Deux dépêches de l’Agence rwandaise d’information ARI constituent un puissant révélateur qui permet, peut-être pas de comprendre, mais d’imaginer ce que représente au Rwanda le vécu quotidien dans une société où se côtoient victimes et bourreaux et où il semble qu’un million de fantôme sont encore en errance, en attente d’une improbable justice.
La première, difficilement soutenable, est du jeudi 8 novembre 1999 (ARI n° 167). Un enfant de 9 ans a été arrêté pour avoir tué un bébé de trois ans. " Prince Hamisi a tué à Cyangugu une fillette de 3 ans par massue ". Interrogé à la gendarmerie, il révèle avoir tué plusieurs autres enfants avant celle-ci : " Il y en a que j’ai immergé dans de l’eau chaude. Il y en a une a qui j’ai enfoncé un couteau dans le sexe. Il y a un autre bébé que j’ai achevé par un couteau sur le cou ". Cet enfant est élevé chez son grand-père, son père est en prison comme " génocidaire ". A quatre ans, en 1994 lors du génocide, Prince Hamisi a suivi son père partout et assisté aux meurtres systématiques des Tutsi et aux tortures qu’il était courant d’infliger avant de tuer. Cependant, Prince Hamisi, lui, tue sans distinction d’ethnies. Il était probablement trop jeune pour intégrer la haine anti-Tutsi, comme l’explique une rwandaise : " Son père n’a pas su lui expliquer qui il faut tuer et l’enfant a cru qu’il faut tuer tous les enfants et il a seulement appris comment les tuer ".
L’autre information (ARI n°166, 28 octobre 1999) se rapporte sur ceux qui sont en prison et qui pourraient être le père de cet enfant. Il s’agit d’une lettre faite par des prisonniers de Gikongoro à leurs proches, interceptée et publiée par le journal rwandais Imvaho Nshya (n°1036). Ces " présumés génocidaires " qui vont être jugés par les juridictions " Gacaca " (villageoises) et pour cela être ramenés dans leur village, expliquent la stratégie à adopter : " Il faut dire à toute la population de lier leurs langues parce qu’au cas où un seul s’y mêle, beaucoup seront arrêtés. Nous avons été braves dans notre état de prisonniers parce que nous n’avons dénoncé personne alors que vous êtes nombreux à être coupable " Les auteurs cite un exemple et recommande de menacer les " maillons faibles " : " Mets surtout en garde ces vieilles sages et ces femmes qui se veulent courageuses. Celle qui voudra vous faire exterminer, vous devez la menacer ". Ceux qui ont commis l’erreur de parler seront chargés par tous : " Nous avons décidé de coaliser contre Ahorukomeye qui a affirmé qu’une personne est tombée chez lui et qu’il l’a même dépouillé ". Les consignes de réponses sont passé : " La réponse est la suivante : nous avons ouï-dire que chez Ahorukomeye il y a une personne qui est tombée, mais nous ne connaissons pas cette personne ni celui qui l’a tuée ". Une longue lettre où se dévoile, outre l’aveu de culpabilité, le cynisme, l’absence de regrets, le mépris pour les rescapés de la part de ceux qui ont commis les horreurs qui ont traumatisé à vie le petit Prince Hamisi quand il avait cinq ans. Ils seront probablement libérés. (JPG)
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