Monsieur le Préfet de police, en vos grades et qualités,
Chers Matthew, Nora, Patricia, Cathérine, Anna, le moment, je le mesure, pour vous, pour vos familles, est à la fois émouvant et solennel.
Non seulement vous accomplissez un rêve, devenir Français, mais vous le faites dans un lieu à part, notre Panthéon, là où reposent les grandes femmes, les grands hommes honorés par notre patrie, la vôtre désormais. Et qui plus est, cette cérémonie de naturalisation se tient le jour même où la République célèbre son anniversaire.
C’était le 4 septembre 1870.
Alors que l’Empire venait d’être défait à Sedan, un jeune député de 32 ans, Léon GAMBETTA, répondait à l’appel du peuple de Paris et proclamait la République depuis le balcon de l’Hôtel de ville. Léon GAMBETTA, dont nous venons d’entendre les mots, était comme vous, un fils d’immigrés, récent naturalisés, Français de sang mêlé. C’est lui pourtant qui ressuscita la République, ce régime politique de liberté sur lequel nous vivons depuis 150 ans.
Le pays manquait de se briser. La République, une fois encore, le sauva. Il y a tant d’autres Léon GAMBETTA, tant de figures françaises, non par héritage, mais par les combats menés, qui ont façonné notre histoire. Marie CURIE, naquit et grandit en Pologne. Elle reçut 2 prix Nobel, fit le choix de servir la France dans les tranchées comme simple infirmière avant d’ouvrir aux femmes 2 portes qui leur étaient jusque-là fermées, celle des chaires d’enseignement de la Sorbonne et les portes de bronze du Panthéon. Joséphine BAKER, née Américaine, choisit la France pour le faire briller de son talent et de son énergie. Elle aimait sa patrie d’adoption au point de risquer sa vie pour elle en entrant dans la résistance.
Tant et tant de destins devenus Français ainsi par leur combat. Bien d’autres héros, Français par la naissance, nés parfois si loin de la métropole ont porté si haut nos valeurs et marqué l’édification de notre République. Félix EBOUÉ, descendant d’esclaves, répondit dès le 18 juin à l’appel du général de Gaulle. Il fut le premier à planter l’étendard de la France libre au Tchad. Sans cet enfant de notre Guyane qui allait devenir Compagnon de la Libération et repose en ces lieux lui aussi, l’épopée des Forces françaises libres n’aurait pas été la même. Comment ne pas évoquer Gisèle HALIMI, disparue cet été. De sa chère Tunisie, à notre Assemblée nationale, des prétoires, des hémicycles, de plaidoyers en manifestes, celle qui était née Zeiza TAÏEB, plaida pour l’émancipation des peuples et fit faire des bonds de géant à la cause des femmes. Un hommage national lui sera prochainement rendu dans la cour des Invalides.
Léon GAMBETTA, Marie CURIE, Félix EBOUÉ, Joséphine BAKER, Gisèle HALIMI, autant d’exemples, avec d’autres figures, que nous mettons à l’honneur en ce jour de vie en République. Autant de destins dont Matthew, Nora, Patricia, Catherine, Anna, vous êtes aujourd’hui les légataires.
Car c’est votre tour désormais, votre tour aux côtés de tous les enfants de la République par leur naissance, et de tant et tant d’autres, par-delà la diversité de vos origines, vous qui venez du Royaume-Uni, d’Algérie, du Cameroun, du Pérou ou du Liban, décrire vos vies en République. Je ne parle pas là de façonner vos existences personnelles. Vous avez tous déjà un métier, souvent une famille ici, mais d’endosser pleinement les habits de citoyen français, en vous hissant au-delà de vous-même.
Devenir français, c’est en effet accepter d’être plus qu’un individu poursuivant ses intérêts propres, un citoyen qui concourt au bien commun, fait preuve de responsabilité vis-à-vis de ses compatriotes, qui cultive une vertu toute républicaine, des devoirs et des droits. Mais toujours des devoirs d’abord. Devenir français, c’est avoir ancré en soi-même la conscience que parce que la République est toujours fragile, toujours précaire, elle doit être un combat de chaque aube, une conquête de chaque jour, un patriotisme républicain de chaque instant. La République n’est pas donnée, jamais acquise, et je le dis ici aussi pour nos jeunes. C’est une conquête. Elle est toujours à protéger ou à reconquérir.
La liberté d’abord. « Liberté, liberté, chérie » entonne La Marseillaise. Être français, c’est d’abord aimer passionnément la liberté. DE GAULLE a évoqué le pacte 20 fois séculaire entre la France et la liberté du monde. À partir d’aujourd’hui, vous êtes liés par ce pacte. La liberté dans notre République est un bloc. C’est la liberté de participer au choix de ses dirigeants et donc le droit de vote, mais qui est indissociable de la soumission au verdict des urnes, à la liberté collective du peuple. C’est la liberté de conscience, et en particulier la laïcité, ce régime unique au monde qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire, mais qui n’est pas séparable d’une liberté d’expression allant jusqu’au droit au blasphème. Et je le dis au moment où s’ouvre le procès des attentats de janvier 2015. Être français, c’est défendre le droit de faire rire, la liberté de railler, de moquer, de caricaturer, dont Voltaire soutenait qu’elle était la source de toutes les autres. Être français, c’est être toujours du côté des combattants de la liberté. Et plus encore quand les renoncements prospèrent, quand la censure progresse.
L’égalité. Être Français, c’est reconnaître en chaque femme, en chaque homme une même dignité. Être Français, c’est aimer la justice. Abolition des privilèges et Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, suffrage universel masculin et abolition de l’esclavage par SCHŒLCHER en 1848, droit de vote des femmes en 1944, abaissement de la majorité à 18 ans en 1974, abolition de la peine de mort en 1981. Vous vous inscrivez dans une belle et grande Histoire, celle du progrès de l’égalité des droits. Vous êtes aussi les continuateurs d’une marche encore inachevée vers l’égalité concrète et effective. PÉGUY, JAURÈS, BLUM, MENDES FRANCE ont porté haut la République sociale, cette idée simple au fond : chaque citoyen, quel que soit le lieu où il vit, le milieu d’où il vient, doit pouvoir construire sa vie par son travail, par son mérite. Nous sommes encore loin, trop loin de cet idéal. Combien encore d’enfants de France sont discriminés pour leur couleur de peau, leur nom ? Combien de portes fermées à de jeunes femmes, de jeunes hommes, parce qu’ils n’avaient pas les bons codes, n’étaient pas nés au bon endroit ? L’égalité des chances n’est pas encore effective aujourd’hui dans notre République. C’est pourquoi elle est plus que jamais une priorité de ce quinquennat.
Nous irons plus loin, plus fort dans les semaines à venir pour que la promesse républicaine soit tenue dans le concret des vies. Mais l’égalité, elle aussi, est un bloc, des devoirs et des droits. L’égalité devant la loi implique ainsi que les lois de la République sont toujours supérieures aux règles particulières. C’est pourquoi il n’y aura jamais de place en France pour ceux qui, souvent au nom d’un Dieu, parfois avec l’aide de puissances étrangères, entendent imposer la loi d’un groupe. Non, la République, parce qu’elle est indivisible n’admet aucune aventure séparatiste. Un projet de loi de lutte contre le séparatisme sera à cette fin présenté dès cet automne.
La fraternité. Être Français, c’est voir en son compatriote plus qu’un semblable, un défi. Notre nation a ceci de singulier qu’elle a développé un État providence, un modèle de protection sociale qui ne laisse personne au bord du chemin. Or, ce système unique au monde ne tient que par les liens toujours fragiles qui unissent nos concitoyens, liens du respect et de la civilité qu’à tout moment, la violence et la haine peuvent briser. C’est pour cela qu’en République, les policiers, les gendarmes, les magistrats, les maires, les élus de la République, plus largement, toutes celles et ceux qui luttent contre la violence, contre le racisme et l’antisémitisme jouent un rôle déterminant, et que, par symétrie, ceux qui s’en prennent à eux doivent être lourdement condamnés. Force à la loi, jamais à l’arbitraire. Ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre, aux élus ne passeront pas. Liens de la solidarité et de l’engagement. Notre Etat providence a une nouvelle fois montré lors de la pandémie que nous venons de traverser sa force en accompagnant chaque Français et nous nous souviendrons longtemps du courage de nos soignants, du dévouement des bénévoles, de l’entraide entre voisins qui nous ont permis de faire face au plus fort de la crise. Mais là encore, la fraternité est un bloc. Elle ne peut vivre, perdurer que si chacun reconnaît l’autre comme digne d’être aidé, accompagné. Elle repose sur chaque citoyen aussi, et pas simplement sur un État qui donnerait des droits. C’est pourquoi le partage d’un commun est décisif et je ne peux en effet consentir des sacrifices pour mes compatriotes que si je me sens lié à eux non seulement par un contrat social, mais par des références, une culture, une histoire commune, des valeurs communes, un destin commun dans lequel nous sommes engagés. C’est cela, la République.
« La France, écrivait Marc BLOCH, est la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’ai bu aux sources de sa culture. J’ai fait mien son passé. Je ne respire bien que sous son ciel et je me suis efforcé à mon tour de la défendre de mon mieux ». C’est tout cela entrer en République française. Aimer nos paysages, notre histoire, notre culture en bloc, toujours. Le Sacre de Reims et la Fête de la Fédération, c’est pour cela que la République ne déboulonne pas de statues, ne choisit pas simplement une part de son histoire, car on ne choisit jamais une part de France, on choisit la France. La République commence, vous l’avez compris, bien avant la République elle-même, car ses valeurs sont enracinées dans notre histoire. Et devenir Français, c’est l’épouser toute entière et c’est aussi épouser une langue qui ne s’arrête pas à nos frontières, vous le savez parfaitement, mais qui fut aussi l’un des ciments de notre nation.
« Ma patrie, c’est la langue française », écrivait CAMUS. Maîtriser le français permet bien sûr de communiquer, d’échanger avec ses compatriotes, de comprendre notre droit, et c’est pour cela que la langue est un prérequis pour accéder à la nationalité. Mais maîtriser le français, c’est un passeport vers une culture, une histoire incomparable aux dimensions des 5 continents. C’est accéder à l’imaginaire de HUGO, DUMAS, ZOLA, MALRAUX, CÉSAIRE, tous ici honorés au Panthéon. C’est accompagner les personnages de MAURIAC, disparu il y a 50 ans, de tous ces écrivains dont la grandeur honore non seulement l’esprit français mais le génie universel. Maîtriser notre langue, c’est plus encore toucher l’âme de la nation, une forme d’éternel français. La France est en effet l’un des rares pays qui, avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, a été comme créée, engendrée par sa langue. Notre langue a forgé notre rapport à la liberté, à l’universel. L’Abbé GRÉGOIRE, qui repose ici lui aussi, ne disait-il pas que le français est l’idiome de la liberté ? Notre langue est le berceau de la République, bien avant qu’elle ne soit proclamée par les conventionnels de 1792, parce que la République prend forme déjà dans les textes de BODIN à la Renaissance. Elle s’affirme chez CONDORCET et ROUSSEAU et tous les penseurs des Lumières. Notre langue, c’est ce qui tient notre peuple, notre histoire. C’est ce qui fait que Charles PÉGUY pouvait clamer : « la République, notre royaume de France ». En France, décidément, tout commence par les mots.
La République, c’est une transmission. La République est une volonté jamais achevée, toujours à reconquérir. Et si elle tient depuis la Révolution, c’est parce qu’entre ceux qui l’ont rêvée, ceux qui l’ont fait advenir, ceux qui l’ont défendue parfois dans les heures les plus tragiques de notre histoire, ceux qui l’ont renouvelée dans le projet européen, entre toutes ces femmes et tous ces hommes s’est nouée une scène des temps qui a traversé les siècles. Et en ce jour anniversaire, ce n’est pas tant la joie qui domine, je dois bien l’avouer, qu’une forme de gravité lucide, face aux menaces qui pèsent sur elle.
Alors Matthew, Nora, Patricia, Catherine, Anna, c’est à vous aujourd’hui de reprendre le flambeau avec beaucoup d’autres, de faire vivre la promesse républicaine, dans ces bourrasques des temps. Reprendre le flambeau et le confier à notre jeunesse, représentée par des collégiens qui nous entourent ce matin. Notre jeunesse, qui doit continuer de garder ce goût des rites républicains, le service national universel, beaucoup d’autres institutions y concourent. Notre école républicaine, on a la mission, et nos professeurs, continuer d’emporter l’exigence. Notre jeunesse de France à qui je souhaite d’aimer la République d’une passion toujours intacte. Ne croyez pas que ce ne sont que des mots, c’est toute une histoire. Ce sont ces destins. Je n’ai parlé que de quelques-uns. Aimez-la d’une passion toujours renouvelée parce que mesurez chaque jour que c’est elle qui vous permet d’être des citoyens libres, c’est elle qui vous a fait naître libre, qui vous permet d’apprendre, d’être élevés dans la liberté, de juger, de savoir, de construire votre vie librement. Ça n’est pas donné partout. Ça n’a pas été donné de tout temps.
Alors à chaque fois que le drapeau tombera, il faudra le rehisser. À chaque fois que certains la menaceront, il faudra la défendre. Car d’autres avant vous l’ont défendu. Soyons donc tous rassemblés, vous qui venez de rejoindre la communauté nationale, vous qui y êtes nés et qui y grandissez, et tous les enfants de la République.
Être français, n’est jamais seulement une identité. C’est une citoyenneté. Ce sont des droits qui vont avec. Ce sont aussi ses devoirs, c’est-à-dire l’adhésion à ses valeurs, à une histoire, à une langue, à une exigence qui tient la République debout, car elle dépend de chacune et chacun d’entre nous à chaque instant. C’est un combat chaque jour recommencé. Alors, ensemble, formons cette France unie qui peut tout vaincre. Et parce que, avec leur force d’âme, certaines et certains rejoignent aujourd’hui la République et que vous aurez à en reprendre le flambeau.
Alors avec confiance, oui, nous pourrons continuer encore longtemps de dire : « Vive la République ! Vive la France ! »
En cet anniversaire qui célèbre la continuité républicaine, six nouveaux citoyens viennent grossir les rangs du peuple français. Ils nouent ainsi leurs histoires, leurs destinées, aux grands destins de la République.
Matthew, Nora, Patricia, Catherine et Rana.
Ils marchent dans les pas de Léon Gambetta, ce fils d’immigré naturalisé à 21 ans, élu député à 31, qui ressuscita la République en proclamant son troisième avènement le 4 septembre 1870 sur le parvis de l’Hôtel de Ville.
D’Adolphe Crémieux, ministre de la Justice, qui marqua les débuts de la IIIe République du sceau de l’égalité, en accordant la nationalité française aux juifs d’Algérie.
De Maria Deraismes, grande figure du féminisme au XIXe siècle, qui se fraya une place dans une société d’hommes par sa culture autodidacte, par sa plume et son talent oratoire, et se battit sans relâche pour les droits politiques et sociaux des femmes.
De Georges Clemenceau, « le Tigre », fervent Dreyfusard, homme politique d’une intransigeante droiture, qui conduisit la France à la victoire en 1918.
De Charles Péguy, poète et écrivain qui vécut pour son idéal d’une France plus unie et plus fraternelle, et mourut pour elle pendant la Première Guerre mondiale.
De Marie Curie, Polonaise de naissance qui choisit la France comme patrie, révolutionna la science, soigna les soldats blessés sur le Front, gagna deux prix Nobels et fut panthéonisée après sa mort, hommage à une vie passée à repousser les limites du savoir humain.
De Léon Blum, qui prit la tête du gouvernement du Front Populaire pour améliorer les conditions de travail des employés, s’opposa à Vichy, et fut déporté à cause de son attachement à la liberté.
De Félix Eboué, descendant d’esclaves qui répondit dès le 18 juin à l’appel du Général de Gaulle et planta l’étendard de la France libre au Tchad.
De Joséphine Baker, danseuse, chanteuse et actrice née américaine qui fit briller Paris de son talent, avant de relever l’honneur de la France en risquant sa vie dans la Résistance.
De Marc Bloch, qui donna à son pays non seulement ses forces intellectuelles d’historien novateur, mais son sang, comme héros des deux guerres mondiales et comme résistant, fusillé par la Gestapo en 1944.
De François Mauriac, prix Nobel de littérature, qui engagea sa plume aiguisée d’écrivain-journaliste au cœur de la mêlée, pour servir la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, la dénonciation des injustices et des violences lors des conflits liés à la décolonisation, et l’analyse passionnée des événements politiques de son temps.
De Pierre Mendès France, plus jeune avocat et député de France, résistant de la première heure, qui fit entrer la République dans l’ère de la modernité, imposant son sens des réalités dans le règlement des questions coloniales, concluant la paix en Indochine, amorçant l’indépendance de la Tunisie et du Maroc, et suscitant l’espoir en politique de toute une jeunesse.
De Germaine Poinso-Chapuis, première femme ministre, qui lutta pour faire évoluer le régime légal du mariage en réclamant la séparation des biens, s’engagea pour la promotion du travail des femmes, et entreprit une action importante dans le domaine de la santé et de la protection de l’enfance en initiant une réorganisation des hôpitaux.
De Jacques Chaban-Delmas, Compagnon de la Libération, maire de Bordeaux pendant 48 ans et Premier ministre sous Georges Pompidou, qui mit autant de courage et d’énergie à libérer Paris qu’à œuvrer pour une société plus juste, plus solidaire et plus humaniste.
De Germaine Tillion, historienne et ethnologue aujourd’hui au Panthéon, qui paya par sa déportation à Ravensbrück ses hauts-faits de résistance, et survécut avec un altruisme et un courage inouïs.
Et de tant d’autres, connus ou anonymes, dont l’héritage de dévouement et de liberté nous invite, aujourd’hui, à faire bloc autour de la République.
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