Sujet : DPS
Audition de : Bernard Prévost et lieutenant-colonel Robiquet
En qualité de : directeur général de la Police nationale
Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)
Le : 27 janvier 1999
Présidence de M. Guy HERMIER, Président
M. Bernard Prévost est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Bernard Prévost prête serment.
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir.
Je rappellerai, dans un premier temps, les divers textes applicables aux services d’ordre et de sécurité.
Je citerai d’abord la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées qui autorise la dissolution par décret en conseil des ministres des associations considérées comme portant atteinte à l’ordre public et à la démocratie. Cette sanction de nature administrative est complétée par différents articles du code pénal, notamment les articles 431-15, 431-17 et 431-18 qui incriminent et sanctionnent la participation au maintien ou à la reconstitution d’un mouvement dissous en application de la loi de 1936 précitée.
Par ailleurs, une innovation importante a été introduite dans notre droit, en créant une incrimination spécifique pour une catégorie particulière de mouvements, mentionnée par la loi de 1936. Ainsi, le seul fait d’organiser un groupe de combat ou d’y participer est pénalement sanctionné, même si ce mouvement n’a pas été dissous au préalable. Pour mettre en oeuvre cette nouvelle incrimination, le code pénal définit la notion de groupe de combat comme " tout groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d’une organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l’ordre public ".
En outre, les membres de services d’ordre ou de sécurité peuvent se rendre coupables d’usurpation de fonctions ou de signes réservés à l’autorité publique, respectivement incriminée et punie par différents articles du code pénal.
Plus récemment, la loi d’orientation et de programmation n°95-73 du 21 janvier 1995, relative à la sécurité, appréhende, en ses articles 12 et 23, ces mêmes organisations, mais sous des angles différents. Les décrets d’application de l’article 12 sur le gardiennage ou la surveillance d’immeubles et de l’article 23 sur la mise en place de services d’ordre par les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif obligent les responsables, sous peine de contravention de 5ème classe, à faire assurer le gardiennage ou la surveillance d’une part, le service d’ordre de l’autre.
Si l’évolution législative, guidée par un souci sécuritaire, affirme la nécessité d’avoir recours à des organisations privées de surveillance et de service d’ordre, elle va également dans le sens d’un encadrement étroit de celles-ci, comme en témoigne l’avant-projet de loi modifiant la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités de surveillance, de gardiennage, de transport de fonds et relative aux agences de recherches privées. Ce texte prévoit notamment de faire de la protection des personnes une activité exclusive de tout autre.
Je traiterai, dans un deuxième temps des dispositions législatives susceptibles de s’appliquer au DPS, si les faits et les allégations ayant donné lieu à la création de cette Commission d’enquête étaient vérifiés par ses investigations approfondies.
En premier lieu, la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées autoriserait la dissolution du DPS par décret en conseil des ministres, puisqu’il porterait atteinte à l’ordre public et à la démocratie pour l’un ou plusieurs motifs légaux suivants : la provocation de manifestations armées dans la rue ; la présentation par la forme et l’organisation militaire du caractère de groupe de combat ou de milice privée ; la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; la propagation d’idées ou de théories tendant à justifier ou à encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.
Si, malgré cette dissolution envisageable, des membres du DPS participaient au maintien ou à la reconstitution de ce service d’ordre, les articles du code pénal 431-15, 431-17 et 431-18 s’appliqueraient dans toute leur rigueur, les peines prévues en la matière s’échelonnant de 3 à 7 ans d’emprisonnement et de 300 000 francs à 700 000 francs d’amende.
Par ailleurs, en l’absence même de dissolution du DPS, ses membres pourraient se voir pénalement sanctionnés pour le seul fait d’organiser un groupe de combat ou d’y participer. En effet, si les faits avancés se trouvaient vérifiés, le DPS répondrait à la définition du groupe de combat.
Sans se livrer à une exégèse des dispositions législatives précitées, il convient toutefois de reconnaître que leur maniement est délicat. Les propos du rapporteur du projet de loi réformant les dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique, selon lesquels le nouveau dispositif pénal n’a pas pour objet de pénaliser le service d’ordre d’un parti politique, méritent d’être pris en compte.
J’en arrive au troisième volet de mon propos, à savoir les relations entre le DPS et la gendarmerie.
Au vu de l’ensemble des renseignements recueillis, il apparaît que la gendarmerie nationale, en tant qu’institution, n’entretient aucune relation, ni de près ni de loin, avec le DPS et ses responsables. Lorsqu’un membre influent du Front National se déplace, qu’un rassemblement ou qu’une réunion politique se déroule, nécessitant la présence du DPS, aucun contact n’est établi entre cette organisation et le commandant de groupement de gendarmerie départementale, territorialement compétent, ou son représentant. Il en va d’ailleurs de même pour les autres responsables et organisations politiques, l’interlocuteur privilégié du commandant de groupement étant l’autorité préfectorale qui est, seule, responsable de l’ordre public dans son département.
A la connaissance de la direction générale de la gendarmerie, les unités de gendarmerie n’ont jamais eu l’occasion de constater des infractions commises par le DPS.
Cela étant dit, j’évoquerai un cas particulier, de façon à assurer une transparence totale sur le plan individuel. Il convient de rapporter ici les faits et agissements de M. Gérard Hirel, officier de gendarmerie à la retraite depuis 1986, né dans les Côtes-d’Armor le 14 avril 1938. Après avoir quitté le service actif, M. Hirel a créé une association dans la mouvance de l’extrême-droite, dénommée Euro défense, association à vocation de défense des libertés, des opprimés, persécutés et victimes de tous ordres. Il est, en outre, responsable du DPS pour la région des Pays-de-la-Loire et chargé de mission à la direction du DPS.
Ce monsieur s’est fait remarquer défavorablement à plusieurs reprises, en mêlant à son nom son ancien grade d’active et son ancienne appartenance à la gendarmerie nationale. Il est intervenu à différentes occasions, soit par des articles de presse, soit par des communications téléphoniques à la suite de certains événements d’ordre public. Il a également eu, en 1997, des relations difficiles avec un secrétaire général d’une organisation professionnelle de la police, M. Arajol. Cela a été consigné dans un rapport du 16 juin 1997. A cette occasion, nous avons adressé une correspondance à la direction de la police nationale et demandé au général qui commande la circonscription de gendarmerie de Rennes d’écarter M. Hirel de toute responsabilité au sein des réserves de la gendarmerie. Je terminerai mon intervention en vous citant une dernière anecdote. En septembre 1997, M. Hirel a téléphoné au centre opérationnel départemental d’incendie de secours (CODIS) de Paris, en tenant des propos incohérents et incompréhensibles, et en proférant des menaces à l’égard des unités de gendarmerie, à la suite d’une affaire mettant en cause un chasseur qui avait tué un ours dans les Pyrénées. Cette personne est avide de scandales et de provocations et a tendance à l’intempérance. Son comportement porte atteinte à l’image de marque de la gendarmerie. Cependant, il reste un cas isolé. C’est l’exception qui confirme la règle quand je vous disais que la gendarmerie n’entretenait pas de relations avec le DPS.
M. le Président : Monsieur le directeur général, je vous remercie.
D’après mes informations, l’ancien responsable du DPS de 1990 à 1994 était M. Jean-Pierre Fabre, ex-capitaine de gendarmerie du centre de documentation de la gendarmerie nationale. Avez-vous des informations à ce sujet ?
M. Bernard PRÉVOST : Non, je n’ai aucune information, car j’ignorais cet élément.
M. le Président : Il s’agit d’un point important, car le DPS est bien connu pour son activité de renseignement ; or M. Fabre, par sa fonction, avait la possibilité de contribuer à la constitution de fichiers pour le DPS. Cette question mérite donc d’être examinée sérieusement.
M. Bernard PRÉVOST : Je ne suis pas en mesure de vous répondre aujourd’hui, mais je m’engage à vous apporter des compléments d’information concernant cette personne.
M. Christophe CARESCHE : Monsieur le directeur général, je souhaiterais en savoir un peu plus sur la confrontation entre la gendarmerie, et notamment ses unités mobiles chargées du maintien de l’ordre, et le DPS. Des rapports sont-ils établis, à l’occasion de manifestations du Front National, sur le comportement et les agissements du DPS, même si aucune infraction n’a été commise ? En effet, il serait intéressant de savoir comment vos services se comportent lors des confrontations avec ce service d’ordre. Je pense en particulier à l’incident qui s’est déroulé à Montceau-les-Mines et a opposé les unités mobiles d’intervention du DPS aux forces de maintien de l’ordre - gendarmerie ou CRS -. Vos services ont-ils été confrontés à ces unités ? Des rapports d’intervention ont-ils été établis à cette occasion ?
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, je ne possède aucune information relative au comportement des personnes servant au sein du DPS. Cependant, je vais également engager des recherches à ce sujet, notamment sur les événements de Montceau-les-Mines, afin de déterminer quelles unités sont intervenues - celles de la gendarmerie ou de la police nationale - et pour savoir comment les choses se sont réellement passées. Je vous apporterai, dans les meilleurs délais, une note d’information sur ces événements.
M. le Rapporteur : Monsieur le directeur général, je vous poserai deux questions.
Tout d’abord, je suppose que chaque unité mobile, à l’issue de son service, établit un rapport sur le déroulement des opérations et y mentionne les incidents éventuels. Par conséquent, nous souhaiterions savoir si des rapports ont été établis par les unités mobiles de gendarmerie à la suite d’événements mettant en cause les membres du DPS.
Par ailleurs, lorsque le Front National organise une manifestation en zone gendarmerie, comment s’établissent les relations entre l’autorité administrative et les représentants du parti ? Est-ce par l’intermédiaire du directeur des renseignements généraux, du commandant de groupement ou du cabinet du préfet ? Il semble normal, en effet, que lorsque M. Le Pen se déplace, il y ait des relations entre les personnes chargées d’assurer sa sécurité et les services de police ou de la gendarmerie.
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, je n’ai pas connaissance de rapports d’unités mobiles faisant part de la présence de membres du DPS ou de problèmes particuliers avec ces derniers. Je vais toutefois effectuer des recherches sur ce sujet.
En ce qui concerne les relations entre l’autorité administrative et les représentants du Front National venant manifester en zone gendarmerie, je vous répondrai, en me fondant sur mon expérience de préfet, n’avoir jamais eu à traiter ou à surveiller des manifestations auxquelles étaient mêlés le Front National et le DPS. Le préfet, lui-même, n’est pas en relation directe avec les organisateurs d’une manifestation, ce rôle revenant soit à son directeur de cabinet, soit au directeur des renseignements généraux, ou aux deux. Juste avant l’événement, c’est souvent le commissaire de police chargé de la sécurité publique dans le secteur où a lieu la manifestation qui est en contact direct avec les organisateurs. En tous les cas, le capitaine commandant l’escadron de gendarmerie mobile n’a pas de contacts avec les organisateurs de la manifestation, pas plus que le commandant de groupement d’ailleurs. Les forces mobiles sont mises à la disposition du commissaire de police auquel revient la responsabilité de suivre et de contenir la manifestation sous l’autorité du préfet.
M. le Rapporteur : Cependant, certaines manifestations se déroulent parfois en zone rurale, dans des " châteaux " ; dans ce cas-là, le commissaire de police n’est pas compétent pour intervenir.
M. Bernard PRÉVOST : Effectivement, dans ce cas-là, c’est le commandant de brigade de gendarmerie ou le capitaine commandant la compagnie de gendarmerie départementale qui sera en contact avec les organisateurs de la manifestation.
M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Monsieur le directeur général, je souhaiterais vous poser deux questions qui ont trait à deux problèmes différents.
Concernant, tout d’abord, les réunions publiques organisées par le Front National, je souhaiterais savoir si des informations relatives au DPS sont remontées à la gendarmerie ou si des infractions ont été constatées par elle à cette occasion. Par exemple, nous souhaiterions savoir si les personnes du service d’ordre se trouvant à l’entrée de ces manifestations sont ou non armées et si vous avez eu connaissance, ne serait-ce qu’à titre d’information, de cas de comportements violents, d’altercations ou de ports d’armes.
Ma seconde question est relative aux troubles publics susceptibles de se produire à la fin de manifestations. Avez-vous déjà constaté, à cette occasion, des interventions brutales et violentes des membres du DPS ?
M. Bernard PRÉVOST : Je ne dispose pas d’informations particulières sur l’armement des membres du DPS, ni sur les débordements éventuels qui ont pu survenir à l’issue d’une manifestation du Front National.
M. André VAUCHEZ : Monsieur le directeur, je souhaiterais savoir si vos services ont repéré, parmi les membres du DPS, des salariés de sociétés de gardiennage. Par exemple, dans la région Bourgogne, à Beaune, vit un grand exploitant viticole, M. Jaboulet-Verchère, qui ne cache pas son appartenance au Front National. Nous souhaiterions savoir s’il existe un lien entre ces sociétés de gardiennage et le DPS.
M. Bernard PRÉVOST : Je ne possède aucune information à ce sujet. Cependant, puisque vous me citez un exemple précis concernant un exploitant viticole dans la région de Beaune, je m’engage à creuser la question pour vous apporter des compléments d’information.
Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Monsieur le directeur, vous venez de nous expliquer que vous n’aviez pas connaissance de relations éventuelles entre la gendarmerie et le DPS lors de manifestations du Front National. La situation est-elle différente avec les responsables de manifestations à caractère sportif, culturel ou même politique, s’agissant d’autres partis que le Front National ?
M. Bernard PRÉVOST : En général, les manifestations ne débouchent pas sur des violences ou des faits notables particuliers. Or les informations ne remontent que lorsque l’ordre public est troublé, par exemple lors de manifestations d’ordre professionnel au cours desquelles il arrive que des violences soient exercées.
M. le Rapporteur : Existe-t-il, de façon formelle ou informelle, à la direction générale de la gendarmerie, un service chargé du renseignement sur les services de sécurité des formations politiques extrémistes ?
Par ailleurs, des études sont-elles réalisées par les services de la gendarmerie, par la Direction du Renseignement Militaire (DRM) ou par les différents services de sécurité militaire, sur les problèmes de relation ou d’entrisme de personnels, en retraite ou en activité, en direction du Front National ou du DPS ?
M. Bernard PRÉVOST : La gendarmerie ne dispose pas d’un service de renseignements généraux ; il existe un service spécialisé de la police nationale chargé de ces questions. Au niveau de la direction générale de la gendarmerie nationale, nous voyons remonter des synthèses sur les événements les plus importants, mais nous n’avons pas de département spécialisé, au sein de la gendarmerie, pour étudier les mouvements extrémistes.
M. le Président : Vous n’avez mené aucune enquête ?
M. Bernard PRÉVOST : Nous possédons des informations sur des événements particuliers, mais nous ne menons aucune étude particulière sur les mouvements extrémistes ; c’est de la compétence des renseignements généraux.
M. le Président : Pourtant, nombre de témoignages indiquent que le DPS recruterait ses membres notamment au sein de la police et de la gendarmerie.
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le président, sans paraître chercher à me défausser, je rappelle qu’il existe, au sein des forces armées, un service, la Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD), chargé d’examiner les menées internes de déstabilisation au sein des forces armées.
M. le Président : Vous n’avez pas connaissance d’enquêtes menées par cet organisme concernant la question qui nous intéresse ?
M. Bernard PRÉVOST : Non, je n’ai pas connaissance d’enquêtes émanant de cet organisme, mais il s’agit d’une question qui peut, elle aussi, être creusée et je peux demander à la DPSD la communication des études qui ont pu être menées dans ce domaine.
M. le Rapporteur : Vous n’avez jamais été approché par la DPSD sur ce sujet ?
M. Bernard PRÉVOST : Non.
M. Arthur PAECHT : Monsieur le directeur, je vous poserai deux questions.
En zone de gendarmerie, les gendarmes sont compétents, non seulement pour les problèmes militaires, mais également pour les problèmes de sécurité. Or nous avons pu voir, notamment à travers des reportages télévisés, des manifestations de type paramilitaire regroupant des personnes en uniforme se livrant à des exercices à l’intérieur de propriétés privées. La France dispose pourtant d’une législation sur le port illégal d’uniforme. La gendarmerie, qui ne peut pas ignorer ce type de manifestation, a-t-elle déjà eu l’occasion de dresser des procès-verbaux pour port illégal d’uniforme ou tout au moins d’enquêter sur la nature de l’uniforme porté ? A-t-elle également eu l’occasion d’enquêter sur les entraînements auxquels se livrent ces personnes, qui sont des manifestations paramilitaires interdites par la loi ?
Ma seconde question est plus personnelle : connaissez-vous le colonel Gérardin ? Il s’agit d’un colonel de gendarmerie en retraite qui a, pendant quelques années, été responsable de la sécurité de l’Elysée. Il a, par la suite, été élu du Front National dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et appelé auprès de M. Le Pen pour organiser son premier service de sécurité. Depuis, il a démissionné du Front National. Je ne l’implique donc pas du tout dans les affaires concernant le DPS. Cependant, étant donné qu’il a gardé des liens très étroits avec la gendarmerie, il a probablement dû profiter de son expérience et de ses contacts avec la gendarmerie pour organiser ce premier service de sécurité. En outre, il continue à éditer un bulletin, Le Glaive, organe des retraités de la gendarmerie qui porte la même flamme que celle du Front National. De ce fait, le symbole du Front National est étroitement mêlé à la notion de gendarmerie.
Cela étant dit, je ne mets pas le colonel en cause, je le considère comme un parfait honnête homme, égaré et revenu, mais vous devez certainement détenir un certain nombre de renseignements sur ses activités. Je pense d’ailleurs, monsieur le président, qu’il s’agit d’une personne que l’on pourrait auditionner, dans la mesure où le colonel Gérardin critique, aujourd’hui, l’évolution du service de sécurité du Front National qu’il avait lui-même mis en place.
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, en ce qui concerne la législation relative au port illégal d’uniforme, il est vrai qu’elle existe et que la gendarmerie doit l’appliquer. Cependant, quand des personnes portent l’uniforme à l’intérieur d’une résidence privée, nous n’avons pas à intervenir. Je n’ai pas de remontée d’information à ce sujet.
M. Arthur PAECHT : Vous n’avez jamais vu de reportages télévisés montrant ces personnes en uniforme défilant dans des villages ?
M. Bernard PRÉVOST : Franchement, non - je ne suis jamais devant ma télévision à l’heure des journaux télévisés -, mais cela doit certainement exister.
M. Arthur PAECHT : Vous pouvez consulter les archives !
M. Bernard PRÉVOST : Je ne détiens aucune information sur ces événements, mais je vais me pencher sur cette question afin de vous apporter des précisions.
En ce qui concerne le colonel Gérardin, je ne le connais pas personnellement, mais j’ai entendu parler de cet ancien officier de gendarmerie retraité qui a été élu du Front National. Je sais qu’il a édité - et qu’il édite peut-être encore - un bulletin dont vous me dites qu’il est intitulé Le Glaive. Les seuls renseignements que je puis obtenir, ce sont ses états de services lorsqu’il était en activité au sein de la gendarmerie. La gendarmerie n’entretient pas de relations avec ce monsieur. Il est possible qu’il entretienne toujours des relations avec des anciens collègues, mais je ne possède aucune information concernant ses activités.
M. Arthur PAECHT : Mais vous pouvez en rechercher.
M. Bernard PRÉVOST : Bien sûr, et je le ferai.
M. Arnaud MONTEBOURG : Je voudrais revenir sur la question de vos relations avec les militaires retraités. Je lis dans un journal sérieux, Le Monde, du mois de janvier 1999, que " dix-huit des responsables départementaux actuels du service d’ordre sont d’anciens militaires, gendarmes ou policiers. L’exemple du Maine-et-Loire illustre bien cette tendance : le DPS y était placé sous la responsabilité d’un lieutenant-colonel de gendarmerie en retraite, âgé de 59 ans. Le 12 décembre 1997, c’est à lui que le Front National avait confié la direction du service d’ordre pour la venue de Carl Lang à Poitiers. L’ex-officier avait envoyé au préfet de la Vienne un fax détaillant son dispositif et le prévenant qu’en cas d’agression de contre-manifestants, il les ferait dégager par la force. "
Les exemples fourmillent et les questions qui ont été posées sont convergentes. D’anciens officiers de haut niveau de la gendarmerie évoluant au sein du Front National, disposent, à ce titre, d’une connaissance particulière, de l’intérieur, de l’appareil d’Etat
– notre collègue Paecht a cité l’exemple d’un ancien responsable de la Garde Républicaine de l’Elysée - et de la gendarmerie, un de ses points névralgiques. Or, la gendarmerie, elle, ne semble pas connaître le comportement de ses anciens militaires. Nous pouvons donc, de ce point de vue, avoir quelques inquiétudes : même si votre réponse est tout à fait fondée en droit, nous nous inquiétons de votre méconnaissance des agissements d’anciens officiers de la gendarmerie qui peuvent, d’ailleurs, engager l’image de celle-ci. Par ailleurs, dans la mesure où un certain nombre d’informations judiciaires ont été ouvertes sur les questions d’usurpation de titre, d’uniforme et de fonction, la gendarmerie a certainement, dans le cadre de l’exécution des commissions rogatoires par les magistrats instructeurs, une connaissance assez précise d’un certain nombre d’événements, tels que ceux qui se sont déroulés à Montceau-les-Mines.
Quelles sont, Monsieur le directeur, les informations précises que vous êtes en mesure d’apporter à la Commission d’enquête sur le degré de connaissance que les personnels retraités de la gendarmerie nationale ont de l’appareil d’Etat et sur l’utilisation qu’ils peuvent en faire dans le cadre des fonctions qui leur sont attribuées par ce curieux service d’ordre ? Quelles mesures êtes-vous en mesure de prendre, dans le respect des lois en vigueur, pour maîtriser cette fâcheuse évolution ?
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, vous relatez un article du Monde faisant mention de dix-huit anciens militaires, gendarmes ou policiers concernés par les activités du DPS. Mais cela n’englobe pas tous les gendarmes ; je ne sais d’ailleurs pas combien il y a de gendarmes parmi les dix-huit personnes concernées.
Vous vous étonnez de la méconnaissance de la gendarmerie à l’égard des activités des retraités, mais vous reconnaissez, en tant que juriste, qu’il est difficile, en droit, de suivre les activités des personnels de la gendarmerie, qui ont quitté l’uniforme. J’ai juré de vous dire tout ce que je savais, et je vous ai cité le cas de M. Hirel, ancien officier de la gendarmerie en retraite depuis 13 ans et développant des activités au sein du DPS dans le Maine-et-Loire. J’espère que les gendarmes concernés par cet article de presse sont en nombre limité.
Vous me demandez si ces personnes ont une connaissance de l’appareil d’Etat et s’ils s’en servent pour leurs activités quand ils sont à la retraite. Oui, bien sûr, ils ont une connaissance des règlements, de l’organisation de l’appareil d’Etat, et de la gendarmerie en particulier, parce qu’ils y ont servi, mais ces connaissances perdent de leur importance au fil du temps, car les règles et le fonctionnement de la gendarmerie évoluent. Ces personnes ont certainement gardé quelques contacts personnels avec d’anciens collègues, mais la gendarmerie n’a pas une connaissance officielle de ces relations.
Par ailleurs, il est évident que si nous avions connaissance de faits délictueux les concernant, nous interviendrions et ferions appliquer les lois. En ce qui concerne le cas particulier de M. Hirel, les mesures nécessaires ont été prises afin que tout lien avec la gendarmerie soit coupé, notamment son appartenance aux réserves de la gendarmerie.
M. Jean-Pierre BLAZY : Monsieur le directeur, je comprends qu’il ne relève pas de votre compétence de suivre les activités des gendarmes en retraite, au DPS ou ailleurs. Ma question concerne les gendarmes en activité : à votre connaissance, certains d’entre eux ont-ils des liens avec le DPS ? Disposez-vous, au sein de la gendarmerie, d’un moyen précis de savoir si de telles situations existent et d’y remédier ?
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, je n’ai pas connaissance d’appartenance de personnels d’active de la gendarmerie à de telles organisations. Avons-nous un moyen de le savoir ? La gendarmerie est structurée, avec des personnels qui ont une éthique et qui connaissent leurs obligations de neutralité, de non-affichage d’opinions politiques, philosophiques et religieuses dans l’exercice de leur profession. Je suis donc quasiment assuré que ce cas ne peut pas se produire.
Lorsque les personnels de la gendarmerie sont à la retraite, ils sont alors déliés de leur devoir de réserve et peuvent exercer des activités politiques et exprimer leurs opinions à titre personnel, tout en respectant la loi, bien entendu.
M. Robert GAÏA : Monsieur le directeur, si nous avons créé une Commission d’enquête sur les agissements, l’organisation, le fonctionnement et les objectifs du groupement de fait dit " département, protection et sécurité ", et sur les soutiens dont il bénéficierait, c’est parce que la représentation parlementaire a été interpellée sur l’existence de problèmes et de faits délictueux liés au DPS.
En vous écoutant, nous nous apercevons que vous en savez encore moins que nous ! Or nous souhaitons identifier les capillarités qui peuvent exister, non pas au niveau de l’active, mais au niveau des gendarmes en retraite. Vous nous dites qu’une fois à la retraite, le cordon ombilical est coupé ; cependant, parce qu’il s’agit de militaires, des liens peuvent encore exister dans le cadre de la réserve.
Je suis étonné que la gendarmerie ne mène pas d’études sur une structure telle que le Cercle national des gens d’arme qui est un regroupement du Front National. Ce Cercle national des gens d’arme, en tant que structure composée de gendarmes à la retraite, entretient-il des relations avec la gendarmerie ? Est-il invité à des manifestations organisées par la gendarmerie, comme cela se fait pour les anciens combattants ?
M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le président, je comprends bien votre souci de connaître les capillarités qui existent entre les retraités de la gendarmerie et le DPS. Vous dites, à juste titre, que les gendarmes devenant retraités sont versés dans la réserve ; cependant, il est bien connu que beaucoup de réservistes n’ont aucune activité particulière au sein des réserves. Cette question va d’ailleurs être soulevée lors de la discussion du projet de loi relatif aux réserves : les réserves des armées qui, pour l’instant, ont un volume important, et dont les personnels sont rarement convoqués et peu formés, vont se concentrer avec des personnes qui seront mieux formées, convoquées plus fréquemment et mieux connues, puisqu’elles seront moins nombreuses.
Aujourd’hui, les gendarmes, quel que soit leur grade, sont versés dans la réserve à l’issue de leur période d’activité. Étant donné qu’ils n’ont pas d’activité, pour beaucoup d’entre eux, au sein de cette réserve, ils ne sont pas suivis par la gendarmerie.
S’agissant du Cercle national des gens d’armes, j’en ai entendu parler, mais je ne le connais pas. Il est vrai que nous entretenons des relations fortes avec les associations de retraités et de réservistes de la gendarmerie, associations tout à fait louables qui respectent les lois de la République. Depuis quelques années, nous avons tenu à marquer un peu plus d’unicité au sein de ces associations ; elles se sont regroupées dans un comité d’entente. Toutes les manifestations publiques et rencontres auxquelles nous invitons des retraités et des réservistes se font à travers ce comité. Je puis vous affirmer que ce Cercle national des gens d’arme n’en fait pas partie.
Vous êtes quelques-uns à regretter que la gendarmerie, au moins au niveau de la direction générale, ait une relative méconnaissance du phénomène et des relations qui peuvent exister entre des anciens gendarmes et le DPS. J’ai bien noté toutefois qu’il y avait des éléments à creuser et je m’engage à vous apporter des réponses plus complètes dans les meilleurs délais.
M. Thierry MARIANI : Mes chers collègues, reprocheriez-vous au directeur général de l’éducation nationale de ne pas savoir ce que font les retraités de l’éducation nationale ?
M. Robert GAÏA : Cette question est importante car il s’agit de soldats et concerne la réserve.
M. Thierry MARIANI : J’ai moi-même passé un certain nombre d’années dans une école militaire, mais une fois que je l’ai quittée, j’étais libre de faire ce que je voulais. Par ailleurs, les militaires prenant leur retraite assez jeunes, il est normal qu’ils aient ensuite une activité.
A mon avis, les questions concernant la gendarmerie nationale doivent se limiter aux personnels d’active et aux cadres de réserve.
M. Robert GAÏA : Le colonel Gérardin était président du Cercle national des gens d’arme qui, entre autres, publie Le Glaive. Il me paraît donc normal que l’on s’interroge à son sujet. Les gendarmes sont des soldats.
M. Thierry MARIANI : En ce qui concerne les cadres de réserve, je pense qu’effectivement, en tant que responsable de la gendarmerie, vous pourriez obtenir des informations. En avez-vous ? En revanche, personnellement, j’estime que lorsque les gendarmes sont retraités, ils ont coupé les liens avec la gendarmerie, même si, par capillarité, il reste toujours des liens amicaux entre les anciens d’une même corporation, qu’elle soit militaire ou civile.
En tant que député du Vaucluse, je constate que de nombreux membres du DPS font partie de polices municipales. Or la gendarmerie est en contact étroit avec les polices municipales dans les zones rurales. Auriez-vous connaissance d’une police municipale qui serait composée de nombreux membres du DPS ?
Troisièmement, nous sommes un certain nombre de parlementaires du Midi à nous demander si les incidents qui ont lieu lors de manifestations n’ont pas été déclenchés par certains provocateurs. Or, les incidents qui ont eu lieu dans mon département, y compris en zone de gendarmerie, n’ont jamais fait l’objet de la moindre enquête. Par exemple, ceux de Bollène, dans le Vaucluse, en juin 1997, en période électorale, ont été, nous en sommes persuadés, provoqués ; or l’enquête de la gendarmerie n’a rien donné.
M. Bernard PRÉVOST : En ce qui concerne les réservistes, je n’ai pas connaissance d’individus ou d’associations proches du DPS ou de sa mouvance. La réserve de la gendarmerie est en train de monter en puissance et cela devrait être conforté par le projet de loi qui va vous être présenté sur les réserves. Actuellement, il existe deux associations de réservistes, assez récentes, l’association nationale des officiers de réserves de gendarmerie (ANORGEN) et une association des sous-officiers de gendarmerie, dont les responsables sont tout à fait dignes de confiance et avec lesquels j’entretiens de fréquentes relations. Or cette question n’a jamais été abordée et ne se pose pas. J’espère d’ailleurs qu’il en sera toujours ainsi.
S’agissant des polices municipales, je suis désolé de vous répondre encore une fois par la négative. Je n’ai pas connaissance de liens particuliers entre certaines polices municipales et le DPS qui auraient été observés par des unités locales de gendarmerie.
En ce qui concerne vos doutes sur certains incidents, leur traitement et les procédures qui n’auraient pas abouti, puisque vous me citez un cas précis, je vous apporterai les précisions que vous demandez.
M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, on constate dans l’armée, comme dans d’autres corps, une remontée des intégrismes religieux et notamment catholique. Ces intégristes sont parfois appelés à rencontrer des personnes d’extrême-droite, voire du Front National. Pensez-vous que des relations se nouent par le biais des intégristes, et craignez-vous que cela puisse se développer ?
M. Bernard PRÉVOST : Il est vrai que nous pouvons observer, dans la société, le développement de certains intégrismes religieux, et vous citez certains intégrismes catholiques. Je n’ai pas connaissance de cas particuliers d’intégristes catholiques, membres de la gendarmerie qui entretiendraient des relations particulières avec le DPS. Nous sommes attentifs à ces questions, mais je n’ai aucune information à ce sujet.
M. le Président : Monsieur le directeur général, je vous remercie. Vous avez bien senti, à travers nos questions, que nous sommes soucieux d’en savoir plus. Peut-être n’y a-t-il pas plus. Cependant, une interrogation demeure : nous savons - plusieurs cas ont été cités aujourd’hui - que des retraités de la gendarmerie entretiennent des liens avec le DPS. Nous sommes donc en droit de nous demander comment des liens se créent, y compris avec la gendarmerie dans son activité habituelle.
Vous avez pris l’engagement de nous apporter des éléments de réponse. Peut-être pourrions-nous procéder à une nouvelle audition ?
M. Bernard PRÉVOST : Je vous adresserai des compléments d’information vers la mi-février, et reste à votre disposition pour une nouvelle audition, si vous l’estimez nécessaire.
M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.
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