M. Van den Wyngaert souhaite centrer son intervention sur la dépersonnalisation systématique pratiquée au sein des groupes sectaires.
Selon lui, il ne convient pas de tenter de déterminer quelles sont les sectes dangereuses, et ce pour deux raisons :
1) les pratiques sectaires commises à l’encontre des droits de l’homme dépassent largement le cadre des sectes généralement connues ;
2) il est illusoire de vouloir interdire les sectes les plus puissantes car elles poursuivront de toute ma-nière leurs activités de manière clandestine.
Il faut donc avant tout veiller à ce que ces groupements respectent la loi et la Convention des droits de l’homme, si bien qu’ils ne puissent plus avoir recours aux méthodes de dépersonnalisation systématique.
Que faut-il entendre par dépersonnalisation ?
Comme l’a montré Minsky, un des inventeurs de l’intelligence artificielle, la personne humaine se compose de plusieurs strates qui se construisent successivement l’une sur l’autre au cours de l’évolution. C’est ainsi que nous sommes tous encore " porteurs " de notre enfance, de notre période scolaire, etc.
La culture, avec les jugements de valeur qu’elle implique dans tous les domaines, est un élément tellement complexe que nous l’avons reprise purement et simplement d’un nombre restreint de personnes avec lesquelles nous entretenons des liens affectifs privilégiés, notamment nos parents.
Toute notre évolution ultérieure s’accomplit continuellement dans la confrontation avec notre passé. Cela signifie que, normalement, toutes les influences que nous subissons font d’abord l’objet d’un jugement intérieur.
La dépersonnalisation consiste à fermer autant que possible toutes les strates à un moment donné et à y superposer une image tout à fait différente de la personne, image qui ne communique plus avec le substrat mais est alimentée de l’extérieur.
C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, la secte " Church of Boston " a fait réaliser une étude du profil psychologique de ces membres. Il en ressort que les trois quarts des membres présentent un profil extraverti, actif et très sensible, ce qui correspond à l’idéal propagé par la secte. Auparavant, il n’y avait qu’un cinquième des adeptes qui présentait ce profil. Les adeptes ont subi une transformation fondamentale de leur personnalité. Le même modèle a été imposé à tous.
La dépersonnalisation constitue la forme la plus profonde d’influence de la personnalité et s’opère en combinant des méthodes spirituelles (l’art de persuader et de convertir) et des méthodes psychologiques (comme celles utilisées en psychiatrie et dans les régimes totalitaires).
En ce qui concerne les méthodes spirituelles et éthiques, la plus répandue est l’encouragement à l’orgueil ou l’hybris.
Les sectes se caractérisent par la présence d’un chef religieux, un orgueil collectif sans bornes et l’assurance de soi. Vont de pair avec ces caractéristiques, des traits manifestement psychotiques : la per-te de tout sens des réalités dans un domaine déterminé. On considère que l’on a le monopole de la vérité, que celle-ci est irréfutable. Les adeptes attachent plus d’autorité à leur théorie qu’aux faits, ce qui les rend inaccessibles et non influençables. Cela est, à leurs yeux, une qualité. C’est ainsi que l’énergie et l’enthousiasme du facteur humain sont poussés à leur paroxysme. M. Van den Wyngaert cite, à cet égard, l’exemple des scientologues et des témoins de Jéhovah, qui prestent tous des semaines de soixante heures ou plus.
Il y a encore d’autres traits psychotiques. Ainsi, Marc Galanter explique que les membres de " Divine Light " entendent des voix et ont des visions, qui indiquent normalement une psychose mais qui, en l’occurrence, ne troublent apparemment pas les membres.
Les membres de Krishna ont, eux aussi, des visions, qui s’accompagnent d’un sentiment d’unité avec l’univers. Dans la " Méditation transcendantale ", il y a souvent une expérience initiale de félicité, que l’on tente en vain de susciter à nouveau. Souvent, on observe une forme de transe au cours de la méditation.
Une variante de l’esprit de démesure est l’obligation de tendre vers l’autolibération et la perfection suprême. Cela ne se fait jamais à la faveur de la grâce, mais par la force du sujet. Escriva, le fondateur de l’Opus Dei, appelle même l’élite à devenir un " saint canonisable ". A cet égard, le témoin souligne, par ailleurs, l’existence de certaines pratiques sectaires au niveau des " numéraires ".
Les personnes appartenant aux couches supérieures de la population et possédant des diplômes d’études supérieures se laissent plus facilement embrigader, parce que la secte leur donne l’illusion d’être meilleures et plus fortes.
Les dirigeants des sectes utilisent également des moyens psychiques.
Ils essaient notamment de décharger les souvenirs personnels. Dans l’Eglise de Scientologie, les candidats sont connectés à un détecteur de mensonges qui mesure l’intensité du courant. Différents sujets sont traités, jusqu’à ce que l’on constate que l’aiguille du détecteur dévie. Le sujet en question est alors approfondi, de sorte que l’intéressé se souvient d’expériences émotionnelles qui ont laissé des traces dans son psychisme (traces appelées " engrammes " par les scientologues). Cette technique psychanalitique est dénommée " confession ". Si une expérience intéressante a surgi, le patient doit la revivre sous légère hypnose jusqu’à ce qu’il puisse être confronté à l’événement sans que cela ne le trouble. Le souvenir est déchargé ; un lien avec le passé est rompu. L’idéal est de devenir " clear ", en fait une forme d’apathie, une sorte d’inaccessibilité.
Une deuxième étape consiste à ressusciter aussi les souvenirs de la vie foetale et des vies antérieures. La distinction entre la réalité et la fantaisie devient de plus en plus floue. Le sens des réalités est anéanti aussi systématiquement qu’il avait été développé précédemment par les parents et les professeurs.
Le passé personnel est dépouillé de sa teinte émotionnelle et de ses jugements de valeur et noyé dans un certain nombre de pseudo-souvenirs.
On essaye par ailleurs d’isoler complètement les membres de la secte. La secte doit remplacer la véritable famille et les véritables parents. Dans de nombreuses sectes, les véritables parents sont ramenés à des parents " physiques ". Chez Krishna et Bhag-wan, les disciples ont soi-disant eu beaucoup d’autres parents au cours de vies antérieures.
Presque toutes les sectes ont un Père divin ou une Mère divine, à l’égard duquel ou de laquelle les mem-bres se comportent de manière infantile.
Tous les autres liens aussi sont ramenés à la jalousie, la manipulation et l’égoïsme. L’Opus Dei met en garde contre les prêtres et évêques, voire même les " saints " de l’Eglise catholique. La seule vérité (garantie) se trouve au sein du mouvement.
La réalité antérieure est remplacée à cet égard par un monde fantaisiste.
Selon Piaget, le sens de la réalité signifie que l’on peut reconnaître des objets, que l’on peut se situer dans le temps et l’espace et que l’on perçoit le lien de causalité. C’est ainsi que se forme la véritable personnalité. Dans les sectes, tout cela est anéanti.
Le temps est vécu autrement. Pour les mouvements pentecôtistes et les témoins de Jéhovah, la fin du monde est proche. Dans toutes les sectes, tout est urgent. L’histoire est également réécrite selon leur propre imagination. La secte Moon divise tout en de belles périodes arithmétiques, qui montrent que le Messie va arriver. Pour l’Arche, le monde n’existe que depuis huit mille ans et la théorie de l’évolution est l’oeuvre du démon.
La perception de l’espace : pour les adeptes de Moon, la Corée est le centre du monde. Pour Krishna, les Américains ne sont jamais allés sur la lune, tout cela n’était qu’un attrape-nigaud.
La causalité : la plupart des sectes sont holistiques et remplacent les causes multiples par une seule. C’est ainsi que, pour la Méditation transcendentale, le stress est la cause de tout : si 5 % de la population faisaient de la méditation, la criminalité diminuerait de manière drastique. Sans parler des guérisons miraculeuses.
Même les objets ne sont plus à l’abri. Sathya Sai Baba crée des cendres médicinales à partir du néant. Les scientologues créent également, au besoin, de la matière, mais celle-ci reste invisible aux yeux des autres. La transe serait une " preuve " que la secte détient la vérité.
La transe est une forme d’autohypnose. De nombreuses techniques de méditation avec répétition de mantras, etc., y recourent. Cela procure un sentiment de bonheur et conforte la foi des disciples.
Les sectes utilisent également des méthodes qui relèvent de la thérapie du comportement. Un homme vit par ses actions, ses pensées et ses émotions. Si une de ces trois facettes s’écarte trop des autres, on recherchera l’équilibre en l’adaptant (Festinger). Les sectes font tout de suite participer les nouveaux disciples. Les rituels agissent sur leur manière de penser et leurs émotions sans qu’ils s’en aperçoivent.
Les dirigeants donnent en outre toutes sortes de directives pour la vie de tous les jours. Ces prescriptions détaillées excluent tout pouvoir de décision. Les membres des sectes ne sont en général presque plus capables de prendre une décision seuls.
Au début, le disciple bénéficie de toute l’attention du groupe. C’est la période du " love bombing ".
Bien vite, il est confronté à un dilemme : sauver le monde avec ce groupe sympathique ou laisser passer sa chance. En cas de doute, la secte fournit un con-seiller et les autres sont rendus suspects. Ainsi, la réalité est désormais scindée en un groupe de bons et un monde de mauvais. Pour développper cette conception, on recourt à des notions disjonctives.
Au sein du groupe, on passe alors à un système de récompenses et de sanctions. La sanction consiste à se voir priver d’attentions. Ce système est assez efficace, étant donné qu’entre-temps, toutes les relations en dehors du groupe ont été rompues. La résistance est quasi impossible, étant donné que la vie privée et la réflexion personnelle sont tout à fait dévalorisées.
Pour nous, les sentiments sont l’écho de la situation réelle. Dans toutes les sectes, on ne reconnaît plus cette fonction de fait. En revanche, les sentiments font l’objet d’une appréciation morale : ils sont bons ou mauvais. Sont habituellement qualifiés de positifs : l’assurance, l’enjouement, la foi. Sont qualifiés de négatifs : l’incertitude, la tristesse, etc. Les sentiments ne jouent dès lors plus le rôle d’écho de la réalité, ni de signal d’alarme lorsque quelque chose ne va pas. La réaction adéquate est de travailler et de croire davantage.
M. Van den Wyngaert souligne à nouveau que si les droits de l’homme étaient vraiment respectés (cf. Code éthique de l’Eglise catholique romaine et des ordres monastiques), la dépersonnalisation systématique ne serait plus possible. Peut-être la loi pourrait-elle, à cet égard, être précisée à différents niveaux.
Pour respecter la vie privée, le conseiller (psychiatre, psychologue, médecin, confesseur, conseiller moral) doit être tenu au secret. Tout doit se faire en fonction de la personne qui demande conseil, et non dans l’intérêt de l’organisation. Dans les sectes, la dispensation de conseils est cependant utilisée comme moyen de manipulation. Lors du recrutement d’un nouveau membre, il y a, au sein de l’Opus Dei, un échange d’informations entre le supérieur, le confesseur et le recruteur, et ce, à l’insu du candidat.
Souvent, les membres communiquent tout ce qu’ils savent l’un de l’autre à l’échelon supérieur. Une véritable confidentialité entre les membres est tout simplement expressément interdite.
En outre, l’orateur estime que les centres de formation créés par les sectes devraient déclarer clairement ce qu’ils sont, ce qui n’est clairement pas le cas de l’Ecole de Philosophie.
L’Eglise de Scientologie et l’Opus Dei dispensent des informations en matière de toxicomanie ainsi qu’une guidance dans le domaine des études sans déclarer ces activités comme telles.
Il convient de protéger les personnes vulnérables et les mineurs d’âge. Les sectes interviennent de préférence lors de moments difficiles. Un tel abus est sanctionné dans la législation française et italienne. Il conviendrait d’adapter la loi belge en ce sens. Un certain nombre de sectes entrent en contact avec des mineurs d’âge à l’insu des parents. Elles demandent même le silence.
L’intervenant estime que les enseignants, les médecins, les responsables de mouvements de jeunesse, etc. ne peuvent profiter de leur position pour recruter secrètement des membres pour les sectes.
La liberté d’information doit, elle aussi, être garantie. Une secte ne pourrait interdire à personne de parler avec d’autres. Les lettres doivent être transmises sans avoir été ouvertes.
On déconseille aussi souvent aux membres des sectes de lire ou de suivre l’actualité. Ces personnes sont à ce point submergées, qu’elles n’ont tout simplement plus le temps de recueillir des informations alternatives.
Certaines professions (les psychiatres, les journalistes, etc.) sont systématiquement noircies, notamment par les scientologues. La famille des membres des sectes et les autres églises font aussi l’objet de critiques.
Les membres des sectes devraient aussi pouvoir quitter le groupe librement. Chez les jésuites on aide ceux qui quittent l’ordre. Mais dans les sectes, on crée la phobie selon laquelle il n’y a plus de vie ni de bonheur possible en dehors de la secte et on rend la vie des anciens membres aussi difficile que possible. Tous les liens avec la famille et les amis sont rompus.
On peut aussi se demander dans quelle mesure les dons faits à des sectes peuvent être considérés comme valables, étant donné qu’il n’est pas prouvé que le membre ait marqué son accord.
Le danger des sectes réside dans une large mesure dans l’obéissance aveugle de ses membres. Comme la réalité ne constitue plus une limite pour eux et que la fin justifie les moyens, tout devient possible, a fortio-ri lorsque le dirigeant détient une autorité divine.
Les personnes qui ont subi une telle dépersonnalisation y restent très sujettes même après avoir quitté la secte.
M. Van den Wyngaert souligne par ailleurs qu’il est quasi impossible de rester marié à un membre d’une secte. Souvent la secte insiste pour que le membre divorce. Lors de l’attribution de la garde des enfants, il ne faut pas seulement tenir compte de la liberté de religion, mais aussi du milieu fanatique et fermé, qui n’a aucun respect pour les droits de l’homme, que constitue une secte.
En guise de conclusion, M. Van den Wyngaert déclare qu’il est convaincu qu’il convient d’examiner prioritairement les pratiques sectaires et leur incidence. Il conviendrait ensuite d’en dresser la liste et de mentionner l’endroit où elles apparaissent. Une telle liste présenterait beaucoup plus d’intérêt qu’une liste de bonnes et de mauvaises sectes.
Il est également important d’organiser une campagne d’information à grande échelle, notamment dans l’enseignement, auprès des magistrats, des médecins et des travailleurs sociaux.
Les sectes étant des groupements totalitaires, il est primordial d’empêcher que certains de leurs membres ne puissent infiltrer les rouages de l’Etat (armée, police, magistrature, etc.).
Grâce à l’action de certaines organisations, les sectes admettent de plus en plus souvent que leurs adeptes puissent rendre visite à leur famille. On peut alors tenter de discuter avec eux tout en respectant néanmoins entièrement leur liberté.
L’orateur estime qu’il faut faire pression sur les sectes pour qu’elles permettent la discussion. La seule façon de persuader une personne de quitter une secte est en effet d’essayer au cours de conversations de faire resurgir son ancienne personnalité. En présence d’ex-membres d’une autre secte, on peut également tenter de lui démontrer la manière dont fonctionne le système sectaire. L’orateur estime qu’il est dangereux de cataloguer les sectes en fonction de leur dangerosité. Nous n’avons pas le droit de juger le membre d’une secte car il est généralement de bonne foi. Sa vision de la société est différente de la nôtre. La liberté de culte et d’association doit être respectée. Il nous faut donc exclusivement veiller à ce que les sectes renoncent à leurs pratiques illicites.
Comme le professeur Dobbelaere, le témoin estime qu’il serait bon d’engager le débat avec les mouvements sectaires et de leur proposer un code éthique aux groupements sectaires, en relation avec les droits de l’homme. Il s’agirait d’un moyen de pression important, susceptible de provoquer certaines dissensions au sein de ces groupements quant à son éventuelle application.
Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter