M. Lallemand a enquêté, de mars 1993 à fin 1994, sur la présence des sectes en Belgique et sur leur impact éventuel sur nos concitoyens. A cet effet, il a appliqué certaines techniques élémentaires d’enquête financière. Après avoir réuni à l’étranger les listes des sectes signalées de par le monde et de leurs paravents associatifs ou commerciaux les mieux connus, le témoin a procédé par mots clés et analogies, afin de vérifier via les publications légales leur présence éventuelle sur les territoires belge et luxembourgeois. Il a, par ailleurs, collecté l’ensemble des documents parus au sujet de ces mouvements dans la presse française, belge, anglaise et américaine, ainsi que les documents publics que sont tenus de publier, en Belgique et au Luxembourg, ces mouvements ou leurs paravents associatifs ou commerciaux. Le cas échéant, il a également obtenu les textes des jugements et condamnations en Belgique, au Luxembourg, en France, en Espagne et aux Etats-Unis concernant ces mouvements.

Le témoin a ensuite pris contact avec les responsables des différentes sectes pour un premier entretien ouvert, destiné à les laisser s’exprimer et à essayer de comprendre leur idéal.

Après avoir confronté la teneur de cet entretien avec la documentation récoltée, il a eu un second entretien " de rupture ", au cours duquel il a confronté les responsables avec les hiatus existant entre le discours de la secte et les faits constatés par ailleurs (le phénomène sectaire a en définitive fort mal résisté aux outils de recherche utilisés).

M. Lallemand ne souhaite pas entrer dans le principe d’une définition ou d’une liste, comme l’a fait la commission d’enquête française. Son travail s’est essentiellement fondé sur la multiplicité et le poids des plaintes déposées par des lecteurs.

Poursuivant son exposé, le témoin souligne les liens existant entre les sectes et le monde politique. Le cas du sénateur Hamelle soutenant la société mooniste " Living Water " en toute connaissance de cause, sur la base d’un argumentaire de liberté religieuse, demeure isolé. Par contre, le témoin s’étonne que malgré des mises en garde parfaitement explicites dans la presse, cinq parlementaires du groupe PSC, à savoir MM. Langendries, Sénéca, Detremme-rie, Thissen et Beaufays, aient permis au Parti humaniste, émanation de la secte " Le Mouvement ", de déposer ses propres listes électorales en vue des élections européennes de 1994.

Depuis plusieurs années, les sectes ont des visées politiques en Belgique. Outre le Parti humaniste (Humanistische partij), le Parti de la Loi Naturelle (Natuurwetpartij), émanation de Méditation transcendantale, la secte du Maharishi Mahesh yogi, l’ex-gourou des Beatles, s’est également présenté aux suffrages des électeurs ces dernières années. A son programme, la constitution d’un " groupe de cohérence " national équivalant à 1 % de la racine carrée de la population belge, soit 330 personnes, payées à temps plein, avec pour fonction exclusive de méditer afin de nous préserver des guerres et de résorber le chômage.

Certaines sectes tentent également de s’approcher du monde politique sans dévoiler leur véritable identité. Le service de renseignements de l’Eglise de Scientologie, baptisé " Bureau des affaires spéciales " (en anglais, OSA, Office of Special Affairs), qui édite sa propre revue en langue française, a pour objet de constituer sur fichier un réseau de relations le plus étendu possible (monde politique, médias, justice, finance, monde du spectacle, etc.), appelé " lignes de communications ".

La volonté de l’OSA d’infiltrer tous les milieux de décision se traduit par un vocabulaire particulier. On ne parle plus de manipuler mais de manier l’opinion ; on ne parle plus de convaincre mais de disséminer.

Le service de renseignements de l’Eglise de Scientologie est à ce point organisé qu’il peut, au départ de Los Angeles ou de ses stations périphériques dont la plus importante pour l’Europe se trouve à Copenhague, diffuser des " fact sheets ", des feuilles de renseignements qui servent à soutenir des articles de presse ou des interventions politiques et aident tous les scientologues de par le monde dans leur assaut des médias et des décideurs.

Au cours de son enquête, M. Lallemand a été surpris de voir, sur la base de " fact sheets " rédigés par la secte au Panama dans le but d’obtenir des articles de presse favorables à la destitution d’Inter-pol, que des scientologues détenaient la copie d’au moins un document provenant de la Sûreté de l’Etat belge, datant de la fin des années quarante, début des années cinquante. C’était un document interne qui venait d’une antenne d’Interpol à Berlin. Dans ce genre de dossiers, les scientologues ont accès à des sources dont le témoin affirme ne pas pouvoir disposer (comme, par exemple, des briefings au Panama à l’époque de Noriega).

Dans son ouvrage Une secte au coeur de la république ( 1 ), Serge Faubert, journaliste de " L’Evénement du Jeudi ", a montré de quelle manière les scientologues étaient parvenus à s’infiltrer jusque dans l’entourage direct de François Mitterrand. Il publie en annexe des exemples de fichages et les cotes attribuées aux leaders d’opinions et aux décideurs.

Depuis plusieurs années, sous couvert de l’association " European Human Rights and Public Affairs Office ", Martin Weightman préside aux destinées de l’OSA pour la Belgique et pour les organes de l’Union européenne. Au moment où s’organisait EUROPOL, M. Weightman a demandé au témoin comment en-trer utilement en contact avec le ministre de la Justi-ce. Il souhaitait également disséminer une vision particulière du conflit yougoslave et des solutions qui s’imposaient.

M. Weightman assiste aussi à certains événements organisés par d’autres sectes comme Moon en Belgique.

Dans une note d’août 1987, éditée par le " Hubbard Communication Office ", glissée dans le courrier de M. Lallemand, il était notamment indiqué que " ceux qui critiquent une personne parce qu’elle est scientologue ou qui font des remarques désobligeantes, ne résisteraient pas à une enquête sur leur passé ou sur leurs intentions. C’est là une chose heureuse pour nous, le criminel abhorre la lumière et nous sommes la lumière. (...) Si vous vous opposez à la Scientologie nous allons vite faire des recherches et nous découvrirons vos crimes pour les porter à la connaissance du public. Si vous nous laissez tranquilles, nous vous laisserons tranquilles. "

Concernant la législation sur la protection de la vie privée, le témoin fait remarquer qu’elle n’est pas applicable au-delà des frontières belges. Une organisation internationale ou intercontinentale peut placer son maître de fichier où elle le désire et consulter ce fichier en toute liberté par le biais de communications téléphoniques ou via le réseau Internet. La législation belge n’est applicable qu’à des entités qui ont un véritable intérêt économique sur notre territoire. A partir du moment où cet intérêt est mouvant et peut être déplacé sans trop de problèmes pour échapper à toute sanction économique ou pénale, cette législation n’est plus que virtuelle !

Pour les connexions de M. Weightman avec Copenhague et Los Angeles, c’est la législation de l’Etat de Californie qui doit s’appliquer.

M. Lallemand considère que l’Eglise de Scientologie est un des mouvements les plus dangereux. La secte a embrassé une palette très large de ce qui peut être fait en matière de délinquance et de crimes communs, entre autres sur le plan fiscal. M. Ron Hubbard a fait l’objet d’au moins une condamnation pour escroquerie. Par ailleurs, des informations judiciaires et des instructions ont été ouvertes pour meurtre dans l’organisation.

Contrairement à ce qu’affirme le prof. Dobbelaere, il y a lieu d’établir une nette distinction entre l’Eglise de Scientologie et une religion acceptable. L’individu doit pouvoir disposer d’une entière liberté philosophique et religieuse pour autant qu’il n’en tire pas des conséquences aberrantes et contraires à ce qui est de l’ordre du vérifiable dans sa vie quotidienne. Or, le scientologue est en rupture par rapport au monde réel vérifiable qui nous entoure. A partir du moment où M. Ron Hubbard prétend qu’il est un " thétan " - une âme pure qui, à la suite de règlements de comptes intergalactiques, s’est retrouvée enfermée sur la terre et bombardée de rayonnements atomiques - sa vision du monde s’oppose à des détails pratiques de la vie courante et on n’est dès lors plus en droit de parler d’une église concernant son organisation.

En outre, comme indiqué ci-dessus, l’Eglise de Scientologie a commis de manière répétée des escroqueries, des opérations de fraude fiscale et elle est impliquée dans une série importante d’instructions judiciaires. Le fait que cette secte soit reconnue en tant qu’église (aux Etats-Unis) ne peut, selon le témoin, servir d’argument pour la laisser commettre une série d’infractions de droit commun. il y a plus de quinze ans, les tribunaux néerlandais ont d’ailleurs demandé que l’Eglise de Scientologie soit interdite.

Avant d’attribuer éventuellement la qualité d’église à une association, il y a lieu de vérifier au moins ses activités économiques et fiscales !

Le témoin apporte également des précisions concernant d’autres mouvements sectaires.

Ainsi, l’Anthroposophie a des racines importantes dans la région d’Anvers. Ce mouvement se développe tant au niveau de l’éducation, avec des résultats non contestables, qu’au niveau de l’agriculture et de la médecine, avec des résultats par contre tout à fait contestables. Dans ce contexte, il y a d’ailleurs lieu de déplorer des cas de morts enfantines. Le témoin ren-voie au décès de la petite Annaëlle, décrit par le docteur Berliner (voir ci-dessous, point F, 1°, 4). Cel-le- ci fut traitée par un groupe de personnes pratiquant la médecine selon des concepts aberrants développés par Rudolf Steiner de 1921 à 1925. Celui-ci prétendait notamment que la circulation sanguine fait battre le coeur et non l’inverse.

Depuis quelques mois, les anthroposophes ont lancé leur propre holding bancaire, la Triodos Bank, et sont devenus les partenaires privilégiés d’associations telles que " Terre d’Enneille ". Le " Mouvement " fait également la publicité de la Triodos Bank. Le témoin ne dispose pas d’éléments supplémentaires à ce sujet.

L’ensemble des projets liés au mouvement anthroposophique sont importants. Ces personnes disposent de leur propre industrie pharmaceutique et de leurs propres associations de médecins représentant un lobbying relativement fort au niveau du ministère de la Santé publique.

Par ailleurs, une série d’informations concordantes semblent démontrer que l’ensemble des librairies et boutiques ésotériques de l’agglomération bruxelloise est en train de passer depuis quelques mois dans les mains d’un seul opérateur financier, qui est également connu des services judiciaires.

Il existe actuellement un très grand engouement pour les ouvrages ésotériques, qui développent les réflexions pseudo-philosophiques ou pseudo-religieuses des sectes. A partir du moment où ce phénomène est rassemblé dans les mains d’un nombre limité d’opérateurs, il y a lieu de s’interroger sur la manière dont le phénomène sectaire peut finalement assurer sa rentabilité. Si la commission arrive à mettre sur pied un dispositif législatif vis-à-vis des sectes, celui-ci ne devrait-il pas être élargi aux intervenants extérieurs qui tirent profit des activités sectaires ?

A partir du moment où l’ouvrage publié par le gourou de la secte Fraternité blanche universelle a un tel volume de vente dans les grandes librairies belges que la FNAC estime devoir le présenter en rayon même s’il est peut-être politiquement incorrect de vendre un tel ouvrage, ne se pose-t-il pas un problème au niveau de la responsabilité des éditeurs et diffuseurs de ces ouvrages sur le territoire belge ?

L’édition est une source de revenus considérable. Le président de Fraternité blanche universelle pour la Belgique est un avocat connu en Flandre, qui s’occupe également de la gestion de l’entreprise d’édition qui publie les ouvrages de la secte. Il faut donc tenir compte de l’ensemble de la sphère " business " qui entoure les sectes. Ainsi, M. Lallemand est interpellé de voir, par exemple, comment une secte comme l’Eglise de Scientologie peut réaliser des bénéfices importants en matière de management d’entreprises.

Concernant la Soka Gakkai, une enquête a été effectuée en 1990 sur la collusion fiscale entre la secte et le groupe Mitsubishi, relative au problème de la déclaration du rachat en double d’un tableau français, qui n’avait d’ailleurs pas d’autorisation d’exportation hors de France. Une équipe de " The Economist ", venue récemment s’informer sur les implications financières du redéploiement de la Soka Gakkai en Europe de l’Ouest, a confirmé que cette secte avait fait l’objet d’un important redressement fiscal.

A cet égard, il faut, selon le témoin, que le monde académique se rende compte que chaque fois qu’il prononce l’absolution d’une secte sur des bases parfois fort légères (cf. les arguments de défense avancés par le prof. Dobbelaere concernant cette secte), il lui fournit une protection morale terriblement efficace et, à son sens, coupable.

A la question de savoir s’il a subi des pressions ou menaces, M. Lallemand répond que l’usage littéral mais mal approprié et répété de la législation sur le droit de réponse constitue une des pressions les plus directes et les plus visibles que l’on puisse faire à l’encontre d’un journaliste vu ses relations hiérarchiques à l’intérieur du journal.

La deuxième pression importante est ce que l’on appelle le " love bombing ". La secte va tenter d’entourer le journaliste d’une sorte de cocon, d’une atmosphère positive afin de mettre des obstacles à sa hargne.

Si ce n’est le pli déposé dans son courrier par un scientologue (voir plus haut), le témoin indique n’avoir jamais fait l’objet de véritables menaces directes.

Pour ce qui est de l’Ordre du Temple Solaire, M. Lallemand indique que la BSR n’a trouvé aucune indication permettant de penser que la secte aurait un siège à Bruxelles, chaussée de Charleroi. Pour ce qui est de la confrérie du Scorpion citée par M. Facon lors d’un débat télévisé sur RTL-TVI, ce caractère emblématique dépasse de loin l’OTS. Dans nombre de pratiques divinatoires ou pseudo-divinatoires citées dans les petites annonces de la capitale, on cite Bruxelles comme étant la ville du Scorpion. Il est donc probable que l’on coure après des chimères dans ce dossier.

Après la première vague de suicides, les autorités canadiennes ont demandé aux autorités belges d’identifier une société commerciale que l’on pensait être basée en Belgique et qui aurait un lien avec l’OTS. Même si il est plausible de penser qu’il existe certaines connexions en Belgique, on n’a jamais retrouvé trace de cette société.

A la question de savoir s’il dispose de renseignements concernant les divers ordres templiers, M. Lallemand indique qu’il a connaissance de certains escrocs professionnels qui utilisaient les filières templières ou religieuses pour dissimuler des affaires de moeurs, de faux et usage de faux, des escroqueries diverses, etc. Il cite l’exemple de M. P. Percy Pasleau.

Depuis 1994, le témoin reçoit chaque semaine 5 à 6 appels téléphoniques, souvent désespérés, concernant les sectes, ce qui démontre bien l’ampleur du problème.

Quelles solutions proposer ?

Nos concitoyens ont besoin d’un interlocuteur communautaire (matières personnalisables) qui dispose d’un fonds de documentation informatisé, mis en corrélation avec les fonds de documentation à l’étranger, de manière à pouvoir identifier les mouvements sectaires et à en évaluer le danger. Ce fonds pourrait également servir à alimenter le dossier des plaignants éventuels, qui disposeraient ainsi de plus d’éléments pour saisir de l’affaire leur avocat.

Ce même interlocuteur institutionnel devrait pouvoir ester en justice à sa propre initiative.

M. Lallemand suggère également d’incriminer spécifiquement l’appartenance ou la filiation religieuse ou pseudo-religieuse ou philosophique lors de délits et de crimes communs. Une telle appartenance devrait représenter une circonstance aggravante.

Enfin, il serait également intéressant de réfléchir à l’utilité de sanctionner devant les tribunaux la diffusion répétée d’informations délibérément fausses et dangereuses, notamment lorqu’elles ont trait à la médecine.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be