Sujet : Contraception d’urgence
Audition de : Ségolène Royal
En qualité de : ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance
Par : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)
Le : 4 juillet 2000
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons aujourd’hui Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l’enfance, qui va, d’une part, présenter le bilan de la Conférence de la famille qui s’est tenue le 15 juin dernier et nous en décrire les principaux axes d’action, et, d’autre part, répondre à des questions d’actualité, relatives notamment à la contraception d’urgence, suite à l’arrêt du Conseil d’Etat concernant la délivrance du "Norlévo" par les infirmières scolaires.
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Je vous propose maintenant d’aborder la question du Norlévo, suite à l’arrêt du Conseil d’Etat.
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Le Conseil d’Etat n’a pas totalement suivi le raisonnement de la commissaire du gouvernement, qui mettait notamment en cause la sexualité même des mineures et se référait à l’autorité parentale. L’arrêt du Conseil d’Etat remet cependant en cause, à la fois la circulaire que vous aviez prise en janvier 2000 et le principe même de la vente libre du Norlévo.
Après nous avoir commenté cet arrêt, pourrez-vous nous dire comment le dispositif a fonctionné pendant six mois - de janvier à juin - au sein des établissements scolaires. Quel a été le rôle des infirmières ?
Mme Ségolène Royal : J’avais pris cette initiative dans le cadre des actions menées, non seulement pour la santé scolaire, mais également pour l’éducation à la sexualité. Ce dispositif prenait place dans un protocole national de soins qui a mis plus d’un an à être rédigé. Je précise cette durée pour ceux qui ont prétendu que je n’avais pas organisé de consultations. Or, la principale fédération de parents d’élèves, la FCPE, y était favorable, et la PEEP, que j’ai longuement rencontrée, était réservée, mais non farouchement opposée -sur un tel sujet, la diversité des opinions n’étant nullement choquante. Les syndicats d’enseignants et les chefs d’établissements, qui sont les premiers concernés, ont totalement soutenu ce protocole de soins, y compris dans sa partie "soins d’urgence".
Lorsque j’ai pris mes fonctions à l’éducation nationale, j’ai pu constater la diversité du fonctionnement des pharmacies des établissements scolaires ; dans certaines académies, tous les médicaments étaient interdits -l’infirmière scolaire ne pouvant même pas donner un Doliprane- alors que, dans d’autres, il y avait une liste de médicaments non contrôlée.
Mon travail a donc consisté, avec le ministère de la santé, à dresser la liste des médicaments et des soins que l’infirmière scolaire peut apporter aux élèves et à établir les différents protocoles de soins d’urgences, en particulier pour les soins à apporter en liaison avec le Samu, avec les gestes qui sauvent, autorisés sous réserve de contact avec les médecins des urgences.
La seconde dynamique de mon action a été l’éducation à la sexualité. Je n’ai pas décidé du jour au lendemain d’autoriser la délivrance de la pilule d’urgence sans m’interroger parallèlement sur la responsabilité à la contraception. Le gouvernement avait lancé en même temps une campagne nationale d’éducation à la sexualité et à la contraception, avec la distribution de la carte Z dans les établissements scolaires. J’avais pour ma part mis au point une "mallette d’éducation à la sexualité" qui intégrait la lutte contre les violences à l’école, contre le sexisme, contre l’homophobie, et la lutte pour une sexualité responsable.
Dans ce contexte, compte tenu du lien de confiance qui s’était noué avec les infirmières scolaires, et prenant acte du fait que la contraception d’urgence était en vente libre, j’ai trouvé normal de la mettre à la disposition des infirmières scolaires, lorsqu’elle avaient affaire à des adolescentes en situation de détresse. Il ne faut tout de même pas oublier que 6 000 avortements sont pratiqués chaque année sur des mineures.
Il est vrai que nous avons été confrontés à de fortes réticences. Néanmoins, après un certain nombre d’explications, la prise en compte des contraintes pesant sur le fonctionnement des établissements scolaires et la présence des infirmières scolaires dans les internats, la décision d’autoriser les infirmières scolaires à délivrer le Norlévo a été prise.
Aujourd’hui, le fondement de la décision du Conseil d’Etat est assez clair. Il n’a pas repris les considérants de la commissaire du gouvernement qui contestait plusieurs autres éléments : tout d’abord, la question de l’autorité parentale, alors que l’on sait que les centres de planification ou d’éducation familiale ont le droit de délivrer une contraception aux mineures, ensuite, la mission des infirmières scolaires, puisqu’elle remettait en cause le fondement juridique de leur mission.
Le Conseil d’Etat a retenu le fait que je prenais acte, dans ma circulaire, de la mise en vente libre de la contraception d’urgence. D’autres recours ont cependant été déposés contre la vente libre du Norlévo et, curieusement, ils n’ont pas été joints à celui-ci, comme le fait d’habitude le Conseil d’Etat. Cela nous oblige à prendre en compte la globalité des questions de droit pour établir une nouvelle base juridique. Il conviendra donc de compléter la "loi Neuwirth", puisqu’en 1967 la contraception d’urgence n’existait pas, en précisant que la contraception d’urgence n’est pas soumise à une prescription médicale obligatoire et qu’elle peut être administrée, en cas d’urgence et de détresse, aux mineures désirant garder le secret, par les médecins et les infirmières scolaires. Ainsi, les médecins scolaires pourront se référer à une base juridique claire, qui reprendra le protocole de soins existant.
Je vous rappelle, par ailleurs, que cette délivrance n’a lieu que de façon exceptionnelle : uniquement dans le cas où l’infirmière scolaire n’est pas en mesure de faire prendre en charge le problème par les parents -première obligation-, par un centre de planning, un service d’urgence d’un hôpital ou un médecin. L’infirmière scolaire n’intervient que si toutes les autres voies normales de recours à la contraception d’urgence ont échoué.
Les premiers chiffres dont nous disposons sont significatifs : dans la région parisienne, sur 200 demandes, 16 contraceptions d’urgence ont été administrées par les infirmières scolaires. Cela montre bien que, dans la plupart des cas, l’infirmière sert de médiatrice entre l’enfant et la famille -ou le centre de planning. Mais, quand il n’y a aucune autre solution et que la jeune fille risque sa vie - ou désire tout simplement garder le secret sur son histoire, car il ne faut pas oublier les violences sexuelles qui sont mises à jour dans les dialogues avec les infirmières scolaires -, celles-ci peuvent intervenir.
Il y aura un problème tant que la loi ne sera pas définitivement votée - puisqu’il y a un vide juridique -, notamment en milieu rural, où l’on ne trouve ni centre de planning, ni pharmacie, ni centre hospitalier d’urgence.
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La mission d’information à la sexualité et à la contraception fait-elle partie des missions du service de santé scolaire ? Est-ce acté dans le protocole de soins ? Nous avons découvert, grâce à la campagne sur la contraception et aux différentes auditions que nous avons pu avoir à cette occasion, le besoin qu’ont les jeunes d’être informés en matière de sexualité. De ce point de vue, le personnel infirmier des établissements scolaires est souvent un bon vecteur. Cette mission fait-elle partie de leurs compétences ?
Mme Ségolène Royal : Bien sûr, cela est inscrit dans les programmes officiels des classes de troisième et de quatrième, notamment dans les modules d’éducation à la santé. Par ailleurs, il n’est pas interdit de faire de l’éducation à la sexualité avant, dès l’école maternelle, avec l’apprentissage du corps, du respect du corps...
La campagne sur la contraception était destinée aux adolescents des classes de troisième, avec possibilité de commencer dès la classe de quatrième : obligation d’un panneau d’affichage, obligation du numéro de téléphone du centre de planning, incitation à faire venir des intervenants extérieurs...
Il faut du temps pour que ces actions montent en puissance ; par ailleurs, elles sont encore inégalement réparties sur le territoire. Nous devons donc donner une impulsion très forte pour qu’elles fassent partie des programmes de tous les collèges et lycées.
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pendant les six mois où la délivrance du Norlévo a été autorisée, les infirmières scolaires ont travaillé avec différentes structures - centres de planification, hôpitaux - quand elles existaient. En revanche, en milieu rural, où il n’y a pas de centres de planification, elles ont dû intervenir davantage.
Aujourd’hui, le pharmacien n’a plus le droit de vendre la pilule d’urgence sans prescription médicale ; que pouvons-nous faire pour que, dans cette période de transition, les infirmières puissent poursuivre leur mission ? Existe-t-il des protocoles de partenariat qui pourraient permettre de prendre le relais jusqu’au vote de la loi ?
Mme Ségolène Royal : Les infirmières scolaires dirigent les adolescentes vers les centres de planning. Les PMI acceptent également de servir parfois de relais.
Mme Nicole Bricq : J’ai découvert qu’une étude statistique très poussée avait été effectuée par le ministère de l’éducation nationale, académie par académie -de janvier à mai , et qu’elle est en cours de dépouillement. Il serait très intéressant de connaître les résultats de cette étude, car ce que vous avez dit pour les départements ruraux, madame la présidente, est très juste. Le département de Seine-et-Marne, semi-rural et composé de grandes poches urbaines, compte un nombre de prescriptions équivalent à ceux de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, beaucoup plus peuplés et où les difficultés sociales sont plus importantes. Cette étude est intéressante, car elle met en exergue les disparités géographiques existant dans les départements ; elle doit donc nous être absolument communiquée. J’ai simplement eu connaissance des résultats de l’académie de Créteil, et j’en ai été très surprise. Cette étude montre par ailleurs le sens de la responsabilité des infirmières, qui n’ont pas du tout agi à la légère ; elle montre également que l’accueil, l’écoute et la délivrance en milieu scolaire sont des facteurs de réduction des inégalités géographiques.
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous allons demander les résultats de cette étude au ministre de l’Education nationale.
Madame la ministre, la directive européenne de 1992 a-t-elle besoin d’être transposée ?
Mme Ségolène Royal : La directive a été considérée comme trop générale pour pouvoir être d’application directe en France. Il convient donc de la transposer, c’est-à-dire de la transformer en loi. La loi qui va permettre la mise sur le marché de la pilule du lendemain, sans prescription médicale, vaudra transcription de la directive européenne et complétera la "loi Neuwirth".
Mme Nicole Bricq : Quelle est la situation des autres pays européens ?
Mme Ségolène Royal : La France est le seul pays à avoir autorisé la vente libre de la pilule d’urgence. Cependant, compte tenu du précédent créé par la France, d’autres pays européens préparent actuellement une autorisation de mise sur le marché.
Mme Yvette Roudy : M. Lucien Neuwirth, que je vois régulièrement au Conseil de l’Europe, vous dira qu’un ajustement de la législation existante est tout à fait suffisant. Il est bien conscient que l’on ne peut pas laisser 10 000 jeunes filles en déshérence totale ; ce serait de la non-assistance à personne en danger.
M. Patrick Delnatte : Une infirmière est-elle à même de prendre en compte toutes les données médicales concernant le Norlévo qui figurent dans le protocole d’accord ?
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n’y a aucune contre-indication médicale à la prise du Norlévo ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette pilule est en vente libre. Mais les infirmières ne se sont pas trompées : leur rôle a été éducatif. Elles sont tout à fait conscientes que la pilule d’urgence ne remplace pas une véritable contraception.
Mme Ségolène Royal : Les contre-indications ont été indiquées dans le protocole d’accord par précaution ; mais, vous savez, l’aspirine peut être plus dangereuse que la contraception d’urgence. Des recommandations existent pour tous les médicaments. Vous trouverez d’ailleurs dans ce protocole des cas beaucoup plus graves, lorsqu’il y a urgence. Je pense, par exemple, aux médicaments que les infirmières peuvent administrer pour sauver la vie d’un adolescent, dont les contre-indications sont beaucoup plus lourdes.
M. Patrick Delnatte : Je pense que le malaise ressenti dans l’opinion publique vient, non pas de la rapidité de la décision, puisque vous avez organisé un certain nombre de consultations, mais de sa brutalité. Lorsqu’on relit vos réponses aux questions écrites, publiées en février, il est clair que la délivrance de la pilule d’urgence par l’infirmière scolaire est la dernière chance pour l’adolescente, après l’échec d’autres mesures -mise en relation avec les parents, le planning familial, etc. Je suis néanmoins persuadé que l’opinion a perçu cette mesure comme simplificatrice, et que nous sommes entrés dans un débat qui ne correspondait pas à la réalité des choses ou, du moins, à ce que vous souhaitiez. Le bilan, 16 prescriptions par les infirmières scolaires sur 200 demandes, permet d’en juger.
Mme Ségolène Royal : Toutes les demandes ont été prises en compte : celles des infirmières, des parents, des centres de planning...
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Selon les zones géographiques - présence ou non de centre de planning, d’hôpitaux -, les infirmières ont délivré plus ou moins de Norlévo. Les disparités entre les départements sont importantes.
Mme Hélène Mignon : Quelquefois, la famille a pris la décision de poursuivre la grossesse.
Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L’infirmière est tenue de faire un rapport auprès du principal - il existe un registre. Et les propos de l’adolescente doivent normalement rester confidentiels - même si l’on sait que certaines infirmières ont dû convaincre le principal de ne pas téléphoner à la famille.
Mme Ségolène Royal : Je voudrais revenir sur les propos de M. Patrick Delnatte, car l’opinion publique a parlé, à un moment donné, de "distribution", voire de distributeur automatique de pilule du lendemain dans les établissements scolaires ! Il n’en a, bien entendu, jamais été question ! Par ailleurs, j’insiste sur le fait que le protocole a été discuté pendant plus d’un an et que la direction générale de la santé en a pesé chaque mot. Mais, c’est au moment où la décision est prise que les gens prennent conscience de sa véritable portée.
M. Patrick Delnatte : Une dernière question : est-il envisagé de revoir la durée du congé maternité ?
Mme Segolene Royal : Non, le sujet en cours est celui du congé paternité !
M. Patrick Delnatte : Nous sommes dans une situation fausse : nous savons tous que le congé maternité est systématiquement prolongé pour des raisons dites pathologiques. Alors, autant l’allonger d’une ou deux semaines, si cela est véritablement nécessaire.
Mme Ségolène Royal : Personnellement, je préférerai un congé paternité - d’un mois par exemple - qui serait pris au moment où la femme reprend son activité professionnelle, et qui ne serait ouvert que si les femmes respectent le congé maternité légal.
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