Dans un premier temps, le ministre entend exposer la façon dont il appréhende le phénomène des sectes en tant que ministre de la Justice, les initiatives qu’il a déjà prises et celles qui se concrétiseront prochainement. Il rappelle, à ce propos, que l’approche du phénomène est multiforme et donc pluridisciplinaire.
Aux yeux du ministre, il y a lieu de distinguer les cultes des sectes. En effet, pour qu’un culte puisse bénéficier de la reconnaissance légale, les critères suivants doivent être rencontrés :
1. réunir un nombre suffisant de fidèles ;
2. être structuré ;
3. être installé dans le pays depuis une assez longue période ;
4. présenter un intérêt social ;
5. e) n’avoir aucune activité contraire à l’ordre public.
L’intervenant évoque ensuite le rôle de la Sûreté de l’Etat. Il précise qu’en1993, son prédécesseur a demandé à la Sûreté d’entreprendre une étude approfondie du phénomène en Belgique. En décembre 1994, le Ministre a lui-même confirmé le rôle central que la Sûreté était appelée à jouer dans la récolte et l’analyse des informations relatives aux sectes, en vue d’en déterminer l’importance, de suivre leur évolution et de permettre, le cas échéant, de réagir de façon adéquate en cas de pratiques illégales et dangereuses.
Cette intervention est justifiée par le danger que certaines sectes peuvent faire courir à la société civile par leur action néfaste sur l’équilibre psychologique des personnes, les ruptures familiales qu’elles provoquent ou encore les détournements et captations de biens qu’elles causent.
Elle s’impose également par le risque qu’une fois bien implantées et devenues économiquement et politiquement influentes, certaines d’entre elles s’en prennent aux structures mêmes de l’Etat.
La Sûreté doit dès lors avoir un rôle d’information en vue de renseigner les autorités compétentes et de permettre, en cas d’infraction, l’intervention des services de police et des autorités judiciaires. Dans la mesure où les activités des sectes s’étendent souvent sur le territoire de plusieurs pays, la Sûreté doit aussi établir des contacts au niveau international.
Abordant le rôle des autorités judiciaires, le ministre précise que les parquets n’ont pas pour vocation de prendre l’intiative d’enquêter sur des groupements sectaires, afin de rechercher les éventuelles infractions dont se rendraient coupables les responsables, voire leurs simples membres. Ils ne déclenchent l’action publique que sur la base de plaintes de particuliers ou de dénonciations faites par des services publics ou des organismes privés.
Comme il avait eu l’occasion de le déclarer au cours des travaux de la commisson de la Justice, préalables au vote de la proposition instituant la commission d’enquête, le ministre ajoute que si la consultation des procureurs généraux réalisée par son prédécesseur avait permis de confirmer la présence de sectes dans différents arrondissements judiciaires, le nombre de plaintes déposé semblait insignifiant au regard des informations véhiculées dans les médias et de l’activité des organismes privés de défense des droits des individus et de la famille. Il estime néanmoins qu’il faut faire attention à l’aspect évolutif de la situation. Se pose alors très clairement la question de savoir s’il convient de créer un service spécialisé en matière de sectes dans chaque parquet, à l’instar de ce qui se fait dans des domaines aussi particuliers que la délinquance économique et financière, la protection de la jeunesse, les stupéfiants, le roulage, etc. Cette question devra être débattue au sein du collège des procureurs généraux.
Le ministre est cependant d’avis que la grande diversité des pratiques illégales de certaines sectes justifie que soit préférée à la spécialisation d’une section du parquet et à la centralisation au sein de celle-ci de tous les dossiers concernant les sectes, l’attribution à un magistrat du parquet de la responsabilité d’établir le lien entre toutes les affaires des différentes sections présentant un lien, aussi faible soit-il, avec une secte.
Tous les autres magistrats auraient mission d’informer ce " magistrat de référence " de l’existence et du contenu des dossiers susceptibles de l’intéresser, tout en conservant la gestion de ceux-ci.
S’il devait, par exemple, apparaître, au cours d’une procédure devant le tribunal de la jeunesse, qu’un parent fait participer son enfant aux activités d’une secte et le tient éloigné de toute scolarité, le substitut aurait alors mission d’ouvrir un dossier au sein de la section jeunesse, d’en aviser le magistrat de référence et de le tenir informé des suites de l’affaire.
Il en irait de même si l’information pénale à charge des responsables d’une société commerciale ou d’une A.S.B.L., pour des faits d’escroquerie ou de fraude fiscale, révélait l’existence de pratiques sectaires.
Les avantages d’une telle gestion de la problématique des sectes seraient les suivants :
– un lien pourrait être établi entre divers dossiers de nature tout à fait différente mais concernant un même groupement ;
– la nature très particulière de certaines pratiques illégales justifie que la gestion du dossier reste confiée à un magistrat spécialisé dans le domaine du droit concerné ;
– une meilleure vue d’ensemble quant à l’ampleur du phénomène, au sein de l’arrondissement, est ainsi possible.
Ce magistrat pourra aussi assurer un premier traitement des plaintes dirigées directement et explicitement contre une secte. Avec l’aide des assistants sociaux, chargés de l’accueil des victimes au sein des palais de justice, il pourra également accueillir les victimes, en vue de recevoir leurs plaintes et de les diriger vers les services d’aide compétents.
Le magistrat de référence doit donc être, dans le futur, l’interlocuteur privilégié, toujours via son chef de corps, du procureur général et du magistrat national. A ce titre, il interviendra en cas d’actions judiciaires préparées à l’initiative de la Sûreté.
La désignation d’un magistrat de référence au sein du parquet fera l’objet d’une discussion au sein du collège des procureurs généraux. Toutefois, ce système ne peut fonctionner qu’à condition que ces magistrats bénéficient d’une préparation et d’une formation adéquates.
Plus largement, le parquet doit être mobilisable à l’occasion du dépôt de plaintes ou de l’examen d’affaires faisant l’objet d’une enquête judiciaire.
Il faut aussi examiner la façon d’intégrer les services de police dans cette problématique. Cette question est d’ailleurs d’actualité, à un moment où l’on discute de la spécialisation de ces différents services. Il faudra voir notamment si l’on confie les sectes à un service de police particulier ou si chacun d’entre eux (la gendarmerie et la police judiciaire) devra prendre ses responsabilités.
Au niveau d’une politique de coordination, des initiatives doivent être prises. A l’instar de ce qui se fait pour la traite des êtres humains, des réunions de coordination devront être organisées sous la houlette du département, pour faire le point sur les actions en cours et pour en planifier d’autres avec les différents services concernés, même externes à la Justice.
La périodicité de ces réunions devrait permettre de cerner l’ampleur précise, le développement, les mutations, ainsi que l’approche globale du phénomène des sectes. Elles pourraient d’ailleurs démarrer assez rapidement.
Le ministre ajoute qu’au niveau fédéral, la discussion au sujet de la criminalité organisée est en cours. Il note qu’une série de ses caractéristiques se retrouvent auprès des sectes. Pour ce qui concerne cette criminalité organisée, on détermine, pour l’instant, un cadre global, non pas pour établir une définition fixe, mais pour énumérer une série de caractéristiques et développer des méthodes tant proactives que réactives permettant de disposer d’une base légale pour s’attaquer à ce phénomène. Ce qui se fait pour cette criminalité pourra, à l’évidence, servir pour le suivi de la problématique des sectes.
Le ministre aborde ensuite la question des A.S.B.L., dont la législation organique date de 1921. Il en existe actuellement 80 000 et leur nombre croît d’environ 3 000 par année. Le problème est de savoir ce qu’il faut faire à l’égard de cette législation à la fois simple et accessible. En tout état de cause, il y aura lieu de l’adapter, vu notamment la pression exercée à ce propos par la Commission européenne, qui fait valoir que les conditions de nationalité sont inacceptables. On pourrait peut-être en profiter pour augmenter la transparence de ces associations.
En réponse à une question relative aux activités de l’A.S.B.L. " Humana ", le ministre indique qu’il est dans l’impossibilité de dire si les actions de cette association sont contraires ou non à la législation. De toute façon, l’article 18 de la loi du 27 juin 1921 sur les A.S.B.L. dispose " qu’on peut prononcer la dissolution de l’association, qui serait hors d’état de remplir les engagements qu’elle a assumés, qui affecterait son patrimoine ou les revenus de son patrimoine à des objets autres que ceux en vue desquels elle a été constituée, ou qui contreviendrait gravement soit à ses statuts, soit à la loi, soit à l’ordre public ". Cette procédure peut être entamée à l’invitation d’un associé, d’un tiers intéressé et même du ministère public.
Le ministre livre à ce sujet les pistes de réflexion suivantes :
1) une meilleure centralisation de l’information sur les A.S.B.L. ;
2) un dossier de constitution plus étoffé ;
3) l’organisation d’un contrôle plus approfondi. Ces innovations permettraient ainsi de rendre plus aisé l’accès aux informations relatives aux A.S.B.L. liées aux sectes. Pour le reste, le ministre rappelle que la commission d’enquête a pour but notamment de réfléchir à la question de savoir si l’arsenal existant est suffisant pour combattre efficacement les pratiques des sectes. Il ajoute qu’une série de propositions formulées lors des auditions précédentes lui semblent intéressantes à discuter :
4) les propositions du juge d’instruction Van Espen relatives à la notion de " déstabilisation mentale " ;
5) le fait de rendre les tribunaux belges territorialement compétents pour des faits graves commis à l’étranger par un Belge ou un étranger établi en Belgique, même en l’absence de plainte ou d’avis officiel des autorités étrangères ;
6) les propositions concernant l’abus de la situation de faiblesse d’un individu.
Interrogé sur son action immédiate en la matière, le ministre rappelle que la discussion sur la répartition des tâches entre les différents services de police est en cours. La responsabilité du gouvernement est, en effet, d’essayer de créer une spécialisation, une synchronisation entre ces services. Toutefois, le ministre n’a pas l’impression qu’il sera utile ou même opportun de décider que tout ce qui concerne les sectes devra relever exclusivement de la gendarmerie. Dans les sectes, comme dans la criminalité organisée, on arrive finalement au même constat : des éléments s’orientent plutôt vers la gendarmerie, d’autres vers la police judiciaire. Quant aux magistrats de référence, le ministre se déclare persuadé qu’ils joueront un rôle crucial dans le futur.
Dans les dossiers existant déjà dans les parquets, ce magistrat sera chargé d’un rôle de coordination et au besoin, il informera le magistrat national, qui fera le lien, s’il y a lieu, avec la Sûreté de l’Etat. Par contre, les dossiers qui seront ouverts sur information de la Sûreté feront l’objet d’une appréciation du magistrat national, qui développera la stratégie à adopter et s’assurera la collaboration du ou des parquets concernés.
Le rôle central du magistrat national sera encore renforcé par la législation en discussion concernant le collège des procureurs généraux.
En réponse à une question en ce sens, le ministre fait valoir qu’il ne faut pas perdre de temps à définir la notion de " secte ". Cela n’aidera pas les services concernés. Cependant, si la commission d’enquête estime que des actions spéciales, des poursuites, des qualifications, des incriminations sont nécessaires, il faudra bien passer par une définition.
Ainsi, en matière de grande criminalité, on a finalement constaté qu’il n’était pas possible d’aboutir à une définition et que ce n’était même pas opportun. Il valait mieux travailler sur la base des critères.
Quant à la liste, elle n’est, aux yeux du ministre, également pas essentielle. Toutefois, si elle existe, il faut la mettre à la disposition des services. Cette discussion à propos d’une liste ne peut cependant servir d’alibi.
Le ministre rappelle, à cet égard, qu’il est de la responsabilité du politique et du collège des procureurs généraux de fixer une politique criminelle relative aux sectes et d’assumer en la matière ses responsabilités. Si la fixation d’une liste est considérée comme un élément de la politique criminelle, il faudra alors l’établir.
Le ministre ajoute qu’en la matière, le travail accompli depuis plusieurs mois a déjà permis de réaliser de grands progrès. Des actions concrètes pourraient bientôt être décidées. La Sûreté a également réuni beaucoup d’informations.
Interrogé à ce propos, le ministre précise que les commissions rogatoires et le travail à l’échelle internationale constituent un grand problème en matière de criminalité. Cela ne fonctionne à l’évidence pas bien, ce qui entraîne des difficultés dans de nombreux dossiers. Déjà délicat dans le cadre de l’Union européenne, ce problème se pose de façon encore plus criante dans d’autres pays. Le ministre est cependant d’avis que c’est au niveau européen et international que l’initiative doit être prise à ce sujet.
Enfin, en ce qui concerne l’établissement d’une section de la FECRIS (Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme) en Belgique, le ministre se déclare prêt à examiner le problème.
Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be
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