Monsieur le ministre d’Etat,
et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les Commissaires européens,
Mesdames et Messieurs les Députés, Sénateurs, Parlementaires Européens,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Représentants syndicaux et de filières,
Mesdames et Messieurs les Préfets et Directeurs,
Mesdames et Messieurs.
Je suis très heureux d’être avec vous en ce samedi matin et en ce jour en effet d’ouverture de notre salon auquel nous tenons tant, pour vous parler d’agriculture et pour vous parler d’Europe et pour parler plus particulièrement d’agriculture et d’Europe à la jeunesse qui vont embrasser cette vocation aussi parce que c’est une vocation et ce n’est pas qu’un métier ou qu’une activité.
Depuis 20 mois, la France a adopté des mesures fortes pour soutenir son agriculture. Je n’ignore rien des difficultés du quotidien, des drames qui se jouent encore, de tout ce que, depuis trop d’années nous connaissons dans certaines de nos régions, dans certaines de nos filières. Néanmoins, je constate avec vous que parce qu’il y a eu une mobilisation collective, dans plusieurs secteurs, dans plusieurs régions, les choses sont en train de s’améliorer.
Avec les Etats généraux de l’Alimentation, puis la loi alimentation, avec le relèvement du seuil de revente à perte, l’encadrement des promotions, le recours possible en cas de prix abusivement bas, le gouvernement a pris à bras, justement, l’enjeu de la répartition de la valeur entre ceux qui produisent, ceux qui transforment et ceux qui distribuent les produits agricoles. C’était attendu, soutenu depuis de nombreuses années en particulier par l’ensemble des syndicats agricoles, je dois le dire, et ça a été fait.
Les plans de filières ont également permis d’obtenir des avancées majeures. Objectifs en matière de montée en gamme, contractualisation et peu à peu s’organise un système où la valeur doit revenir et reviendra, pour une juste part, à celles et ceux qui produisent.
Et nous avons fait sur ce sujet un pari : le gouvernement avec le Parlement, celui de responsabiliser les filières. Et ce pari commence à porter ses fruits. Dans des secteurs comme la volaille, l’oeuf, la pomme de terre, la transparence est aujourd’hui faite sur les indicateurs de coûts de production. Des résultats s’améliorent parce que des contractualisations se sont aussi multipliées permettant de peser davantage en négociation. Je pense par exemple au lait et nous obtenons ainsi de bons résultats dans les négociations en cours et je veux remercier chacun des acteurs d’avoir pris leur part parce que, par exemple, pour les éleveurs laitiers, c’est l’opportunité de mieux vivre de leur travail et de retrouver des perspectives.
De ces combats, nous ne lâcherons rien. Toutes les filières, tous les acteurs doivent continuer à se mobiliser et j’y veillerai avec le ministre personnellement. Cela ne se fera pas en un jour, nous le savons bien. Et je sais l’impatience qu’il y a et je sais ce que certains se disent : est-ce que l’argent est revenu dans la cour de la ferme ? Pas encore totalement, les négociations commerciales sont en cours qui permettront de tenir ce résultat. Mais nous devons avoir cette vision et vous avez raison. Mais cela suppose une responsabilité et une responsabilisation de chacun parce que nous n’avons pas décidé de nous attaquer simplement aux symptômes de réparer ou de corriger avec de l’argent public des séries de dysfonctionnements. Nous avons décidé de nous attaquer aux causes profondes et donc, il faut progressivement changer les habitudes, des plis qui avaient été mal formés et revenir sur beaucoup de cela.
Mais aujourd’hui, c’est un nouveau combat que je souhaite avec vous engager.
Devant vous, jeunes agriculteurs venus de tout le continent, je suis venu évoquer une politique sans laquelle nos actions nationales seraient inefficaces, une politique sans laquelle l’agriculture française ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui : je suis venu vous parler de la politique agricole européenne. Je crois en la force du modèle français et je suis comme vous un patriote de notre agriculture. Je crois dans la force de notre terroir et l’attachement que beaucoup d’entre vous ont à leur région, la force de leur territoire, les AOC, les AOP ou tout ce qui fait notre fierté. Mais je sais aussi que cette force de nos terroirs, de notre pays, ne serait pas la même sans notre Europe. Et je sais que l’avenir de ce terroir français, de ces terroirs français passe par une politique agricole européenne protectrice, pragmatique, ambitieuse dont nous avons besoin.
Pour cela, il y a, si je puis dire, une exigence première, une exigence d’unité.
Il s’agit pour moi d’un enjeu crucial. L’Europe agricole, qui reste à ce jour la première puissance mondiale, l’Europe agricole, qui assure à tous les peuples une alimentation saine et sûre, l’Europe agricole qui porte haut cette civilisation du bien-manger, de la gastronomie et de l’art de vivre, l’Europe agricole qui, pour vous, pour moi, a toujours été une évidence, l’Europe agricole est aujourd’hui menacée.
Elle l’est depuis l’extérieur par des grandes puissances qui n’hésitent plus à adopter des stratégies offensives pour imposer leurs normes et leurs standards, par un ordre international qui, à force de considérer la nourriture comme une marchandise parmi d’autres, a fini par perdre son âme. Menacée, l’Europe agricole l’est aussi de l’intérieur, par ceux qui, au prétexte que la PAC serait imparfaite, qu’elle n’est pas leur priorité, voudraient la renationaliser ; qui, au prétexte qu’elle ne répondrait pas à tous les espoirs placés en elle, voudraient une PAC réduite aux acquêts.
Si je tenais à m’exprimer à l’occasion de ce Salon, quelques semaines avant les élections européennes et alors que la nouvelle PAC est en cours de discussion à Bruxelles, c’est donc pour exhorter à l’unité et à la mobilisation. Et je veux ici, tout particulièrement saluer la présence du Commissaire Hogan, merci Commissaire pour votre engagement en la matière et la présence du ministre, Commissaire Barnier qui ne fait pas cela seulement pour l’unité de l’Europe dans le contexte du Brexit mais pour la force de notre Europe plus largement dans un monde qui parfois se disloque. Merci à vous deux d’être présents ce matin et je le sais de partager cette exigence d’unité. En menant ensemble ce combat, je suis venu vous dire, et à travers vous aux agriculteurs, aux dirigeants, aux peuples européens, que l’Europe agricole est un bien précieux qu’il nous faut préserver.
À tout prix. Car ne nous trompons pas : le vrai risque qui guette notre agriculture, ce n’est pas - comme on l’entend parfois, la concurrence entre Etats européens. Ce n’est pas, pour l’agriculture française, la concurrence des fruits espagnols pour les arboriculteurs, du porc allemand ou de la volaille polonaise pour les éleveurs. C’est un défi de chaque jour, je sais l’impatience que cela a créé parfois les distorsions qu’il faut corriger, non. Le vrai risque n’est pas là. Le vrai risque qui guette l’agriculture européenne, c’est, ce serait notre dépendance aux importations d’engrais phosphatés russes. C’est le fait que 70% du bétail européen soit nourri par du soja OGM importé et donc que le prix de nos oeufs, de nos volailles, soit tributaire de l’augmentation du coût de ces matières premières qui ne manqueront pas sous l’effet de l’augmentation de la demande chinoise de progressivement se faire. C’est ça le vrai risque, c’est progressivement notre dépendance à l’égard d’intrants venant d’autres continents, d’autres puissances, notre dépendance pour notre propre production et notre souveraineté alimentaire à l’égard d’autres continents, d’autres puissances qui n’ont plus rien à voir avec la PAC ou une concurrence au sein de l’Europe. Mais dont les intérêts profonds peuvent être et seront immanquablement, à la fin, divergents.
Alors, on peut bien sûr critiquer certains aspects de la stratégie européenne. Mais je suis sûr d’une chose : c’est que, sans la PAC, cette politique commune voulue par les pères fondateurs, les consommateurs européens ne bénéficieraient pas aujourd’hui d’une alimentation accessible et de qualité. Je suis sûr aussi que sans la PAC, l’Europe ne sera pas en capacité de faire valoir ses choix au monde.
Et donc, oui, notre défi ce n’est pas simplement, comme le voudraient certains, de liquider l’héritage de plus soixante ans de politiques agricoles communes, de céder au poison lent de la division. Mais c’est bien de réinventer cette politique agricole commune aujourd’hui.
Et c’est pour moi une question de souveraineté, de souveraineté alimentaire, environnementale, industrielle c’est-à-dire de pouvoir faire en tant que citoyen européen nos choix et que la jeunesse européenne puisse le faire. Si nous cédons à l’esprit de division, alors dans 5 ans, dans 10 ans, dans 15 ans, nous ne pourrons plus garantir à nos concitoyens une alimentation saine, en tout cas totalement traçable et indépendante en Europe. Nous ne pourrons plus garantir la cohérence d’une politique environnementale, nous imposerons à nos producteurs des normes de plus en plus dures. Mais nous serons dépendants d’intrants ou d’imports de puissance qui ne respecteront pas les mêmes règles. Et nous laisserons ainsi s’effriter des filières de l’emploi, des territoires qui dépendent de la force de cette politique commune. Aucun agriculteur, aucun consommateur ne souhaite demain être soumis aux normes, aux standards, aux prix et finalement au diktat des non européens. C’est pour cela par exemple que nous voulons porter un plan protéines ambitieux à l’échelle du continent. C’est revenir sur des décennies, on le sait, des équilibres, des dépendances et sur une histoire en particulier avec le continent américain. Et cela a été commencé au niveau européen, il y a plusieurs années, nous devons l’accepter c’est indispensable en France et en Europe. Pour pouvoir être pleinement indépendant et pour pouvoir construire la cohérence de nos filières.
C’est une question aussi de valeurs : nous cultivons en Europe une certaine idée du rapport entre l’Homme et la Nature, fondée sur le bien-manger, l’art de vivre, le respect de la faune et de la flore. Et je crois que personne ici ne veut y renoncer. Et défendre ces valeurs, c’est vouloir que celles-ci qui soient portées de manière inédites en Europe puissent prospérer.
Et vous le voyez, tous ces enjeux que je suis venu partager aujourd’hui avec vous, vous qui aurez à les mettre en oeuvre, à décider des choix à prendre dans les mois à venir pour les dirigeants européens et vous qui aurez la tâche de réconcilier l’agriculture et la société dans toutes ses composantes.
Ce que je crois, et ce que défendra la France, c’est que la prochaine politique agricole européenne a d’abord besoin de cette unité. Et ensuite c’est que cette politique agricole européenne doit tenir trois promesses pour sa jeunesse agricole.
Une promesse de protection, des agriculteurs et des consommateurs.
Une promesse de transformation de notre modèle vers toujours plus de valeur et toujours plus d’écologie.
Une promesse enfin d’anticipation en misant sur la recherche et en assurant le renouvellement des générations. Et ce sont sur ces trois promesses, quelques mots que je voulais vous dire.
Une promesse de protection d’abord.
L’agriculture est un secteur fait d’engagés qui consacrent leur vie à garantir l’un des droits de l’Homme les plus fondamentaux, se nourrir. Et cet engagement oblige. Et c’est pour cela que je le disais, il y a un instant, que notre alimentation, que la nourriture ne sera jamais une marchandise comme les autres. Cet engagement oblige la société à un devoir de protection vis-à-vis de toutes celles et tous ceux qui nous nourrissent. Et ce devoir de protection, ceux qui ont imaginé, puis appliqué, la Politique agricole commune ne l’ont jamais perdu de vue. Quelle que soit la forme des dispositifs déployés - quotas, aides directes - la PAC a toujours cherché à protéger les agriculteurs. Pour cette raison même, c’est une histoire qu’il nous faut poursuivre. Et si la France défend en ce moment à Bruxelles un budget ambitieux pour la PAC, un budget qui doit traduire les conséquences du Brexit mais pas plus et pas pour un euro de plus. Si la France défend ce budget à Bruxelles c’est avant tout pour cela, pour que ce devoir de protection, que nous avons vis-à-vis de celles et ceux qui nous nourrissent, soit honoré, aujourd’hui comme hier. Et qu’on n’aille pas me dire que ce budget qui consiste à protéger viendrait protéger contre le changement ou du changement. Il faut ne pas avoir à regarder l’agriculture européenne et au premier chef, l’agriculture française pour voir les changements qui ont été effectués. Qu’on me dise combien de professions ont été ainsi bousculé par les changements depuis tant de décennies. Non, c’est précisément que ce ne sont pas des professions comme les autres, c’est précisément que ce ne sont pas des engagés comme les autres. Et ceux qui ne veulent pas voir cela, nous font courir un risque fondamental, c’est de voir disparaître des filières entières et donc de construire notre dépendance. Là encore, à l’égard de l’extérieur.
Doit-on pour autant tout figer ? Doit-on renoncer à simplifier notre système, je ne crois pas. On peut protéger et réaffirmer cette ambition et vouloir et pouvoir faire mieux. En France, et notre pays, je dois bien le dire, en est responsable, nous avons un système qui est trop complexe à cet égard. 9500 mesures agroenvironnementales. Bon courage. Doit-on ignorer les distorsions fiscales ou sociales qui existent entre les différents pays ? Bien sûr que non.
En même temps que nous garantissons les moyens financiers alloués à la PAC, nous devons sinon la refonder, au moins la faire évoluer très fortement.
L’enjeu principal, c’est de mieux prendre en compte les aléas comme les catastrophes climatiques, les chutes soudaines des prix, c’est de mettre en place, au niveau européen, une gestion performante du risque. La vraie protection est là. Celle-ci est en effet aujourd’hui imparfaite. Et j’ai dialogué avec nombre d’entre vous qui ont encore récemment vécu pour les uns une sécheresse très dure ou une sécheresse à nouveau, si j’ose le dire ainsi très dure, des inondations pour d’autres. Je vous ai vus pour certains la boule au ventre en guettant l’évolution de cours boursiers qui ne dépendent pas de vous, mais d’un marché aveugle adossé à la volatilité des prix qu’il s’agisse du pétrole ou d’autres matières premières. C’est cela aujourd’hui la réalité de nos agriculteurs. C’est l’angoisse à l’égard de tas d’aléas face auxquels on ne peut rien. On ne peut rien face à l’aléa climatique et on ne peut rien quand on est un agriculteur et qu’on n’a déjà pas de jours de congés face aux cours mondiaux dont on est dépendant pour produire et vendre. Et donc, face à tout cela et pour y remédier, je prends ici l’engagement que soit inscrit dans la nouvelle PAC, l’objectif de protéger les agriculteurs d’Europe des risques climatiques, de marché, inhérents à votre métier.
Protéger, cela ne veut pas dire, comme on l’a parfois fait dans les crises récentes - je pense là aussi à la crise laitière de 2015-2016 -, cela ne veut pas dire octroyer d’abord des aides à la production, puis donner des aides pour réduire la production, avant finalement de stocker de la poudre de lait, dans une sorte de confusion absurde, en essayant d’osciller et de s’adapter chaque fois aux coups de boutoir devant ces évolutions, non. C’est développer une vraie stratégie de gestion des risques. C’est cela que nous devons faire maintenant pour véritablement protéger. Cela passe d’abord par :
• Une réserve de crise européenne, pluriannuelle, réactive pour protéger l’ensemble des Etats membres de l’impact des crises de marché,
• Des mécanismes de régulation des filières plus performants, plus facilement activables que ceux existants, avec en particulier une meilleure articulation entre dispositifs privés, responsabilisant les entreprises et les outils publics de gestion des risques,
• Troisièmement, une diversification des cultures, des bassins de production et un accompagnement au changement des pratiques pour mieux s’adapter au changement climatique. C’est une évolution indispensable et c’est une politique de prévention, d’accompagnement essentiel.
• Le tout en conservant les aides à l’hectare, qui constituent un filet de sécurité pour les agriculteurs, en complément des dispositifs existants au niveau des Etats, comme l’épargne de précaution que nous venons de mettre en place en France lors des dernières lois de finances.
Si l’Europe doit protéger les agriculteurs, elle doit aussi - c’est d’ailleurs une des vocations historiques de l’Union - tenir sa promesse de protection des consommateurs. C’est la protection jumelle.
Que demandent, de plus en plus, les citoyens européens en matière d’alimentation ? Tout simplement de savoir ce qu’ils mangent, de savoir où et comment ce qu’ils mangent a été produit, transformé. Et cette demande, c’est à nouveau à l’échelle de l’Europe que nous pouvons y répondre.
Nous le faisons quand nous refusons, dans le cadre des négociations commerciales, que les produits importés dérogent à nos normes. Et je tiens ici à le redire : c’est là aussi notre cohérence et la force de celle-ci. Si on veut protéger nos agriculteurs et nos consommateurs, nous devons avoir une politique commerciale européenne cohérente. Et je le redis avec force : aucun accord commercial ne saurait autoriser des produits ne respectant pas les standards européens. Standards environnementaux, sanitaires et sociaux. C’est notre ligne rouge. Sinon c’est demander aux producteurs européens de faire des efforts, des évolutions et le jour d’après ouvrir des accords commerciaux avec des pays qui ne respectent pas des standards que nous sommes en train de définir. Ce serait absurde et en quelque sorte ce serait réduire la compétitivité des producteurs sans garantir la qualité pour les consommateurs. C’est pour cela que la France s’est opposée avec la Commission européenne à toute négociation commerciale sur les produits agricoles avec les Etats-Unis.
L’Union doit aussi se donner les moyens de traquer les fraudes, de poursuivre celles et ceux qui jouent avec la santé des consommateurs tout en installant des situations de concurrence déloyale. C’est pourquoi la France, qui est exemplaire en la matière comme nous l’avons encore vu récemment avec la problématique des viandes frelatées venant de Pologne, la France porte la création d’une force européenne pour lutter contre les fraudes et garantir la sécurité alimentaire. Nous maintenons notre volonté que l’étiquetage de l’origine des viandes soit indiqué dans les produits transformés, ce qui est indispensable pour accompagner ce mouvement. Mais cette force européenne, c’est la garantie d’une politique ambitieuse, homogène au niveau européen en matière d’exigence sanitaire et de contrôle, c’est la garantie que l’on apporte, qu’il n’y ait pas une forme de dumping sur la qualité de notre alimentation qu’il y ait en quelques sortes des points d’entrée ou de faiblesse au sein de l’Europe où on accepterait moins de contrôles, moins de qualité et donc la circulation d’une alimentation moins exigeante pour nos consommateurs.
Face à ce sujet crucial, il nous faut être plus exigeant encore. Dans de nombreux secteurs, se développe actuellement la technologie de la blockchain, qui permet de garantir la provenance et la traçabilité d’un produit. Faisons à cet égard de l’Europe l’avant-garde de la data agricole, en développant des outils qui permettront de suivre chaque produit depuis la production de la matière première jusqu’à l’emballage, en passant par la transformation et le transport. L’innovation est là et elle est là dans le monde agricole. Il faut l’utiliser à plein car elle est aussi au service de l’excellence. Partager et elle sera elle aussi au service du consommateur. C’est ainsi que nous pourrons faire preuve de plus de transparence pour renouer une vraie relation de confiance entre nos concitoyens.
La deuxième promesse c’est la promesse de transformation vers la qualité et l’écologie, qui réconcilie là encore l’aspiration des agriculteurs, la préférence collective des consommateurs.
Avec le soutien aux agriculteurs, la PAC répare un peu des imperfections du présent et des erreurs du passé. Elle doit aussi veiller à préparer l’avenir en incitant les agriculteurs à investir, à innover et à accélérer la transition.
Et de ce point de vue, le combat prioritaire est celui de la valeur. Le défi de l’agriculture européenne pour demain, ce n’est pas de faire moins cher que les poulets brésiliens, le lait néozélandais ou la viande produite par les feed lots brésiliens, non, ni la géographie, ni notre modèle social, ni notre ambition environnementale ne nous le permettent. Le défi de notre agriculture, de l’agriculture européenne, c’est de se différencier, c’est de s’appuyer sur des savoir-faire pluriséculaires, sur l’image de qualité que des décennies d’excellence ont précisément permis d’acquérir. Le défi de notre agriculture est bien là.
Et cette quête de la qualité, de l’écologie passe en premier lieu par la structuration des filières. Nous avons commencé à agir au niveau français et je rencontrerai encore tout à l’heure les différentes filières. Mais le bon niveau, c’est le niveau européen. C’est en effet à cette échelle-là qu’il est possible de pratiquer à plein "la segmentation", c’est-à-dire de sélectionner, pour chaque territoire, en fonction de son contexte climatique, géologique, social, culturel, les productions les plus adaptées, celles qui présentent l’avantage comparatif le plus important. C’est à cette échelle-là aussi que nous pouvons bâtir des stratégies intégrées en matière de la logistique, de stockage, de transformation.
Je pense à la filière blé. Aujourd’hui le blé français est concurrencé sur le marché mondial par le blé russe ou ukrainien, produit dans des fermes de milliers d’hectares, dix fois plus grandes que les plus grandes de nos fermes. Et sur ce secteur, en quelques années, le monde s’est transformé. J’évoque le blé russe, il y a 5 ans, nous parlions là d’un de nos principaux clients, il est devenu l’un de nos plus redoutables compétiteurs. Le monde se transforme à une vitesse folle mais en seulement quelques années, la production de blé russe a doublé, le blé ukrainien est aussi devenu un acteur de référence. Et le blé est un actif stratégique qu’il nous faut bien sûr conserver mais nous n’y parviendrons pas en nous positionnant uniquement sur le segment de la compétitivité-coût et sur les flux poussés parce qu’il sera, on le sait bien, certaines années, difficile de rivaliser même sur nos marchés historiques. Nous devons viser une plus forte "segmentation" certes en gardant notre capacité de production, mais en misant aussi sur des blés à forte teneur protéique, sur nos savoir-faire en matière de panification et en développant une offre complète beaucoup plus différenciée. C’est en déployant une offre technique complète, adaptée aux besoins de nos clients, en nouant sur notre marché domestique, sur les marchés européens une offre différenciée, en nouant aussi une nouvelle relation avec l’Afrique, que nous rivaliserons et que nous éviterons en quelque sorte la compétition mortifère de prix le plus bas. Votre génération, on ne peut pas lui dire qu’elle va embrasser l’avenir en allant faire la compétition contre d’autres agriculteurs qui n’ont pas les mêmes normes, n’auront jamais les mêmes contraintes et vous pousseront vers les prix les plus bas. Si nous allons dans cette direction, nous vous condamnons soit aux crises démographiques les plus profondes, soit à l’échec climatique qui serait fatal pour chacun, soit aux malheurs. Et donc, je crois très profondément que nous devons construire cette stratégie de segmentation de différenciation qui en même temps correspond à notre ADN profond et à l’ambition qui a toujours été la nôtre.
J’évoquais à l’instant, en parlant des céréales, l’Afrique et je veux en dire un mot tout particulièrement. Chacun connaît ici les perspectives démographiques du continent africain, il va voir sa population doubler d’ici 2050. Et cet enjeu qui est un défi pour le continent africain, qui est un défi pour l’Europe parce que nos destins sont liés, c’est aussi un défi pour notre agriculture. C’est une opportunité si nous savons la saisir. Chacun sait les effets qu’exerce le réchauffement climatique sur la pérennité de la ressource en eau, la fertilité des sols, avec un désert qui ne cesse de gagner du terrain. Et face à toutes ces perspectives, l’Afrique parmi ses principaux défis à un défi agricole et alimentaire. L’agriculture sera un pilier non seulement du maintien de l’Afrique mais de sa réussite, de la capacité à offrir un avenir à la jeunesse africaine de se développer et de se nourrir elle-même. Lors de chacun de mes déplacements sur ce continent, j’ai perçu cette attente et avec l’éducation et la santé c’est le troisième pilier pour moi de la stratégie de développement partagé avec l’Afrique que nous devons conduire. Et qu’elle mette ses savoir-faire, son expertise au service d’une démarche de long terme pour développer des filières agricoles pérennes et rentables en Afrique, c’est le rôle de la France et de l’Europe. Nos partenaires en Afrique ne veulent plus des recettes du passé, non plus. Ils ne veulent plus d’une vision misérabiliste de l’Afrique, d’une vision cantonnée à la petite exploitation vivrière. Ils veulent construire une Afrique forte, forte de filières agricoles créatrices d’emplois, de valeur, et qui permettront, in fine, de donner un avenir aux populations locales. Et précisément sur ce sujet-ci, nous - la France, l’Europe - nous devons être au rendez-vous de cette attente. Et je le dis pour l’ensemble des agriculteurs européens ici présents comme des décideurs. C’est une opportunité pour nous à saisir, opportunités de développement partagées, opportunités d’exportation de nos savoir-faire et opportunités pour nous aider à faire réussir le continent africain.
Vous l’aurez compris, nous devons donc définir des stratégies européennes filière par filière. Et pour cela, il faut s’organiser en amont, dans les choix de production. Il faut aussi agir en aval, en investissant dans le maillon industriel, pour que la transformation de nos produits et donc la captation de valeur ne se fasse pas à l’extérieur du continent, mais bien en Europe, sur nos territoires. Et sur ce sujet, c’est en particulier tout le sens du Grand Plan d’investissement que nous portons au niveau national. Et je remercie Olivier Alain pour son investissement aux côtés du ministre dans cette entreprise. Et c’est aussi l’ambition du fonds d’investissement européen doté d’un milliard d’euros qui vient d’être lancé - et je tiens à saluer la présence parmi nous de M. Fayolle, le vice-président de la Banque européenne d’investissement profondément engagée dans cette mission.
Faire bloc plutôt que de nous perdre dans une concurrence qui nous affaiblit collectivement. Coopérer plutôt que de nous diviser. Nous comporter en partenaires et non en concurrents. C’est la ligne que nous ne devons jamais cesser de suivre.
Le combat pour la valeur passe ensuite par un virage assumé vers ce qui est le combat de votre génération et qui répond à une demande forte, de plus en plus pressante de nos consommateurs, de nos citoyens et tout particulièrement de notre jeunesse : la protection de l’environnement. Nous avons vu hier la jeunesse européenne qui s’est mobilisée avec beaucoup de force et de sincérité. Nous l’avons reçu avec le ministre d’Etat contre le réchauffement climatique et c’est la même jeunesse que je vois devant moi qui se mobilise pour nourrir l’Europe. C’est la même jeunesse, il n’y en a pas deux et donc c’est cette réconciliation de deux combats essentiels que nous devons réussir. Ma conviction profonde sur ce sujet, c’est que les agriculteurs sont, plus que personne, attachés à la protection de la planète, à la préservation de la biodiversité parce qu’ils en vivent et ils y vivent. Je sais l’indignation la souffrance que beaucoup ressentent face à ce qu’on appelle désormais l’agri-bashing. Mais, je veux le dire sur ce sujet à tous et toutes, moi je n’ai jamais vu quelqu’un de plus sensible à la maltraitance animale qu’un éleveur parce qu’il vit avec ses bêtes, parce que celui qui se réveille la nuit quand il y a un vêlage, celui qui se lève avec l’anxiété quand la maladie arrive, c’est l’éleveur. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi anxieux pour le changement climatique, le réchauffement qu’un agriculteur parce que c’est lui qui en vit les conséquences chaque semaine, chaque mois, qui tremble devant la sécheresse qui vit les conséquences de l’inondation, c’est l’agriculteur. Il n’y aurait pas d’un côté des consciences du monde qui ne vivraient pas au milieu de lui et de l’autre ceux qui seraient les pieds dans la glaise et qui seraient contre le changement. Dans quel monde veut-on vivre. C’est faux. Simplement nous avons un monde à faire avec les contraintes du quotidien. Et donc, nous sommes engagés dans une transition profonde, où il faut, dans le respect de chacun, que les uns et les autres puissent vivre dignement en conduisant ces changements pour notre environnement. C’est cela que nous voulons faire et ce que nous avons à construire au niveau européen. Et donc, ce lien charnel que les agriculteurs européens ont avec la biodiversité, avec la lutte contre le réchauffement climatique, il est existentiel, il est dans l’ADN de notre agriculture et ma conviction profonde c’est que les agriculteurs, en particulier les jeunes que vous êtes, doivent devenir les premiers militants de la transition écologique. Encore faut-il, là aussi, que les pouvoirs publics créent les conditions de cette transition.
Nous avons commencé à agir en France. Il faut porter cette transition au niveau européen. La France est depuis longtemps très en pointe sur le développement de la certification environnementale, de la bio, des mesures agro-environnementales et ceci n’a pas commencé il y a 20 mois. Je le dis avec beaucoup d’humilité, c’est une conscience qui a été portée par les agriculteurs, par les militants environnementaux qui ont aussi poussé les pouvoirs publics depuis des années, et par nos prédécesseurs. Nous pouvons et nous voulons aller encore plus loin aujourd’hui en proposant qu’une part significative de la prochaine PAC soit consacrée à l’environnement. Et parce que préserver la planète n’est pas une option, ce budget devra concerner, à part équivalente et de manière obligatoire, l’ensemble des Etats membres.
Notre politique agricole doit également favoriser la diversification des activités. Oui, il faut encourager la production d’énergies renouvelables. Oui, il faut favoriser les initiatives visant à accroître la capacité de stockage carbone dans les sols - et c’est le sens du projet 4/1000, initié par la France. Oui, il faut que la PAC consacre davantage de moyens à rémunérer les services environnementaux rendus par les agriculteurs pour lutter contre l’érosion des sols, préserver les paysages, entretenir les forêts, stocker le carbone, préserver la qualité de l’eau, protéger les abeilles, cette faune, cette flore, qui fait la richesse de notre continent. La France défendra toujours cette fonction sociale des agriculteurs qui, par leur travail, sculptent les terroirs et les paysages et qui fait que les agriculteurs ne sont pas simplement des acteurs économiques mais des acteurs essentiels de notre ruralité au quotidien. C’est-à-dire aussi d’une manière de vivre, d’équilibre de territoire, d’une manière de préserver la diversité de nos paysages de nos territoires et des modes de vie qui y sont attachés, c’est-à-dire aussi de notre diversité profonde et essentielle. Et parce que c’est dans l’intérêt de la planète et donc de tous. C’est l’identité-même de l’Europe que de concilier l’économie et l’écologie dans un projet progressiste, pragmatique et réaliste. Et donc c’est cette ambition que nous défendrons au niveau de la PAC et qui correspond à l’ambition française que nous portons.
La troisième promesse, enfin c’est celle d’anticipation.
Cela ne vous a pas échappé : le Grand Débat national a remis sur la table beaucoup de sujets que notre pays a vécus ces derniers mois, ces dernières années qui touchent à notre capacité collective à anticiper. Pour n’en citer qu’un, la sortie du glyphosate. J’ai rappelé récemment, c’était je crois en Drôme, Monsieur le Ministre, ma volonté : sortir du glyphosate le plus rapidement possible, sous trois ans. Il ne faut pas voir cet objectif comme une contrainte et il ne faut pas tomber à l’égard de cet objectif sous de faux débats. C’est au contraire une opportunité, l’opportunité pour de nombreuses filières d’évoluer profondément. Rappelez-nous d’abord d’où nous venions, nous partions en fin d’année 2017 vers 10 ans de renouvellement d’autorisation du glyphosate, même 15 ans au départ. La France s’est mobilisée, nous nous sommes battus pour faire voter au niveau européen cinq années. Et ce que nous voulons faire nous, c’est faire mieux, pas en sur-transposant, c’est l’engagement que j’ai pris, non pas en passant dans la loi une contrainte qui aurait créé une différence par rapport à nos voisins, mais en montrant dans les faits que nous pouvons le faire en trois ans par la mobilisation collective, par des solutions co-construites filière par filière. Je pense très profondément que nous pouvons y arriver. Je pense d’ailleurs très profondément que nous sommes en train d’enclencher la dynamique qui nous permettra d’y arriver. Je veux y voir une opportunité, par exemple quand je regarde le vignoble français. Je pense que nous pouvons en faire le premier vignoble du monde sans glyphosate. Dans 85% des cas, cette transition va d’ailleurs s’effectuer sous 3 ans, elle s’effectuera parce qu’il y a des efforts, de l’innovation de la volonté de se mobiliser. L’INRA a identifié des solutions techniques crédibles, l’enjeu réside dans la mobilisation et l’accompagnement des filières concernées. Il reste 15% de cas où les solutions techniques ne sont pas immédiates et où nous devons nous donner le temps de trouver des alternatives. Mais cette mobilisation permet déjà un changement. Mais avec des principes simples et là aussi l’ambition doit nous conduire à être pragmatiques. On ne laissera aucun agriculteur sans solution parce que sinon c’est une impasse et on perd tout et on s’assurera que toutes les alternatives sont évaluées et crédibles. Elles n’ont pas à faire sortir un agriculteur du glyphosate pour l’emmener vers un élément de substitution qui serait moins bon ou dont les conséquences, peut-être non évaluées, seraient négatives. Là aussi il faut que l’ambition ne s’accompagne pas de la précipitation, l’esprit de contradiction. Si nous avons ce pragmatisme, nous y arriverons et ce sera bon pour chacun. Mais cet exemple nous montre une chose c’est que nous avons manqué d’anticipation sur ce sujet. Le glyphosate pour moi et les polémiques qu’il y a pu avoir sur ce sujet. Cela dit quelque chose d’un symptôme collectif, le symptôme de notre incapacité à nous appuyer sur la force de nos chercheurs de nos scientifiques pour prévoir et anticiper. On n’a pas découvert il y a 20 mois que le glyphosate était un problème, on a trop longtemps refusé de le voir. Et je me souviens, je fais référence aux heures de débats que je partage dans le cadre de ce grand débat national, en Normandie j’ai été à juste titre sollicité par le maire de Créances sur le cas bien connu de la carotte. C’est un vrai sujet mais parce que pendant des années on a refusé de le voir. On savait très bien, on avait donné des délais et en quelque sorte, on a dit : ils ne le feront pas. Allez, on peut essayer d’attendre encore un peu et à un moment donné, on met les gens dans une situation d’impasse. Le ministre va s’attacher à trouver les bonnes solutions mais je le dis parce que la capacité que nous devons construire à mieux connaître, mieux savoir, mieux anticiper est absolument fondamentale pour toutes nos filières et en particulier pour les fruits et légumes auxquels nous tenons tant.
Au fond, pourquoi, sur ce sujet, en sommes-nous arrivés là, dans cette forme d’impasse ou de contradiction ? Il y a deux raisons principales.
La première, c’est que nous n’avons pas pu nous appuyer suffisamment tôt sur des études scientifiques indépendantes et incontestées sur les risques de cet herbicide sur la santé humaine et pour l’environnement et que nous avons continué d’ailleurs ces derniers mois à avoir des débats sur ces risques quand dans des rapports faisant autorité, on voit des passages entiers de scientifiques ayant travaillé pour des industriels qui sont reproduits, c’est un problème de crédibilité collective qui crée le doute chez nos concitoyens. Et donc, cela a favorisé le soupçon, le complotisme, parfois l’inertie aussi chez d’autres. Pour combler cette lacune, nous avons besoin de nous doter au niveau français et plus encore au niveau européen, d’une véritable intégrité scientifique irréprochable. C’est pourquoi la France porte une réforme de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Cette instance doit étendre son champ d’action et se mettre en capacité justement d’analyser les dangers et les risques de l’utilisation ou non de telle ou telle substance chimique. Elle doit devenir entièrement le tiers de confiance qui réconcilie les agriculteurs européens et la société. Et nous devons dans le cadre de cette réforme apporter toutes les garanties d’indépendance et de transparence à nos concitoyens de tous les scientifiques qui contribuent, écrivent ou s’expriment dans cette enceinte. C’est un élément essentiel d’abord parce que nous avons la science européenne qui permet de le faire et c’est ce que nous devons à nos scientifiques. C’est un élément essentiel du débat démocratique et de la confiance à restaurer.
La seconde raison de la forme d’impasse dans laquelle nous nous trouvons, c’est notre échec à accompagner les changements de pratiques, alors même qu’il existait des doutes et qu’émergeait dans l’opinion publique une demande pour sortir du glyphosate. Là encore, il nous faut tirer les leçons de cela pour l’avenir et anticiper.
En France, je souhaite que l’INRA, premier institut de recherche agronomique européen et deuxième dans le monde, investisse davantage le champ économique en travaillant avec les instituts techniques des filières, les chambres d’agriculture.
Il nous faut aussi porter une recherche agricole européenne. Sur ce point, la France milite pour que le prochain budget recherche et innovation qui sera adopté par la Commission alloue plus de moyens à l’agriculture et à l’alimentation. Ainsi pourrons-nous multiplier des programmes tels que le projet de recherche sur les alternatives aux pesticides qui réunit actuellement l’INRA et deux instituts allemands, dont je salue d’ailleurs la présence dans cette salle des représentants.
Nous venons par exemple de limiter pour sept ans la dose de cuivre autorisée en agriculture biologique en raison des impacts sur les sols. Nous savons donc qu’il nous faudra trouver une solution. Quel plus bel objectif pour la recherche européenne que de trouver une alternative ? C’est exactement ce type de projets concrets que nous devons bâtir nos partenariats, réussir à refocaliser nos recherches européennes, nationales et dans le cadre de coopérations entre pays européens pour bâtir de manière pratique lorsque l’on sait que que quelque chose est mauvais ou qu’il y a un doute, les alternatives dans la durée.
Tenir la promesse d’anticipation, c’est encore agir - et vous êtes les premiers concernés - pour susciter de nouvelles vocations. Je parle d’anticiper, anticiper les crises, anticiper les changements par la science, la transition mais anticiper c’est aussi anticiper la transformation démographique devant laquelle nous sommes et qui va toucher notre agriculture et notre capacité à produire. Un agriculteur européen sur deux a aujourd’hui plus de 55 ans et partira donc à la retraite d’ici 2022. Vous m’avez bien entendu. Un agriculteur européen sur deux. Il y a donc une urgence pour renouveler les générations qui est absolument indispensable.
Une société qui ne valorise pas le travail de la terre, qui ne veille pas sur celles et ceux qui cultivent, qui élèvent, c’est une société en danger de mort, c’est une société qui construit les conditions pour ne pas pouvoir se nourrir elle-même dans un monde de plus en plus incertain et donc anticiper puisque c’est le troisième principe d’action que je vous propose au niveau européen, c’est anticiper le renouvellement des générations et la bataille indispensable que nous devons mener pour ce faire.
On sait ce qui bloque aujourd’hui : c’est l’accès à la terre agricole en raison de deux phénomènes.
• Le premier, l’artificialisation des terres : la France, pour ne parler que d’elle, a perdu un quart de sa surface agricole sur les 50 dernières années. Pour y remédier, nous avons fait ce choix radical avec le gouvernement de viser le "zéro artificialisation nette" et donc, nous sommes en train de voir comment tenir cet engagement en particulier dans nos politiques d’urbanisme. C’est un véritable défi parce qu’il vient à rebours de tout ce que nous avons fait depuis des décennies où, si nous regardons l’évolution de nos villes ou plus exactement des périphéries de nos villes, nos villages, nous n’avons cessé de grignoter les terres agricoles pour ouvrir des zones commerciales, des zones industrielles et des zones de logistiques. Il faut rompre avec cette pratique et là aussi, le combat agricole est pleinement réconcilié avec le combat écologique parce que cette extension progressive est mauvaise sur le plan environnemental et donc le zéro artificialisation nette, c’est un vrai changement de l’organisation de notre urbanisme et de nos pratiques.
• Le second phénomène a été la concentration des terres. Si l’on résume, nous nous trouvons dans une situation où les agriculteurs qui partent à la retraite ont tendance à vendre à leurs voisins plutôt qu’à des jeunes. Au niveau individuel, c’est bien naturel : on cède ses terres à celui que l’on connaît. Au niveau collectif en revanche, l’effet peut parfois s’avérer dramatique : si rien n’était fait, dans cinq ans un tiers des exploitations auront disparu et la France ne comptera plus que 300.000 agriculteurs. C’est ça le mouvement en naturel qui est le nôtre si rien n’est fait au niveau européen. En 5 ans, nous n’aurons pas renouvelé notre capacité à produire. Aucun Français, aucun Européen ne souhaite cela. C’est pourquoi nous prendrons des mesures fortes pour faciliter l’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs. Nous les prendrons d’abord dans le cadre d’une loi foncière à venir, nous prendrons aussi cela en complément d’autres mesures que nous souhaitons mettre en oeuvre pour accompagner l’installation et le développement des jeunes agriculteurs et nous les prendrons au niveau européen en intégrant cet enjeu dans le cadre des négociations de la PAC.
Je souhaite enfin que la PAC favorise la constitution d’une culture commune à tous les agriculteurs du continent. C’est déterminant car, vous l’avez compris, ce qui nous tient, ce qui unit les agriculteurs d’Europe, par-delà les spécificités nationales, ce sont des valeurs communes, un modèle, qu’il ne faut jamais cesser de cultiver et d’entretenir. C’est pourquoi un projet comme l’Erasmus Farmers est si important et doit être soutenu, qui permettra aux jeunes futurs agriculteurs de voyager et d’aller passer un semestre, une année dans un autre pays européen pour y voir les techniques agricoles, les spécificités, les bonnes pratiques que l’on peut reproduire mais aussi connaître la diversité de nos terroirs européens. Comme doit être soutenu le sommet international des jeunes agriculteurs qu’aura l’honneur d’accueillir Paris en avril prochain, au cours duquel je suis sûr que les jeunes agriculteurs d’Europe feront valoir leur spécificité. Cette culture commune est absolument indispensable et est à bâtir.
Voilà donc, Mesdames et Messieurs, chers amis, ce qui doit nous guider. Une exigence : l’unité. Et une triple promesse : protéger, transformer, anticiper. Tels sont les piliers de l’Europe agricole que nous voulons.
Alors, si nous parvenons à tenir ces trois promesses, l’Europe sera plus forte. Et parce qu’elle sera plus forte, elle sera plus audible, elle sera plus crédible.
Pour défendre cette évidence que les produits agricoles et alimentaires ne sont pas des produits comme les autres.
Pour porter cette idée que protéger l’eau, l’air, la terre, tous ces biens communs qui sont la condition de toute culture, doit être une priorité de l’agenda international.
Pour dire avec force que nourrir 10 milliards de femmes et d’hommes dans un contexte de réchauffement climatique avec son cortège de sécheresses, d’inondations, de catastrophes naturelles, dans un contexte de perte de fertilité des sols, est un défi qui ne se relèvera par la seule main invisible du marché, ni par la loi du plus fort, mais par le dialogue, par un multilatéralisme renouvelé, par la conscience lucide que nous avons en partage la même planète, la responsabilité de son destin et celui de l’humanité.
Au fond, en matière agricole comme dans de nombreux autres domaines, nous devons inventer un nouveau contrat mondial.
Oui, nous devons être à l’offensive, en portant une refonte profonde des règles commerciales. Je l’ai évoqué il y a quelques mois en m’exprimant devant l’OCDE : ces règles conçues il y a près de 30 ans sont devenues obsolètes. Et pour ce qui est de l’agriculture, elles conduisent à une course au moins-disant environnemental. Elles organisent une quête des prix bas qui met en péril tout à la fois les droits sociaux les plus élémentaires des travailleurs agricoles, leur santé et celle des consommateurs. De tout cela, nous ne pouvons nous accommoder dans une forme d’immobilisme coupable. C’est pourquoi la France défend devant l’OMC la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux comme critères décisifs des règles commerciales internationales. C’est pourquoi la France oeuvre aussi pour que le Codex Alimentarius, créé par les Nations unies et la FAO, puisse être redynamisé et constituer pour tous les pays du monde la grammaire commune d’une alimentation et d’une agriculture saine.
D’aucuns ne manqueront pas d’affirmer que ces projets sont utopiques. Que le multilatéralisme est une chimère qui appartient au passé, les mêmes qui pensaient d’ailleurs que le monde n’allait pas changer il y a quelques années. Les mêmes qui pensaient qu’il était impossible d’aller bloquer les géants du numérique, de les taxer, de bousculer les choses. Je les ai entendus depuis longtemps. Faites-moi confiance, que les gens qui vous disent que c’est impossible ne vous encouragent qu’à une chose, le faire encore plus vite et plus fortement. Ce nouveau contrat mondial, c’est celui que nous devons bâtir parce que nous aurons justement construit une France agricole et alimentaire forte et une Europe agricole plus forte. Voilà, Mesdames et Messieurs, l’agenda que je veux porter dans le cadre de la présidence du G7 que nous avons depuis le 1er janvier et qui fait partie des grands sujets que nous aurons à conduire dans les prochains mois et que les ministres auront à discuter avec leurs collègues.
Chers amis, l’Europe agricole telle que je la conçois, c’est celle que je viens de vous exposer. Je sais qu’elle doute aujourd’hui et qu’elle a peur. Je sais que plusieurs filières aujourd’hui craignent un contexte changeant. Je sais que nos pêcheurs craignent les effets du Brexit. Je veux leur dire ici notre engagement plein et entier. Nous n’avons pas choisi nous peuple français, et c’est le choix souverain du peuple britannique. Je rendais tout à l’heure hommage à Michel Barnier, il défend l’intérêt commun européen et dans ce contexte nous défendrons nos pêcheurs et leurs intérêts. Nous défendrons toutes nos filières avec force face à ces changements subis, mais, plus largement, nous défendrons l’ensemble de nos agriculteurs en ayant une Europe qui protège, qui protège les peuples comme les travailleurs. Une Europe qui fait de l’écologie et de la protection de l’environnement une des priorités cardinales. Une Europe qui prépare l’avenir qui cherche toujours à avoir un temps d’avance, consciente que le monde ne l’attend pas. Mais parce que l’agriculture est le miroir des sociétés, c’est aussi une Europe fière de son histoire, de ses valeurs, de ses terroirs. Qui défend un rapport à la nature fondé sur le respect. Qui défend une ruralité qui n’existe nulle part ailleurs. Qui ne cède rien de cet art de vivre qui a toujours été au coeur de notre identité. Une Europe qui porte haut, finalement, ce modèle de civilisation qui la tient et qui unit ses peuples. Alors merci à chacune et à chacun d’entre vous pour l’engagement mené depuis parfois plusieurs années ou plusieurs décennies pour cette agriculture française et cette agriculture européenne. Et merci pour les plus jeunes d’avoir décidé d’embrasser ce métier formidable, ce métier non, cette vocation, cette vie d’engagement, de nourrir, de changer, de protéger, de contribuer en effet, à cette aventure de nos paysages, de notre terre et du vivant qui est votre engagement au quotidien.
Merci à toutes et tous.
Vive la République.
Vive la France.
Et vive notre Europe.
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