Quand la justice décide de fonctionner, on est quelquefois surpris. Cette fois-ci ce sont les journalistes et le Directeur du Monde qui ont été surpris d’entendre qu’ils étaient débouté de leur demande de dommages-intérêts contre Jean-Paul Gouteux et son éditeur pour des passages relevés dans Un génocide secret d’Etat (Éditions Sociales, mars 1998) et condamnés aux dépens. Le Monde, son Directeur, Jean-Marie Colombani, et Jacques Isnard réclamaient plus de 600 000FF s’estimant diffamé. Le juge ne s’est pas laissé influencer par la véritable institution qu’est, en France, Le Monde, comme le montre les "Minutes" du jugement. Nous vous les laissons découvrir. Extraits :
" Attendu (...)
– Qu’une telle analyse, étayée par de nombreuses références à des documents, articles de presse et ouvrages figurant à chaque page de l’ouvrage et par une importante bibliographie publiée à la fin du livre, est manifestement le fruit d’un travail de réflexion approfondi qui témoigne d’une connaissance particulièrement vaste de ce qui a été écrit sur le Rwanda ;
– Qu’elle rejoint les conclusions du rapport de la mission Quilès qui relève parmi les erreurs d’appréciation de la France : " la sous estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais " résultant d’une analyse réalisée " à travers une grille de lecture traditionnelle, héritée de la décolonisation belge, qui fait du critère ethnique le critère explicatif principal des rapports sociaux et politiques " ;
– Qu’il n’est pas douteux que l’ouvrage de Jean-Paul Gouteux réponde au souci légitime d’analyser et de critiquer ce qui a été le rôle de l’Etat et de ses services dans ce qui constitue un drame majeur de ce siècle ;
– Que le comportement des médias relevant nécessairement de son étude, il était normal que l’auteur examine, comme d’autres observateurs l’on fait, la manière dont le journal Le Monde a rendu compte des événements ;
– Attendu que l’analyse des coupures de presse versées aux débats conduit à constater que durant les deux premiers mois du conflit, Le Monde par son correspondant Jean Hélène, a mis l’accent sur l’aspect " guerre civile du conflit " et insisté plus spécialement sur la responsabilité du FPR ;
– Que s’il est vrai, comme le relèvent les défenseurs, que Le Monde a publié dés février 1993, des articles critiques sur la politique de la France en Afrique, on note que ce fut au travers de tribunes libres ou de débats donnant la parole aux lecteurs ou observateurs étrangers et non d’articles émanant de la rédaction du journal ;
– Qu’alors que L’Humanité du 27 avril 1994 titrait "Rwanda : massacres prémédités", qu’un article du Nouvel Observateur faisait état à la même date "du rôle ambigu de la France au Rwanda" et expliquait "Paris a soutenu depuis plusieurs années le régime de Kigali, qui n’a cessé d’attiser les haines ethniques et a équipé l’armée prétorienne qui a entrepris le massacre des opposants hutu et de la minorité tutsi au lendemain de la mort du président", ou encore que l’Evènement du Jeudi du 5 mai 1994 titrait " Comment on a fabriqué de toutes pièces les racines de la haine, massacres de Tutsi à Kigali. Le régime hutu a mis en place au Rwanda un système d’apartheid plus dur qu’en Afrique du Sud ", ce n’est que dans le numéro du 6 juin 1994 qu’un article rédactionnel du Monde évoquait pour la première fois l’organisation d’un mouvement massif d’élimination des Tutsi et des opposants hutu et le 8 juin que le terme génocide était employé ;
– Qu’on peut trouver en outre, dans les articles signés par Jacques Isnard, se faisant l’écho des renseignements de la DGSE, une lecture ethniste du conflit et une tendance particulière à suspecter le FPR (un Tutsi peut-être " un combattant en puissance ou un rebelle potentiel " dont il faut se méfier dans le cadre de l’action humanitaire mise en place par le plan Turquoise : 29 juin et 6 juillet 1994) ;
– Qu’on peut ressentir comme semblable l’analyse que fait Jean-Marie Colombani lorsqu’il écrit dans un article publié le 213 juillet 1994 : " sans doutes faut-il se garder de toute naïveté : il n’y a pas les bons d’un coté, les méchants de l’autre : le FPR Tutsi fait le vide autour de lui, est responsable de l’exode, et ne veut laisser entrer que les paysans, au prétexte des récoltes, ce qui permet d’exclure le retour des intellectuels Hutus : si cela était confirmé, cela rappellerait quelque chose, n’est-ce pas, du coté du Cambodge " ;
– Qu’on peut voir enfin dans le dessin de Plantu publié le 21 août 1994, qui montre des militaires français sur le départ, donnant pour ultime conseil à un combattant du FPR : " et on bien d’accord : plus de génocide ! ", l’illustration de la ligne rédactionnelle du Monde ;
– Attendu que le rapprochement entre cette façon d’appréhender les événements et la thèse défendue par les services secrets français n’est pas fortuit mais repose sur des éléments sérieux développés dans le livre ;
– Qu’étant en effet en possession des articles de Jacques Isnard, qui fournissent des renseignements en provenance de la DGSE et révèlent une connaissance particulière de ce service, ainsi que du livre " au coeur du secret " dans lequel l’ancien directeur Claude Silbverzahn, relate, ce point n’est pas contesté, que les rapports d’amitié qu’il entretenait avec jaques Isnard
et Jean-Marie Colombani, Jean-Paul Gouteux a pu de bonne foi, mettre au compte de tels liens, la similitude d’analyse qu’il relevait et, sans excéder le ton qu’autorise la polémique sur un sujet aussi crucial et douloureux, désigner les demandeurs par les termes " d’honorables correspondants " habituellement employés à l’égard des journalistes en relation avec les services secrets ;(...)
Attendu que l’ensemble de ces éléments conduisent à admettre que les conditions de la bonne foi sont remplies en l’espèce ;
Qu’il convient en conséquence de rejeter les demandes.
(...) Fait et jugé à Paris, le 10 mai 1999 "
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