contre les populations et les installations civiles, du recours à la tactique de siège, digne du Moyen-Âge, de l’utilisation de la faim comme arme, de l’emploi d’armes chimiques, y compris lors d’attaques récentes attribuées à Daech et au Gouvernement syrien. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont maintenus en détention arbitraire dans des conditions épouvantables et subissent des actes indicibles de torture systématique. Dans le même temps, des combattants étrangers et des armes affluent vers toutes les parties. Tout cela se fait au mépris des résolutions du Conseil.
Tragiquement, les divisions intrasyriennes sont trop souvent amplifiées par les divisions régionales, qui se reflètent ensuite au sein du Conseil. Ces divisions abandonnent la Syrie à son terrible sort. Pourtant, nous savons que l’unité internationale peut donner des résultats. L’unité et la détermination du Conseil ont permis l’élimination des armes chimiques de la Syrie, dont elle avait auparavant nié l’existence et rejeté la responsabilité de l’emploi. Des vivres et des médicaments ont été livrés à des millions de Syriens, notamment en franchissant les lignes de front et par des largages aériens sur les zones assiégées et difficiles d’accès. En outre, la formation du Groupe international de soutien pour la Syrie (GISS) a insufflé un nouvel élan à la quête d’un règlement et a ouvert la voie à l’adoption de la résolution 2254 (2015).
Quoique fragile, la cessation des hostilités entrée en vigueur à la fin février a eu des résultats positifs pendant quelques mois. Durant cet intervalle, les Nations Unies ont intensifié les opérations humanitaires et réuni les parties à Genève pour des pourparlers. Mais la violence a une nouvelle fois eu raison de ce processus. L’accord recherché de longue date entre la Fédération de Russie et les États-Unis et obtenu le 9 septembre a ouvert de nouvelles possibilités. La scandaleuse attaque contre un convoi humanitaire des Nations Unies et du Croissant-Rouge arabe syrien, il y a deux jours, a fait plusieurs victimes et a obligé les Nations Unies à suspendre leurs opérations d’aide. Je suis en train d’étudier les options qui permettront de mener une enquête robuste sur ces actes ainsi que sur les atrocités similaires qui ont été commises contre les civils. Je suis également préoccupé par l’attaque menée il y a peu à Deir el-Zor, au cours de laquelle des dizaines de personnes ont perdu la vie. Je prends bonne note du fait que les États-Unis ont rapidement reconnu cette frappe, et j’espère que de plus amples informations seront fournies.Nous devons rester déterminés à ce que le cessez-le-feu soit de nouveau respecté. J’exhorte toutes les parties concernées à user de leur influence dès maintenant – aujourd’hui-même – pour faire en sorte que ce soit le cas. Nous avons là une chance de rétablir la cessation des hostilités, de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire vers Alep et dans tout le pays, de maintenir au sol l’armée de l’air syrienne et de mener des actions militaires conjointes contre les groupes terroristes tels que Daech et le Front el-Nosra. Y parvenir ouvrirait la voie à des pourparlers politiques.
Dès que commencera, une nouvelle série négociations intrasyriennes, celles-ci devront porter essentiellement sur les questions fondamentales pour que la transition soit viable, en particulier – et je cite ici le résumé de la dernière série, préparé par le Médiateur -« la manière dont le pouvoir sera exercé en pratique par le gouvernement de transition, notamment en ce qui concerne la présidence, les pouvoirs exécutifs et le contrôle des institutions gouvernementales et de sécurité ».Le GISS a déjà fait part de son appui à cette approche. Il a invité les parties« à parvenir à un accord autour d’un cadre régissant une transition politique véritable, qui inclurait un organe de transition large et sans exclusive, doté des pleins pouvoirs exécutifs ».
Quant aux coprésidents du GISS, ils ont officiellement demandé aux Nations Unies de formuler des propositions pour servir de point de départ aux activités futures. Avec mon appui résolu, l’Envoyé spécial Staffan de Mistura sera prêt à présenter aux parties un ensemble de propositions visant à permettre l’ouverture de négociations à même de conduire à une transition politique dirigée et prise en mains par les Syriens. Nous tenons pleinement compte de la résolution 2254 (2015), du Communiqué de Genève (S/2012/522, annexe) et de la Déclaration du GISS, ainsi que de l’ordre du jour clair qui a été défini pour les pourparlers intrasyriens dans la résolution 2254 (2015).
J’ai demandé à l’Envoyé spécial de fournir tous les efforts nécessaires en vue de convoquer aussi rapidement que possible des négociations officielles. J’appelle le Conseil de sécurité à apporter tout son concours à l’Envoyé spécial dans cette tâche, sans objections ni conditions. Nous devons avancer sans équivoque sur la voie d’un processus politique crédible. J’attends que tous usent de leur influence auprès des parties syriennes pour faire en sorte qu’elles rejoignent les pourparlers en étant prêtes à négocier sincèrement les questions au coeur de la transition politique. Aucun pays ne devrait voir son sort dépendre d’un seul interlocuteur. Si une partie s’obstine à dire que les pouvoirs de la présidence ne sont pas négociables, alors, par définition, il ne pourra pas y avoir de règlement négocié. Si une autre partie insiste pour que le Président s’en aille tout simplement au tout début de la transition, alors il difficile de voir comment une négociation véritable pourrait avoir lieu.
La transition n’est pas une fin en soi ; c’est un processus aux termes duquel le peuple syrien pourra instaurer une nouvelle réalité, pacifique et démocratique, tout en protégeant la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de son pays et en s’unissant contre le terrorisme. La transition doit garantir la continuité et la réforme des institutions et des services publics du pays. Il faut pour cela un ensemble de modalités ouvertes en matière de gouvernance, qui garantissent que le pouvoir sera exercé de manière responsable, différemment de la façon dont il l’a été jusqu’à présent.En outre, des mécanismes de responsabilisation sont fondamentalement nécessaires. Le Gouvernement a impitoyablement foulé aux pieds les droits de l’homme. Les groupes d’opposition n’ont pas été en reste. Les groupes terroristes diffusent avec une joie perverse des images de leur cruauté à l’intention du public du monde entier. Ne pas poursuivre les auteurs de ces brutalités reviendrait pour le monde à renoncer à son devoir. Cela reviendrait à priver les Syriens de la justice et des moyens de guérir. Cela réduirait à néant la crédibilité d’une communauté internationale qui prétend se soucier du respect de notre humanité commune.Je note que le Conseil de sécurité lui-même a dit que ceux qui utilisaient des armes chimiques en Syrie devaient répondre de leurs actes. Je renouvelle l’appel que j’ai lancé au Conseil de sécurité pour qu’il défère la situation en Syrie à la Cour pénale internationale. Les membres du Gouvernement qui ont donné des ordres ou faisaient partie de la chaîne de commandement doivent rendre des comptes. D’autres sur le champ de bataille doivent également être traduits en justice. Il ne fait aucun doute que tout règlement durable devra garantir un cadre approprié de justice transitionnelle et de réconciliation, si nous voulons que la Syrie surmonte les horreurs de cette guerre.
Nous nous trouvons à un moment décisif. J’en appelle à tous d’user sans plus tarder de leur influence pour rétablir la cessation des hostilités, permettre l’acheminement de l’aide partout où elle est nécessaire et aider l’ONU à tracer une voie politique pour que les Syriens puissent négocier un moyen de sortir de l’enfer dans lequel ils sont piégés. En leur qualité de membres du Conseil de sécurité, les personnes présentes aujourd’hui n’ont pas de responsabilité plus élevée que celle-ci.
Le Président (parle en anglais) : Je remercie le Secrétaire général de son exposé. Je donne à présent la parole à M. Staffan de Mistura.
M. Staffan de Mistura (parle en anglais) : Le Secrétaire général a évoqué avec force ce terrible conflit et la nécessité d’ouvrir la voie à des pourparlers politiques axés sur les questions fondamentales d’une transition viable. Il m’a demandé de préparer un projet de cadre de propositions à présenter aux parties comme point de départ, rien de plus qu’un point de départ, mais un important point de départ pour des négociations sur une transition politique dirigée et contrôlée par les Syriens. Nous sommes prêts. Qu’il me soit permis de faire quelques observations à cet égard. Nous les devons au Conseil de sécurité.
Premièrement, nous pensons que l’ONU a fait preuve de la diligence voulue pour comprendre les besoins et les craintes de toutes les parties, même si leurs positions de départ continuent d’être éloignées les unes des autres. Au cours des deux dernières années, l’ONU a collaboré étroitement avec les parties prenantes syriennes, que ce soit lors des Consultations de Genève ou dans le cadre de trois séries de pourparlers indirects officiels, de discussions techniques et de navettes diplomatiques dans la région, ainsi que par le biais du Groupe international de soutien pour la Syrie (GISS), des 18 envoyés spéciaux du monde entier, de la société civile et franchement, dans une large mesure aussi, du Conseil consultatif pour les femmes syriennes et de ses représentantes en Syrie. J’ai pris en compte toutes les idées émanant de ces contacts.
Deuxièmement, malgré les horreurs sur le terrain, nous avons agréablement été surpris de constater que certains points de convergence sont apparus dans le cadre des pourparlers entre Syriens concernant les principes essentiels devant régir la transition et tout accord constitutionnel final pour la Syrie à l’avenir. Ces points communs montrent que les visions de chaque partie sont peut-être proches les unes des autres, du moins en ce qui concerne les éléments suivants : un État ouvert, civil, inclusif, non sectaire, pluraliste, démocratique et unifié, fondé sur l’état de droit, dans lequel toutes les composantes de la société syrienne sont reconnues et respectées, et leurs libertés fondamentales sont consacrées et protégées par une nouvelle Constitution. C’est, du moins verbalement, ce sur quoi ils semblent s’entendre.
Troisièmement, lors de la troisième série des pourparlers intersyriens, les deux parties ont reconnu que l’objectif était, en effet, une transition politique. Le Secrétaire général a évoqué le résumé du Médiateur il y a quelques minutes, qui recense d’autres points communs concernant la transition et définit les questions devant être traitées pour garantir une transition viable. Ce résumé a par la suite été entériné par le GISS en tant que base pour la prochaine série de négociations entre Syriens – soit dit en passant, je me félicite que nous disposions d’un GISS : nous l’attendions depuis plus d’un an, et il apporte un grand soutien à l’Envoyé spécial, alors que nous opérions seuls avant sa création. Le GISS a exhorté les parties « à parvenir à un accord autour d’un cadre régissant une transition politique véritable ». C’est dans ce contexte que, le 26 juillet, le GISS nous a demandé d’élaborer quelques propositions.Dès que les pourparlers reprendront, j’ai l’intention de soumettre des propositions à toutes les parties comme point de départ des négociations et comme moyen de passer à des pourparlers directs, en lieu et place de pourparlers indirects. Le Secrétaire général m’a encouragé à cette fin et m’a demandé de présenter un projet de cadre, qui permettra d’engager les parties sur la voie de la transition par le biais de négociations.
Quatrièmement, toute proposition que je présenterais partirait du principe que le conflit en Syrie ne peut se régler par la voie militaire – nous ne cessons de le répéter, mais nous ne l’appliquons pas toujours en pratique. Le règlement doit se fonder exclusivement sur un processus de négociations dirigé et contrôlé par les Syriens entre le Gouvernement et l’opposition, au cours duquel il sera convenu d’un cadre basé sur le consentement mutuel, qui soit à même d’assurer une transition politique véritable et irréversible conduisant à une nouvelle Constitution et à la tenue d’élections libres et régulières sous supervision internationale, tout en préservant la continuité des institutions réformées de l’État, conformément à la résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité – nous ne cherchons pas à reproduire ce qui s’est passé en Libye, par exemple .
Cinquièmement, à notre avis, toute transition viable doit absolument comporter les volets suivants. Premièrement, elle doit régler la manière dont le pouvoir sera exercé dans la pratique par le Gouvernement de transition, y compris en ce qui concerne les pouvoirs exécutifs de la présidence et son contrôle des institutions gouvernementales et de sécurité. Il appartient aux Syriens d’en décider, mais ils doivent le faire entre eux. Deuxièmement, la transition doit régler le partage du pouvoir et la question d’une dévolution progressive et véritable du pouvoir pendant la transition d’une manière convenue, conformément aux principes de bonne gouvernance et sous réserve de garanties internes et internationales. Troisièmement, elle doit exiger l’établissement d’organes collectifs de transition chargés de superviser un cessez-le-feu national, les secours humanitaires, la création d’un environnement calme et neutre pour permettre la mise en oeuvre d’activités politiques libres et pacifiques en lien avec l’adoption d’une nouvelle Constitution et la tenue d’élections libres et régulières sous supervision internationale. Je sais que cela peut sembler utopique, mais c’est notre plan : si nous ne le faisons pas, nous n’arriverons jamais à rien. Quatrièmement, la transition doit être accompagnée par des efforts internationaux soutenus pour aider à reconstruire la Syrie ; des discussions sont déjà en cours sur la manière de se préparer à la reconstruction de la Syrie dès qu’une transition véritable et vérifiable sera engagée.Par conséquent, dans l’idéal, le Gouvernement doit comprendre que la transition implique une véritable dévolution du pouvoir et pas seulement l’absorption de l’opposition au sein du Gouvernement actuel. L’opposition, pour sa part, doit également comprendre que la transition ne concerne pas uniquement une personne ou une présidence et n’est pas seulement liée au transfert du pouvoir d’un groupe politique à un autre, mais aussi à un exercice différent du pouvoir, alors que la Syrie avance dans les négociations syriennes.
Par-dessus tout, les parties doivent reconnaître que toute transition doit être globale et acceptée de part et d’autre, comme l’indique clairement le Communiqué de Genève (S/2012/522, annexe), par consentement mutuel. Je prends note des contributions que nous avons reçues des deux parties, le Gouvernement et l’opposition, dans le cadre de ce processus. Je voudrais également mentionner la description faite par la Haute Commission des négociations de son dernier énoncé de vision, qu’elle a qualifié de document vivant et donc, d’un document susceptible d’évoluer. C’est ce genre d’approches qu’il nous faut dans les négociations pour pouvoir avancer.
Par conséquent, je prie instamment le Conseil de sécurité de réfléchir attentivement à ce que le Secrétaire général vient de dire. Il s’agit d’une déclaration importante. Il a fait cette déclaration en choisissant soigneusement ses mots, parce qu’il est touché par ce terrible conflit, qui a marqué les cinq dernières années de son mandat. J’ai ajouté quelques observations, et j’espère que toutes les parties syriennes comprennent que si elles veulent parvenir à la paix, si elles veulent sauver leur pays, il faut une transition qui exigera une volonté sincère de négocier et de faire des compromis. Elles doivent également être présentes durant les prochaines négociations. C’est une chance que nous voulons leur offrir.Pour terminer, je voudrais dire que – évidemment, nous ne pouvons pas faire abstraction de cette question incontournable – tous ces efforts vont être et peuvent être renforcés si nous parvenons à faire fond sur l’accord conclu le 9 septembre par les deux Coprésidents du GISS, qui nous a apporté beaucoup d’espoir et à la suite duquel nous avons redoublé d’efforts en vue de la reprise des pourparlers.
Le Président, M. Key (Nouvelle-Zélande) (parle en anglais) : Je remercie M. De Mistura de son exposé.
Je vais maintenant faire une déclaration en ma qualité de Premier Ministre de la Nouvelle-Zélande.
La Nouvelle-Zélande a convoqué la présente séance de haut niveau sur la Syrie pour une raison bien simple : aucune autre question ne réclame aussi urgemment l’attention des dirigeants du monde. La guerre civile syrienne est le conflit le plus dévastateur du XXIe siècle. Nous voyons un pays en ruines, et sommes témoins d’un terrorisme et d’un extrémisme endémiques et des horreurs quotidiennes que vivent des civils qui sont victimes des déplacements forcés, affamés et tués. Nous nous associons au Secrétaire général pour condamner l’attaque perpétrée lundi contre un convoi humanitaire. Rien ne peut justifier que l’on s’en prenne à ceux qui essaient de sauver des vies. À plus long terme, nous devons amener les principaux auteurs de ces atrocités horribles dont nous avons été témoins à rendre des comptes, y compris ceux qui sont responsables des attaques à l’arme chimique.L’ampleur de la crise des réfugiés syriens a choqué le monde. Elle a touché des millions de personnes dans la région et au-delà. Ce conflit a donné lieu à des menaces à la sécurité qui vont bien au-delà des frontières de la Syrie. Après plus de cinq ans de violence, la Syrie est devenue synonyme d’échec. L’échec des parties et de leurs soutiens, qui ont donné la priorité à des intérêts égoïstes et à la politique à somme nulle, plutôt qu’à la paix et à la vie de personnes innocentes. L’échec dans le sens où nous n’avons pas réagi rapidement à la crise afin de prévenir cette tragédie. Et un échec politique collectif, y compris de la part du Conseil, car on n’a pas fait le nécessaire pour mettre fin à ce conflit.
La séance d’aujourd’hui est une occasion d’avoir une discussion franche et honnête sur les moyens susceptibles de conduire à la paix. Nous devons récrire cette narration d’échec et aider la Syrie à s’engager sur la voie de la paix. Soyons clairs. Personne n’a rien à gagner de la poursuite de ce conflit. Le Gouvernement syrien, qui porte la responsabilité d’avoir déclenché cette guerre, ne peut pas gagner, de même que les nombreux autres acteurs dont le soutien permet à ce conflit de perdurer. En fin de compte, les Syriens doivent parvenir à un accord sur leur futur gouvernement, mais, à ce stade, il est clair qu’ils ne peuvent pas mettre fin à cette guerre par eux-mêmes.Le problème n’est pas une absence d’orientation. La voie à suivre pour mettre fin à ce conflit a été définie par le Conseil de sécurité dans sa résolution 2254 (2015) de décembre 2015. Cette résolution a énuméré les mesures à prendre : un cessez-le-feu sur tout le territoire national ; des négociations sur une transition politique et un front uni pour lutter contre l’ État islamique d’Iraq et du Levant et d’autres groupes terroristes. Cette résolution prévoyait également un calendrier pour la mise en oeuvre de ces mesures. Cependant, ce calendrier lui-même n’a jamais été arrêté. Aujourd’hui, nous devons tous nous engager en faveur du rétablissement de la cessation des hostilités, de l’acheminement de l’aide humanitaire à ceux qui en ont besoin et de la reprise des négociations politiques. L’accord conclu la semaine dernière par le Secrétaire d’État américain, M. Kerry, et le Ministre des affaires étrangères russe, M. Lavrov, représente notre meilleur espoir depuis longtemps. Nous encourageons la Russie et les États-Unis à continuer à faire preuve de leadership et à ne pas laisser échapper cette occasion.
Les prochains jours seront décisifs pour le rétablissement de la cessation des hostilités et l’acheminement de l’aide humanitaire. Nous exhortons les parties syriennes à respecter cet accord. Le Conseil doit s’unir pour appuyer ces efforts. Une solution politique doit remédier aux causes du conflit et établir une nouvelle forme de gouvernement sans exclusive. Elle ne doit pas apporter des changements superficiels en ce qui concerne la question centrale qu’est l’avenir du Président Bashar Al-Assad. Une solution politique implique des choix difficiles pour les deux parties. Il faudra faire preuve de courage et, surtout, de pragmatisme. Tous ceux qui insistent sur des limites politiques infranchissables qui font obstacle aux compromis nécessaires devront mesurer les retards qu’ils provoquent en termes de pertes supplémentaires en vies humaines, d’augmentation du nombre de réfugiés et de souffrances accrues. Ceux qui ont une influence sur les parties et le Gouvernement syrien doivent insister sur le fait qu’une solution politique est la seule issue à ce conflit et joindre le geste à la parole. Cela signifie qu’ils doivent encourager les parties à chercher des solutions à la table de négociation, plutôt que sur le champ de bataille. Cela signifie également qu’il ne faut pas se servir de la lutte contre le terrorisme comme d’un prétexte pour détourner notre attention des efforts visant à trouver une solution politique. Le terrorisme est une conséquence importante de la guerre syrienne, mais il n’en est pas la cause.Les pays qui sont plus à même d’influencer le cours des événements ont une responsabilité particulière à cet égard. Je parle en particulier des pays qui ont été mentionnés par le Secrétaire général dans son discours devant l’Assemblée générale l’année dernière comme détenant la clef du règlement de ce conflit : les États-Unis, la Russie, l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie (voir A/70/PV.13). Nous appelons ces pays à oeuvrer de concert pour rétablir la cessation des hostilités dans les prochains jours, qui seront décisifs. Avancer sur la voie d’une solution politique doit être la priorité dans les semaines à venir. Le peuple syrien le mérite bien.
Je reprends maintenant mes fonctions de Président du Conseil de sécurité. Je donne maintenant la parole à S. E. M. Sergey Lavrov, Ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie.
M. Lavrov (Fédération de Russie) (parle en russe) : Il est évident que la région de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient traverse une période troublée suite à une combinaison de différends interethniques et interconfessionnels et de la montée sans précédent du terrorisme et de l’extrémisme qui sévissent en Iraq, au Yémen, en Libye, en Syrie et dans nombre d’autres pays, notamment des pays africains. La détérioration potentielle de la situation risque de faire peser des menaces de plus en plus graves sur la stabilité et la sécurité internationales.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se présente, comme une conséquence directe de la pratique odieuse de manoeuvres géopolitiques, d’ingérence dans les affaires intérieures des États souverains et de tentatives de renverser des régimes indésirables, y compris par la force. On peut dire à juste titre que la situation en Syrie est particulièrement préoccupante. Depuis le début de la crise, la Russie a toujours été en faveur d’une solution exclusivement pacifique, respectant la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de cette ancienne nation. Nous sommes toujours convaincus qu’il n’existe pas d’autre option qu’un processus politique sur la base d’un dialogue intra-syrien sans exclusive, fondé sur le respect mutuel et sans conditions préalables, permettant de mettre fin aux hostilités, d’améliorer l’accès humanitaire et de mener une lutte plus efficace contre le terrorisme. Cette position qui couvre tous les aspects de la question a été clairement énoncée dans les décisions du Groupe international de soutien pour la Syrie et les résolutions du Conseil de sécurité, notamment la résolution 2254 (2015). Pour mettre en oeuvre les dispositions de cette résolution, la Russie et les États-Unis, en leur qualité de Coprésidents du Groupe international de soutien pour la Syrie, sont parvenus à un accord après plus de six mois de négociations. Cet accord a été conclu le 9 septembre, après que les Présidents de la Russie et des États-Unis, qui s’étaient réunis trois jours plus tôt en Chine, soient parvenus à un accord définitif sur les dernières questions.
Je suis désolé de faire référence à des documents que pratiquement personne dans cette salle n’a lus. Comme toujours, la Russie est disposée à les rendre publics et à les distribuer à l’ONU. Il convient de noter que l’accord russo-américain souligne qu’une de ses priorités clefs est de faire une distinction entre les forces d’opposition et les forces de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) et du Front el-Nosra, pour appliquer le cessez-le-feu, régler les problèmes humanitaires et, plus important encore, mettre fin aux tentatives des terroristes d’échapper aux sanctions sous prétexte qu’ils coopèrent avec de prétendus modérés qui participent au régime de cessez-le-feu.
Ces arrangements sont entrés en vigueur le 12 septembre, et je réitère que le fait qu’ils n’ont pas encore été rendus publics nous empêche de les comparer avec ce qui a été fait et par qui, mais je peux donner un exemple. Les arrangements exigent de garantir un accès humanitaire sûr le long de la route du Castello, et à cette fin, le Gouvernement et l’opposition, qui contrôlent plusieurs secteurs de cette route, doivent retirer leurs forces à une distance égale de la route. Cette distance a été spécifiquement fixée dans les arrangements. Les forces gouvernementales ont commencé à se retirer, conformément à l’accord russo-américain, et les forces d’opposition, non contentes de ne pas se retirer, ont commencé à bombarder les forces gouvernementales. Cela s’est produit plus d’une fois, et les forces d’opposition ne se sont toujours pas retirées de la route du Castello, comme l’exigent les accords du 9 septembre. En règle générale, par l’intermédiaire de son ministère de la défense, la Russie surveille constamment l’activité sur la route du Castello et autour d’Alep, et le site du Ministère montre très clairement qui applique les accords et qui ne les applique pas.
La semaine dernière, par l’intermédiaire du centre d’observation opérationnel que nous avons créé à Genève avec nos partenaires des États-Unis, nous avons signalé à nos collègues américains environ 300 cas de violations du régime de cessez-le-feu par Ahrar el-Cham et un certain nombre d’autres groupes d’opposition, dont on nous a signalé que certains participaient soi-disant au cessez-le-feu. Des violations ont été commises à Alep et dans les provinces de Hama, Homs, Lattaquié et Deraa, ainsi que dans les faubourgs de Damas. Je tiens à souligner que les informations que nous avons transmises sont fiables. Elles ne viennent pas d’Internet ou des médias, mais ont été collectées sur le terrain par des groupes de contrôle militaire russes et correspondent à des faits spécifiques. Les violations consistent, entre autres, en des bombardements à l’aide d’armes légères, de mortiers, de lance-roquettes multiples et de bombes artisanales. Les frappes effectuées le 16 septembre par la coalition d’opposition contre les positions des forces du Gouvernement à Deir ez-zor constituent une violation claire du cessez-le-feu, et aussitôt qu’elles se sont produites, l’EIIL a lancé une attaque contre les forces gouvernementales. Une autre provocation inacceptable s’est produite le 19 septembre lorsqu’un convoi humanitaire des Nations Unies a été attaqué près d’Alep dans une zone contrôlée par l’opposition. À cet égard, il convient de noter que le même jour, dans la même zone, dénommée route de Ramoussé, le Front el-Nosra et ses alliés ont commis une attaque agressive contre les forces gouvernementales. En conséquence, les djihadistes ont pu avancer dans le secteur 10-70.
Je n’ai aucune preuve, mais je suis certain que ces coïncidences pourraient être attentivement analysées et décryptées, en particulier l’attaque contre le convoi humanitaire. De nombreuses personnes ont affirmé qu’il pouvait s’agir d’un tir de roquette ou d’artillerie – c’est ce qui nous a été dit au début – pour ensuite parler d’hélicoptères et d’avions. Il me semble que nous devrions éviter de nous laisser aller à tout instinct émotionnel qui nous pousse à prendre immédiatement la parole pour faire des commentaires, et mener une enquête approfondie et professionnelle. Il convient de mentionner que la distance entre le lieu de l’incident et l’épicentre, à l’ouest d’Alep, où se trouve le Front el-Nosra, ne dépasse pas cinq à sept kilomètres. La Russie a fourni toutes les informations qu’elle a obtenues sur l’attaque contre ce convoi, notamment par vidéo en temps réel. Dans l’ensemble, en dépit de nos appels, qui apparaissent dans les décisions du Conseil de sécurité concernant la nécessité d’exercer une influence sur les divers groupes d’opposition armée, les résultats obtenus à ce jour sont extraordinairement limités.
J’ai mentionné la liste que nous ont fournie nos partenaires américains concernant les quelque 150 organisations nommées en tant que participantes au régime de cessez-le-feu, mais depuis longtemps, et officiellement depuis le 12 septembre, plus de 20 d’entre elles ont déclaré qu’elles ne respecteraient pas cet accord. Cette liste comprend Ahrar el-Cham, et je rappelle qu’au moment de la rédaction de la résolution 2254 (2015), nous avons proposé d’inscrire ce groupe sur la liste des organisations terroristes, de même que Jeïch el-Islam. À l’époque, nos partenaires ont affirmé que cela nous empêcherait de travailler efficacement, et par bonne volonté nous n’avons pas insisté, limitant la liste des organisations terroristes au Front el-Nosra et au soit-disant État islamique. Après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 12 septembre, les dirigeants d’Ahrar el-Cham ont annoncé officiellement qu’ils ne respecteraient pas les accords parce que ceux-ci qualifient le Front el-Nosra d’organisation terroriste. Ahrar el-Cham ne le considère pas comme une organisation terroriste et collabore étroitement avec lui.
J’estime donc que l’heure est venue de réexaminer la liste des organisations terroristes, en particulier suite à un incident spécifique qui s’est produit ces derniers jours dans le nord de la province de Hama, où les forces syriennes se défendaient contre des attaques du groupe Soldats d’el-Aqsa dans les zones de Khabare et Maan. En ce qui concerne les combats sur place, certains acteurs ont accusé les forces gouvernementales syriennes de violer le cessez-le-feu, mais les États-Unis ont annoncé hier qu’ils avaient ajouté les Soldats d’el-Aqsa à la liste des organisations terroristes, et j’espère donc que personne ne nous demandera de cesser les hostilités contre ce groupe. Je tenais simplement à mentionner cet exemple, outre ce que je viens de dire concernant Ahrar el-Cham, car ils vont probablement nous demander de réviser la liste. Il faut arrêter de couvrir ceux qui s’opposent à la paix et refusent d’appliquer les accords et les résolutions du Conseil de sécurité, et nous devons les considérer comme des terroristes. Ces derniers jours, dans la région de Damas, Jeïch el-Islam a tenté de prendre des territoires dans la Ghouta orientale, et des attaques intensives ont été menées contre les forces gouvernementales par le Front el-Nosra et Failak el-Rahman, qui travaille également en coordination avec le Front el-Nosra dans la banlieue de Jobar, d’où ils lancent souvent des mortiers contre des quartiers civils de Damas.
L’autre enseignement que nous voudrions tirer des derniers évènements est que, pour assurer la sécurité durant les opérations humanitaires, la participation effective de toutes les parties au conflit est nécessaire, pas seulement celle des forces armées syriennes et russes, auxquelles tout le monde adresse souvent tous les appels et demandes. Les groupes armés et leurs parrains doivent eux aussi fournir les assurances garanties nécessaires. Les représentants de l’ONU doivent eux aussi escorter les convois après avoir reçu ces assurances.
Le Groupe international de our la Syrie (GISS) s’est réuni hier, et de nombreux collègues était présents. Tout le monde est pour que la cessation des hostilités soit ressuscitée. Initialement, la proposition était de garantir trois jours de calme. Nous sommes convaincus que cela n’est possible que si toutes les parties au conflit syrien prenaient des mesures simultanées. Sinon, rien ne se produira. Les pauses unilatérales ne donneront rien. Nous avons déjà essayé cela. Il y a eu des pauses unilatérales autour d’Alep pour 48 et 72 heures, et chaque fois le résultat a été que les rebelles, y compris le Front el Nosra, ont été confortés et pourvus en matériel militaire. Ils n’ont utilisé ces pauses que pour se renforcer. C’est pourquoi nous ne pouvons plus discuter des mesures unilatérales.Ce qu’il faut c’est que chaque membre du GISS, en particulier ceux mentionnés par le Président du Conseil, le Premier Ministre néo-zélandais, donne des garanties sérieuses pour faire en sorte que les unités sur le terrain sur lesquelles ils ont de l’influence se conforment à toutes les dispositions de l’accord de cessation des hostilités. Si nous pouvons nous mettre d’accord sur ce type d’approche, alors je suis convaincu que la viabilité d’une cessation des hostilités aura une chance. Bien entendu, cela ne suffira pas pour parvenir à un accord ; nous devons nous assurer que l’accord est en fait mis en oeuvre.Enfin, je voudrais dire que nous avons toujours fait du dialogue politique intrasyrien une priorité absolue, sans conditions préalables, tel que requis par la résolution 2254 (2015) et avec la participation de représentants de tous les groupes ethniques et religieux, afin de mettre en oeuvre la feuille de route énoncée dans la résolution, laquelle doit conduire à un règlement de la crise syrienne dans 18 mois – comme nous l’avions espéré à l’époque. Faute de quoi nous ne pourrons pas parvenir à une solution durable, préserver la Syrie en tant qu’État unique et uni, restaurer son économie et assurer le retour des réfugiés, entre autres.Nous appuyons les efforts déployés par l’Envoyé spécial du Secrétaire général, M. Staffan de Mistura, et nous lui demandons de continuer d’oeuvrer avec les parties au conflit pour garantir la poursuite et le caractère ouvert du processus de négociations. Les tentatives de certains participants de poser des conditions préalables ou des ultimatums pour saboter la résolution 2254 (2015) sont inacceptables. Malheureusement, de telles tentatives se poursuivent, et l’ONU et l’Envoyé spécial ne doivent pas céder à ce genre de chantage. Les négociations doivent reprendre immédiatement. On doit dire à ceux qui insistent sur les conditions préalables que de telles décisions vont à l’encontre des exigences du Conseil de sécurité. Nous sommes prêts à contribuer pleinement aux efforts menés par M. Staffan de Mistura, y compris en continuant de travailler avec toutes les parties – Gouvernement syrien et membres de l’opposition dans leur ensemble – sans exclure personne.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. John Kerry, Secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique.
M. Kerry (États-Unis d’Amérique) (parle en anglais) : Je voudrais remercier mon collègue néo-zélandais en particulier d’avoir convoqué cette très importante séance sur la crise en Syrie. Je pense qu’il est approprié que nous soyons réunis ici, non loin de la salle où, hier, de si nombreux chefs d’État se sont retrouvés pour parler de façon remarquablement éloquente et émouvante, je pense, des conséquences de la guerre en Syrie. J’ai entendu en particulier le Roi Abdallah II ibn Al Hussein parler de l’impact produit sur son pays par des millions de personnes qui mettent à mal l’économie du pays et exercent d’énormes pressions sur ses structures sociales, qui vivent dans les pires conditions et, parfois, constituent une menace en raison de la capacité de Daech/État islamique d’Iraq et du Levant ou du Front el-Nosra d’y infiltrer des éléments, faisant courir une menace sécuritaire au pays.
Nous avons entendu la jeune championne olympique nous parler de ses rêves et nous raconter comment elle a pu participer aux compétitions au sein de l’équipe olympique des réfugiés. Nous avons vu des images d’une vidéo admirablement narrée par Bono qui nous a donné à réfléchir sur les conséquences de tout cela. J’espère que tout un chacun est venu ici aujourd’hui réellement concentré sur ces conséquences et non pas pour jouer sur les mots afin d’occulter les responsabilité ou de fuir les choix que cette grande institution doit faire en matière de guerre et de paix, de vie et de mort. J’ai écouté mon collègue russe, et je me suis cru dans un univers parallèle. Il a dit que personne ne doit poser de conditions préalables pour venir à la table des négociations. Eh bien, nous nous sommes rencontrés deux fois à Vienne. Nous nous sommes rencontrés ici à New York et adopté une résolution du Conseil de sécurité. Nous nous sommes rencontrés encore à Munich. Et, partout, le Groupe international de soutien pour la Syrie et le Conseil de sécurité ont approuvé un cessez-le-feu applicable à toutes les parties. Il ne s’agit pas là d’une condition préalable, mais d’un accord international – auquel on est parvenu à quatre reprises. Des pays ont dit qu’ils feraient cela, et à quatre reprises il a été violé par des acteurs indépendants, par des saboteurs, qui ne veulent pas de cessez-le-feu. Ce n’est donc pas une condition préalable.
Comment peut-on aller s’asseoir autour d’une table avec un régime qui bombarde des hôpitaux et utilise du gaz chloré – encore, et encore et encore – et qui agit dans l’impunité ? Est-on supposé s’asseoir à la table et avoir des discussions joyeuses à Genève dans ces conditions avec quelqu’un qui a signé un cessez-feu qu’il ne respecte pas ? Quelle crédibilité peut-on avoir auprès de ceux qu’on représente ? Ce n’est pas une condition préalable. C’est quelque chose dont nous sommes tous convenus à l’ONU et au sein du Groupe international de soutien pour la Syrie.
Je dois dire au sujet des documents que nous sommes prêts à publier – comme nous l’avons dit et annoncé hier au Groupe international de soutien pour la Syrie, et les membres du Groupe ont les documents – qu’on n’a pas besoin de les lire pour savoir que c’est contraire au droit international que de bombarder des hôpitaux. On n’a pas besoin de ces documents pour savoir qu’on ne peut pas larguer des barils explosifs sur des enfants. Ce sont des violations flagrantes du droit international.
Par conséquent, je ne veux pas embrouiller les choses dans ce processus. Je ne suis pas venu ici ce matin pour cela. Nous partons du principe que nous recherchons tous le même objectif – c’est ce que je continue d’entendre encore et encore. La Russie, l’Iran, les États-Unis, le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite, tout le monde répète à qui veut l’entendre qu’il veut une Syrie unie, laïque et respectueuse des droits de tous, où la population puisse choisir ses dirigeants. Or nous sommes tristement loin du compte s’agissant de prouver que nous pouvons nous retrouver autour de la table, pour tenir ce dialogue et obtenir ce résultat. Disons-le : tout le monde dans cette salle comprend qu’il y a des agents à cette table et des agents en dehors de cette salle – et nous savons qui ils sont – qui ont la capacité d’influer sur les acteurs de ce conflit, cause de la plus grande catastrophe humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Revoyons la séquence. J’ai eu le privilège de siéger au Sénat des États-Unis avec quelqu’un qui y avait passé beaucoup de temps, je veux parler de l’Ambassadeur des États-Unis auprès de l’Organisation des Nations Unies, Daniel Patrick Moynihan. Il était fameux pour rappeler à l’occasion que chacun a droit à sa propre opinion, mais pas à ses propres faits. Comme l’a dit un jour le Président John Adams, les faits sont têtus. Si nous voulons faire face à cette situation, je ne pense pas que nous puissions laisser chacun ici avoir sa propre version des faits sur la Syrie. Chacun ici comprend l’étendue de la tragédie humaine en question. On se demande pourquoi, dans différentes régions du monde, les gens sont si en colère contre les gouvernants : c’est parce que tout ce qu’ils entendent, ce sont des mots. Nous savons combien de fois nous avons exigé des mesures, pour qu’ensuite, elles ne soient pas mises en oeuvre. Et c’est pourquoi je veux, ce matin, communiquer ici quelques faits. La nuit dernière, nous avons reçu des informations faisant état de frappes aériennes dans lesquelles une installation médicale des environs d’Alep a été touchée et quatre travailleurs humanitaires tués, en dépit de la cessation supposée des hostilités. Seuls deux pays possédant des avions sont en mesure d’effectuer des vols de nuit – ou des vols tout court –, dans cette zone donnée : la Russie et la Syrie.
Comme l’a dit M. Lavrov, examinons les faits, et voyons ce qui s’est produit. Lundi, 28 travailleurs humanitaires ont été tués dans une attaque révoltante menée deux heures durant aux environs d’Alep contre une mission humanitaire disposant de toutes les autorisations requises Tous les permis avaient été accordés, et tout le monde était averti. Cette attaque a porté un coup très dur aux efforts que nous faisons pour ramener la paix en Syrie, et soulève un doute très sérieux quant à la question de savoir si la Russie et le régime d’Assad ont la capacité et la volonté d’honorer les obligations qu’ils ont contractées à Genève.
Des questions se posent également – non pas suite à cette attaque mais à d’autres événements – au sujet d’une partie de l’opposition. Voilà les faits. La réalité, tout simplement, c’est que nous ne pouvons résoudre cette crise si les principales parties concernées qui viennent à la table de négociation et conviennent de faire quelque chose ne sont pas disposées à faire le nécessaire pour éviter une escalade. Nous n’irons nulle part si nous nous cachons la réalité des faits et faisons fi du bon sens. La coalition menée par les États-Unis a effectivement touché des populations samedi ; il s’agit d’un terrible accident, que nous avons reconnu dans les instants qui ont suivi. Nous n’avons pas noyé cela dans un brouillard d’informations opaques, nous avons dit au contraire que c’était un événement terrible et qu’il s’était effectivement produit. Le Département de la défense des États-Unis a présenté ses excuses et nous avons cherché à savoir comment cela s’était produit.
Mais des populations courant en tous sens, vu des airs, c’est une situation bien différente de celle que représentent des camions dans un convoi comportant partout une signalétique claire des Nations Unies. Je veux détailler ces faits car ils soulignent pourquoi, actuellement, nous ne pouvons tout simplement pas continuer d’expédier les affaires courantes. Nous ne pouvons pas sortir de cette salle en disant que nous allons essayer de continuer de conclure un cessez-le-feu quand chacun sait que ça ne peut pas marcher. Face à ces faits, nos pays sont tenus de rendre sa crédibilité à ce processus. C’est cela qui importe au plus haut point. Revenons sur ce qui s’est produit dans les deux ou trois derniers jours.Tout d’abord, le porte-parole du Président Poutine, Dmitry Peskov, a expliqué que l’attaque du convoi humanitaire était en quelque sorte une riposte nécessaire à une offensive alléguée d’El-Nosra dans une autre zone du pays ; c’était la première version. Puis un ambassadeur russe a déclaré que les forces russes et syriennes ne bombardaient pas la zone, mais visaient le village de Khan Touman. Nous avons ensuite entendu une tout autre histoire : le Ministère de la défense de la Fédération de Russie a déclaré que le convoi d’aide humanitaire était flanqué de rebelles dans un pick-up armé d’un mortier, ce dont nous n’avons toutefois pas vu la moindre preuve. Cela ne justifierait pas, de toute façon, une violation de l’accord de cessation des hostilités. De plus, ce mortier n’aurait jamais pu infliger les dégâts que ces camions ont subis.
Après cela, le Ministre de la défense de la Fédération de Russie a changé complètement de discours et nié toute implication de la Russie. D’après le porte-parole du Ministère, Igor Konashenkov, « ni la Russie ni la Syrie n’ont effectué de frappes aériennes contre le convoi humanitaire des Nations Unies dans la périphérie sud-ouest d’Alep ». Après quoi, Konashenkov est allé plus loin et a déclaré que les dégâts causés au convoi provenaient directement d’un incendie au niveau de la cargaison, que les camions, les vivres et les médicaments avaient simplement pris feu spontanément. Est-ce que quiconque croit cela ? Il ne s’agit pas d’une plaisanterie. Nous traitons ici de choses sérieuses. Si nous pouvons assumer et reconnaître que nous avons bien accidentellement effectué une frappe, alors nous devons en effet supporter une part de responsabilité. Peut-être tente-t-on de détourner l’attention ou de dévier d’une manière quelconque du sujet, mais je pense que ce que cela prouve, c’est que nous avons la responsabilité, ici, de trouver une issue.
Tout ce que je viens de citer, de sources russes, est contredit par les informations du domaine public, par les conclusions déjà tirées par le Comité international de la Croix-Rouge, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le Croissant-Rouge arabe syrien, les journalistes indépendants et les travailleurs humanitaires sur le terrain, par les témoins oculaires. Ces derniers vous diront ce qui s’est passé. L’un d’entre eux a déclaré qu’alors qu’il se trouvait sur place, subitement cela a été l’enfer, avec les avions de chasse qui tournaient dans le ciel. C’est un témoignage oculaire : l’endroit transformé en enfer et la présence dans le ciel des avions de chasse.Il y a encore bien des aspects dans lesquels je n’entrerai pas parce que la clef, ici, doit être selon moi d’admettre ses responsabilités, afin que nous puissions modifier cette équation, et que chacun ici assume ses responsabilités. La principale question n’est plus ce que nous savons ; la principale question est de savoir, collectivement, ce que nous allons faire face à cela.
En d’autres termes, c’est un moment de vérité. C’est un moment de vérité pour le Président Poutine et pour la Russie, c’est également un moment de vérité pour l’opposition. C’est un moment de vérité pour ceux qui soutiennent l’opposition. Cela fait trop longtemps que certains éléments de l’opposition s’appuient sur une alliance contre nature avec El-Nosra. El-Nosra, c’est Al‑Qaida, la filiale d’Al‑Qaida en Syrie. Nous ne pouvons détourner les yeux quand certains groupes sur le terrain combattent aux côtés d’El-Nosra, organisation qui rejette ouvertement une solution politique à cette crise et qui est l’ennemi de tous ceux qui sont ici présents dans cette salle.
C’est un moment de vérité pour la communauté internationale, aussi. Si nous laissons des fauteurs de troubles choisir pour nous la voie à suivre, nous nous retrouverons sur la voie de l’escalade. Si nous décidons de ne pas faire ce qu’il faut pour que fonctionne la cessation des hostilités, alors ne vous y trompez pas, chers amis : la prochaine fois que nous nous réunirons ici, nous nous trouverons face, au Moyen-Orient, à encore plus de réfugiés, plus de morts, plus de déplacés, plus d’extrémistes et plus de souffrances à une échelle encore plus importante. C’est une certitude.
Il n’y a qu’un choix à faire, et c’est de revenir à la table de négociation avec Staffan de Mistura, d’engager des négociations et d’obtenir un cessez-le-feu pour pouvoir mettre un terme aux vagues de réfugiés, mettre un terme aux souffrances et donner à la population syrienne une chance de respirer, une chance de vivre. Quand le cessez-le-feu a été instauré, il y a quelques semaines, eh bien, il a marché. Il y a quelques mois, les gens sont bel et bien sortis dans la rue ; ils sont de nouveau allés dans les cafés. Certains ont même manifesté, ont pris conscience qu’ils avaient des droits politiques. D’autres ont pu se rendre à pied d’un lieu à l’autre en se sentant en sécurité. Tout cela s’est dissipé.
Je tiens à le souligner, et à le mettre en évidence pour la Russie, les États-Unis continuent de penser qu’il existe un moyen d’avancer qui, même s’il est instable, difficile et incertain, peut offrir la voie la plus viable pour mettre fin au carnage. Notre tâche commune ici est de trouver un moyen d’utiliser les outils diplomatiques permettant de le faire. C’est exactement ce que nous avons essayé d’accomplir.Cet été, des semaines durant, des experts de mon gouvernement ont travaillé avec leurs homologues russes dans le cadre d’efforts réels pour élaborer un plan tenant compte des enseignements tirés du premier cessez-le-feu. Les éléments clefs de ce plan lancé à Genève il y a deux semaines comprennent la reprise d’une cessation des hostilités, excluant uniquement Daech et El-Nosra. Il est important de noter qu’il incluait des accords pour l’acheminement sans restrictions – l’acheminement sans restrictions – de l’aide humanitaire à la population à Alep et ailleurs dans le pays. Il envisageait également la possibilité, à condition que l’acheminement de l’aide humanitaire ne soit pas entravée et soit continue et que la cessation soit respectée pendant au moins sept jours consécutifs, que les États-Unis et la Russie commencent à coordonner leurs efforts contre Daech et El-Nosra.
Je tiens à préciser une chose. Sur ordre du Président Obama, tous les préparatifs étaient faits pour assurer cette coopération en ce qui concerne notre armée et nos services de renseignement s’agissant du travail que nous ferions. Nous sommes donc déterminés à le faire. Une autre partie très importante du plan avait trait au fait que, quand ces efforts de coopération commenceraient, il serait interdit aux avions de guerre syriens de survoler les zones où l’opposition légitime et El-Nosra sont présents pour nous donner la possibilité de travailler sur la distinction à faire.
Je l’ai dit à la Russie à de nombreuses reprises : il est très difficile de faire une distinction entre des personnes quand elles sont la cible de bombardements aveugles. Alors qu’Assad a le droit de décider qui il va bombarder parce qu’il peut « poursuivre El-Nosra » mais poursuivre dans le même temps l’opposition parce qu’il le veut, cela crée une confusion et il est impossible de faire une distinction et donc de préserver le cessez-le-feu. C’est pourquoi nous devons aborder l’interdiction de vol, mes amis. Cela empêcherait la Syrie de faire ce qu’elle a si souvent fait par le passé, à savoir attaquer des cibles civiles en prétextant qu’elle poursuit simplement El-Nosra.
Notre objectif, dans le cadre de ces négociations, était de mettre fin au type d’attaques terribles et aveugles qui sont la cause principale de la peur, des souffrances et des déplacements. En appliquant notre plan, tout ceci pourrait être accompagné rapidement de négociations sérieuses entre les parties pour une transition politique et afin de mettre un terme au conflit. Je souhaite donc que mes collègues sachent que les États-Unis demeurent convaincus que les objectifs définis dans l’accord de Genève sont les bons objectifs. S’agissant des outils, ils sont appropriés pour un grand nombre d’entre eux, mais ils ne sont peut-être pas parfaits.
Nous espérions que le rétablissement de la cessation des hostilités et la reprise de l’acheminement de l’aide, l’isolement d’El-Nosra et de Daech, et le début du processus de négociations conduit par les Syriens offriraient une solution pour mettre fin au conflit et rendre possible le retour à une Syrie pacifique. À l’évidence, certains, y compris Assad et ses alliés, ainsi qu’El-Nosra et Daech de l’autre côté, craignent ce résultat. Assad est mal intentionné ; il ne croit pas en un cessez-le-feu. El-Nosra et Daech sont destructeurs. Ils ne veulent pas d’un cessez-le-feu ; ils veulent continuer de combattre Assad.
En conséquence, la question que nous devons nous poser ici aujourd’hui est de savoir si nous allons nous plier à leur volonté ou continuer de poursuivre nos objectifs, du mieux que nous pouvons et de toutes les manières possibles afin de parvenir à un règlement diplomatique du conflit. Ceux qui pensent que la crise en Syrie ne peut pas empirer davantage ont totalement tort, tout comme ceux qui pensent qu’une victoire militaire est possible. Ce pourrait être comme Carthage avec les Romains, si on peut parler d’une victoire.
Le plan annoncé à Genève est loin d’être parfait, mais je n’ai toujours pas entendu une autre solution un tant soit peu réaliste qui donnerait de meilleurs résultats. Si nous pouvions assurer une surveillance sur le terrain, ce serait idéal. Nous aimerions beaucoup avoir une surveillance sur le terrain. Mais la plupart des pays avec lesquels nous parlons et à qui nous demandons s’ils iraient pour assurer la surveillance répondent rapidement : « sûrement pas ».
Comme le confirmeront mes collègues du Groupe international de soutien pour la Syrie, nous nous sommes réunis hier. Nous étions quasiment unanimes dans cette salle à penser que ce processus, le cessez-le-feu, aussi difficile soit-il, nous offre la meilleure chance de porter secours aux Syriens. Mais voilà le coeur du problème. Depuis des jours, nous disons qu’il faut maintenant prendre des mesures importantes et immédiates pour essayer de remettre le processus sur les rails. Comment le relancer ? Comment remettre les choses sur les rails ? Comment rétablir l’idée d’un cessez-le-feu ? Comment pouvons-nous donner confiance dans ce processus aux gens qui l’ont vu s’effondrer à maintes reprises ? Il faut me croire, nombreux sont ceux qui pensent que cela ne peut pas se produire. Certains pensent que des acteurs principaux ne veulent pas que cela se fasse.Je pense donc que, pour redonner de la crédibilité à ce processus, nous devons aller de l’avant et essayer de maintenir immédiatement au sol tous les avions survolant ces zones clefs afin d’apaiser la situation et de donner la possibilité d’acheminer l’aide humanitaire sans entrave. Si cela se produit, il sera possible de redonner de la crédibilité à ce processus. À Genève, la Russie a raconté qu’Assad était disposé à respecter la cessation des hostilités et accepterait l’idée de ne pas survoler des zones convenues. Cependant, en raison de ce qui s’est passé ces derniers jours, nous n’avons d’autre choix, mes amis, que d’essayer de le faire plus rapidement, pas plus tard, pour nous employer immédiatement à rétablir la confiance et à démontrer la volonté d’appliquer un véritable cessez-le-feu maintenant.
L’avenir de la Syrie tient à un fil. J’exhorte le Conseil à ne pas renoncer mais à appuyer plutôt les mesures indiquées par les États-Unis et la Russie à Genève. Je lance un appel à toutes les parties en Syrie et à ceux qui les appuient. J’en appelle à tous les membres de l’opposition pour qu’ils coopèrent et relancent ce plan. Je demande à la communauté internationale d’appuyer les efforts de l’ONU pour ouvrir de véritables négociations à Genève sur une transition politique qui puisse ouvrir la seule voie durable vers la paix. J’exhorte l’ensemble de la communauté internationale à soutenir la meilleure chance que nous ayons eu jusque-là de faire reculer la violence, d’apporter une aide humanitaire et d’ouvrir la voie à des négociations.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Abdel Fattah Al Sisi, Président de l’Égypte.
Le Président Al Sisi (Égypte) (parle en arabe) : Pour commencer, je tiens à remercier M. John Key, Premier Ministre de la Nouvelle-Zélande, de son initiative respectable de convoquer la présente séance.Je présente également mes sincères condoléances à la mission des Nations Unies pour les victimes du convoi d’aide qui a été la cible d’un bombardement déplorable il y a deux jours. Les auteurs de cet acte doivent rendre compte de leurs actes.
Notre présence ici aujourd’hui ne vise pas à examiner l’ampleur de la tragédie que nous observons chaque jour en Syrie et qui fend le coeur de chacun d’entre nous. L’objectif est que nous assumions tous notre responsabilité en tant que membres du Conseil de sécurité, chargé d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationales, pour formuler un moyen pratique et immédiat de mettre fin à l’effusion de sang en Syrie et de surmonter cinq années d’incapacité de parvenir à une vision unie en vue d’une solution politique globale à la crise en Syrie qui délivre le peuple syrien frère de son calvaire prolongé.
Cinq années se sont écoulées et le sang continue de couler en Syrie, avec des centaines de milliers de Syriens tués et des millions d’autres réfugiés ou déplacés. Une solution politique n’est toujours pas en vue et la Syrie continue d’être la victime des visées de parties régionales et internationales qui entendent profiter de ses difficultés pour satisfaire leurs intérêts étroits, créant ainsi un terreau fertile pour un terrorisme pervers qui prive la Syrie de son avenir.
Qu’il me soit permis de dire franchement ce que je crois être les causes profondes du problème et les défauts intrinsèques des précédentes tentatives de contenir la crise. Il est impératif de procéder à une analyse honnête et critique du conflit syrien ces cinq dernières années si nous voulons aplanir nos divergences et aller de l’avant pour sauver la Syrie et son peuple. Je vais résumer mes observations en trois points.
Premièrement, toute analyse objective et juste des tentatives de régler le conflit syrien jusqu’ici nous amène à une conclusion : nous nous sommes préoccupés davantage des symptômes que des causes à l’origine du problème. Nous continuons de nous perdre dans les mêmes débats sur l’obtention d’accords intérimaires, de cessez-le-feu ou de cessation temporaires des hostilités afin de limiter les pertes en vies humaines et les destructions ou pour atténuer la catastrophe humanitaire qui en résulte, etc. Mais nous ne parvenons pas à nous attaquer au problème central, qui est l’absence d’une solution politique juste et globale qui réponde aux aspirations légitimes du peuple syrien.
Nous nous félicitons de l’accord sur la cessation des hostilités obtenu il y a quelques jours grâce aux efforts de la Russie et des États-Unis. Cette trêve a permis une baisse de la violence en dépit de quelques violations et du refus de plusieurs parties, appuyées de l’étranger, de prendre leurs responsabilités, s’entêtant ainsi à s’approprier l’avenir de la Syrie. Malgré toutes les violations, cet accord était indispensable pour faire reculer la violence. Mais un tel accord n’est pas suffisant en soi. Il doit être complété par une reprise immédiate des négociations politiques en vue de trouver une solution juste, définitive et globale à la crise syrienne. Je demande ici à l’Envoyé spécial pour la Syrie, Staffan de Mistura, d’inviter toutes les parties à la prochaine série de pourparlers et ce, le plus rapidement possible.
Deuxièmement, de toute évidence les grandes lignes d’une solution politique en Syrie s’imposent d’elles-mêmes. Toutefois, les transformer en mesures concrètes sur le terrain suppose de respecter les principes d’unité nationale et d’intégrité territoriale de la Syrie, et de préserver l’égalité de tous les citoyens syriens, toutes tendances politiques et origines sociales confondues, à la seule exception des organisations terroristes, qui n’ont pas leur place dans l’avenir auquel nous aspirons tous pour la Syrie. Le terrorisme n’a pas sa place en Syrie, tout comme les tentatives de « rebaptiser » les organisations terroristes. C’est pourquoi nous condamnons catégoriquement toute volonté de contourner les résolutions du Conseil de sécurité qui désignent ces groupes comme des organisations terroristes.
Troisièmement, il faut prendre conscience du fait que le temps nous est compté. Chaque jour qui passe sans que les plaies syriennes ne soient refermées est une chance de plus pour le terrorisme de gagner du terrain et pour le sectarisme de saper les fondements de l’État-nation en Syrie et au Levant. Je vais être franc. Quiconque pense qu’une solution militaire à la crise syrienne est possible se trompe. Quiconque pense que les organisations terroristes peuvent avoir un rôle dans l’avenir de la Syrie est plus que naïf.
L’expérience des réunions de Genève et de Vienne et des négociations sur la résolution 2254 (2015) du Conseil a prouvé au-delà de tout doute possible qu’il peut y avoir un terrain d’entente entre les grandes parties prenantes de la crise syrienne et que, pourvu que la volonté politique soit au rendez-vous, nous pouvons, en un temps record, avancer à grands pas vers un règlement politique.
L’Égypte, lorsqu’elle a accueilli une conférence ouverte à tous les différents groupes d’opposition syriens modérés en juin 2015, réunissant ainsi des Syriens de tous horizons politiques, sans ingérence étrangère, a montré que les parties pouvaient s’entendre sur des documents d’ensemble définissant une feuille de route pour une sortie à la crise actuelle en Syrie. Les documents issus de la conférence du Caire sont le fruit du travail des Syriens sans interférence non syrienne d’aucune sorte. Ils démontrent clairement qu’il est possible de trouver une solution syrienne à la crise. Les membres du Conseil auront certainement noté que ces documents ont été à la base de tous les efforts qui ont suivi, qu’ils soient syriens ou internationaux, en vue de trouver un règlement politique concret.
Le chemin est tout tracé. La cessation des hostilités doit se transformer en un cessez-le-feu général en Syrie, ce qui, en retour, permettra de garantir le libre passage de l’assistance humanitaire à l’intention des civils dans les zones assiégées et difficiles d’accès. Comme les membres du Conseil le savent, l’Égypte a réussi par deux fois à acheminer de l’aide humanitaire dans plus de cinq zones assiégées en Syrie, grâce à la communication ouverte que nous entretenons avec tous les divers acteurs et parties prenantes. Nous continuons de compter sur toutes les parties pour respecter l’accord de cessation des hostilités, premier pas indispensable pour atténuer la tragédie humanitaire et fournir une aide à ceux qui sont touchés par le conflit. Nous réaffirmons que nous sommes prêts à soutenir les efforts en ce sens par tous les moyens possibles. Toutefois, la reprise de négociations politiques sérieuses demeure une condition indispensable pour que la cessation des hostilités soit durable et l’accès humanitaire maintenu. L’histoire nous a montré qu’aucun accord de cessez-le-feu ne dure s’il n’y a pas de perspectives politiques de régler les causes profondes de la crise. Et la Syrie ne fait pas exception.
La solution en Syrie, telle que l’envisage l’Égypte, repose sur deux piliers. Premièrement, il faut préserver l’unité nationale et l’intégrité territoriale de l’État syrien et prévenir l’effondrement de ses institutions. Deuxièmement, il faut appuyer la volonté légitime du peuple syrien de rebâtir son État grâce à une solution politique acceptable par tous et dans laquelle toutes ses composantes se retrouvent. Pour cela, il faut mettre en place un climat propice à ces efforts de reconstruction. De ce point de vue, nous apprécions vivement les efforts de l’Envoyé spécial, Staffan de Mistura, et appuyons son travail en vue d’une reprise immédiate et sans délai des négociations politiques. Mais nous réaffirmons que pour qu’elles donnent des résultats, il importe que ces négociations rassemblent à la fois des représentants du Gouvernement syrien et des représentants de tous les groupes d’opposition, sans aucune discrimination à l’égard d’aucun groupe, conformément à la résolution 2254 (2015).
Nous n’avons plus de temps à perdre. Chaque jour qui passe est synonyme de davantage de sang versé et de souffrances qui se prolongent pour un nombre de Syriens toujours plus grand. L’Égypte demeure prête à parler avec toutes les parties à la crise syrienne et est déterminée à travailler avec ses partenaires de la région et de la communauté internationale pour appuyer de toutes les manières possibles une solution politique plus que nécessaire en Syrie. Nous avons la responsabilité collective de redonner espoir au peuple syrien. L’heure est venue pour nous de prendre nos responsabilités et de nous attaquer sans plus attendre aux causes profondes du problème.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Petro Poroshenko, Président de l’Ukraine.
Le Président Poroshenko (Ukraine) (parle en anglais) : Tout d’abord, je remercie le Premier Ministre Key d’avoir pris l’initiative de convoquer cette importante séance de haut niveau. Je félicite également la présidence néo-zélandaise pour le brio avec lequel elle a organisé les travaux du Conseil pour le mois en cours.
Le Conseil de sécurité a été créé il y a 71 ans et s’est vu confier la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il est censé mettre fin aux conflits en cours et prévenir ceux qui menacent. En 2000, à l’initiative de l’Ukraine, le Conseil a tenu la toute première réunion au sommet de son histoire (voir S/PV.4194) et adopté à cette occasion une résolution dans laquelle il s’engageait, entre autres :« à veiller au fonctionnement efficace du système de sécurité collective mis en place par la Charte » (résolution 1318 (2000), annexe). Ce sommet est devenu l’un des succès de l’ONU.Pourtant, les échecs tragiques ont été nombreux. Et l’un d’eux se déroule sous nos yeux, en Syrie, depuis plus de cinq ans. Le conflit dans ce pays est un drame pour des millions de personnes et un sérieux défi posé à la communauté internationale. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées et plus de 13 millions ont dû quitter leur foyer. Ces chiffres sont épouvantables, et encore plus si l’on pense à tous les drames personnels que cela représente.
Ce conflit, qui a déjà eu de nombreuses conséquences négatives graves - migration incontrôlée, escalade du terrorisme, expansion de l’État islamique et d’autres groupes extrémistes, pour n’en citer que quelques-unes – pose également d’autres risques non négligeables, notamment celui de déclencher une guerre communautaire généralisée dans la région. Nous croyons que le Gouvernement syrien est responsable de la situation actuelle du pays et des terribles souffrances que subit le peuple syrien.
C’est avec une grande consternation que nous avons appris, il y a à peine deux jours de cela, qu’une attaque barbare avait visé un convoi humanitaire à Alep. Ce crime s’est produit après que le régime syrien s’est retiré de manière unilatérale d’un cessez-le-feu vieux d’une semaine. C’est la preuve manifeste de la culture d’impunité qui a alimenté le conflit syrien. Cette absence choquante de reddition de compte est une tache sur ce Conseil.En même temps, c’est l’aide extérieure apportée au régime d’Assad, notamment par la Russie, qui a contribué de manière significative à ce statu quo désastreux et aux épisodes répétés de violence. Comme cela a été le cas en Ukraine, ces actions s’inscrivaient dans le cadre d’une politique délibérée, consistant d’abord à provoquer des hostilités et à exacerber la situation, puis à proposer ses services de médiation dans le processus de règlement. Entre-temps, cela permet de s’emparer de territoires et de renforcer sa position en vue d’imposer la solution qui vous convient. Cette stratégie est une stratégie que connaît bien mon pays, l’Ukraine, qui continue d’être pour la Russie un terrain d’essai pour des tactiques très similaires.L’ONU et le Conseil de sécurité n’ont pas réussi à rétablir la paix et la sécurité en Syrie. Cet échec sape la mission tout entière de l’ONU et remet en cause sa raison d’être. L’inaction du Conseil face à l’agression armée de la Russie contre l’Ukraine et à l’occupation de la Crimée a permis à Moscou d’utiliser cette péninsule comme un avant-poste militaire d’où la Russie projette sa puissance en Syrie. Tandis que la guerre dans ce pays continue de faire rage, les Russes y déploient un énorme matériel de guerre par l’intermédiaire de navires basés en Crimée occupée. Cela illustre encore une fois la nécessité urgente et critique de réformer le Conseil de sécurité, notamment pour ce qui est du droit de veto. Aucun veto ne devrait pouvoir bloquer l’action du Conseil lorsqu’il doit réagir à des atrocités de masse. Au vu de toutes les vies ainsi perdues ces dernières décennies, nous devons enfin lancer le processus consistant à éliminer cet obstacle afin que le Conseil de sécurité soit plus efficace.
Nous condamnons avec force l’utilisation d’armes chimiques et de barils d’explosifs, le recours à la torture et les autres crimes commis en Syrie, tout spécialement contre les civils. Encore une fois, ce sont des violations flagrantes du droit international. Nous exigeons que les responsables de ces crimes monstrueux soient traduits en justice. Les dernières conclusions du Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et de l’Organisation des Nations Unies doivent être dûment prises en compte par la communauté international. Par ailleurs, nous condamnons le refus de l’accès humanitaire aux personnes dans le besoin, le bombardement des convois d’aide et le siège de populations civiles. L’utilisation de ces tactiques comme armes de guerre constitue une violation grave du droit international humanitaire et doit cesser immédiatement.L’Ukraine réaffirme encore une fois la nécessité impérative de respecter intégralement les normes et principes fondamentaux du droit international en tout lieu, en tout temps et part tous. Le processus politique en Syrie doit avoir pour objectif de rétablir la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays et d’établir un organe de gouvernement provisoire crédible et inclusif doté de vastes pouvoirs exécutifs, et ce, dans le plein respect des principes de Genève du 30 juin 2012 et de la résolution 2254 (2015). Cela devrait être suivi de la rédaction d’une nouvelle Constitution et de la tenue d’élections.La première priorité du Conseil et de toutes les parties prenantes doit être une véritable transition politique. Les parties au conflit, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Syrie, devront prouver par des actes, et non par des paroles, qu’elles sont déterminées à honorer leurs obligations et à respecter les accords, y compris les plus récents. Nous sommes convaincus qu’il n’y a d’autre choix qu’une solution diplomatique et appelons la communauté internationale à consolider ses efforts pour mettre un terme à cette tragédie.Il y a 16 ans, dans la déclaration que j’ai évoquée au début de mon intervention, nos prédécesseurs s’étaient engagés « à améliorer l’efficacité de l’action de l’Organisation des Nations Unies face aux conflits » (résolution 1318 (2000), annexe, p.2). Cette fois-ci, nous n’avons pas le luxe d’échouer.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Macky Sall, Président de la République du Sénégal.
Le Président Sall (Sénégal) : Je tiens à remercier le Premier Ministre, M. Key, pour l’occasion opportune qu’il nous offre de tenir ce débat public de haut niveau sur la tragédie humaine qui frappe le peuple syrien. Je remercie le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon pour la présentation qu’il vient de faire, tout comme l’Envoyé spécial, M. Staffan de Mistura.
Quel que soit le point de vue que l’on peut avoir sur le conflit syrien, qui entre dans sa sixième année, une image s’impose à tous : celle d’un pays ravagé par la guerre, un pays en champ de ruines, une terre de feu, de larmes et de sang. La situation en Syrie est l’une des pires catastrophes humanitaires de notre temps. Plus de 300 000 morts ont laissé des familles disloquées, meurtries par le deuil et la souffrance, et le décompte macabre n’en finit pas. Combien d’orphelins, combien de veufs et de veuves, combien de personnes âgées abandonnées à leur triste sort, sans aucune assistance, combien de blessés, handicapés à vie, combien de réfugiés et de personnes déplacées ? Nul ne le sait en réalité.
Ce qui se passe en Syrie est insoutenable. Sous le fracas des bombes, réunion après réunion, négociation après négociation, résolution après résolution, des vies humaines sont anéanties, des maisons, des marchés, des écoles, des hôpitaux sont réduits à néant, en violation de toutes les règles du droit international humanitaire. En dépit des efforts louables des organismes humanitaires et des bonnes volontés, c’est tout un peuple qui agonise, tout un pays qui s’effondre avec son économie et surtout son héritage socioculturel multiséculaire. Et pour combien de temps encore ?
La cause qui nous réunit sous le toit des Nations Unies, celle de la paix, n’est pas seulement souhaitable, elle est nécessaire. Elle est obligatoire. Et cette paix est réalisable. Le prix de la paix n’est jamais plus élevé que le coût de la guerre. C’est ce qui fonde la foi du Sénégal qu’une solution négociée de la crise syrienne est encore possible. On l’a constaté récemment lorsqu’il y a eu le premier accord de cessez-le-feu, lorsque les Russes et les Américains ont pu arriver à un premier cessez-le-feu. Malheureusement, il a été vite violé. Mais c’est la preuve que, si les deux font encore les efforts qu’il faut, si chacun mesure le poids de ses responsabilités dans cette tragédie, je pense qu’ils pourront arriver à aider le Conseil de sécurité à assurer la mission qui est la sienne.
Un adage africain dit souvent que quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. Aujourd’hui, le Conseil a atteint ses limites objectives, parce qu’aucune résolution concrète ne peut être prise avec le droit de veto. C’est la raison pour laquelle la réforme du Conseil reste une exigence. Faudrait-il un veto contre le veto, lorsqu’il y a un risque de génocide ou de crimes contre l’humanité ? Peut-on laisser simplement un droit de veto empêcher l’humanité d’arrêter ce qui est en train de se passer sous nos yeux ? On voit les conséquences du mouvement des réfugiés syriens en Europe. Beaucoup de démocraties risquent de tomber sous l’effet de la poussée extrémiste. On voit les conséquences sur l’Afrique du Nord – puisque le terrorisme se déploie en Syrie et en Libye et atteint le Sahel et la Somalie. Doit-on attendre que le monde s’effondre sous cette tragédie syrienne pour agir ? Je pense qu’il est temps que le Conseil se donne les moyens, vraiment, d’exercer les missions qui sont les siennes, afin que ce conflit puisse prendre fin.
Le Sénégal appuie le Groupe international de soutien pour la Syrie pour qu’il poursuive tous les efforts nécessaires en vue de parvenir à une trêve effective et durable sur l’ensemble du territoire syrien, pour permettre l’acheminement sans entrave des secours humanitaires. Nous soutenons également la mise en place d’un centre de commandement commun pour le partage de l’information et une meilleure coordination de la lutte contre le terrorisme. Je salue les propositions de l’Égypte, parce qu’elles pourraient beaucoup aider, ainsi que les pays qui entourent la Syrie dans la recherche de solutions pacifiques. Le Sénégal souhaite l’adoption d’une stratégie commune, globale et cohérente pour que les terroristes défaits et chassés de la Syrie ne se replient pas ailleurs, en Afrique du Nord en particulier, et dans la zone sahélo-saharienne.
En même temps, il faudrait bien faire la paix entre toutes les parties syriennes intéressées de bonne foi par une issue politique à la crise. Cette paix est possible parce que la guerre ne peut être le destin de tout un peuple. Voilà ce que je voulais dire, en souhaitant vraiment, encore une fois, un sursaut, surtout dans le dialogue russo-américain, parce que, en vérité, la paix passera par un accord sérieux entre ces deux grands. Nous devons méditer enfin la sagesse d’un grand homme du XXe siècle. John Fitzgerald Kennedy, ici-même, dans cette Organisation, a livré il y a 53 ans les propos que je cite : « L’humanité doit mettre fin à la guerre ou la guerre mettra fin à l’humanité » (A/PV.1013, par. 40). Faisons donc le bon choix et prenons la bonne décision.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Shinzo Abe, Premier Ministre du Japon.
M. Abe (Japon) (parle en japonais ; texte anglais fourni par la délégation) : Notre ordre du jour aujourd’hui, la situation en Syrie, est une question urgente. Cette crise internationale persistante exige que le Conseil de sécurité fasse montre de solidarité. En débattant de la Syrie lors du Sommet du Groupe des Sept (G7) d’Ise-Shima cette année, nous avons confirmé l’importance de la coopération entre les membres de ce groupe. Aujourd’hui, je voudrais renouveler notre engagement devant le Conseil de sécurité.
Nous regrettons profondément le fait que la cessation des hostilités sur l’ensemble du territoire syrien, basée sur l’accord conclu entre les États-Unis et la Fédération de Russie, soit menacée. Le Groupe international de soutien pour la Syrie s’est réuni hier et a réaffirmé sa volonté de faire en sorte que la communauté internationale tout entière appuie cet accord. Le Japon s’associe à cet engagement. Le Conseil de sécurité doit promouvoir avec force la transition vers un processus politique qui mette fin à la violence et qui améliore l’accès humanitaire, sous la direction de l’Envoyé spécial, M. Staffan de Mistura.
Le Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et de l’Organisation des Nations Unies a identifié le mois dernier les responsables de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Ce mois-ci, il a été rapporté que des attaques au gaz de chlore avaient été perpétrées en Syrie. L’emploi d’armes chimiques est absolument inacceptable, quelles que soient les circonstances. Le Conseil de sécurité doit s’unir pour faire en sorte que les responsables répondent de leurs actes et soient traduits en justice. En tant que membre du Conseil de sécurité et du Groupe international de soutien pour la Syrie, le Japon appelle la communauté internationale et toutes les parties prenantes concernées à respecter intégralement les résolutions du Conseil de sécurité portant sur la Syrie.
En collaboration avec l’ONU et d’autres organisations internationales, le Japon a apporté une assistance non militaire et a contribué à créer un environnement aussi propice que possible à un règlement politique de la crise syrienne. Il a appuyé les efforts visant à mettre en place des sociétés résilientes face à l’extrémisme violent, en associant une assistance humanitaire urgente à une assistance au développement pour le peuple syrien et les pays voisins. Cet appui est axé sur trois domaines.
Premièrement, le Japon a fourni une assistance à tous les Syriens à l’intérieur comme à l’extérieur de la Syrie. Deuxièmement, il a apporté son appui aux programmes de formation professionnelle et de renforcement des capacités à l’intention des femmes. Troisièmement, il a contribué à atténuer la charge supportée par les pays voisins afin d’étayer la stabilité régionale. Il est particulièrement important de renforcer les efforts visant à édifier des sociétés résilientes face à l’extrémisme violent. En collaboration avec l’ONU, le Japon a soutenu les territoires qui ont été libérés de l’extrémisme violent, dans le but de promouvoir la stabilisation. Nous avons apporté une assistance aux personnes en marge de la société qui n’avaient reçu aucune aide, même la plus basique.
À titre d’exemple, le Japon a collaboré avec le Programme des Nations Unies pour le développement à la mise en oeuvre du Projet d’urgence en faveur de l’emploi dans le nord de la Jordanie, où le taux de chômage a augmenté sur fond d’afflux de réfugiés syriens. Ce projet a appuyé les efforts de recherche d’emploi et de création d’entreprise de plus de 1 000 jeunes. Nadia, une Jordanienne, se souvient : « Je ne peux pas oublier le moment où j’ai appris par téléphone que ma candidature à ce projet avait été acceptée ». Nadia, qui a trois enfants, a acquis les connaissances nécessaires pour lancer son entreprise et a décidé d’ouvrir un magasin d’ustensiles de cuisine. Nous pensons que promouvoir la participation sociale des femmes et développer l’implication des jeunes est un moyen efficace de créer des sociétés résilientes et tolérantes et de prévenir l’extrémisme violent.
C’est fort de cette conviction que le Japon a accordé plus de 1,26 milliard de dollars à la Syrie, à l’Iraq et aux pays voisins entre 2011 et 2015. En outre, mon pays consacre cette année une assistance de 1,13 milliard de dollars à la Syrie, à l’Iraq et aux pays voisins. Il s’attache en particulier à fournir une aide humanitaire, par l’apport notamment de nourriture, d’eau et de vaccins, et une assistance au développement économique et à la stabilité sociale, en particulier par le biais de l’éducation et de la formation professionnelle, en collaboration avec l’ONU et d’autres organisations internationales.
Néanmoins, la réussite des efforts déployés par le Japon dépendra de la manière dont nous parviendrons à régler la crise syrienne actuelle. Le Japon réaffirme sa détermination, en tant que membre du Conseil de sécurité, à oeuvrer à cette question de manière responsable parce que, d’abord et avant tout, un cessez-le-feu est impératif. Une fois encore, le Japon continuera de travailler sur cette question.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Ahmad Zahid Hamidi, Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires intérieures de la Malaisie.
M. Hamidi (Malaisie) (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir convoqué la présente séance et de présider le Conseil de sécurité aujourd’hui. La Malaisie estime que cette séance est particulièrement opportune et importante, au regard des derniers faits nouveaux survenus en Syrie.
Je saisis cette occasion pour remercier officiellement, au nom de ma délégation, la Nouvelle-Zélande de la fermeté et la détermination dont elle a fait preuve aux côtés de l’Égypte et de l’Espagne, en particulier dans le cadre des efforts déployés par le Conseil pour traiter la dimension humanitaire du conflit syrien.
Ma délégation voudrait exprimer à l’ONU sa profonde reconnaissance et lui dire tout son respect pour les efforts inlassables qu’elle consent en tant que fer de lance de la réponse internationale à la crise syrienne. À cet égard, je remercie le Secrétaire général et son Envoyé spécial, M. Staffan de Mistura, de leur présence et de leur participation aujourd’hui.La Malaisie est horrifiée et scandalisée par l’attaque lancée contre les convois humanitaires des Nations Unies, près d’Alep lundi soir. Nous condamnons fermement le meurtre de civils désarmés et de travailleurs humanitaires dans cette attaque, qui constitue une nouvelle violation flagrante du droit international par les parties au conflit, démontrant leur mépris absolu et le plus complet des valeurs de l’humanité.
La Malaisie reste solidaire des autres amis de la Syrie pour l’aider à alléger la situation de ses citoyens dans cette triste réalité. À cet égard, nous avons pris un certain nombre de mesures, notamment par le biais de modestes contributions directes, aussi bien financières qu’en nature, que nous octroyons aux Syriens dans le besoin, en particulier dans les zones frontalières. Nous nous étions également engagés à accueillir plusieurs milliers de Syriens fuyant la violence dans leur pays, et il m’est agréable d’informer le Conseil que c’est chose faite.
Le conflit sanglant qui n’en finit plus en Syrie continue de mettre à rude épreuve la capacité du Conseil de s’unir autour d’une stratégie commune pour trouver une solution politique crédible et durable à la crise. Depuis 2011, le conflit s’est métastasé, engendrant une crise humanitaire aux proportions énormes que nous avons tous du mal à maîtriser et créant un terreau fertile à la tumeur cancéreuse du terrorisme, avec notamment la montée de Daech, dont les actes odieux et les atrocités barbares se répercutent aux quatre coins du monde.
Dans ce contexte, le Conseil doit rester ferme et continuer à rechercher l’unité et la cohérence tant dans l’objectif poursuivi que dans l’action menée afin de
s’acquitter efficacement de la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales que lui confie la Charte. Prenant acte des divers formats utilisés pour trouver une solution au conflit syrien, je tiens à souligner que le Conseil ne doit jamais être mis à l’écart et a un rôle central à jouer.
À ce stade critique, malgré quelques revers très médiatisés ces derniers jours, l’ensemble d’accords conclu entre la Russie et les États-Unis le 9 septembre représente le dernier effort concret pour d’abord mettre fin à la violence, puis jeter les bases d’un processus politique crédible et sans exclusive sur l’avenir de la Syrie.
Nous avons également écouté très attentivement les vues du Secrétaire général et de l’Envoyé spécial, M. de Mistura, concernant un éventuel accord de partage du pouvoir entre les parties au conflit. Nous comprenons que l’objectif principal de ces propositions est de mettre fin aux hostilités, objectif que nous appuyons fermement.
En sa qualité de membre du Conseil, la Malaisie apporte un soutien sans faille à la mise en oeuvre des décisions sur la Syrie, en particulier celles qui concernent la cessation de la violence et la situation humanitaire.
Une attention particulière doit être accordée à la protection des enfants, qui constituent le groupe le plus vulnérable dans les conflits violents. Nous avons été profondément choqués par le bombardement d’une maternité à Edleb, jetant au sol des bébés dans leurs couveuses. Nous avons vu avec effroi les images d’enfants asphyxiés, rendant leur dernier souffle après avoir été attaqués à l’arme chimique, et nous avons eu le coeur brisé en voyant Omran Daqneesh, âgé de 5 ans, couvert de poussière et de sang, assis tranquillement, seul et en état de choc, attendant dans une ambulance après avoir été retiré des décombres de sa maison familiale. Beaucoup d’autres, malheureusement, n’ont pas survécu.
Malgré les nombreux cas atroces d’enfants bombardés, gazés et affamés, les parties au conflit en Syrie semblent avoir délibérément abandonné toute raison et toute humanité, incapables de dire « trop, c’est trop » pour éviter de faire d’autres victimes, en particulier parmi les enfants. Nous demandons instamment aux parties au conflit de respecter le droit international humanitaire, notamment en garantissant le libre accès de l’aide humanitaire et la protection des civils, notamment les enfants et le personnel de secours ou de sauvetage, et celle des biens de caractère civil, comme les écoles et les hôpitaux.
Si le Communiqué de Genève de 2012 (S/2012/522, annexe) demeure pertinent, la Malaisie considère que le processus politique doit désormais avancer sur la base des dispositions de la résolution 2254 (2015), parallèlement à la mise en oeuvre de l’accord du 9 septembre conclu entre la Russie et les États-Unis. Nous demandons à tous les partenaires et parties prenantes d’appuyer la voie à suivre, comme l’a indiqué l’Envoyé spécial, M. de Mistura.Enfin, je tiens à souligner que la Malaisie demeure résolue à faire répondre de leurs actes les responsables des diverses violations et exactions commises durant le conflit en Syrie. Nous sommes prêts à coopérer avec tous les partenaires intéressés et appuierons les initiatives à cette fin.
Je voudrais également exprimer toute la reconnaissance de la Malaisie et son respect aux nombreux acteurs et organismes du système des Nations Unies et aux autres acteurs et organismes humanitaires, qui travaillent inlassablement sur le terrain pour apporter une lueur d’espoir et de dignité à un peuple déchiré par la guerre.
Nous ne pouvons jamais espérer rembourser une telle dette, mais il incombe à chacun d’entre nous de redoubler d’efforts en vue d’un règlement politique durable, afin que les armes se taisent et que la paix, la réconciliation et la reconstruction de la Syrie puissent bientôt s’implanter.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E.Mme Delcy Eloína Rodríguez Gómez, Ministre du pouvoir populaire pour les relations extérieures de la République bolivarienne du Venezuela.
Mme Rodríguez Gómez (République bolivarienne du Venezuela) (parle en espagnol) : Aujourd’hui, alors que nous célébrons la Journée internationale de la paix, c’est le moment idéal pour parler de la situation d’un pays frère, qui fait partie du Mouvement des pays non alignés, à savoir la République arabe syrienne.
Le 3 septembre, il y a quelques jours à peine, marquait le premier anniversaire de la diffusion d’une image qui a choqué la communauté internationale : le corps sans vie du petit Aylan Kurdi sur une plage en Turquie. Cette image, qui a profondément frappé les consciences, est le symbole de la tragédie humanitaire que connaît la Syrie : 300 000 morts, 6,6 millions de personnes déplacées, 13,5 millions de personnes dans des situations d’urgence humanitaire et 4,8 millions de réfugiés. La communauté internationale – et nous regrettons vivement d’avoir à le dire – a pris l’habitude de tels chiffres comme s’ils étaient normaux et faisaient partie de la vie quotidienne. Nous avons perdu de vue la dimension humanitaire de ce qui se passe réellement en Syrie. Et à la question de savoir comment nous sommes arrivés là, la réponse est que cela ne s’est pas fait spontanément, ni par la volonté divine. Cela est dû à un ensemble d’agissements des puissances internationales, qui, au mépris du droit international, ont violé la souveraineté et l’indépendance d’un pays – la Syrie –, ont violé les buts et principes fondamentaux énoncés dans la Charte des Nations Unies et ont voulu renverser un gouvernement légitime, en faisant fi de la volonté du peuple syrien.
On n’en est pas arrivé là par hasard. Nous avons entendu dire que des armes chimiques ont été utilisées. Il faut établir la vérité, parce que malheureusement, la communauté internationale a également été victime de mensonges impériaux. Ou peut-être avons-nous oublié le cas de l’Iraq, où l’existence présumée et prétendue d’armes de destruction massive a été à l’origine d’une intervention militaire dans ce pays du Moyen-Orient ? Ce n’était pas pour y apporter le bonheur, ni le progrès, ni le développement, mais pour semer la mort, la violence et la destruction, et dans le seul but de mettre la main sur les ressources naturelles énergétiques de ce pays, un autre pays frère, membre du Mouvement des pays non alignés.
La communauté internationale ne peut pas continuer à tolérer les mensonges colportés par les centres de pouvoir par l’intermédiaire des entreprises transnationales de communication. Je viens d’entendre dire, ici même, que les citoyens sont fatigués de leurs gouvernements. Non, nous les citoyens, ne sommes pas fatigués des gouvernements. Nous sommes fatigués des puissances qui cherchent à dominer le monde ; c’est de cela dont nous sommes fatigués. Nous sommes fatigués de l’absence de réglementation et de normes, parce que nos gouvernements respectent le tissu multilatéral qu’est le système des Nations Unies et les traités internationaux.
Il y a quelques jours, le samedi 17 septembre, quand nous étions réunis sur l’île de Margarita à l’occasion du sommet historique du Mouvement des pays non alignés, nous avons appris, avec stupeur et chagrin, que les États-Unis avaient mené une attaque contre l’armée d’un pays frère, la Syrie. Cet incident a facilité l’avancée des groupes terroristes sur le terrain. Jusqu’à quand ces erreurs seront-elles commises ? Il est très facile de dire par la suite que des erreurs ont été commises, mais ces erreurs coûtent la vie à des milliers d’êtres humains. Nous ne pouvons pas rester insensibles à cette situation et nous ne pouvons pas continuer comme si de rien n’était quand nous entendons dire : « Nous avons fait une erreur ». Les erreurs supposent des responsabilités ; il y a des personnes qui en sont responsables. Et c’est cet appel que nous lançons ici au Conseil de sécurité, comme nous l’avons toujours fait.
Quand nous voyons des groupes terroristes qui cherchent à se substituer à des gouvernements légitimes, qui cherchent à porter préjudice au peuple et à faire fi de sa volonté, nous nous demandons, au sein de cet organe à qui revient la responsabilité de la paix et la sécurité internationales, qui appuie ces groupes terroristes, qui les approvisionne en armes et qui leur fournit un financement et un appui logistique ? Ce sont des vérités qu’on ne peut pas dissimuler. Ou faudra-t-il attendre 10 ans pour que la vérité soit connue ?
On ne peut continuer à mentir au monde d’une façon aussi éhontée et immorale. Évidemment, en République bolivarienne du Venezuela, qui prévoit dans sa Constitution que le développement et la paix ne sont pas seulement un principe et un objectif, mais également un droit, nous plaidons en faveur du droit à la paix et au développement du peuple syrien et tout particulièrement, nous demandons que soit préservé son droit d’avoir une patrie. À cet égard, nous nous joignons à tous les efforts en faveur d’un règlement pacifique et politique, mais surtout en faveur du respect des institutions de la République arabe syrienne et du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de ce pays frère.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole au Ministre des affaires étrangères de l’Uruguay, S. E. M. Rodolfo Nin Novoa.
M. Nin Novoa (Uruguay) (parle en espagnol) : Tout d’abord, je tiens à remercier la présidence néo-zélandaise d’avoir convoqué cette séance d’information de haut niveau pour examiner les défis découlant de l’une des plus graves menaces à la paix et à la sécurité internationales, à savoir le conflit en cours en Syrie, dont nous avons suivi l’évolution avec beaucoup d’attention depuis le début. L’Uruguay se réjouit tout particulièrement de la tenue de cette réunion, car nous sommes convaincus que le Conseil de sécurité peut faire bien davantage pour mobiliser la volonté politique nécessaire pour trouver des solutions négociées et à long terme dans l’intérêt du peuple syrien.
Le Conseil de sécurité tient des débats trimestriels pour discuter de la situation au Moyen-Orient. À chaque fois, tous les membres du Conseil insistent avec emphase sur l’urgence de trouver des solutions pour régler cette crise. Lors de ces débats publics, mon pays a souligné la gravité de la crise humanitaire que connaît le peuple syrien, a insisté sur la nécessité d’avancer vers des solutions politiques durables et a convenu de la nécessité de prendre des mesures à cet égard. Cependant, aujourd’hui, nous nous réunissons de nouveau pour discuter de ce que nous devons ou pouvons faire d’autre.
Nous notons avec consternation qu’en dépit des efforts déployés au niveau international, nous n’avons pas pu trouver des solutions efficaces permettant de mettre fin à ce conflit. Nous n’avons pas pu surmonter les obstacles qui se dressent sur la voie d’une paix durable, ni mettre fin aux souffrances de millions de personnes. Après 5 ans de conflit, nous continuons de constater que des personnes innocentes perdent la vie par milliers, nous avons constaté la violation de tous les droits fondamentaux de la population civile, nous avons été témoins de l’utilisation de tactiques de guerre telles que la faim, nous avons exigé la levée des obstacles à la fourniture de l’aide humanitaire à ceux qui en ont le plus besoin et nous avons assisté à des attaques aveugles contre des cibles civiles, y compris les hôpitaux et les écoles.
Ceux qui ont pu fuir ne peuvent pas regagner leurs foyers. Leurs vies ont été détruites, leurs familles ont été séparées et leur avenir est compromis. Ils ne savent rien des intérêts économiques, politiques ou stratégiques. Ils veulent des solutions, des actes, des mesures et des engagements politiques fermes.
C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui, pour nous acquitter de la responsabilité qui a été confiée au Conseil de sécurité. Le peuple syrien attend une réponse urgente de nous tous qui sommes réunis ici. Voilà pourquoi nous devons renouveler notre engagement, mettre de côté nos différences et nous engager en faveur de solutions négociées permettant de régler la crise actuelle. Le dialogue exige que toutes les parties prenantes respectent leurs obligations en matière de droit international, notamment le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme. Il faut impérativement respecter les dispositions des résolutions du Conseil de sécurité.
Il y a un peu plus de quatre mois, la résolution 2286 (2016) sur la protection des hôpitaux et du personnel humanitaire en situation de conflit armé a été adoptée dans cette même salle. Cependant, malgré le fait que cette résolution avait été parrainée par plus de 80 États Membres, les hôpitaux continuent d’être bombardés. Aucune erreur ne peut justifier de tels actes alors que les plus vulnérables continuent d’être pris pour cible.Aujourd’hui comme toujours, nous condamnons l’utilisation croissante d’armes chimiques contre la population civile, en tant qu’elle constitue une des violations les plus flagrantes du droit international humanitaire, et nous rejetons l’utilisation de barils d’explosifs qui causent des dommages disproportionnés à la population locale et dont les auteurs sont identifiés par le Mécanisme d’enquête conjoint. Dans ce contexte, mon pays, l’Uruguay, réitère sa condamnation énergique des groupes terroristes qui opèrent dans la région, car il est convaincu qu’aucun argument politique, idéologique, philosophique, religieux, ethnique, racial ou de toute autre nature ne justifie de tels actes. De même, nous sommes préoccupés par l’impact de plus en plus déstabilisateur de ces groupes dans le contexte du conflit en Syrie, car leurs activités écartent la possibilité d’un règlement durable du conflit.
C’est pourquoi nous estimons qu’outre les efforts politiques déployés dans le contexte du conflit syrien, il est fondamental de renouveler l’engagement à mettre en oeuvre des mesures efficaces pour lutter contre le financement des groupes terroristes, sur la base d’une approche intégrée à long terme. De même, il faut accentuer les efforts pour lutter contre le trafic d’armes et réglementer le commerce des armes et veiller à la mise en oeuvre effective du Traité sur le commerce des armes. Cette décision exige l’engagement de tous les États de la communauté internationale, et nous les y incitons modestement.
Nous estimons qu’il faut continuer d’appuyer l’action et les efforts de l’Envoyé spécial du Secrétaire général, Staffan de Mistura. Il est essentiel de relancer le dialogue entre les parties pour parvenir sans plus attendre à un règlement politique, pacifique et dirigé par les Syriens qui n’aura d’autre but que de défendre leurs intérêts. L’Uruguay souligne à quel point il est importe que l’ONU appuie ce processus, tout comme les acteurs clefs du conflit.
À cet égard, nous sommes profondément préoccupés par la fragilité des récents accords visant à garantir le respect du cessez-le-feu. Si celui-ci n’est pas scrupuleusement respecté par toutes les parties, un règlement politique à long terme garantissant la paix au peuple syrien ne sera pas viable. De même, l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire est fondamental et les garanties de livraison sont directement liées au cessez-le-feu susmentionné. Il ne peut y avoir d’action humanitaire si le feu ne cesse pas. Nous ne devons pas oublier que l’engagement en faveur de la paix et de la sécurité pour la région et le peuple syrien est l’engagement de tous.
Les images puissantes qui nous rappellent sans cesse l’horreur de ce conflit nous rappellent également le rôle primordial que doit jouer l’Organisation et ce que nous devons faire. La balle est dans notre camp, et nous pouvons et devons faire plus.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Jean-Marc Ayrault, Ministre des affaires étrangères et du développement international de la France.
M. Ayrault (France) : Alors que la Syrie connaît depuis cinq ans une situation tragique, alors que chaque jour qui passe enfonce un peu plus ce pays dans le chaos et sa population dans l’horreur, il est plus urgent que jamais d’agir ensemble pour tenter de mettre un terme à ce conflit. C’est notre responsabilité collective. Les peuples du monde nous regardent. Ils nous jugeront sévèrement si nous ne sommes pas à la hauteur de la mission que la Charte des Nations Unies confie au Conseil de sécurité.
Un accord a été signé la semaine dernière par les États-Unis et la Russie. La France l’a salué car il répondait à une urgence, celle d’épargner des vies humaines. Les populations civiles paient depuis cinq ans le plus lourd tribut à cette guerre effroyable. Alep, ville martyre, symbolise l’horreur de cette guerre. Il faut que cessent les combats, que l’aide humanitaire arrive, qu’une dynamique de paix s’enclenche en vue d’une solution politique, de la reconstruction du pays et du retour des réfugiés, qui sont partis par millions.
Mais c’est difficile, nous le savons tous ici autour de la table du Conseil de sécurité, et les derniers événements l’ont malheureusement démontré. Encore une fois, la logique de la violence a repris le dessus ; encore une fois, la trêve a volé en éclats ; encore une fois, le régime syrien s’est entêté dans sa fuite en avant militaire, et pourtant l’option militaire est vouée à l’échec. Mais il faut se demander si l’objectif inavoué n’est pas, après tout, de faire tomber Alep, et d’aboutir à une partition de fait de la Syrie et à un contrôle sur la Syrie utile.
Ce cycle infernal a assez duré, il n’a que trop duré. Car dans ce conflit où les incertitudes s’additionnent, une chose est sûre : après cinq ans d’une guerre qui a fait plus de 300 000 morts et des millions de déplacés, il est évident que personne ne pourra l’emporter militairement. Personne. Il n’y aura pas de vainqueur, sinon les organisations terroristes qui, elles, continueront à tirer profit du chaos généralisé s’il devait s’installer durablement. Si nous devons avoir une certitude sur ce conflit, c’est que son issue ne pourra être que politique.
Face au drame syrien, face au risque d’échec, l’heure n’est plus aux arrière-pensées, aux calculs à courte vue ou aux considérations tactiques, ou encore au double langage, ici, devant le Conseil de sécurité, et en dehors. Il faut d’abord garantir la pérennité de la cessation des hostilités. À cet égard, l’accord russo-américain est pour l’heure, je le répète, la seule proposition sur la table. Mais il faut être lucide : les nombreuses violations sur le terrain sont, dans leur immense majorité, le fait du régime et de ses alliés. L’odieux bombardement d’un convoi humanitaire à Alep, qui a été évoqué plusieurs fois ce matin, nous indigne, indigne l’opinion publique internationale ; c’est la triste illustration de cette spirale de la violence. S’y ajoutent les bombardements incessants sur les infrastructures médicales et les personnels de santé. Toute la vérité devra être faite sur ces drames comme sur leurs donneurs d’ordres, comme le Secrétaire général l’a rappelé tout à l’heure. Le devoir moral qui s’impose à nous tous est donc de joindre nos efforts pour que la cessation des hostilités soit respectée. Notre engagement collectif doit garantir une mise en oeuvre efficace, juste et pérenne de la trêve.
L’efficacité, j’insiste sur ce point, est nécessaire pour que les Syriens perçoivent les effets concrets de la cessation des hostilités. L’aide humanitaire doit donc être acheminée. Elle ne peut plus être sujette aux marchandages du régime. Tous les bombardements sur les civils et les groupes de l’opposition modérée doivent cesser. Une surveillance étroite est indispensable. L’expérience nous enseigne que le régime utilise les trêves appliquées localement pour concentrer son effort militaire sur d’autres fronts. Pourquoi, en conséquence, ne pas exiger du régime qu’il cantonne tous ses soldats puisque l’efficacité de la trêve en dépend ? En tout cas, je propose, au nom de la France, que le Conseil de sécurité y travaille concrètement.
La deuxième exigence c’est celle de la justice. Elle exige qu’aucun crime ne soit passé sous silence, même en contrepartie d’une trêve. Il a été prouvé que le régime a utilisé l’arme chimique, tout comme Daech. Les auteurs de ces crimes doivent être sanctionnés. Il n’y aura pas de paix durable en Syrie dans l’impunité. Il appartient donc au Conseil de sécurité d’agir sous Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour condamner ces attaques et sanctionner leurs auteurs. C’est un devoir moral, mais c’est aussi une obligation pour la communauté internationale, qui a voulu bannir pour toujours les armes chimiques.
Et puis troisième exigence, c’est celle de la pérennité. Cet accord, ce cessez-le-feu, il doit être durable, car il indispensable pour créer les conditions d’une paix future. Une nouvelle gouvernance doit ouvrir une perspective politique, créer un espoir collectif. C’est clair qu’on ne crée pas un nouvel espoir autour d’une figure qui divise les Syriens et qui incarne pour la plupart d’entre eux la mort et la destruction. La résolution 2254 (2015) que Staffan de Mistura a encore rappelée tout à l’heure, prévoit une feuille de route en vue d’une transition politique, et donc d’une dévolution du pouvoir.
Les États-Unis et la Russie ont naturellement une responsabilité particulière dans la mise en oeuvre de l’accord qu’ils ont négocié. Ils coprésident le Groupe international de soutien pour la Syrie (GISS). Mais la conviction de la France, je l’ai dit à la réunion du GISS, je l’ai dit à Sergey Lavrov, je l’ai dit à John Kerry, et je le redis devant le Conseil, c’est que seule une mobilisation collective permettra d’atteindre les objectifs que je viens d’évoquer. Chacun doit prendre ses responsabilités.
On voit bien que cette situation, cette méthode même a sa valeur mais a aussi ses limites, et donc la France est prête à prendre ses responsabilités. Elle est prête à les prendre dans le cadre d’un nouveau mécanisme de surveillance efficace et crédible qu’elle propose. Un tel mécanisme devra permettre de partager une évaluation commune des violations de la trêve et des obstacles à l’accès humanitaire, mais aussi d’en tirer les conséquences. Parce qu’il faut sortir d’une logique. C’est la logique des accusations mutuelles. Cette logique a précipité l’échec des accords précédents et elle n’a pas permis de créer un climat de confiance. Il y a trop de méfiance. J’en ai eu ce sentiment encore à la réunion du GISS hier matin. Donc il faut créer des conditions favorables pour avancer. J’ai donc fait cette proposition d’un nouveau mécanisme de surveillance. et j’ai fait distribuer ici à tous les membres du Conseil de sécurité ainsi qu’aux membres du GISS, le long papier que nous avons préparé pour le soumettre à la discussion.
Une fois la trêve effective et l’accès humanitaire assuré, ce qui est la priorité, les négociations en vue d’une véritable transition politique pourront, et devront, reprendre. Ses paramètres, nous les connaissons. Il s’agit du Communiqué de Genève de 2012 (S/2012/522, annexe) et de la résolution 2254 (2015), souvent évoqués par les intervenants précédents. Le Haut Comité des négociations a présenté des propositions. Il est prêt à jouer un rôle constructif pour une Syrie ouverte, démocratique et respectueuse de sa diversité. Qu’avons-nous vu du régime, sinon la propagande et les manoeuvres dilatoires ? Des propositions pour négocier ? Pour l’instant aucune. La charge de la preuve est de son côté et de celui de ses alliés.
Enfin, ce qui se joue en Syrie, c’est aussi une bataille capitale dans la lutte contre le terrorisme. Cette lutte n’a pas cessé, elle ne doit pas cesser. Elle doit se poursuivre. Elle doit se poursuivre contre Daech. Elle doit aussi se poursuivre contre tous les groupes qui défendent la même idéologie, la même violence – Daech, Al‑Qaida et donc El-Nosra, en Syrie. Et la France a d’ailleurs répété et incite à nouveau tous les groupes armés non djihadistes à se détourner de cette organisation terroriste et s’en éloigner très concrètement sur le terrain, et très vite.
Cette bataille commune, cette bataille, j’allais dire de la communauté internationale, contre le terrorisme, la France y prend sa part au sein de la coalition. Elle agit militairement contre Daech, elle est prête à s’engager contre tous les groupes terroristes que nous devons empêcher de tirer profit de la trêve pour se renforcer et prospérer. Mais, rien ne sera plus utile à la lutte contre Daech que notre mobilisation collective pour que la Syrie retrouve enfin la voie de la paix et de la stabilité. Si nous cédons à l’impuissance, à la fatalité, à la résignation, je crois que nous porterons une responsabilité qui sera lourde. Déjà, la presse dit que tout est fini. Que nous avons échoué. Qu’il n’y a même plus une seule chance, même la plus minime soit-elle, pour qu’un cessez-le-feu intervienne. Certains ont déjà fait le deuil définitif. C’est à nous, là, de faire la démonstration que ce n’est pas vrai, qu’il y a encore un espoir, que nous ne voulons pas être complices ni de la chute d’Alep, ville martyre, je le répète encore, ni du martyr du peuple syrien. En tous cas, La France ne s’y résignera pas. Mais j’ai entendu des interventions depuis ce matin qui m’encouragent aussi pour garder cet espoir.
Mais ce qu’il nous faut, c’est un sursaut de volonté, c’est un sursaut de responsabilité, c’est un sursaut d’unité pour mettre un terme à un conflit qui n’a que trop duré. En tous cas, c’est l’appel que je lance aujourd’hui devant le Conseil, au nom de la France.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. José Manuel Garcia Margallo, Ministre espagnol des affaires étrangères et de la coopération.
M. García Margallo (Espagne) (parle en espagnol) : Dans ma déclaration j’évoquerai les vues déjà exprimées concernant le conflit, la situation humanitaire, le du terrorisme, le processus politique et le rôle de l’ONU.
Pour ce qui est des vues déjà exprimées, nous sommes tous d’accord que, tout comme les autres conflits au Moyen-Orient, les causes profondes de ce conflit c’est l’absence de régimes politiques capables d’assurer la cohésion de sociétés intrinsèquement diverses. Par conséquent, comme vient de le dire le Ministre français des affaires étrangères, des solutions provisoires, temporaires ou partielles ne sont pas utiles. Il nous faut, bien au contraire, des solutions durables et stables qui abordent tous les problèmes. Je suis d’accord aussi qu’il n’y a pas de temps à perdre. Pour l’instant, nous disposons de deux actifs. Le premier, c’est un cadre politique pour traiter du conflit, à savoir le Conseil de sécurité et le Groupe international de soutien pour la Syrie, et le second, c’est une base juridique pour régler le problème, à savoir la résolution 2254 (2015), que nous sommes tous tenus de respecter. Il nous manque le courage et la volonté politique de garantir le respect de nos résolutions et de l’imagination pour envisager un processus politique qui mette fin définitivement au conflit.Le second point que je voudrais soulever a trait à la dimension humanitaire. Je n’évoquerai pas de nouveau les statistiques sur les terribles conséquences du conflit en Syrie. Nous les connaissons tous. Je ne parlerai pas non plus des conséquences du conflit pour les pays voisins, qui portent sur leurs épaules le lourd fardeau des réfugiés. Nous avons entendu parler de cela hier à la réunion à laquelle nous avons tous participé. Je ne parlerai pas non plus des conséquences pour l’Europe, ni de la montée du populisme et des mouvements xénophobes qui sont la conséquence de l’impact qu’ont les réfugiés sur nos pays. Mais, comme je l’ai dit, je voudrais parler de la situation humanitaire, Je ne vais pas reparler des conséquences qu’ont les violations du droit international humanitaire, qui est l’une des principales victimes du conflit. Nous parlons des attaques contre les civils. Nous parlons des attaques contre les établissements de santé. Nous parlons de l’utilisation d’armes interdites. Les conséquences de tout cela sont doubles. Il ne saurait y avoir d’impunité pour les auteurs de ces crimes.
Il y a quelque temps déjà, le Royaume d’Espagne a proposé la création d’une cour pénale internationale spécialisée dans les crimes de terrorisme qui intervienne là où ne peut le faire la Cour de La Haye et là où ne peuvent agir les tribunaux nationaux. L’Espagne, comme l’a rappelé notre collègue de la Malaisie, avec la Nouvelle-Zélande et avec l’Égypte, mène l’’action sur ce dossier humanitaire au sein du Conseil de sécurité parce que c’est un aspect auquel nous accordons une importance spéciale.
Sur le plan du terrorisme, l’Espagne possède une très longue expérience tant en matière de terrorisme intérieur que de terrorisme international. Les réflexions dont j’aimerais faire part au Conseil portent sur les trois volets de notre action : le volet international – en finir avec les plateformes et les mouvements qui exportent la terreur dans le reste du monde – et c’est pour cela qu’est en place la coalition internationale, dont nous sommes des membres actifs ; le volet national – en finir avec les mouvements de combattants étrangers qui vont et viennent de nos pays à la Syrie, en finir avec les flux monétaires et en finir avec le trafic d’armes ; le volet intérieur syrien, où il est urgent de séparer le bon grain de l’ivraie, de séparer les mouvements de l’opposition modérée des mouvements à l’évidence terroristes. Je pense en l’occurrence à Daech, sur lequel nous sommes d’accord et, fondamentalement, à El-Nosra ; mais il faut convaincre les 20 mouvements qui ont décidé qu’ils ne sont pas encore parties à ce conflit, qui ne sont ni d’un côté ni de l’autre – de part et d’autre –, et tirer les importantes conséquences qui s’imposent.
Concernant le processus politique auquel j’ai fait référence au début de ma déclaration, il ne pourra y avoir de paix durable en l’absence de dialogue et de réconciliation au sein de la société syrienne. Le constat initial – je crois que nous sommes tous d’accord – est qu’il n’y a pas de solution militaire. Aucune des parties ne peut gagner la guerre. L’absence de solution militaire signifie qu’il faut trouver une solution politique, une solution politique qui passe par le dialogue, mais pas le dialogue pour le dialogue : un dialogue permettant de parvenir à une véritable réconciliation nationale et, croyez-moi, les Espagnols en savent long sur le sujet. Mais pour que ce dialogue débouche sur cette réconciliation, un certain nombre de conditions, à mon sens, s’imposent.
Toutes les parties au conflit doivent savoir que la Syrie nouvelle ne sera pas exactement la Syrie pour laquelle ils ont tant lutté ou luttent encore, mais qu’elle sera une Syrie qui leur offre à tous un foyer commun au sein duquel ils puissent accueillir tous les acteurs de bonne volonté qui veulent vraiment la paix. Il est nécessaire, pour inspirer cette Syrie nouvelle, que soient réunies certaines conditions : en premier lieu, le retour des exilés, sans la collaboration desquels il ne saurait être possible de mettre en place cette Syrie nouvelle ; deuxièmement, éviter le démantèlement des institutions pour ne pas tomber dans l’écueil dans lequel nous sommes tombés en Iraq et dans lequel nous sommes tombés en Libye ; et troisièmement, savoir que la Syrie que nous voulons est une Syrie intégrée dans laquelle soit respecté le principe de l’intégrité territoriale – il n’est pas raisonnable ni tolérable que le conflit débouche sur une partition de la Syrie –, une Syrie plurielle, parce que plurielle est la société syrienne, et une société démocratique qui respecte les droits de l’homme.
Pour que cela soit possible, pour que s’engage le processus politique qui conduise à cette Syrie nouvelle, s’imposent, au préalable, quelques conditions sine qua non : garantir le cessez-le-feu – c’est notre responsabilité absolue à tous –, garantir l’accès de l’aide humanitaire aux personnes, aux populations, aux collectivités qui souffrent le plus, et faciliter le dialogue politique. Cette facilitation revient au Conseil de sécurité, au Groupe international de soutien pour la Syrie et, très spécifiquement, aux pays qui ont le plus d’influence sur les différentes parties au conflit. Nous savons que se déroule en Syrie une guerre intérieure, mais qu’existent aussi des acteurs extérieurs qui profitent du conflit, quand ils ne l’attisent pas.
Qu’il me soit permis de terminer sur une citation de Salvador de Madariaga, penseur espagnol qui, en 1951, à l’issue de la guerre civile espagnole, prononça cette phrase, adressée à l’opposition intérieure et à l’opposition extérieure. Salvador de Madariage, qui était d’ailleurs fonctionnaire dans cette maison, dit ainsi en s’adressant à cet auditoire – j’y insiste, les opposants de l’intérieur et les opposants du dehors :« Ceux d’entre nous qui ont autrefois choisi la liberté en perdant leur terre, et ceux qui ont choisi leur terre en perdant la liberté se sont désormais réunis pour tracer le chemin qui nous conduira tous à la terre et à la liberté ».
Ainsi soit-il.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole au Ministre des affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, S. E. M. Boris Johnson.
M. Johnson (Royaume-Uni) (parle en anglais) : Je voudrais dire à M. Kerry que je ne pense pas que, au niveau international, les gens soient le moins du monde dupes de ce qui se passe en Syrie. Ils savent qu’il ne s’agit pas juste d’une guerre civile, qu’il s’agit d’une guerre barbare par procuration, d’un conflit alimenté, nourri, armé, encouragé, prolongé et rendu plus hideux par les actions ou l’inaction de Gouvernements représentés dans cette salle. Ils attendent de nous – adultes, pères et mères de famille que nous sommes, qui connaissons le monde, qui avons des diplômes universitaires – que nous mettions de côté nos divergences et tout sentiment égoïste d’intérêt stratégique national pour penser d’abord au peuple syrien. Cela implique de reconnaître qu’il ne peut y avoir de processus politique tant qu’il n’y a pas de véritable cessez-le-feu, et qu’il ne peut y avoir de véritable cessez-le-feu tant qu’il n’y a pas d’accord politique véritable nous permettant d’opérer la transition à partir du Gouvernement d’Assad.
C’est le Gouvernement d’Assad qui est responsable de la grande majorité des 400 000 morts enregistrés en Syrie – et continue de bombarder ses propres concitoyens de barils d’explosifs –, ainsi que de ces deux incidents, notamment, répertoriés par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, dans lesquels des bombes au chlore ont été utilisées. Comment pouvons-nous rester les bras ballants tandis que l’on largue des bombes barbares au chlore, brûlantes et vésicantes, sur des innocents ? Quant au monstrueux bombardement des convois d’aide et de structures médicales auquel nous avons assisté il y a à peine plus d’un jour, il ne peut y avoir, comme M. Kerry l’a dit à juste titre, que deux coupables. J’espère réellement que l’on connaîtra bientôt la vérité sur ce qui s’est exactement produit.
Mais surtout, j’espère que, laissant de côté les récriminations, nous apprendrons que le tribunal de l’opinion publique ne continuera pas de tolérer cette boucherie. Je pense que le monde attend de nous que nous fassions davantage, maintenant, que nous contenter de marteler vainement les platitudes de la résolution 2254 (2015), et que nous la mettions effectivement à exécution en redémarrant ce processus de paix et ce dialogue à Genève. Je pense qu’il y a matière à faire fond sur la vision proposée pour l’avenir à la Syrie, d’après la formulation de la Commission des négociations, d’un pays ouvert, pluraliste et démocratique dans lequel soient respectées toutes les minorités. Et il y a place, comme le Président l’a dit à juste titre, à des compromis, et il ne faut pas qu’il y ait trop de lignes rouges. Mais, avant toute chose, nous devons utiliser cette occasion, et en particulier le débat général de l’Assemblée générale, pour maintenir quelque impulsion qui reste encore dans ce précieux mouvement en avant du processus Kerry-Lavrov. Une fois de plus, je rends hommage à la fois à M. Kerry et à M. Lavrov pour les efforts qu’ils ont déployés afin de mettre tout cela sur pied et de faire avancer les choses.
Nous pouvons y parvenir. Ceux qui sont présents dans cette salle peuvent y parvenir. Ils peuvent aider à mettre en place un cessez-le-feu ; ils l’ont déjà prouvé. Ils peuvent faire démarrer les pourparlers, et nous pouvons aborder ces questions dans un esprit de compromis. Mais nous ne pouvons pas avoir cet esprit de compromis, ces pourparlers ou ce cessez-le-feu sans la volonté – comme l’a dit le Ministre espagnol des affaires étrangères, M. García Margallo, l’a dit dans sa déclaration – et la bonne volonté des personnes présentes dans cette salle. Je considère que c’est possible et qu’un compromis peut être trouvé. Je pense que la situation est maintenant plutôt peu encourageante. Il faut l’admettre. Mais parfois, l’heure la plus sombre précède l’aube.Je souhaite vraiment que tout le monde réfléchisse aujourd’hui à ceci. Si, dans un an, nous sommes de nouveau réunis ici, en colère, et qu’il y a toujours des bombardements, des meurtres et des massacres en Syrie, alors, je crains que la responsabilité de cela ne revienne de manière écrasante à ceux qui sont largement représentés ici et, surtout, au régime d’Assad et à ses parrains.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Wang Yi, Ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine.
M. Wang Yi (Chine) (parle en chinois) : Je remercie la Nouvelle-Zélande d’avoir convoqué la présente réunion de haut niveau du Conseil de sécurité. Je vous sais gré également, Monsieur le Président, Premier Ministre de la Nouvelle-Zélande, d’être venu la présider.La paix est l’aspiration commune des populations dans le monde entier. Cette salle même incarne l’objectif de préserver les générations futures du fléau de la guerre. Le Conseil de sécurité assume la responsabilité de la paix et de la sécurité internationales. Le monde est aujourd’hui pacifique dans l’ensemble, mais nous assistons à une succession de troubles régionaux et de conflits locaux. Les questions de sécurité, classiques ou non, sont imbriquées, et la sécurité internationale est complexe.
Les troubles en Asie occidentale et en Afrique du Nord attisés par la question syrienne persistent depuis cinq ans, causant des souffrances aux pays et peuples de la région. Ils ont également eu de graves retombées sur la paix et la sécurité internationales. De nombreux innocents ont perdu la vie. De nombreuses maisons ont été détruites. Des conflits interminables sont apparus et se sont évanouis. Nous en avons tiré les enseignements suivants.
Premièrement, une solution politique demeure la seule issue. Lutter contre la violence par la violence ne fera qu’alimenter la haine. L’emploi de la force ne mettra pas fin aux conflits mais attisera les hostilités. Les parties prenantes au Moyen-Orient doivent poursuivre le dialogue et les négociations pour gommer les différences, prendre en compte les intérêts des différentes parties et rechercher les solutions les plus durables et les plus viables. La communauté internationale doit s’employer à obtenir un règlement politique avec détermination et patience, et laisser suffisamment de temps et de place à de tels efforts.
Deuxièmement, nous devons nous attaquer à la fois aux symptômes et aux causes profondes. Les tensions au Moyen-Orient sont complexes. De nombreux problèmes sont imbriqués et ne peuvent être réglés que par une approche à volets multiples. Il est essentiel d’améliorer les moyens de subsistance des gens, de promouvoir une culture de la tolérance et de favoriser l’harmonie pour lutter contre le chaos au Moyen-Orient. Ce sont également des moyens indispensables d’éviter de nouveaux troubles. Les pays doivent suivre la voie du développement en fonction de leur propre situation. À cet égard, il n’y a pas de réponse type, mais uniquement des solutions adaptées. Nous devons respecter les choix faits librement par les États eux-mêmes.
Troisièmement, nous devons encourager le multilatéralisme. Pour régler les problèmes en Syrie et ailleurs au Moyen-Orient, les populations des pays concernés doivent jouer le rôle principal, mais la communauté internationale doit également proposer une aide. L’ONU et le Conseil de sécurité doivent apporter leur contribution en tant que principaux intermédiaires tandis que les autres forces doivent agir de manière juste et équitable, en faisant plus pour faciliter leurs efforts, plutôt que de les entraver.S’agissant de la question syrienne, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en particulier la résolution 2254 (2015), doivent être appliquées effectivement. Nous nous souvenons que, dans cette même salle, les membres ont adopté à l’unanimité la résolution 2254 (2015), qui expose la direction générale à prendre pour régler la question syrienne et établit le principe d’un processus politique pris en main et conduit par les Syriens. Nous considérons qu’il faut nous employer à réaliser des progrès en parallèle concernant un cessez-le-feu, des négociations politiques et l’aide humanitaire et des efforts communs de lutte contre le terrorisme. Nous espérons que cette année pourra marquer un tournant en ce qui concerne la situation en Syrie.
Nous nous félicitons que la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique soient une nouvelle fois parvenus à un accord sur un cessez-le-feu en Syrie. Nous apprécions les efforts considérables qu’ils ont consentis à cette fin. Bien entendu, nous espérons que ce nouvel accord ouvrira de nouvelles perspectives concernant la situation sur le terrain, mais nous constatons qu’il y a des accrocs dans son application. La Chine déplore la frappe aérienne qui a touché les forces gouvernementales et les victimes qu’elle a faites. Nous considérons également que les récentes attaques ciblant un convoi humanitaire des Nations Unies sont inacceptables. Toutes les parties doivent renforcer la coordination et la coopération pour éviter que cela ne se produise à nouveau et assurer l’application intégrale et efficace de l’accord de cessez-le-feu obtenu de haute lutte. Cela contribuera à favoriser la mise en place des conditions nécessaires à des pourparlers de paix et à améliorer la situation humanitaire.
Les parties au conflit en Syrie ne doivent pas combattre pour une victoire sur le champ de bataille. Elles doivent régler leurs différends à la table des négociations. La Chine appelle à la reprise, sans tarder, des pourparlers de paix à Genève. Nous appelons toutes les parties à suivre le processus politique pris en main et conduit par les Syriens pour parvenir à des arrangements prenant en compte les intérêts de toutes les parties. Les forces extérieures ne doivent pas se servir du conflit pour atteindre leurs objectifs égoïstes. Elles doivent contribuer à la paix. Face à la gravité de la situation humanitaire, les différentes parties et factions en Syrie doivent ouvrir l’accès à l’aide humanitaire pour assurer son acheminement rapide. La communauté internationale doit continuer de tendre la main aux Syriens et de les aider en ces temps difficiles, et d’aider les pays voisins à bien accueillir les réfugiés.
La Chine continuera également de déployer ses propres efforts à cet égard. Hier et aujourd’hui, Li Keqiang, Premier Ministre du Conseil des affaires d’État de la République populaire de Chine, a présenté nos positions à plusieurs occasions. Il a également dévoilé notre nouveau programme d’aide humanitaire pour les réfugiés et les migrants.
Le chaos en Syrie a alimenté le terrorisme. Nous considérons que nous devons combattre avec fermeté toutes les forces terroristes, y compris l’État islamique. Nous devons renforcer la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme dans les trois domaines que sont le partage des renseignements, l’arrêt de l’utilisation des médias sociaux comme moyen de diffusion de l’idéologie extrémiste et le tarissement des sources de financement des terroristes.
La Chine est un ami sincère de toutes les parties au Moyen-Orient. Nous n’avons pas d’intérêts égoïstes dans la région. Les intérêts des populations du Moyen-Orient sont les nôtres. Leurs préoccupations sont celles de la Chine. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine continuera d’assumer ses responsabilités et de remplir son rôle comme il se doit pour assurer la paix et la sécurité au Moyen-Orient. Je considère que, grâce à des efforts conjoints, des épées nous forgerons des socs, et nous assurerons la paix.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole à S. E. M. Manuel Domingos Augusto, Secrétaire d’État aux relations extérieures de la République d’Angola.
M. Domingos Augusto (Angola) (parle en anglais) : Nous tenons tout d’abord à remercier la délégation néo-zélandaise d’avoir organisé la présente séance. Je saisis cette occasion pour féliciter la Nouvelle-Zélande des efforts qu’elle a déployés sous sa présidence du Conseil de sécurité afin de rapprocher les membres du Conseil sur des questions délicates et épineuses, notamment le conflit syrien. La séance d’aujourd’hui est une expression de ces efforts.À ce tournant décisif, il est essentiel que l’ensemble de la communauté internationale entreprenne des efforts avec diligence et de manière constructive, en tenant compte du fait que le peuple syrien continue de supporter les conséquences effarantes de cette terrible guerre. Malheureusement, divergences politiques et intérêts stratégiques continuent d’entraver les perspectives d’une négociation susceptible de mener à un règlement mettant fin au conflit et sauvant des millions de civils syriens de la violence, d’une catastrophe humanitaire et d’une crise des réfugiés sans précédent.
Nous avons accueilli avec optimisme l’annonce du récent accord sur la cessation des hostilités en Syrie, obtenu par les Gouvernements des États-Unis d’Amérique et de la Fédération de Russie, car c’est un pas déterminant vers la relance du dialogue politique, l’amélioration de la terrible situation humanitaire et une lutte plus efficace contre le fléau terroriste qui frappe le Moyen-Orient et au-delà. Ceux qui se livrent à la violence extrémiste et aux actes de terrorisme les plus odieux, Al‑Qaida, les Taliban, le Front el-Nosra, les Chabab, Boko Haram et l’État islamique d’Iraq et du Levant – aussi appelé Daech – vont gagner en puissance si les conflits prolongés, tel celui en Syrie, où les intérêts géopolitiques prennent le pas sur le bien-être des personnes, ne sont pas résolus.
Voilà plus de cinq ans que nous assistons à la destruction des écoles, des installations médicales et d’autres infrastructures civiles, notamment les réseaux de distribution d’électricité et d’eau, ainsi qu’à l’érosion du tissu social syrien en général. Malgré les efforts des agences humanitaires pour fournir une aide à ceux qui en ont besoin et le fait que la fourniture de l’aide humanitaire a été liée au lancement d’un processus politique digne de ce nom, et bien que de part et d’autre, le discours officiel prône la désescalade et la reprise des négociations politiques, dans les faits, les avancées militaires ayant une importance stratégique continuent de primer sur les négociations de paix.
Face à cette réalité, la population civile, en particulier la jeune génération, a été contrainte de fuir et est aujourd’hui marginalisée, désenchantée et en colère, ce qui fait le lit d’une idéologie reposant sur l’extrémisme et la haine et donnant un faux sentiment d’appartenance et de communauté de vues face à un mécontentement social et politique aussi profonds. Il est impératif que les parties régionales et internationales entretiennent la volonté politique qui a mené au cessez-le-feu et que l’accord obtenu tienne. L’heure est venue pour tous les acteurs concernés dans la région de redoubler d’efforts pour ramener les parties à la table de négociation afin qu’elles entament le lent et difficile processus devant mener à la fin des hostilités. Cette volonté permettra également l’acheminement libre et sans entrave de l’aide humanitaire et la reprise d’un dialogue national pour le règlement politique de ce conflit irrationnel, avec pour objectif d’arrêter définitivement les souffrances qu’endure le peuple syrien. Telle doit être notre priorité absolue.
Pour conclure, nous voudrions saluer l’engagement personnel du Secrétaire d’État américain, M. John Kerry, et du Ministre russe des affaires étrangères, M. Sergey Lavrov, pour obtenir l’accord de cessez-le-feu, de même que les efforts inlassables de l’Envoyé spécial de Mistura en vue de rapprocher les belligérants et de faire en sorte que les parties syriennes et les acteurs régionaux et internationaux oeuvrent tous dans le même sens afin de faciliter la reprise de pourparlers plus fructueux. Notre souhait le plus cher est que les membres du Conseil de sécurité, le Groupe international de soutien pour la Syrie et les autres acteurs régionaux prennent conscience des bienfaits à long terme qu’apporterait la fin du conflit et fassent pression, autant que nécessaire, en faveur de la reprise des négociations et d’une lutte plus efficace et plus unie contre la menace toujours plus grande que représente le terrorisme.
Les efforts déployés de concert par ces partenaires doivent viser avant tout à réduire de manière spectaculaire les flux d’armes vers la Syrie et à accroître la fourniture d’aide humanitaire. La priorité absolue doit être la fin du conflit et l’amélioration du sort des civils innocents pris au piège de cette guerre sanglante. Espérons que le présent débat, en plus de nos efforts collectifs, incitera la communauté internationale à faire plus et à se montrer plus énergique. Les conflits armés sont à l’origine de la montée du radicalisme et de l’idéologie extrémiste dans les zones touchées et partout dans le monde, et la nécessité d’y mettre fin s’impose donc avec une urgence nouvelle.
Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole au représentant de la République arabe syrienne.
M. Ja’afari (République arabe syrienne) (parle en arabe) : Avant toute chose, je tiens à indiquer au Conseil que, tandis que nous sommes réunis ici aujourd’hui pour discuter de la situation dans mon pays, des milliers de Syriens, d’Américains honnêtes et de personnes d’autres pays sont actuellement en train de manifester sur la 47e rue, face au Secrétariat, pour demander aux membres du Conseil d’arrêter les bombardements et l’ingérence en Syrie et d’arrêter de soutenir les groupes terroristes. Des manifestations du même genre ont également lieu dans d’autres villes des États-Unis, notamment en Californie.
Cette séance importante sur mon pays, la Syrie, se tient à un moment grave, alors que nous assistons à des violations qui contredisent les signes prometteurs de la semaine dernière. C’est principalement dû au fait que les États-Unis n’ont pas respecté l’accord conclu avec la Fédération de Russie le 9 septembre à Genève, mais aussi à l’absence de volonté de forcer les groupes armés appuyés par la prétendue « coalition internationale » à se conformer à l’accord de Genève. Je me dois de souligner que le terme « internationale » utilisé pour décrire cette coalition est trompeur. En effet, cette coalition s’est formée en dehors de toute légitimité internationale, sans l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité et sans aucune coordination avec la principale partie prenante, à savoir le Gouvernement de la République arabe syrienne. Elle nous rappelle d’autres coalitions aux effets ravageurs mentionnées aujourd’hui par beaucoup d’orateurs, des coalitions qui n’ont été synonymes que de catastrophes pour des pays comme l’Iraq, la Libye et le Yémen.
Lorsque l’Administration américaine a décidé unilatéralement d’intervenir dans mon pays au moyen de raids aériens, des responsables américains sont venus nous dire que Washington s’engageait à ce que les avions de guerre américains ne visent pas l’armée syrienne ni nos infrastructures vitales, mais seulement l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL). La Représentante permanente des États-Unis m’en a même personnellement donné l’assurance, au nom de son gouvernement. Tel était le message transmis par son gouvernement.
Deux ans après la formation de la coalition et le début des frappes aériennes, les responsables américains ont oublié leurs promesses et leurs engagements. Les avions de chasse américains bombardent les installations de l’armée syrienne ainsi que des infrastructures vitales, et des soldats américains sont aujourd’hui présents sur le territoire syrien. L’agression menée par l’armée américaine dans l’est de la Syrie, l’agression menée par l’armée turque dans le nord de la Syrie et l’agression menée par l’armée israélienne dans le sud de la Syrie signifient sans l’ombre d’un doute que la guerre par procuration s’est transformée en une guerre bien réelle, en une agression en bonne et due forme contre mon pays.
Mon pays se félicite des déclarations russo-américaines faites le 9 septembre après que les deux parties sont convenues de lutter contre les organisations terroristes telles que l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) et le Front el-Nosra, indépendamment des titres et des noms qu’elles se donnent. Et cet accord a été conclu avec la connaissance et le consentement du Gouvernement syrien. Toutefois, la communauté internationale, représentée par le Conseil, a subi un choc terrifiant face auquel elle est restée impuissante, incapable de formuler une condamnation ou à tout le moins d’exprimer son indignation. Ce choc a été l’ agression brutale et injustifiée lancée par des avions de combat américains, britanniques, australiens et danois contre des cibles de l’Armée arabe syrienne. Les unités de notre armée luttent contre l’organisation terroriste de l’ EIIL dans la région montagneuse de Tharda, à proximité de l’aéroport de Deir el-Zor. Ces unités défendaient des dizaines de milliers de civils syriens assiégés par l’ EIIL à Deir el-Zor.
Cette horrible attaque a fait de nombreuses victimes parmi les officiers et les soldats de l’Armée arabe syrienne – 83 martyrs et plus de 100 blessés. Ces raids aériens, qui ont duré 50 longues minutes et ont été précédés pendant deux jours par des vols de reconnaissance effectués par des drones, ont permis aux terroristes de l’EIIL de s’introduire dans le site militaire de l’ armée syrienne qui était délibérément ciblé avant que l’ armée syrienne ne soit en mesure d’en reprendre possession. Et comme si cela ne suffisait pas, nos soldats et les blessés ont été victimes d’une autre attaque aérienne par des drones alors qu’ils évacuaient leurs positions à Tharda où ils avaient été pris pour cibles.
Avant cette agression délibérée et inacceptable, mon pays cherchait, conformément à la déclaration du Groupe international de soutien pour la Syrie publiée lors d’une réunion tenue à Vienne le 14 novembre 2015, à établir des distinctions entre les groupes terroristes. C’est-à-dire que nous voulions déterminer qui étaient les groupes terroristes, qui ne l’étaient pas et qui pouvaient être considérés comme des groupes d’opposition. Toutefois, il semble que, pour certains, 10 mois n’ étaient pas suffisants pour régler ce mystère déroutant. Il semble que certains ont souffert d’une crise d’ Alzheimer alors qu’ils tentaient de résoudre ce mystère.
Dans le même ordre d’idées, Damas espérait que Washington honorerait ses engagements à cet égard en mettant fin aux politiques et aux pratiques de certains pays bien connus qui parrainent et soutiennent le terrorisme sur les plans politique, logistique, financier et idéologique par le biais des médias. Nous espérions que l’influx en Syrie de terroristes, d’armes et de financement en provenance des pays voisins cesserait, de même que l’utilisation du terrorisme comme instrument de chantage politique.
L’avion de reconnaissance, les satellites de surveillance et les services de renseignement américains n’ont pas fait la distinction entre l’EIIL et ceux qui luttent contre lui. La « coalition internationale » ne l’a pas fait non plus. Elle n’est pas étrangère à de tels échecs. Pendant des années, la coalition n’a pas réussi à détecter des milliers de combattants étrangers du monde entier qui se rendaient en Syrie et en Iraq, une question qui, heureusement, a été abordée par un intervenant au Conseil aujourd’hui. Elle n’a pas réussi à détecter des convois de véhicules armés et les milliers de terroristes de l’EIIL, qui sont allés d’Iraq à Palmyre, un long voyage de plus de 200 kilomètres dans le désert syrien. Elle n’a pas réussi à détecter des milliers de camions qui volent et trafiquent le pétrole syrien vers la Turquie afin de financer les attaques de l’EIIL. Elle n’a pas été en mesure non plus d’interrompre le financement d’organisations terroristes, alors qu’elle connaît très bien l’origine et la destination de chaque dollar qui atteint l’EIIL et le Front el-Nosra. Son seul succès a consisté à fabriquer de fausses accusations, des incidents inventés de toutes pièces, des rapports politisés et des vidéos éditées sur les souffrances des Syriens afin de diaboliser le Gouvernement syrien et ses alliés.
Il est tout à fait étonnant que le Secrétaire d’État des États-Unis ait permis d’utiliser le témoignage d’un témoin « oculaire » qui aurait remarqué des avions au-dessus du convoi humanitaire qui a été attaqué hier dans le nord de la Syrie. La déposition de ce témoin, qui est membre de l’opposition armée dite modérée, l’opposition syrienne, a suffi pour établir que les bombardements aériens de ce convoi humanitaire ont effectivement eu lieu et pour que M. Kerry en impute la faute aux Gouvernements syrien et russe. Ma question est la suivante : un individu dans une zone surpeuplée habitée par des milliers de personnes, peut-il, seul, remarquer des aéronefs, tandis que les milliers d’autres personnes qui vivent dans cette région n’ont vu aucune de ces frappes aériennes ? La question des témoins oculaires est risible, surtout lorsque nous nous rappelons que ceux qui accusent le Gouvernement syrien d’utiliser des armes chimiques s’en remettaient à un seul témoin oculaire qui aurait vu de la fumée orange. C’est ce que nous a dit l’opposition syrienne. Personne n’y était – ni l’armée turque, ni l’armée américaine ni les terroristes qui ont volé des hélicoptères syriens d’ où ils étaient stationnés à l’aéroport.
Pour rafraîchir la mémoire des membres du Conseil, je tiens à rappeler les erreurs commises par les responsables américains. Il semble que la partie américaine ne permette pas de tirer les enseignements de ses erreurs. Depuis la création de la soi-disant coalition internationale, les forces américaines ont fait plusieurs erreurs. Elles ont bombardé par erreur une école élémentaire pour les malvoyants dans la ville de Raqqa et ont procédé par erreur sur la ville d’Ain el-Arab, à des largages aérien d’aide qui comprenaient des armes et des roquettes qui sont tombées dans les mains des terroristes de l’EIIL. Elles ont tué des civils syriens près de la ville de Raqqa, tout en prétendant cibler une fabrique d’armes pour l’EIIL. La plus grave erreur a par la suite été commise par les forces françaises et américaines lorsqu’un raid aérien conjoint a entraîné la mort de plus de 200 civils près d’Alep, dans la ville de Manbij. Un membre du Conseil a déploré, il y a quelques minutes à peine, la situation qui règne à Alep. Nous rappelons que 200 civils ont été tués dans les environs de cette même ville lors d’une frappe aérienne conjointe menée par la coalition internationale.
Dans la dernière vague d’accusations mensongères lancées contre mon gouvernement figurait une allégation selon laquelle nous aurions pris pour cible un convoi humanitaire aux alentours d’Alep. Ces accusations participent d’une sale guerre de propagande lancée par des parties bien connues pour leur exploitation de la souffrance du peuple syrien, aux seules fins de marquer des points faciles dans la presse, de se livrer au chantage politique et d’aller dans le sens de leurs intérêts, au mépris du lourd tribut payé par le peuple syrien du fait de l’obstination de ces mêmes parties à rejeter toute solution qui ne correspond pas à leurs priorités et à prolonger la crise.
Mon pays, la Syrie, a mis en garde contre les tentatives déployées par certains acteurs régionaux pour compromettre l’accord entre les États-Unis et la Russie, dès qu’il a été annoncé et avant même son entrée en vigueur. Je voudrais appeler l’attention du Conseil sur les abominables attaques israéliennes contre le territoire syrien au cours des semaines écoulées, attaques qui se sont intensifiées depuis l’annonce de l’accord entre les États-Unis et la Russie visant à lutter contre le Front el-Nosra et d’autres organisations terroristes, comme la Brigade des martyrs de Yarmouk – et ce, dans un silence assourdissant du Département des opérations de maintien de la paix et du Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, alors même que nous avons envoyé des dizaines de lettres au Conseil concernant l’aide qu’Israël apporte aux terroristes du Front el-Nosra le long de la ligne de cessez-le-feu et le fait que ces mêmes terroristes sont soignés dans les hôpitaux israéliens.
Je voudrais également appeler l’attention du Conseil sur les opérations militaires illégitimes de la Turquie en territoire syrien, opérations qu’elle a lancées au prétexte de combattre l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) sans aucune coordination préalable avec le Gouvernement syrien et le commandement des opérations russes, et qui constituent un crime d’agression en vertu de la Charte des Nations Unies et du règlement intérieur provisoire du Conseil. Il s’agit d’une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Syrie. Cela s’inscrit en droite ligne des remarques faites par certains responsables turcs indiquant que leur gouvernement voulait acheminer une assistance humanitaire jusqu’à la ville d’Alep sans consulter le Gouvernement syrien ou les Nations Unies.Mon pays est prêt à reprendre le dialogue intra-syrien, sans conditions préalables et conformément aux décisions et aux accords initiaux qui ont permis l’ouverture de ce dialogue, afin de parvenir à un règlement politique décidé par les Syriens – et par les Syriens uniquement, sans intervention ou interférence étrangère, afin que les Syriens puissent décider de leur avenir et de leurs options, ce qui peut être réalisé par les dirigeants syriens, d’une manière qui garantisse la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie. La Syrie ne veut devenir ni une nouvelle Libye ni un nouvel Iraq ; nous n’y consentirons jamais.
À cet égard, nous réaffirmons que pour qu’un processus politique, quel qu’il soit, soit couronné de succès en Syrie, il faut la participation et la coopération du Gouvernement syrien, avec lequel la coordination doit être entière, car il est le principal interlocuteur. Aucune commission, réunion ou conférence organisée pour régler cette crise n’y parviendra tant que certaines parties internationales s’efforceront, de gré ou de force, d’exclure ou de marginaliser le Gouvernement syrien, de semer le doute sur sa coopération avec les Nations Unies ou d’affaiblir son succès à promouvoir et étayer la réconciliation nationale sur la base du désarmement volontaire des combattants étrangers, accompagné par la normalisation de leur statut, les grâces accordées et leur départ vers d’autres régions. Cela permettra à terme à la vie normale de reprendre ses droits dans les zones qu’ils quittent, et aux institutions publiques de restaurer les services qu’elles fournissaient auparavant.
J’ai une dernière question. Pouvons-nous permettre à des centaines de groupes armés et à des dizaines de milliers de terroristes de poursuivre leurs attaques terroristes contre mon gouvernement, mon armée et l’infrastructure syrienne, comme ils le font depuis plus de cinq années et demie ? Peuvent-ils continuer ainsi sans appui extérieur ? C’est une question légitime, et je crois qu’il faut en tenir compte. Nous ne devrions pas nous laisser convaincre indûment que la situation en Syrie est une guerre civile.
Le Président (parle en anglais) : La représentante des États-Unis a demandé la parole pour faire une déclaration supplémentaire.
Mme Sison (États-Unis d’Amérique) (parle en anglais) : Comme le Secrétaire d’État, M. Kerry, l’a mentionné au début de la présente séance, le sénateur Daniel Patrick Moynihan avait déclaré que « mes collègues ont le droit d’avoir leurs propres opinions mais les faits, eux, sont universels ». Qu’il nous suffise de ne pas oublier les faits, et de rappeler qui prolonge les souffrances du peuple syrien. La déclaration de l’orateur précédent était truffée de contrevérités et il ne me semble pas avoir besoin d’ajouter quoi que ce soit.
Le Président (parle en anglais) : J’informe les membres du Conseil que j’ai reçu du représentant de la Turquie une lettre dans laquelle il demande à être invité à participer au débat sur la question inscrite à l’ordre du jour du Conseil. Suivant la pratique établie, je propose, avec l’assentiment du Conseil, d’inviter le représentant de la Turquie à participer au débat sans droit de vote, conformément aux dispositions pertinentes de la Charte et à l’article 37 du règlement intérieur provisoire du Conseil.
En l’absence d’objection, il en est ainsi décidé.Je donne maintenant la parole au représentant de la Turquie.
M. Begeç (Turquie) (parle en anglais) : J’ai demandé la parole pour répondre à la déclaration qu’a faite le représentant de la Syrie.
La position turque concernant les aspects politiques, humanitaires et de sécurité du conflit syrien a été présentée hier auprès des États Membres de l’ONU, au plus haut niveau politique. Je n’ai rien à ajouter à cet égard, mais je tiens à souligner notre désarroi face à certaines portions de la déclaration prononcée par le représentant du régime. Cette déclaration contenait des faits dénaturés et des accusations sans fondement, dont certaines ont été portées contre la Turquie. Nous les rejetons dans leur intégralité.La présente séance, en revanche, a été extrêmement utile pour faciliter un échange de vues au niveau politique s’agissant des questions concernant la Syrie qui revêtent une importance et un intérêt mutuels. Toutefois, l’utilité de cette séance aurait pu être considérablement renforcée si la voix du véritable représentant du peuple syrien, le Haut Comité des négociations, avait pu être entendue elle aussi. Nous sommes convaincus que ce jour viendra bientôt. Nous sommes tout aussi convaincus que, à terme, les responsables de la destruction de la Syrie et des souffrances du peuple syrien auront à répondre des crimes qu’ils ont commis. En attendant ce jour, la Turquie se tiendra aux côtés des expressions démocratiques du peuple syrien.
La séance est levée à 12 h 40.
Source : S/PV.7774
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