N° 2702
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2000.
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 2605) relatif à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Par Mme Danielle BOUSQUET, Députée.
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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel
Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Conchita Lacuey, Jacqueline Lazard, Raymonde Le Texier, MM. Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
I - L’ALLONGEMENT DU DÉLAI LÉGAL, VINGT-CINQ ANS APRÈS LE VOTE DE LA LOI VEIL : UNE ADAPTATION QUI S’IMPOSE.
A. VINGT-CINQ ANS APRÈS LE VOTE DE LA LOI VEIL, L’IVG DEMEURE UN PROBLÈME PRÉOCCUPANT DE SANTÉ PUBLIQUE.
1. Le nombre d’IVG en France reste élevé.
2. L’insuffisance de l’accueil du service public entraîne disparités et injustices vis-à-vis des femmes
B. L’ALLONGEMENT DES DÉLAIS : UNE ADAPTATION INDISPENSABLE DE LA LOI
1. Mettre fin au scandale des départs à l’étranger
2. L’allongement des délais permettra-t-il de résoudre tous les cas des femmes hors délais ?
C. LES CONSÉQUENCES DE L’ALLONGEMENT DES DÉLAIS
1. Quelle sera l’incidence médicale de l’allongement des délais ?
2. Comment aider les femmes et les médecins dans les situations les plus difficiles ?
3. L’allongement des délais va-t-il entraîner un risque d’"eugénisme" ?
D. POUR DE MEILLEURES CONDITIONS D’ACCUEIL ET D’ACCÈS À L’IVG.
1. Une prise de décision qui doit être entourée et respectée.
2. Un meilleur accès à l’IVG, en particulier à l’hôpital public. Le plan de Mme Martine Aubry
II - CONTRACEPTION ET IVG DES MINEURES : AMÉNAGER L’OBLIGATION DE L’AUTORISATION PARENTALE.
A. LES MINEURES FACE À L’IVG.
1. Les grossesses chez les mineures : une situation préoccupante.
2. L’obligation de l’autorisation parentale est trop rigide
B. UNE SOLUTION RAISONNABLE : L’INTERVENTION D’UN ADULTE RÉFÉRENT
1. Les réponses possibles au défaut de consentement parental
2. La solution retenue : l’intervention d’un adulte, choisi par la mineure
III - POUR UNE LARGE POLITIQUE DE PRÉVENTION : ASSURER UN MEILLEUR ACCÈS À LA CONTRACEPTION, AUTORISER LA STÉRILISATION EN L’ENTOURANT DES PRÉCAUTIONS NÉCESSAIRES
A. ASSURER UN MEILLEUR ACCÈS À LA CONTRACEPTION
1. L’échec contraceptif demeure, malgré une forte utilisation des méthodes contraceptives.
2. Pour une meilleure information à la contraception et une éducation à la sexualité
3. Une meilleure prise en charge de la contraception par la collectivité
B. ÉLARGIR LA CONTRACEPTION PAR UNE RECONNAISSANCE DE LA STÉRILISATION VOLONTAIRE
1. La stérilisation volontaire est encore peu développée en France.
2. La stérilisation demeure une intervention particulière.
3. Mettre fin au vide juridique concernant la stérilisation
==== AVANT-PROPOS
Le présent rapport est le fruit du travail collectif mené tout au long de l’année 2000 par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Le thème d’étude choisi, en début d’année, par la Délégation portait sur la santé des femmes. Mais, ses réflexions ont très vite été centrées sur le thème plus précis de l’IVG et de la contraception, compte tenu du caractère d’urgence que cette question a revêtu au cours de l’année 2000.
La Délégation a mené quatorze auditions et huit réunions de travail, au cours desquelles elle a entendu une quarantaine de personnalités ; elle a également organisé un colloque le 30 mai dernier (1).
L’objectif de la Délégation était - comme le prévoit son règlement intérieur - de publier cette étude dans le cadre du rapport annuel d’activité, qu’elle va prochainement faire paraître.
Des circonstances nouvelles ont incité la Délégation à procéder autrement. L’examen, les 29 et 30 novembre prochain, du projet de loi relatif à l’IVG et à la contraception, présenté par Mme Martine Aubry, a conduit la Délégation à faire paraître, sous forme de rapport d’information sur ce projet de loi, l’étude, les recommandations et le compte rendu des auditions qui constituaient son thème d’étude annuel.
Que toutes les éminentes personnalités entendues par la Délégation soient remerciées pour la franchise, la rigueur et la richesse de leurs témoignages qui contribueront à éclairer le débat qui va maintenant avoir lieu devant la représentation nationale.
Martine LIGNIÈRES-CASSOU,
Présidente
==== INTRODUCTION
MESDAMES, MESSIEURS,
La maîtrise par les femmes de leur fécondité aura été une des grandes révolutions de société de la deuxième moitié du vingtième siècle. La contraception, cet "habeas corpus" moderne, dont parle Mme Geneviève Fraisse, offre désormais à la femme une double liberté : elle libère la femme de la tyrannie des lois de la nature et de la reproduction ; elle la libère aussi de la domination masculine et de l’injustice qui laisse les femmes seules à subir les conséquences de la grossesse ou de l’avortement.
Cette liberté - "Notre corps nous appartient", slogan des féministes des années 70 - s’inscrit profondément dans des mouvements parallèles de la société : la conquête de la démocratie, le droit de vote acquis par les femmes en France au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l’accession à l’égalité professionnelle puis à la parité en politique. Elle s’inscrit aussi dans les progrès de la science et de la médecine, qui ont permis cette émancipation par les découvertes, sans cesse renouvelées, des méthodes contraceptives et des techniques médicales.
Cette conquête irréversible vers plus de libertés s’est appuyée sur les deux grandes lois fondatrices qu’ont été la loi "Neuwirth" du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et la loi "Veil" du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, adoptées grâce au combat des femmes, des mouvements et des associations féministes - comme le Mouvement français pour le planning familial qui célèbre cette année les quarante années de sa création et de son travail militant - grâce aussi au courage d’hommes et de femmes politiques pour soutenir des textes qui, dans les assemblées comme dans la société, ont soulevé des passions considérables autour de débats de conscience et d’éthique.
Ce n’est que lentement que ces lois ont été mises en application, la loi Neuwirth devant attendre plusieurs années ses décrets d’application, tandis que la loi Veil s’est heurtée dès le départ à une insuffisance de moyens dans le secteur public et aux fortes réticences, sinon "résistances" des médecins.
La reconduction de la loi Veil fut cependant acquise le 30 novembre 1979, mais par une majorité légèrement plus faible qu’en 1974 (2), alors que l’opinion y était majoritairement favorable. Les acquis de cette loi sont incontestables. L’avortement n’a pas été banalisé, comme on pouvait le craindre, et ne s’est pas substitué à la contraception ; le nombre d’IVG n’a pas augmenté et demeure pour les femmes un ultime recours, jamais un acte banal ou anodin.
Sur le plan sanitaire, la nouvelle législation s’est avérée très efficace : la médicalisation a eu pour conséquences les disparitions des morts et des lourdes séquelles de l’avortement clandestin.
La "loi Roudy" du 31 décembre 1982 sur le remboursement de l’IVG, attendue depuis longtemps, est venue compléter l’ensemble du dispositif, tandis que la "loi Neiertz" du 27 janvier 1993 créait, pour protéger la pratique légale de l’IVG, le délit d’entrave à l’IVG, afin de se prémunir des agissements de certaines associations.
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Qu’en est-il, plus de trente après la loi Neuwirth et vingt-cinq ans après la loi Veil ? La société française et les mentalités ont changé. De nouveaux problèmes, que la loi n’avait pas prévus, sont apparus. Les progrès de la science et de la médecine ont déplacé les débats.
L’exposé des motifs du projet de loi, présenté par M. Lionel Jospin, Premier ministre, et par Mme Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, souligne la nécessaire modernisation de nos lois en matière de contraception et d’IVG : "Si ces deux lois ont été en leur temps des acquisitions fondamentales pour la vie des femmes au quotidien, elles ne sont plus aujourd’hui, près de trente ans plus tard, totalement adaptées ni à la réalité sociale, ni à la réalité médicale de notre pays. Elles méritent d’être actualisées et modernisées."
La Délégation aux droits des femmes, à partir du colloque sur "Droits des femmes : contraception, IVG, pour un meilleur accès", organisé le 30 mai dernier, puis des nombreuses auditions de personnalités, professeurs et praticiens, chercheurs, personnels de santé, a tenté de cerner les nouveaux problèmes.
L’IVG demeure aujourd’hui un problème préoccupant de santé publique. Le nombre d’IVG pratiqué annuellement en France, malgré une relative stabilisation, reste élevé, autour de 220 000, sans que l’on puisse, malgré les statistiques officielles, le chiffrer avec exactitude.
La Délégation aux droits des femmes s’est efforcée, avec ses interlocuteurs, d’en rechercher les raisons dont la principale est l’insuffisance criante en amont de l’information et de l’éducation en matière contraceptive depuis trente ans.
La loi de 1975 avait mis fin au scandale des avortements clandestins, évalués à l’époque à environ 300 000, dont toute une société s’était rendue complice.
Le scandale s’est maintenant déplacé d’une pratique clandestine en France à l’IVG hors des frontières, lorsque les délais légaux sont dépassés. On évalue à 5 000 environ - ce ne sont là aussi que des chiffres approximatifs - le nombre de femmes qui, chaque année, dans des conditions difficiles, se voient contraintes d’aller avorter dans des pays voisins.
Le projet de loi, pour résoudre ce problème, propose d’allonger le délai légal de l’IVG de dix à douze semaines de grossesse.
La Délégation aux droits des femmes a tenté de cerner les motifs conduisant les femmes à dépasser les délais et les solutions recherchées (IVG à la marge des délais légaux, cliniques à l’étranger, interruptions de grossesse pour motifs thérapeutiques). La Délégation s’est également demandé si toutes les femmes "hors délais" seraient prises en compte par cette nouvelle disposition et elle a longuement interrogé ses interlocuteurs sur les conséquences médicales de cet allongement des délais.
Le problème des adolescentes confrontées à une grossesse non désirée est préoccupant : 10 000 chaque année, dont 7 000 se terminant par une IVG. La situation d’une jeune fille qui entre dans la vie avec l’expérience traumatisante d’une IVG exige qu’une attention particulière lui soit apportée par un aménagement de l’obligation de l’autorisation parentale. La Délégation a exploré avec des juristes les alternatives possibles à l’autorisation parentale. Mais, bien en amont, se pose le problème d’une meilleure information et éducation des adolescents à la contraception et à la sexualité.
Les adaptations législatives nécessaires devront s’appuyer sur une amélioration de l’accès à l’IVG dans les structures publiques. Des dysfonctionnements, des pesanteurs administratives, des moyens souvent insuffisants, des problèmes de statut des personnels ne permettent pas d’offrir partout les meilleures conditions aux femmes qui veulent recourir à l’IVG. Des études approfondies ont mis en lumière ces difficultés, auxquelles le gouvernement s’efforce de remédier depuis trois ans par une politique volontariste.
Dans un souci de prévention de l’IVG, la Délégation a souhaité élargir ses recherches à une méthode de régulation des naissances
– encore peu développée en France, mais largement pratiquée à l’étranger - la stérilisation. Des mesures d’ordre législatif devraient autoriser la stérilisation volontaire en entourant cette intervention de toute la sécurité nécessaire, pour les patients comme pour les praticiens.
I - L’ALLONGEMENT DU DÉLAI LÉGAL, VINGT-CINQ ANS APRÈS LE VOTE DE LA LOI VEIL : UNE ADAPTATION QUI S’IMPOSE.
A. VINGT-CINQ ANS APRÈS LE VOTE DE LA LOI VEIL, L’IVG DEMEURE UN PROBLÈME PRÉOCCUPANT DE SANTÉ PUBLIQUE.
1. Le nombre d’IVG en France reste élevé.
· La loi Veil a permis de mettre fin au scandale des avortements clandestins et à la détresse de ces milliers de femmes contraintes d’avorter dans des conditions souvent dramatiques (3), aidées par des associations, des militants, des médecins, comme le professeur Jacques Milliez, qui devant notre Délégation a évoqué son expérience et son engagement (4).
Trois cent mille femmes, sans doute plus, chaque année, se trouvaient contraintes à cet acte douloureux, impliquant dans leur geste toute la société, les médecins, les associations, les juges qui n’appliquaient plus la loi.
· Ce rappel est nécessaire car, si la clandestinité a disparu, le nombre élevé d’IVG par an, 220 000 environ, interpelle notre société : l’IVG demeure encore aujourd’hui, dans notre pays un problème de santé publique.
Par rapport à nos voisins européens, la France avec un taux d’IVG de 15,4 0/00, pour les femmes en âge de procréer de 15 à 44 ans en 1997 (5), se situe à une place moyenne (Angleterre : 15,6 0/00 ; Allemagne : 7 0/00 ; Espagne : 5,7 0/00, Belgique : 6,8 0/00). Aux Pays-Bas, souvent cités en exemple, pour des raisons tenant à l’accès précoce à la contraception et aux politiques d’éducation dirigées vers les jeunes, cette proportion est de 6,5 0/00.
Mais l’enquête récente de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de l’emploi et de la solidarité note une progression de 6 % depuis 1990, soit 214 000 IVG en 1998 contre 202 000 en 1990 (6).
· Ces chiffres, basés sur les bulletins d’interruption de grossesse établis par les établissements dans lesquels elle a lieu, ainsi que sur la statistique annuelle des établissements de santé qui recense toutes les IVG facturées au forfait, sont certainement inférieurs à la réalité.
Comme le souligne le professeur Israël Nisand, dans son rapport sur "L’IVG en France" (7), il convient d’évaluer à 25 000 par an environ les IVG non déclarées, malgré l’obligation qui en est faite par la loi de 1975 qui charge l’INED, en liaison avec l’INSERM, d’analyser et de publier ces statistiques. Les sous-déclarations seraient de 5 % pour le secteur public et de 25 % dans le secteur privé.
· L’enquête révèle une légère croissance du taux d’IVG chez les plus jeunes femmes. Le recours à l’IVG est plutôt stable au-delà de 2526 ans, alors qu’il augmente chez les plus jeunes. Les taux les plus élevés concernent les femmes de 20 à 24 ans, mais la plus forte augmentation concerne les 18-19 ans.
Des hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène, qui tient principalement à une évolution des modes de vie, dans un contexte marqué par la précarité économique (8).
· Pour bien saisir l’ampleur du phénomène, il convient de replacer, au niveau mondial, l’IVG et les risques qu’elle entraîne. Chaque année dans le monde entier, 175 millions de femmes sont enceintes et 75 millions des grossesses ne sont pas désirées ; 40 millions se termineront par des avortements, dont 20 millions ne sont pas médicalisés. Toutes les trois minutes, une femme meurt encore de ce fait, soit 1 % de mortalité. Le combat pour les femmes, les médecins, les associations continue au-delà de nos frontières.
2. L’insuffisance de l’accueil du service public entraîne disparités et injustices vis-à-vis des femmes
La diversité des structures, un contingentement des IVG, les problèmes posés par le statut des personnels sont à l’origine d’un traitement très inégal des demandes d’IVG. Un constat s’impose : le service public n’assure pas pleinement sa mission.
· Le docteur Joëlle Brunerie-Kauffmann, lors du colloque du 30 mai dernier, a établi une typologie des structures d’accueil du secteur public :
– les centres dits autonomes, mis en place pour appliquer la loi de 1975, souvent parce que les chefs de service, invoquant la clause de conscience, refusaient que l’IVG soit pratiquée dans leur service. Le personnel de ces centres est composé de médecins, souvent militants au départ, mais sous la responsabilité du directeur de l’établissement. Ces centres manquent souvent de moyens et de lits.
– les centres intégrés dans un service hospitalier de maternité comme le centre Antoine Béclère à Clamart, où la diversification des activités permet au personnel de ne pas se consacrer exclusivement à l’accueil des femmes en IVG, ou dans un service de chirurgie comme le CIVG de l’hôpital de Bicêtre, visité par la Délégation, refait à neuf l’année dernière et disposant de toutes les installations nécessaires.
– les structures d’accueil en milieu hospitalier. Dans ce cas, les IVG sont assurées intégralement par un service au sein de l’hôpital, au même titre que les accouchements, ce qui pour les femmes n’est pas forcément une bonne chose d’un point de vue psychologique.
Il est difficile de comparer entre eux les niveaux de qualité de ces différentes structures. Dans les centres autonomes, le personnel est spécialisé, formé, volontaire et souvent l’accueil des femmes y est meilleur. Dans les centres intégrés, l’ensemble des activités du service a tendance à prédominer sur l’activité IVG en matière de moyens.
· Les établissements privés assurent le relais des structures publiques, qui n’assurent que les deux tiers environ des IVG sur l’ensemble du territoire. L’accueil dans les cliniques privées est très inégal, en raison du non-respect des dispositions de la loi (non remise du dossier-guide, non-respect du délai de réflexion, recours fréquent à l’anesthésie générale, ...).
· Des différences géographiques importantes sont relevées : un quart des départements métropolitains, concentrés en Ile-de-France et dans les régions du sud de la France, présentent des taux d’IVG supérieurs à la moyenne (9). En Ile-de-France, deux tiers des IVG sont réalisées dans le secteur privé.
· Mme Chantal Blayo, professeur à l’université Montesquieu-Bordeaux IV, a expliqué devant la Délégation cette insuffisance par un contingentement dû à un manque de moyens, de lits, de praticiens, d’anesthésistes. Parfois, on sélectionne les femmes qui veulent avorter, en écartant d’office celles qui ont déjà connu plusieurs avortements, ou qui ne résident pas dans la même commune que l’établissement.
La difficulté de recourir à l’IVG durant le mois d’août, en raison par exemple de l’absence de vacataires, a été soulignée. D’après Mme Chantal Blayo, qui a enquêté dans une douzaine de départements en 1999, la demande des femmes est souvent différée, parfois même refusée lorsque la durée de gestation est trop élevée. Certains établissements répondent soit qu’ils sont trop saturés, soit qu’ils sont complets et certaines femmes sont orientées vers le Mouvement français pour le planning familial (MFPF).
Les femmes doivent donc souvent se "débrouiller" et ce sont les femmes les plus défavorisées qui rencontrent le plus de difficultés, faute d’informations ou faute de pouvoir payer l’avance que demandent généralement les cliniques privées.
B. L’ALLONGEMENT DES DÉLAIS : UNE ADAPTATION INDISPEN-SABLE DE LA LOI
1. Mettre fin au scandale des départs à l’étranger
a) Les chiffres
· Il n’est plus possible de tolérer que soient laissées à l’abandon environ 5 000 femmes chaque année qui, ayant dépassé les délais, ne trouvent pas d’accueil en France et sont contraintes de partir à l’étranger. Notre pays se défausse en quelque sorte de ses responsabilités sur ses voisins européens... et, en France même, sur les associations, vers lesquelles les médecins orientent les femmes. Ce qui fait dire au professeur Chantal Blayo : "Il est tout de même paradoxal qu’un mouvement associatif soit nécessaire pour régler un problème de santé publique."
· Le MFPF, à partir des "voyages" qu’il organise, et du nombre de femmes accueillies dans les cliniques anglaises et hollandaises où elles se rendent majoritairement, a pu établir des estimations qui sont sans doute inférieures à la réalité en raison du nombre de femmes qui passent par des filières de cliniques privées.
· Les destinations des femmes ont changé. A la Grande-Bretagne et à la Suisse, sont maintenant préférés les Pays-Bas (66 % d’après une enquête du Planning) et plus récemment l’Espagne (Barcelone, Valence).
· Les pays choisis le sont en fonction de leur législation plus libérale (10) en matière de délais.
Quatre pays (Espagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse) vont jusqu’à vingt-deux semaines de grossesse, limite de la viabilité foetale, terme ramené à vingt semaines aux Pays-Bas lorsqu’il y a doute sur le début de la grossesse.
La Suède va jusqu’à seize semaines de grossesse ; la Belgique, l’Allemagne et l’Autriche jusqu’à douze semaines, délai proposé dans le projet de loi.
Le Danemark, la Grèce et la Norvège vont, comme la France, jusqu’à dix semaines, mais au Danemark et en Norvège, des raisons socio-économiques permettent l’avortement jusqu’à vingt-deux semaines.
b) Pourquoi des femmes dépassent-elles les délais ?
· Les raisons du dépassement des délais sont complexes. Le docteur Danielle Gaudry, présidente du Mouvement français pour le planning familial, a présenté, lors du colloque du 30 mai dernier, une analyse portant sur 1 870 cas de femmes accueillies dans les vingt-trois permanences d’accueil du Planning en 1999 (11) :
– problèmes relationnels au sein de la famille ou du couple, lorsque la grossesse est connue ;
– cas (pour 20 %) de femmes, très jeunes, qui n’ont pas osé en parler au sein de leur famille et qui attendent jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de cacher leur grossesse ;
– difficultés socio-économiques, violences sexuelles, dénis de grossesse, ambivalence vis-à-vis de la poursuite de la grossesse (10 % des cas).
A ces difficultés qui tiennent à la femme elle-même, il faudrait, pour un certain nombre de cas, ajouter la complication de l’accès à l’IVG (manque d’information, lourdeur des formalités, rendez-vous différés, etc...).
c) Des expériences pénibles qui coûtent cher.
Pour les femmes, il en résulte un grand sentiment d’injustice, de culpabilisation et le vécu d’une expérience pénible. Par ailleurs, ces voyages à l’étranger coûtent très cher. Aux Pays-Bas, si le coût de l’IVG est gratuit pour les Hollandaises et les étrangères réfugiées, pour les Françaises, il est, avant douze semaines, de 2 400 F et au-delà de 5 400 F avec une nuit d’hébergement selon des informations communiquées à la Délégation.
L’accueil dans ces cliniques, chaleureux, professionnel et déculpabilisant, n’est pas en cause, bien au contraire. Mais, pour les femmes, il en résulte une grande injustice, liée à des raisons financières. Où trouver l’argent pour ce déplacement décidé souvent dans l’urgence ? Qui va accompagner la femme ? Qui va garder l’enfant resté à la maison ? Comment justifier cette absence de vingt-quatre, quarante-huit heures à la famille et au bureau ?
2. L’allongement des délais permettra-t-il de résoudre tous les cas des femmes hors délais ?
Mme Martine Aubry a estimé que 80 % des femmes devraient ainsi être aidées, soit la grande majorité des demandes tardives, entre dix et douze semaines de grossesse.
D’après une enquête de 1999 réalisée principalement en région parisienne, où l’accès à l’IVG est difficile, le Planning familial, a ainsi évalué le nombre des femmes suivant le dépassement du délai légal :"40 % de ces femmes sont entre douze et quatorze semaines depuis les dernières règles, 29 % entre quinze et dix-sept semaines, 16 % entre dix-huit et vingt semaines et 9 % au-delà de vingt semaines".
En l’absence d’une réelle enquête qui devrait être diligentée par le ministère de l’emploi et de la solidarité, il est difficile de chiffrer avec exactitude le nombre de femmes qui, d’une part, dépassent les délais de dix à douze semaines de grossesse et, d’autre part, sont au-delà.
C. LES CONSÉQUENCES DE L’ALLONGEMENT DES DÉLAIS
La Délégation, en auditionnant d’éminents professeurs de médecine, gynécologues-obstétriciens, scientifiques, a cherché des réponses à trois questions fondamentales :
1. Quelle sera l’incidence médicale de l’allongement des délais ?
Sur cette première question, la Délégation a interrogé des experts de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). A la demande de la Direction générale de la santé, l’ANAES a établi, en février 2000, des recommandations, basées sur des avis d’experts, concernant l’IVG réalisée dans le cadre légal, dans un délai de quatorze semaines d’aménorrhée (12).
Elle est en train d’élaborer un deuxième rapport correspondant à une analyse exhaustive et critique de la littérature scientifique internationale, dont le professeur Michel Tournaire a présenté les premiers éléments à la Délégation.
a) Evolution des techniques médicales avec l’âge gestationnel
Les méthodes techniques de l’IVG varient suivant l’âge gestationnel. En début de grossesse, jusqu’à douze semaines d’aménorrhée, le choix technique se situe entre les méthodes médicamenteuses (association du RU 486 ou mifépristone à une prostaglandine prise quarante huit heures plus tard) et les méthodes médicales et chirurgicales (aspiration, dilatation).
· Jusqu’à sept semaines d’aménorrhée.
La méthode médicamenteuse, relativement récente, présente de nombreux avantages en raison de son recours précoce et son faible risque de complication, en particulier d’infection.
Cependant, elle nécessite pour la deuxième phase une hospitalisation d’une demi-journée, durant laquelle devrait se produire l’interruption volontaire de grossesse. Les conditions de son utilisation à l’hôpital et les difficultés qui entourent la délivrance du médicament conduisent à souhaiter, d’une part, de rendre plus accessible ce médicament, classé dans la catégorie des substances vénéneuses, et, d’autre part, d’offrir la possibilité d’y recourir en traitement ambulatoire, la femme restant en contact avec son médecin ou le centre médical.
Parallèlement, la méthode chirurgicale est possible à ces dates, mais avec plus d’inconvénients.
· De huit à douze semaines d’aménorrhée
Pour la période de huit à douze semaines d’aménorrhée, la méthode chirurgicale serait conseillée par l’ANAES, avec recours à une préparation préalable du col de l’utérus.
La méthode médicamenteuse est possible, mais avec des inconvénients notables : sa durée est variable et, parfois longue et s’accompagne de douleurs importantes, parfois d’hémorragies. En tout état de cause, Mme Martine Aubry a sollicité de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) une étude de faisabilité pour une extension de l’autorisation de mise sur le marché du RU 486 et pour une autorisation de prescription, sous conditions, à la ville.
L’important est que les deux méthodes soient proposées aux patientes, car la méthode la mieux acceptée est celle préférée par la femme.
· De treize à quatorze semaines d’aménorrhée (onze à douze semaines de grossesse)
En ce qui concerne la période de treize à quatorze semaines d’aménorrhée, la principale méthode utilisée est la méthode chirurgicale, mais elle est plus délicate, avec un taux de complication plus élevé, estime le professeur Michel Tournaire (13 :
"... le vécu de cette technique est considéré par l’équipe médicale comme clairement plus difficile que l’IVG réalisée dans le délai des douze semaines. En même temps, cette méthode chirurgicale a le très grand avantage d’être bien supportée par la femme - ce qui me semble être une priorité. Elle peut se comparer à une IVG effectuée au début de la grossesse, puisque la patiente, sous anesthésie générale, ne subira pas d’épreuve plus difficile que pour une IVG précoce."
D’un interlocuteur à l’autre, les appréciations ont été diverses.
"Jusqu’à douze semaines d’aménorrhée, on emploie une méthode d’aspiration, que l’on peut considérer comme un geste médical, alors qu’à partir de douze semaines, il s’agit d’un acte chirurgical ; les instruments utilisés nécessitent un complément de formation pour les médecins, car la pratique n’est pas tout à fait la même. Une réforme aussi importante ne peut pas se faire sans la participation des médecins" (14).
Ou encore cette opinion : "Il se peut que les risques soient légèrement accrus, mais j’objecterai tout d’abord qu’entre dix et douze semaines, ils ne sont pas très significatifs, ensuite que ces risques diminuent au fur et à mesure que les équipes prennent l’habitude de pratiquer ces opérations, et enfin que, dans certains pays voisins, la limite de l’IVG peut atteindre jusqu’à vingt-quatre semaines, sans que l’on constate pour autant d’hécatombes ou de complications très graves" (15).
En ce qui concerne les complications qui représentent moins de 1 % de l’ensemble des IVG, le risque relatif de douze à quatorze semaines d’aménorrhée est évalué à 1,3 ou 1,5 %. Cela dit, au fur et à mesure que le terme augmente, le risque augmente, tout en restant dans des proportions globalement faibles (16).
b) Les réticences de certains médecins
D’après les témoignages recueillis, mis à part les médecins hostiles par conviction à l’IVG, un certain nombre de généralistes, de gynécologues médicaux, pourtant favorables à l’IVG, voire militants, se montrent réticents et s’interrogent sur les techniques opératoires à 14 semaines d’aménorrhée. Peu formés à des pratiques chirurgicales tardives, ils appréhendent des interventions plus difficiles, qui en tout état de cause ne seront jamais gratifiantes. Ces méthodes pourtant largement utilisées aux Pays-Bas, en Angleterre, aux Etats-Unis, ne sont pas dans la culture française, qui préfère à un stade tardif le déclenchement médicamenteux, plus facile pour le médecin, mais douloureux pour les patientes. D’où en France, la tradition d’emploi de la péridurale.
Ces pratiques demanderont des moyens plus importants et devront impérativement se pratiquer en bloc opératoire, avec accès à des moyens de transfusion et possibilité d’intervenir en cas d’urgence, estime le professeur Tournaire. Les équipes médicales qui n’en ont pas l’expérience devront s’y former.
2. Comment aider les femmes et les médecins dans les situations les plus difficiles ?
L’allongement des délais permettra à un certain nombre de femmes, quelques milliers, d’être prises en charge. Mais des situations difficiles continueront de se présenter. La Délégation a souhaité explorer les voies permettant d’apporter des solutions aux femmes et aussi aux médecins, en allant notamment vers plus de collégialité dans le processus de décision.
a) De l’interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique à l’interruption volontaire de grossesse pour motif médical.
L’interruption de grossesse pour motif thérapeutique peut être pratiquée dans deux cas :
– "lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme" ;
– "lorsqu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic".
Deux médecins doivent décider du recours à l’IVG après examen et discussion.
Dans le premier cas, l’un de ces deux médecins doit exercer son activité dans un établissement d’hospitalisation public ou dans un établissement d’hospitalisation privé satisfaisant aux conditions imposées pour pratiquer des IVG. L’autre doit être inscrit sur la liste d’experts près la Cour de cassation ou près d’une Cour d’appel.
Dans le deuxième cas, l’un des deux médecins doit exercer son activité dans un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire.
C’est dans ce cadre que les médecins sont appelés à répondre aux demandes de femmes, hors délais, souvent dans des situations particulièrement difficiles.
Ils peuvent estimer, en leur conscience, qu’il existe un risque pour la santé de la femme, en s’appuyant sur la définition donnée par l’Organisation mondiale de la santé : "La santé est un état de bien-être physique, mental et social".
"Dans ces situations, précise le professeur Milliez, nous demandons une évaluation d’experts à un psychiatre qui confirme, en produisant un certificat, qu’il y a un risque pour la santé de cette femme ou de cette jeune fille, et qu’il est nécessaire de procéder à une interruption médicale ou thérapeutique de grossesse.
"Cet artifice légal nous permet de trouver des solutions aux situations les plus tragiques, celles qui pourraient conduire à des tentatives de suicide ou à des accouchements dans des conditions épouvantables, celles qui constitueraient véritablement des mises en danger de la vie d’autrui, si nous ne faisons rien".
Aussi, la modification par le projet de loi de l’interruption de grossesse, pour motif thérapeutique, qui devient l’interruption de grossesse pour motif médical devrait permettre aux médecins d’intervenir dans ces cas limites, tardifs et particulièrement douloureux.
b) Modifier la procédure vers plus de collégialité et de pluridisciplinarité
Il semble d’après les témoignages recueillis que la procédure faisant appel à un médecin-expert ne soit pas vraiment appropriée. D’une part, les médecins-experts susceptibles d’intervenir en matière d’interruption de grossesse sont peu nombreux et difficilement accessibles. D’autre part, ces dispositions ne semblent pas prendre en compte au mieux l’intérêt des femmes et laissent entièrement la décision entre les mains des médecins.
Aussi, votre Délégation souhaite introduire le principe de collégialité et de pluridisciplinarité par l’intervention d’une commission qui permettrait l’établissement d’un dialogue entre la femme ou le couple et les membres de cette commission. Celle-ci pourrait être composée de deux médecins, dont un responsable de service de gynécologie-obstétrique et d’un psychologue. La prise de décision pour la femme comme pour les médecins serait ainsi entourée des meilleures garanties.
3. L’allongement des délais va-t-il entraîner un risque d’"eugénisme" ?
a) Le risque évoqué
Dès l’annonce du projet gouvernemental, une polémique s’est faite jour autour de l’allongement des délais, susceptible d’entraîner des dérives eugéniques.
Les progrès des sciences et techniques médicales, en particulier de l’échographie, la surveillance dont est maintenant entourée la femme enceinte, permettent de déceler de plus en plus tôt un doute sur l’évolution normale de la grossesse et l’apparition d’anomalies.
D’ores et déjà, depuis une dizaine d’années, des examens pratiqués entre dix et douze semaines d’aménorrhée, avant donc la fin du délai légal, permettent de diagnostiquer des anomalies majeures et souvent incompatibles avec la vie (encéphalie, _dèmes généralisés...) entraînant une fin spontanée de la grossesse, mais aussi de petites anomalies, qui induisent un doute sur le devenir de l’enfant (bec-de-lièvre, doigt surnuméraire...). Un diagnostic du sexe peut aussi être effectué à ce stade.
L’ensemble de ces malformations, selon les spécialistes interrogés, représente un taux de 2,5 % environ des grossesses, dont 1 % d’anomalies majeures.
L’argumentation du délai de dix à douze semaines de grossesse permettrait à la médecine de connaître le sexe de l’enfant et d’obtenir des informations plus fines sur d’éventuelles anomalies. Ainsi, après la onzième ou douzième semaine, une fente labiale, qui n’était pas visible avant, peut désormais, mais très progressivement, être décelée.
b) La découverte du sexe ou d’anomalies mineures va-t-elle entraîner un accroissement des demandes d’IVG ?
Le professeur Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) répond sur ce sujet :
"Je pense que cette question ne doit pas être traitée de cette façon, parce qu’il est attentatoire à la dignité des femmes de considérer qu’une grossesse puisse être vécue ainsi et qu’une femme puisse s’en débarrasser en fonction du sexe de l’enfant... En particulier, respecter les femmes, c’est ne pas leur faire porter d’emblée une responsabilité vis-à-vis d’elles-mêmes, comme si elles étaient désinvoltes vis-à-vis de leur grossesse.
"Donc, même si la médecine peut apporter des informations permettant à un certain nombre de femmes de porter, sur leur grossesse, un jugement négatif, qu’elles n’auraient peut-être pas porté si elles étaient restées dans l’ignorance, je ne pense pas, compte tenu du faible nombre de cas en cause, que la découverte du sexe aboutisse à une augmentation des interruptions de grossesse. Je ne pense pas que l’on ait à craindre un eugénisme aggravé, parce que la question n’est pas de savoir si l’eugénisme existe - il existe de façon médicale, même si l’on ne veut pas le voir - et je ne pense donc pas que l’allongement du délai soit de nature à accroître le nombre d’interruptions de grossesse.
"Je ne pense pas d’ailleurs que le débat sur l’eugénisme lié au délai d’interruption de grossesse ait un sens, en dehors de certains pays comme la Chine. Mais, dans ce pays, ce ne sont pas les femmes qui interrompent leur grossesse lorsqu’elles ont des filles, mais l’Etat chinois qui les y obligent, car c’est un Etat eugénique. Et la France ne l’est pas."
Madame Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, a été claire sur le sujet : "Le sujet de l’eugénisme est un débat important que nous ne devons pas occulter... Mais il ne doit pas être confondu avec le débat qui concerne le droit à l’IVG, et encore moins faussement résolu par une mise sous tutelle des femmes".
Votre Délégation estime que la polémique sur les risques d’"eugénisme" n’a pas véritablement d’objet à propos de l’IVG. Les cas de femmes ou de couples, que l’on soupçonne d’avoir eu recours à l’IVG pour une question de sexe de l’enfant à naître, sont tout à fait marginaux. S’agissant d’une anomalie légère, la décision de la femme devra être entourée, éclairée au maximum sur la possibilité de traitement du handicap, la prise en charge de l’enfant. Les familles ne sont pas toutes égales devant l’accueil de cet enfant.
La recherche de l’enfant parfait, de l’enfant sur mesure, relève d’un fantasme. Ce que souhaitent les familles, c’est un enfant simplement normal.
D. POUR DE MEILLEURES CONDITIONS D’ACCUEIL ET D’ACCÈS À L’IVG.
Pour donner toute son efficacité à l’allongement des délais et respecter au mieux les droits et la volonté de la femme, il faudra d’une part améliorer l’accueil offert aux femmes lors de leur prise de décision, d’autre part favoriser l’accès à l’IVG dans les structures publiques, notamment par des moyens budgétaires accrus.
1. Une prise de décision qui doit être entourée et respectée.
a) Pour un entretien qui ne soit plus imposé.
Après la première consultation médicale en vue de l’IVG, la femme enceinte doit "consulter un établissement d’information, de consultation ou de conseil familial, un centre de planification ou d’éducation familiale, un service social ou un autre organisme agréé qui doit lui délivrer une attestation de consultation".
C’est, munie de cette attestation, que la femme retourne ensuite chez le médecin pour une deuxième consultation médicale.
Cet entretien préalable est souvent mal perçu par les femmes. Lorsqu’elles ont pris leur décision, il est ressenti comme superflu ou dissuasif et n’est plus qu’une formalité, "un papier" à aller chercher.
La qualité de l’entretien est variable suivant, précisément, la réceptivité de la femme et l’accueil des conseillères conjugales.
Le contenu de l’entretien apparaît pourtant capital pour les femmes qui hésitent encore ou qui ont besoin d’une écoute à un moment particulièrement difficile de leur vie, particulièrement pour les mineures.
Aussi, le médecin, lors de la première consultation conjugale, devrait évoquer avec la patiente la possibilité et l’utilité de l’entretien, le proposer systématiquement sans l’imposer. L’entretien, accepté, sera ainsi mieux vécu par la femme.
L’entretien devrait cependant rester obligatoire pour les mineures.
b) Une revalorisation du rôle des conseillères conjugales
Les personnels paramédicaux qui assurent ces entretiens assurent une mission de soutien psychologique absolument indispensable.
Votre Délégation a reçu, en réunion de travail, des conseillères conjugales et les a interrogées sur le problème de l’entretien et sur celui de leur statut.
· Ces personnels qui assurent la mission de l’entretien, voulu par la loi de 1975, n’y sont pas mentionnés. Afin de mieux reconnaître leur rôle, il conviendrait d’y faire référence explicitement à l’article L. 2212-4 du code de la santé publique. Les conseillères conjugales ont dû attendre longtemps avant que ne soient précisées leur rôle et leur formation (décret du 6 août 1992 et arrêté du 23 mars 1993). Mais elles n’ont ni statut, ni carrière propre et leurs rémunérations sont dérisoires.
A l’heure, où le militantisme des premières conseillères conjugales, au lendemain de l’adoption de la loi Veil, se renouvelle difficilement, il serait temps de reconnaître à ces femmes, qui exercent une profession difficile, un véritable statut à partir de la reconnaissance d’un diplôme.
c) Le délai de réflexion
Un délai d’une semaine doit s’écouler entre la première demande de la femme et la confirmation écrite remise au médecin.
En comparaison avec les pays voisins, ce délai de réflexion est le plus long (trois jours en Allemagne, cinq jours aux Pays-Bas, sept jours en Italie, mais aucun délai en Grande-Bretagne, Danemark et Suède).
La longueur de cette attente pour les femmes qui ont pris leur décision ainsi que pour les femmes pressées par des délais impératifs est mal ressentie.
En cas d’urgence toutefois, au cas où le terme légal risquerait d’être dépassé, ce délai peut être réduit, mais le médecin demeure seul juge de l’opportunité de la décision.
Il conviendrait peut-être d’introduire plus de souplesse dans l’appréciation de cette urgence à réduire la durée de la réflexion. Des médecins estiment en effet qu’une disposition en ce sens permettrait de faciliter la pratique précoce de l’avortement médicamenteux.
2. Un meilleur accès à l’IVG, en particulier à l’hôpital public. Le plan de Mme Martine Aubry
a) Un plan concerté avec tous les partenaires
Il y a deux ans, de septembre 1998 à juillet 1999, le ministère de l’emploi et de la solidarité, alerté par le rapport du professeur Nisand de février 1999 sur les difficultés de l’accès à l’IVG dans le secteur public, a entamé sur ce sujet une réflexion approfondie avec tous les partenaires concernés, dans le cadre d’un comité de pilotage.
Cette large concertation, établie avec les professionnels de la santé, professeurs, praticiens, associations de planning familial, associations militantes, associations familiales, a abouti au plan présenté par Mme Martine Aubry en juillet 1999, basé sur l’importance d’une politique de contraception, prévention de l’IVG, considérée comme un ultime recours, et sur la nécessité d’un meilleur respect des droits des femmes et de l’accès à l’IVG.
b) L’effort budgétaire
La ministre de l’emploi et de la solidarité l’a précisé dans sa conférence de presse du 14 septembre dernier.
Dans le budget 2000, une enveloppe de douze millions de francs a été dégagée pour renforcer les équipes hospitalières pratiquant les IVG, en personnel et en moyens matériels, avec une répartition par régions selon leurs difficultés. Ces crédits ont permis, dès le mois de juin dernier, la création de nombreux postes (quinze équivalents temps plein médecins, 4 000 vacations médicales, sept équivalents temps plein non-médecins).
c) Les orientations concrètes
Entendue par la Délégation aux droits des femmes, la ministre de l’emploi et de solidarité les a ainsi brièvement résumées :
· Remédier à l’accueil insuffisant des femmes durant les mois d’été, par une planification d’ouverture des centres pendant cette période ; cette orientation fait suite à l’étude menée par le professeur Chantal Blayo en août 1999 et renouvelée cette année.
· Pendre en compte la contraception et l’IVG dans les missions des commissions régionales de la naissance.
· Mettre en place des permanences téléphoniques régionales (17), pour informer les femmes, même en plein mois d’août, des possibilités d’accueil.
· Favoriser, pour l’IVG précoce, le recours à la méthode médicamenteuse.
· Permettre aux femmes, mieux informées, de choisir elles-mêmes la méthode d’IVG.
· Assurer l’IVG dans les meilleures conditions possibles de sécurité et de soutien psychologique, avec un accompagnement post-IVG.
· Prendre en compte le bon fonctionnement de l’activité d’IVG dans les contrats d’objectifs et de moyens signés par les Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) avec les établissements hospitaliers publics.
d) Le problème des médecins des centres IVG est posé.
Valoriser les activités des centres d’IVG passe d’abord par une amélioration de la situation des médecins, - et aussi des personnels non médicaux, comme les conseillères conjugales, abordée plus haut -.
· Problème de recrutement.
Les médecins qui travaillent comme vacataires, ou comme contractuels dans les centres, sont en général des gynécologues médicaux ou des généralistes. Cette génération militante disparaît et le renouvellement n’est pas assuré.
Les solutions, suggèrent certains médecins, seraient de former les futurs généralistes dans les centres, qui par ailleurs pourraient être partie prenante dans la formation des futurs gynécologues médicaux.
· Problème de statut et d’avenir professionnel.
La situation des médecins-vacataires, rémunérés de façon dérisoire, n’est guère motivante. Certains suggèrent qu’au bout de deux contrats de trois ans, le médecin contractuel puisse se présenter à un concours interne pour devenir praticien hospitalier titulaire.
Les centres eux-mêmes, pour plus d’efficacité et pour une meilleure reconnaissance au sein de l’hôpital, devraient acquérir au moins le statut d’unité fonctionnelle, sinon de service hospitalier.
II - CONTRACEPTION ET IVG DES MINEURES : AMÉNAGER L’OBLIGATION DE L’AUTORISATION PARENTALE.
A. LES MINEURES FACE À L’IVG.
1. Les grossesses chez les mineures : une situation préoccupante.
Un premier constat : on enregistre chaque année en France 10 000 grossesses adolescentes, dont 5 700 se terminent par une IVG.
Le professeur Michèle Uzan, chef de service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, auteur d’un rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes, remis en 1998 au directeur général de la santé, a présenté à la Délégation un certain nombre de chiffres préoccupants.
– Plus la grossesse survient à un âge précoce, plus elle court le risque d’être interrompue : à l’âge de douze ans, plus de 80 % des grossesses évoluent vers une IVG, ce taux n’étant que de 20 à 25 % à l’âge de dix-huit ans. En moyenne, une grossesse adolescente sur deux va donc aboutir à une IVG, ce qui représente 3 % de l’ensemble des IVG en France.
– En Seine-Saint-Denis, où a été menée l’enquête, la situation est encore plus difficile, en raison d’une population jeune et immigrée, avec une natalité élevée et un fort taux de précarité.
Dans ce département, 5 % des IVG sont le fait de mineures. Pour 12 % de ces adolescentes mineures, il s’agit de récidive ; pour 4 %, l’IVG est consécutive à des violences sexuelles et 50 % de ces jeunes filles ne sont plus scolarisées.
Ces situations sont intolérables, étant donné le caractère souvent dramatique des grossesses adolescentes, surtout pour les plus jeunes. Commencer son entrée dans la vie et dans la sexualité par une IVG est pour une jeune fille particulièrement traumatisant.
Les raisons sont d’abord d’ordre social. La scolarisation de masse a créé un âge d’adolescence spécifique, entre enfance et âge adulte. La mixité scolaire a facilité, depuis une cinquantaine d’années, les relations entre les jeunes, tandis que les révolutions sexuelles et contraceptives ont entraîné une maturité des jeunes plus rapide.
Elles tiennent aussi au caractère particulier de la sexualité des adolescentes, souvent irrégulière et imprévue, avec absence de contraception ou contraception mal maîtrisée.
D’après l’enquête du professeur Michèle Uzan en Seine-Saint-Denis, 50 à 60 % des premiers rapports ont lieu sans contraception ; 70 % des adolescentes n’ont aucune contraception dans les trois mois qui précèdent une IVG et 20 % ont une contraception aléatoire qui va de la pilule oubliée jusqu’au préservatif laissé dans la poche
2. L’obligation de l’autorisation parentale est trop rigide
a) Contradictions entre la minorité juridique de l’adolescente et sa maturité personnelle
· L’adolescence est une période d’ambivalence : la jeune fille qui connaît une vie sentimentale, qui a vécu une relation sexuelle, se trouve dans une contradiction juridique et sociale, difficile à assumer : elle devient femme, mais elle reste mineure. Elle a besoin d’indépendance, mais demeure sous la protection de ses parents. "Sa jeunesse a besoin d’eux, et sa pudeur a besoin d’ombre. Ainsi naît l’intime, ce noyau autour duquel l’identité personnelle se développe" (18).
L’arrivée d’une grossesse renforce cette distance. Si elle ne souhaite pas poursuivre sa grossesse, doit-elle demander à ses parents une autorisation parentale, dont elle a sans doute fait l’impasse pour ses premières expériences sexuelles, et sans doute sa contraception ? Cette obligation peut être une épreuve supplémentaire, voire même être perçue comme une violence morale exercée contre son intimité, relevant symboliquement de l’intrusion et de la punition.
Il convient de prendre acte de cette réalité d’adulte, plutôt que de renvoyer l’adolescente à une minorité plus formelle que réelle. La loi doit s’adapter et accompagner un mouvement vers la responsabilité.
· Dans certains cas, la recherche de l’autorisation parentale est impossible. Mme Nathalie Bajos, chercheure à l’INSERM, a établi une typologie des jeunes par rapport à l’autorisation parentale.
Dans une majorité de familles tolérantes vis-à-vis de la sexualité, un dialogue peut se nouer à l’occasion de la grossesse de l’adolescente. C’est heureusement le cas le plus fréquent.
Dans d’autres situations, où le milieu familial est hostile à la sexualité et prévenu par obligation, il y a crise, positive qui permet de renouer un dialogue, ou négative qui entraîne pour la jeune fille des violences psychologiques.
Dans une minorité de cas, le milieu familial, hostile à la sexualité, ne peut être prévenu, pour des raisons culturelles, de mauvais climat familial, d’absence des parents... La situation de crise ainsi engendrée retarde l’annonce aux parents et l’accès au système de soins. Nombreuses sont les jeunes filles qui partent à l’étranger. Parfois, le médecin ferme les yeux sur la validité de la signature des parents.
b) Le mineur se voit déjà reconnaître des droits propres.
Il y a une certaine hypocrisie à exiger le consentement parental pour la mineure célibataire en matière de contraception et d’IVG, alors que des droits spécifiques et des responsabilités lui sont déjà reconnus :
– La mineure mariée est dispensée du consentement parental pour une IVG. En effet, le mariage émancipe la mineure, mais la maternité ne l’émancipe pas.
– La mineure célibataire peut, seule, avoir le droit de reconnaître son enfant et d’exercer son autorité parentale. Par contre, elle reste soumise à l’autorité de ses parents.
– La mère mineure peut accoucher sous X. Elle peut abandonner son enfant.
– Le mineur, qui peut être émancipé à partir de seize ans, n’est plus placé sous l’autorité de ses parents.
– Le mineur peut être entendu dans toute procédure le concernant, en particulier dans les procédures liées à la séparation ou au divorce : la loi du 8 janvier 1993 a en effet intégré, dans le droit français le principe posé par la Convention des droits de l’enfant, de l’audition de l’enfant en justice. Le critère de l’âge est remplacé par la capacité de discernement.
c) Une avancée des droits des mineures en matière de contraception et d’IVG
Dans le domaine de la santé, le principe est que les parents (ou le représentant légal) doivent consentir à tout acte médical concernant les mineurs. Cependant des dispositions spécifiques ont été adoptées permettant déjà une reconnaissance des droits des mineures.
· En matière de contraception
– La loi du 4 décembre 1974, novatrice, autorise déjà les centres de planification ou d’éducation familiale, à délivrer à titre gratuit des contraceptifs aux mineures désireuses de garder le secret, sans l’accord des parents ou du représentant légal, reconnaissant ainsi une dérogation à l’autorisation parentale. La gratuité permet à la mineure d’y avoir recours, sans demander le bénéfice de la couverture sociale de ses parents.
– La proposition de loi sur la contraception d’urgence, adoptée en première lecture le 5 octobre dernier par l’Assemblée nationale, avalisant le protocole national du 6 janvier 2000 sur l’organisation des soins et des urgences dans les établissements scolaires devrait permettre à toutes les femmes, y compris les mineures, d’accéder à la contraception d’urgence, désormais en vente libre et sans ordonnance en pharmacie.
Les mineures souhaitant garder le secret pourront par ailleurs se voir prescrire la pilule du lendemain par les médecins, tandis que les infirmières seront habilitées à la délivrer, dans des conditions bien précises, prenant en compte notamment le refus de l’élève de tout contact avec sa famille.
· Concernant l’IVG
La loi de 1979, confirmant la loi Veil de 1975, a apporté un complément à l’obligation du consentement parental : "Ce consentement parental devra être accompagné de celui de la mineure célibataire enceinte, ce dernier étant donné en dehors de la présence des parents ou du représentant légal". La mineure peut donc exprimer sa volonté en toute liberté.
d) A défaut de solutions légales, des solutions pragmatiques ont été recherchées.
La loi du 17 janvier 1975 n’est plus adaptée aux évolutions juridiques et sociales. Trop rigide, elle ne prévoit pas de solutions permettant de pallier l’absence du consentement parental dont elle fait un droit absolu. Aucun moyen juridique n’est envisagé pour passer outre le refus parental.
Les conflits de consentement sont diversement jugés par les tribunaux et, dans la pratique, les médecins trouvent des solutions en dehors de tout cadre juridique, mais en engageant leur responsabilité.
Ainsi, de nombreux médecins libéraux ou exerçant en milieu hospitalier prescrivent des contraceptifs à des mineures, sans savoir si les parents sont au courant.
S’agissant de l’IVG, les médecins recevant des mineures, non munies d’autorisation parentale, soit orientent la jeune fille vers d’autres solutions (associations, départs à l’étranger), soit acceptent de pratiquer l’IVG avec seulement le consentement écrit, en théorie, d’un parent ou d’un membre de l’entourage, la présence du parent n’étant pas requise.
B. UNE SOLUTION RAISONNABLE : L’INTERVENTION D’UN ADULTE RÉFÉRENT
1. Les réponses possibles au défaut de consentement parental
Des juristes ont exploré les alternatives possibles à l’autorisation parentale.
a) L’intervention du juge pour enfants
Elle n’est prévue par aucun texte, mais le juge des enfants est souvent saisi, lorsque le consentement parental est défaillant.
Il est en effet compétent, selon l’article 375 du code civil, lorsqu’il existe un danger pour la santé, la sécurité et la moralité d’un mineur. Il a, par exemple, la faculté de suspendre certains droits des titulaires de l’autorité parentale, tels que celui de consentir à un acte médical ou chirurgical nécessaire à la santé de l’enfant.
En pratique, les positions des juges des enfants sont très variables en fonction de leurs critères de valeurs personnelles. Certains se déclarent incompétents. D’autres autorisent directement l’IVG, ou bien retirent aux parents le droit de consentir à cet acte, en remettant à un établissement ou à un service le soin d’y consentir.
Mais, il semble, d’après des témoignages, que les juges des enfants éprouvent beaucoup de réticences "à se mettre à la place des parents et à donner une autorisation d’IVG".
En tout état de cause, le juge des enfants doit entendre, avant toute décision, les parents et l’enfant, et ne peut en aucun cas autoriser une mineure à recourir à une IVG à l’insu de ses parents.
b) La notion de majorité sanitaire
Plusieurs juristes ont évoqué devant la Délégation la notion de majorité sanitaire qui pourrait intervenir à partir de seize ans, pour les grandes adolescentes, en s’appuyant sur l’autonomie de la mineure pour certains actes qu’elle peut déjà accomplir seule (accouchement sous X, reconnaissance ou abandon d’enfant).
Si la suppression du consentement parental permet de résoudre le problème juridique et de dégager la responsabilité des praticiens, les conséquences pour la jeune fille pourront être lourdes à assumer. Un dialogue avec la famille devrait être recherché en tout état de cause.
Cette notion ne résoudrait cependant pas le problème des jeunes mineures en dessous de seize ans. Dans ces cas, hors consentement parental, pourrait être reconnue la compétence du juge des enfants, qui serait habilité à statuer en matière d’IVG.
En cas de viol, de violences sexuelles, de péril grave pour la santé de la mineure, ou de l’enfant à naître, il y a possibilité de recourir à l’interruption médicale de grossesse. Mais, dans ces situations, l’autorisation parentale est presque toujours sollicitée par les établissements et services chargés de pratiquer l’IVG.
2. La solution retenue : l’intervention d’un adulte, choisi par la mineure
Le projet de loi présenté par le gouvernement maintient le principe de l’autorisation parentale. "A l’heure, où nous souhaitons marquer l’importance que nous accordons à la responsabilité parentale et à la consolidation des liens familiaux, a souligné Mme Martine Aubry, il serait paradoxal de démobiliser les parents à une période de sa vie où justement la jeune fille a le plus besoin de leur accompagnement et de leur soutien".
a) Les possibilités de dérogation à l’autorisation parentale
Lorsque le dialogue avec la famille s’avère impossible et que la jeune fille néanmoins a besoin d’accéder aux soins nécessaires et souvent dans l’urgence, l’accompagnement d’un adulte, choisi par la jeune fille dans son entourage, est envisagé. Cela peut être une s_ur, une tante, un oncle, un médecin ou un travailleur social.
Cette solution s’appuie notamment sur les recommandations du Conseil national du sida, concernant l’accès confidentiel des mineurs adolescents aux soins, remis à Mme Dominique Gillot, secrétaire d’Etat à la santé et aux handicapés, en avril dernier. Ce rapport suggère, en effet, "que par mesure d’exception législative au principe de l’autorité parentale, la confidentialité dans l’accès aux soins soit reconnue aux mineurs"... "lorsque ces derniers considèrent que la révélation de pratiques relevant de leur intimité jetterait sur eux le discrédit et l’opprobre, et pourrait avoir pour conséquence un dommage pour leur santé psychique ou leur intégrité corporelle."
La règle générale demeure l’autorisation parentale. Mais exception est faite si la jeune fille peut montrer au médecin, à l’assistante sociale, qu’elle est dans une famille où le fait même d’en parler la mettrait en danger psychologiquement, physiquement. L’exposé des motifs expose très clairement ces situations de danger :
– La crainte d’une incompréhension majeure de la famille peut susciter des conduites dangereuses (tentative d’auto-avortement, déni de grossesse parfois prolongé jusqu’au terme) ;
– La nécessité du consentement des parents peut aussi s’avérer avoir des effets particulièrement dramatiques lorsque la mineure est enceinte à la suite d’un inceste ou d’un viol ;
– Dans d’autres cas, malgré un dialogue entre la mineure et ses parents, une opposition persistante des parents à l’interruption volontaire de grossesse place la mineure en situation de grave détresse ;
– Enfin, il est des situations où les parents sont absents ou injoignables.
b) La procédure proposée
1. La mineure qui désire garder le secret, lors de la consultation préalable, demande conseil sur le choix de la personne majeure susceptible de l’accompagner dans sa démarche ;
2. L’adulte choisi par elle-même, après discussion lors de l’entretien préalable, parmi son entourage, ou parmi les professionnels du CIVG ou du centre de planification, l’accompagnera dans sa démarche.
3. Le médecin, lors d’un dialogue avec la mineure, devra s’efforcer de la convaincre d’un contact nécessaire avec ses parents, qui sont les mieux à même de l’accompagner dans cette période difficile de son existence ;
4. Si la jeune fille persiste dans son souhait de garder le secret, ou si elle ne peut obtenir le consentement de ses parents, son seul consentement, exprimé en tête à tête avec le médecin, emportera la décision.
5. Il lui sera proposé une deuxième consultation après l’IVG, pour une nouvelle information sur la contraception.
· Les conditions posées, qui ont pour but d’explorer toutes les possibilités de la recherche du consentement parental, suscitent quelques interrogations. Est-ce bien au médecin que revient cette mission, de s’efforcer, dans l’intérêt de la mineure, d’obtenir son consentement pour que le ou les parents, ou les titulaires de l’autorité parentale, soient consultés ?
Le médecin voudra-t-il assumer ce rôle, qui n’est plus d’ordre médical, mais d’ordre psycho-social ?
La Délégation a estimé que la conseillère conjugale, qui assure l’entretien préalable et qui a les compétences et l’expérience requises, serait mieux à même de remplir cette mission.
III - POUR UNE LARGE POLITIQUE DE PRÉVENTION : ASSURER UN MEILLEUR ACCÈS À LA CONTRACEPTION, AUTORISER LA STÉRILISATION EN L’ENTOURANT DES PRÉCAUTIONS NÉCESSAIRES
A. ASSURER UN MEILLEUR ACCÈS À LA CONTRACEPTION
Bien que largement admise et utilisée en France, la contraception n’est pas parvenue à réduire sensiblement ces dernières années le nombre des grossesses non désirées, faute d’information et d’éducation, faute aussi d’une réelle prise en charge.
Par ailleurs, la recherche en matière contraceptive n’a pas enregistré de progrès qualitatifs suffisants ces dernières décennies et n’offre pas de solutions assez diversifiées aux femmes.
1. L’échec contraceptif demeure, malgré une forte utilisation des méthodes contraceptives.
· Plus de deux Françaises sur trois entre 20 et 49 ans utilisent une méthode contraceptive.
Parmi les méthodes contraceptives, la pilule est de loin la plus répandue (près de 36 %) suivie du stérilet (16 %), du préservatif (près de 5 %) et de différentes méthodes non médicales (19).
Le développement régulier des pratiques contraceptives n’a été entravé ni par les craintes des effets secondaires de la pilule ou du stérilet, ni par une lassitude supposée des utilisations. Ni la légalisation de l’IVG qui aurait pu conduire à un relâchement des pratiques, ni l’épidémie de sida, n’ont affecté les comportements contraceptifs.
La pilule s’est rapidement imposée chez les jeunes femmes et son taux d’utilisation chez les 20-24 ans n’a cessé de croître, tandis que le stérilet apparaît de plus en plus comme la "méthode-relais", après 30 ou 35 ans.
Le sida, au début des années 90, a conduit à développer de fortes campagnes en faveur de l’utilisation du préservatif, qui dans un premier temps s’est ajouté à l’utilisation de la pilule. Mais, plus récemment, on a noté une baisse de son utilisation, en raison d’un certain recul de la maladie et des craintes suscitées.
· Des raisons complexes à l’échec contraceptif
Une enquête qualitative récente de l’INSERM (20) conduite par Mmes Nathalie Bajos et Michèle Ferrand, entendue par la Délégation, s’est efforcée de répondre à la question suivante :
"Dans un pays où la contraception est largement diffusée, ..., comment se fait-il que nous ayons un taux de grossesse non prévue et d’interruptions volontaires de grossesse aussi élevé ?" (21).
Les entretiens approfondis menés avec des femmes ayant eu une grossesse non prévue ont permis de faire apparaître les difficultés inhérentes à la pratique contraceptive. Or, les échecs de contraception sont loin d’être tous évitables.
Parmi les facteurs responsables de la grossesse, on relève des accidents de méthode (préservatif défectueux, "oublis" de pilule), l’infertilité supposée, une méthode inadéquate prescrite par le médecin. Des causes psychologiques plus profondes peuvent intervenir comme l’ambivalence quant au désir de grossesse.
Un autre aspect est apparu, celui de la contraception vécue comme un enjeu des rapports entre hommes et femmes lors de leur relation sexuelle, lié souvent au refus du préservatif par l’homme et à la priorité accordée au plaisir sexuel masculin.
Quant à "l’impossible démarche contraceptive", elle concerne des femmes qui sont dans des situations personnelles ou socio-économiques telles, qu’elles ne peuvent maîtriser aucune contraception.
2. Pour une meilleure information à la contraception et une éducation à la sexualité
· L’information à la contraception.
Les interlocuteurs de la Délégation ont tous souligné le caractère essentiel d’une information à la contraception, en amont, indispensable à une meilleure prévention des grossesses non désirées. Des résistances demeurent au point de vue psychologique et social, mais aussi au point de vue institutionnel.
Aussi le gouvernement a-t-il décidé en 1999 de mener une politique active en matière de contraception, en lançant au début de cette année une vaste campagne d’information sur le thème "La contraception, à vous de choisir la vôtre". La dernière, datant de 1992, mettait principalement l’accent sur le préservatif.
La campagne s’est articulée dans les média, presse, radio et TV, par des spots et des messages ciblés vers les jeunes de 15/25 ans, et hors média par la diffusion de douze millions de guide de poche sur la contraception dans tous les établissements scolaires et le réseau associatif.
Parallèlement était mise en place une plate-forme téléphonique nationale permettant d’orienter les appels vers les structures d’information, ainsi que des actions au niveau local pour relayer la campagne.
Comme l’a rappelé Mme Martine Aubry, le 14 septembre dernier, le bilan est positif d’après le post-test de la campagne réalisé par l’institut B.V.A.. Cependant, d’après une étude de l’INSERM qui a procédé à une évaluation, la campagne doit être complétée par des actions de proximité, un changement de comportement et une formation entre tous les professionnels de santé :
"Sur ce sujet de la contraception, ... , la seule campagne audiovisuelle n’est pas suffisante. Elle est importante pour créer un bruit de fonds, interpeller, susciter les questions, prendre conscience d’un défaut d’information, mais elle ne suffit pas pour savoir précisément quelle contraception choisir à quel moment. Elle nécessite d’être accompagnée par des actions de proximité d’une part ..., mais surtout par un changement de comportement des professionnels de santé : médecins, généralistes, gynécologues, pharmaciens, infirmières scolaires. Selon les conclusions de l’étude, l’utilisation de la contraception ne s’améliorera de façon significative que si l’accent est mis sur la formation des professionnels chargés de la prescrire, de la distribuer ou de l’administrer, afin qu’ils accompagnent leurs actes d’une information et d’un dialogue plus adaptés aux besoins des demandeurs."
3. Une meilleure prise en charge de la contraception par la collectivité
a) Le prix de la contraception et le problème de son remboursement
· Le coût de certaines méthodes contraceptives demeure élevé. S’agissant d’une pratique de santé publique, la contraception devrait pourtant relever de la solidarité nationale et être proposée à un prix acceptable.
Le problème se pose notamment pour les pilules de la troisième génération. Elles représentent actuellement 40 % des recours à la contraception et 55 % en coût financier de l’ensemble. Elles ne sont pas remboursées par la sécurité sociale et restent donc à la charge des femmes. De plus, le prix de ces pilules par rapport à celles de la deuxième génération ne semble pas justifié. Selon le professeur Alfred Spira, entendu lors du colloque du 30 mai dernier, "ce type de contraception n’a pas fait la preuve d’une amélioration du service médical rendu".
Un dossier vient d’être déposé par le ministère de l’emploi et de la solidarité pour la mise sur le marché d’un générique de pilule de troisième génération, remboursable par la sécurité sociale, auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Des interrogations demeurent cependant sur les avantages médicaux réels de ces pilules.
· Le stérilet est généralement utilisé par des femmes ayant entre 35 et 45 ans, qui ne veulent plus d’enfants, même si cette méthode est parfaitement réversible et peut être utilisée plus tôt. Son coût jusqu’à présent élevé en fait une contraception bon marché.
Le remboursement par la sécurité sociale étant limité à 44 F dans le cadre du TIPS, Mme Martine Aubry a décidé en août dernier que le prix maximal de vente au public (actuellement libre) serait de 142 F, remboursable à hauteur de 65 %, la charge pour les femmes n’étant plus que d’environ 50 F. Pour leur part, les bénéficiaires de la CMU bénéficient d’une prise en charge à 100 %.
b) Le problème de la gratuité pour les mineures
Pour les mineures, l’extension de la gratuité du Norlévo, qui peut être déjà délivré dans les centres de planification familiale, et qui pourra l’être bientôt par les infirmières en milieu scolaire, a été débattu devant le Sénat le 31 octobre dernier. M. Lucien Neuwirth, rapporteur de la proposition de loi sur la contraception d’urgence (22), a proposé d’assurer la gratuité de la délivrance de ce contraceptif aux mineures en pharmacie, l’avantage étant de permettre aux adolescentes scolarisées de se procurer le Norlévo pendant les vacances scolaires et lorsque l’établissement ne dispose pas d’infirmière à temps plein, mais aussi de le mettre à disposition des jeunes filles en apprentissage ou non scolarisées.
Par ailleurs, le coût du Norlévo en officine, non remboursé par la sécurité sociale, bien que relativement peu élevé (60 F environ), peut constituer un obstacle pour des jeunes filles en difficulté.
On ne peut qu’approuver cette proposition. Elle va dans le sens d’une meilleure prévention, le pharmacien devant accompagner la délivrance de ce contraceptif de conseils appropriés et elle pallie les difficultés d’accès aux centres de planification familiale et aux services d’urgence des hôpitaux, en nombre insuffisant.
Une convention, passée entre les pharmaciens et le département, responsable des Centres de planification, pourrait permettre le remboursement aux pharmacies.
B. ÉLARGIR LA CONTRACEPTION PAR UNE RECONNAISSANCE DE LA STÉRILISATION VOLONTAIRE
1. La stérilisation volontaire est encore peu développée en France.
a) Cette méthode de régulation des naissances est très développée dans les pays anglo-saxons et en Asie.
La stérilisation féminine, comme la stérilisation masculine, est devenue le moyen de contrôle de la fécondité le plus utilisé dans le monde, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés.
D’après une étude de l’INSERM (23), au début des années 1990, sur une population totale de 900 millions de couples d’âge reproductif, on comptait 15 % de femmes stérilisées (soit 135 millions) et 4 % d’hommes stérilisés.
La stérilisation occupe ainsi la première place, parmi les méthodes de régulation des naissances, loin devant le stérilet (11 % des femmes d’âge reproductif), la pilule (8 %), le préservatif (5 %) et les autres méthodes (11 %).
L’accès à la stérilisation varie cependant d’un pays à l’autre selon la culture, les m_urs, la situation démographique.
C’est en Asie pour des raisons démographiques évidentes, que l’on trouve le plus fort taux de stérilisation : 34 % des couples d’âge reproductif en Chine, 31 % en Inde, 48 % en Corée du Sud.
b) Notre pays demeure réticent à ces pratiques.
Comparativement, ces méthodes sont encore peu utilisées en France. En 1994, 5 % des femmes mariées de 18-49 ans avaient été stérilisées à des fins contraceptives, soit environ 500.000 femmes, la proportion d’hommes vasectomisés étant négligeable. Le nombre d’interventions pratiquées à ces fins contraceptives a d’ailleurs tendance à diminuer, passant de 32.000 stérilisations annuelles vers 1980-1985 à 25.000 environ vers 1990.
La stérilisation, qui n’a jamais été très répandue, est surtout le fait des femmes moins jeunes, qui anticipent le terme de leur fécondité. Pour les hommes, par contre, c’est un véritable choix pour le reste de leur vie. En tout état de cause, cette intervention fait dans notre culture l’objet d’une réticence certaine.
2. La stérilisation demeure une intervention particulière.
· La stérilisation féminine par la section, la ligature ou l’obstruction des trompes, est une intervention d’ordre chirurgical, qui nécessite une anesthésie générale, tandis que la vasectomie est une opération simple et rapide qui se pratique sous anesthésie locale. Comme d’autres méthodes contraceptives, le but de cette intervention est de prévenir une fécondité non désirée. Mais, elle en diffère fondamentalement dans son but, car elle vise à la suppression définitive de la capacité de procréer.
· L’efficacité des procédés pose avec gravité le problème de la réversibilité, au cas où l’homme ou la femme viendrait à regretter la décision prise de supprimer sa fécondité. Or cette réversibilité, possible techniquement, ne peut être garantie pour chaque personne individuellement.
Pour l’homme, la réversibilité est possible, mais la technique microchirurgicale est très délicate et les résultats souvent aléatoires. Il existe cependant une possibilité de conserver la fertilité de l’homme par une congélation préalable du sperme et le recours à la procréation médicalement assistée.
Pour la femme, la reperméabilisation tubaire, intervention lourde par microchirurgie, peut permettre la récupération des capacités procréatrices, avec un taux de réussite d’environ 60 %. En cas d’échec, demeure théoriquement l’option d’une fécondation in vitro.
· Les demandes de reperméabilisation correspondant à l’expression d’un regret semblent cependant peu fréquentes et affectent surtout des femmes jeunes, amenées en raison des nouvelles circonstances de leur vie à vouloir retrouver leur fertilité et revivre l’expérience de la maternité.
· La pratique de la stérilisation, en dehors de stricts motifs thérapeutiques, répond à des indications médicales majeures, lorsque la grossesse à venir constitue un risque pour la femme, mais aussi à des demandes à but contraceptif, auxquelles certains médecins acceptent de répondre en suivant un certain nombre de règles de prudence. Un certain nombre de femmes en effet ne supportent pas ou ne supportent plus la contrainte des méthodes contraceptives classiques ou décident, en couple, de limiter leur famille ou encore font un choix qui tient à leur histoire personnelle.
3. Mettre fin au vide juridique concernant la stérilisation
a) Elle n’est ni autorisée, ni interdite.
Au regard de la loi, en France, la stérilisation volontaire, qui n’est mentionnée dans aucun texte juridique, n’est en fait ni autorisée, ni interdite. Du point de vue pénal, elle relève des dispositions de l’article 222-9 du code pénal punissant "les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente".
Cette incertitude juridique a permis, depuis ces dernières décennies, un certain développement du recours à cette méthode à des fins contraceptives. Cependant, la loi du 29 juillet 1994, introduisant dans le code civil un article 16-3 a apporté à cette pratique des limitations en précisant : "Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir."
Cette notion de nécessité thérapeutique appliquée de façon stricte est devenue une source de difficulté supplémentaire à la mise en _uvre de ces interventions.
b) Une évolution favorable ces dernières années
Une évolution favorable s’est dessinée ces dernières années au plan déontologique et jurisprudentiel.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins en 1996, notamment, a pris une position claire en faveur de la stérilisation, comme méthode contraceptive, dans certaines conditions, et il a fixé un cadre déontologique.
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a engagé en 1996 une réflexion approfondie sur le problème de la stérilisation volontaire envisagée comme mode de contraception définitive. Son rapport vise à souligner les interrogations éthiques que soulève toute éventualité de stérilisation, c’est-à-dire celle portant sur le droit d’un individu de limiter, voire de supprimer, ses capacités procréatrices.
Sans prendre position sur les solutions envisagées, le CCNE a estimé fondamental de retenir le principe d’un consentement libre et informé sur la procédure de stérilisation, son irréversibilité variable et les risques d’échecs, et il suggérait, en ce cas, un délai de réflexion accordant à la personne concernée le temps et la possibilité d’explorer, avec d’autres consultants, les motifs et les justifications de la demande. Il renvoyait au législateur le soin de trancher ce débat de société.
b) L’article 70 de la loi sur la CMU
Les nombreuses prises de position des professionnels, en particulier des gynécologues-obstétriciens, en faveur d’un assouplissement du cadre législatif, ont conduit récemment le législateur à intervenir.
C’est ainsi que l’article 70 de la loi sur la couverture maladie universelle (CMU), adoptée le 27 juillet 1999, modifie l’article 16-3 du code civil sur l’atteinte à l’intégrité physique, en remplaçant le terme de nécessité "thérapeutique" par celui de nécessité "médicale". Entrée en vigueur en janvier 2000, cette disposition met la loi en conformité avec la pratique des médecins et aligne notre pays sur la plupart des pays européens, dont les législations reconnaissent depuis longtemps la stérilisation.
L’incertitude qui demeure, comme en témoignent des procédures récentes, devrait conduire le législateur à intervenir à nouveau afin de légaliser la stérilisation volontaire féminine ou masculine et d’établir des procédures permettant de respecter le consentement de l’individu, de protéger son choix en l’entourant de toutes les précautions nécessaires.
Le syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France estime que tout individu, homme ou femme, citoyen responsable, doit avoir le libre choix de sa procréation, et que la stérilisation comme moyen de contraception doit être reconnue par la loi. Ce n’est pas au médecin, mais à la personne en toute conscience, qu’il appartient de décider de cette intervention.
La Délégation aux droits des femmes a estimé que la stérilisation volontaire à but contraceptif devrait être autorisée par un texte législatif spécifique prévoyant un cadre dans lequel les motifs médicaux et/ou personnels de chaque demande peuvent être explorés et les informations pertinentes dispensées, afin de protéger les personnes concernées d’une prise de décision irréfléchie.
Les demandes de stérilisation formulées par des tiers pour des personnes estimées incapables de consentir doivent faire l’objet de dispositions spécifiques en vue de protéger les droits et intérêts des personnes.
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