Présidence de M. Raymond FORNI, Président
puis de M. Roger FRANZONI, Président d’âge
M. Daniel Léandri est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Daniel Léandri prête serment.
M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Daniel Léandri, ancien conseiller au cabinet de M. Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur.
Monsieur Léandri, nous souhaiterions que vous nous précisiez quelles étaient vos fonctions au cabinet de Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur, quel a été votre rôle dans la gestion du dossier corse et quelle a été la politique que vous étiez chargé d’appliquer sur le territoire corse.
Je vous propose de nous présenter un exposé liminaire, puis nous passerons au jeu des questions réponses.
M. Daniel LÉANDRI : Monsieur le président, mon exposé liminaire sera bref. De 1993 à 1995, j’étais chargé, au sein du cabinet de Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, des relations avec les syndicats de police. Bien entendu, je suis à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous me poserez sur le dossier corse, mais les relations avec les syndicats de police me prenaient 99 % de mon temps.
J’ajouterai simplement que je recevais, de manière informelle, tous les Corses qui me le demandaient, qu’ils soient nationalistes, élus de gauche ou de droite.
M. Roger FRANZONI, Président : Vous ne vous occupiez donc pas des structures policières et des dysfonctionnements qui pouvaient exister entre la police locale, la police nationale, la DNAT et la gendarmerie ? Aviez-vous le sentiment que tout se passait pour le mieux ?
M. Daniel LÉANDRI : Ce n’était pas du tout mon rôle au cabinet du ministre de l’Intérieur. Je ne m’occupais ni de la gendarmerie, ni de l’opérationnel sur le terrain et je ne participais à aucune réunion à ce sujet.
M. le Président : Vous ne suiviez ni la politique du gouvernement en Corse, ni celle du ministère de l’Intérieur, ni les relations avec les nationalistes ?
M. Daniel LÉANDRI : Je vous ai dit que je recevais les Corses qui le souhaitaient, de manière informelle, mais que je n’avais pas en charge le dossier corse ; c’est M. Pierre-Etienne Bisch qui était chargé de la gestion du dossier corse auprès du ministre de l’Intérieur.
M. le Président : Pardonnez-moi, mais vous avez un nom à consonance corse.
M. Daniel LÉANDRI : Tout à fait, je suis de la région de Sartène. Vous-même étant Corse, vous savez très bien qu’il s’agit d’une toute petite île et que l’on connaît beaucoup de monde. Il est donc tout à fait normal de recevoir les personnes souhaitant obtenir un rendez-vous, de discuter, et cela quelle que soit leur tendance politique.
M. le Président : Vous saviez tout de même ce qui se passait sur l’île.
M. Daniel LÉANDRI : Bien sûr !
M. le Président : Je ne comprends pas, alors qu’il s’agit d’une petite île, pourquoi aucun gouvernement ne parvient à trouver une solution pour que les Corses puissent vivre en paix !
M. Daniel LÉANDRI : Le problème corse remonte à plusieurs décennies, et aujourd’hui la situation n’a guère avancé. Si le problème était simple à gérer, une solution aurait déjà été trouvée depuis très longtemps - il y a suffisamment de gens compétents pour cela. Malheureusement, ce n’est pas si simple que cela.
M. le Président : Ces gens compétents ne sont donc pas au ministère de l’Intérieur !
M. Daniel LÉANDRI : Mais il y a des gens compétents dans tous les ministères. Je suis moi-même l’élu d’une petite commune rurale, dont le conseil municipal est composé de personnes de toutes tendances. L’entente est parfaite et l’on essaie de trouver des solutions, mais en Corse rien n’est simple.
M. le Président : De quelle commune êtes-vous élu ?
M. Daniel LÉANDRI : Sainte-Lucie-de-Tallano.
M. le Président : A l’échelle de la Corse, ce n’est pas une petite commune.
M. le Rapporteur : Monsieur Léandri, la commission d’enquête a pour mission de comprendre quelle a été la politique du gouvernement menée depuis 1993. MM. Pasqua et Bisch nous l’ont d’ailleurs expliqué assez clairement : il s’agissait de rechercher des éléments d’accord avec le mouvement nationaliste, et en particulier avec le FLNC-Canal historique.
C’est donc dans ce cadre-là que nous avons souhaité vous auditionner, parce que votre nom est souvent apparu au cours des auditions, et que vous êtes présenté comme une sorte de relais entre M. Pasqua et le Canal historique - avec M. Santoni. Même si votre rôle n’était pas officiel, comment exerciez-vous cette mission, et que disiez-vous aux personnes qui venaient vous voir ?
M. Daniel LÉANDRI : Je vous ai dit en préliminaire que j’étais en charge des relations avec les syndicats de police, et que je recevais, à leur demande, de manière tout à fait informelle et à titre personnel, des personnes de toutes tendances : des personnes du MPA de l’ANC, de la Cuncolta. Je ne voyais pas simplement M. Santoni, je recevais également MM. Casanova, Orsoni, Serra, etc. Puis, j’en parlais à M. Bisch, mais cela s’arrêtait là.
De quoi parlions-nous ? Toujours de la même chose : de la langue corse, de la culture, de l’université de Corte. Il ne s’agissait absolument pas de négociations et je mets quiconque au défi de citer un seul exemple de négociation en tout cas avec moi. Il s’agissait de simples discussions. Il vaut mieux recevoir, écouter les personnes qui le souhaitent, plutôt que de les tenir à l’écart.
M. le Rapporteur : De quoi vous parlaient-ils précisément, d’autonomie ?
M. Daniel LÉANDRI : Non, pas du tout ! L’indépendance est terminée depuis longtemps et je crois qu’ils l’ont compris. Ils me parlaient plutôt de l’enseignement obligatoire du corse, de la culture et de la mise hors norme de l’université de Corte. C’était toujours les mêmes termes.
M. le Rapporteur : Et que répondiez-vous ?
M. Daniel LÉANDRI : Moi ? Rien !
M. le Rapporteur : Que faisait le ministère, il intégrait ces revendications dans un plan, un schéma ?
M. Daniel LÉANDRI : Il faut poser la question à M. Bisch, c’était lui qui suivait le dossier corse. En ce qui me concerne, ces personnes me parlaient toujours des mêmes sujets. Je n’ai jamais entendues prononcer le mot " indépendance " par ces gens qui avaient des élus à l’Assemblée de Corse. Par ailleurs, il ne s’agissait pas de personnes recherchées mais de compatriotes à qui je ne pouvais pas refuser un rendez-vous.
M. Robert PANDRAUD : Monsieur le président, pensez-vous qu’un Corse ayant une fonction dans un ministère à Paris puisse refuser de recevoir un compatriote ou l’un de ses amis de village ? Vous m’aviez parlé un jour d’un de vos amis d’école, le préfet Paolini. Il était également mon ami et surprenait certaines personnes quand il recevait, dans l’antichambre, des compatriotes de toutes conditions qui venaient le voir pour lui parler du pays, de leurs problèmes.
M. Le Président : Cela est tout à fait exact, Jean Paolini rendait des services à ses compatriotes quand il le pouvait.
Monsieur Léandri, faut-il croire Les dossiers du canard, selon lesquels vous étiez très ami avec M. Santoni ?
M. Daniel LÉANDRI : Il a été dit que nous étions allés au collège ensemble à Sartène, alors que M. Santoni est bien plus jeune que moi. Lorsque je suis entré au collège, il n’était même pas né ! Je l’ai vu pour la première en 1993. Je ne l’ai plus revu depuis.
M. le Président : Ce journal précise même que M. Santoni disposait d’un laissez-passer bleu blanc rouge délivré par le ministère de l’Intérieur.
M. Daniel LÉANDRI : La presse a son rôle à jouer, c’est évident, mais dans une région comme la Corse, il faut éviter de dire n’importe quoi, de faire des amalgames afin de ne pas mettre certaines personnes dans des situations difficiles. Il n’existe pas, à ma connaissance, de laissez-passer bleu blanc rouge, sauf pour des préfets ou des fonctionnaires de police.
M. Robert PANDRAUD : Ces laissez-passer ont existé à une époque, mais ont été supprimés par Valéry Giscard d’Estaing en 1975, au grand dam d’ailleurs des élus parisiens. Au ministère de l’Intérieur, seules les cartes d’identité professionnelles des fonctionnaires de l’administration centrale ont une barrette tricolore.
M. le Rapporteur : La politique de M. Pasqua visait tout de même à réintégrer une partie des nationalistes - ceux qui n’avaient pas commis de graves infractions - dans le chemin de la légalité en leur offrant une " seconde chance ". N’était-ce pas un peu votre rôle de dialoguer avec les uns et les autres pour trouver une solution ?
M. Daniel LÉANDRI : Non, il ne s’agissait absolument pas du sujet de nos conversations. Ils venaient m’exposer leurs problèmes personnels, je les écoutais et j’en parlais ensuite avec M. Bisch qui avait l’ensemble du dossier en charge. Mais il n’y avait rien à négocier.
M. le Rapporteur : Prenons l’affaire de Spérone, en 1994. C’est la première fois que la police arrête un commando pratiquement en flagrant délit, mais quelque temps plus tard, les auteurs sont relâchés. Or ces mises en liberté sont intervenues après de nombreuses actions des mouvements nationalistes - avec attentats - qui revendiquaient ces remises en liberté. Avez-vous suivi cette affaire ? M. Dragacci était, me semble-t-il, à l’origine de ces arrestations.
M. Daniel LÉANDRI : Il n’était pas le directeur du SRPJ à l’époque, mais celui du cabinet de M. Lacave, et ce sont effectivement les services de police locaux qui avaient obtenu les renseignements. Mais contrairement à tout ce qui a été dit, les membres du commando n’ont jamais été remis en liberté ; ils ont été mis à la disposition de la justice, tous, sans exception. Les premiers sont sortis de prison au bout de 12, 14 et 16 mois. Il est faux de dire qu’ils ont été relâchés.
M. le Rapporteur : Mais cette enquête n’a pas abouti.
M. Daniel LÉANDRI : Il faut voir cela avec l’autorité judiciaire.
M. Jean MICHEL : Elle va bientôt passer devant le tribunal correctionnel.
M. le Rapporteur : Suiviez-vous cette affaire ?
M. Daniel LÉANDRI : Non, pas particulièrement. J’en ai eu connaissance quand l’opération s’est déroulée.
M. le Rapporteur : Certaines personnes sont-elles venues vous voir pour vous faire comprendre que cette opération compromettait les discussions en cours ?
M. Daniel LÉANDRI : Monsieur le rapporteur, ces personnes avaient commis des actes illégaux et se sont fait prendre ; c’est leur problème. Il n’y a pas de discussion à avoir.
M. le Président : Personne ne vous a demandé d’intervenir amicalement ?
M. Daniel LÉANDRI : Très sincèrement, ce sera très difficile de trouver trace d’une de mes interventions, quoiqu’en dise la presse.
M. le Président : Vous avez entendu parler de la conférence de presse de Tralonca ?
M. Daniel LÉANDRI : Oui, bien sûr. Mais à cette époque M. Pasqua avait quitté le gouvernement, je n’étais donc plus conseiller au ministère de l’Intérieur.
M. le Rapporteur : Comment réagissaient les élus qui n’appartenaient pas aux mouvements nationalistes à la politique de M. Pasqua ? M. Bisch nous a confirmé que son rôle consistait à formaliser un certain nombre d’accords passés avec les nationalistes.
M. Daniel LÉANDRI : Ecoutez, je voyais des élus de toutes tendances, ils passaient et nous discutions un quart d’heure.
M. Robert PANDRAUD : Lorsque les élus corses viennent discuter au ministère, c’est non pas pour parler de problèmes généraux, mais pour réclamer une intervention individuelle.
M. Daniel LÉANDRI : Vous avez tout à fait raison, monsieur le ministre ! Ils venaient demander des interventions, des mutations, toutes ces affaires dont je ne m’occupais pas d’ailleurs, mais que je transmettais.
Le président est bien placé pour savoir que, malheureusement, le dossier corse est extrêmement complexe. Il ne faut donc pas jeter la pierre à tous ceux qui ont essayé de le résoudre. La seule méthode répressive n’a jamais rien résolu ; il faut, en même temps, trouver des solutions d’accompagnement. Dialoguer ne veut pas obligatoirement dire se compromettre.
M. le Rapporteur : Que pensez-vous de l’action de M. Bonnet ?
M. Daniel LÉANDRI : Lorsqu’on quitte ce type de fonctions, on ne s’intéresse plus d’aussi près à ce qui se passe. M. Bonnet est arrivé en Corse alors qu’il y avait une grande attente de la part de l’opinion publique, suite à l’assassinat du préfet Erignac. Il y avait une grande espérance et une voie était ouverte, mais je ne me permettrais pas de juger l’action de M. Bonnet et la politique qui est actuellement menée. C’est très difficile.
M. le Président : Entre nous, je vous dirai que l’expression " rétablissement de l’Etat de droit " me choque. Comme si la Corse n’était pas républicaine et qu’elle n’appliquait pas les lois. Lorsque j’étais avocat, j’avais le sentiment que la loi s’appliquait.
M. Daniel LÉANDRI : La loi au quotidien s’applique aussi aujourd’hui. Je n’ai aucun jugement à porter entre ce qui se passait hier et ce qui se passe aujourd’hui.
Je voudrais revenir sur la presse et ce qu’elle écrit. J’avais lu dans un quotidien, alors que nous étions aux affaires, entre 1993 et 1995, que des nationalistes voulaient construire un bâtiment pour les étudiants à Corte, mais qu’ils n’avaient pas obtenu les autorisations nécessaires. Cet article affirmait que j’avais appelé la directrice du CROUSS de Corte pour lui demander d’accorder ces autorisations. Or je n’ai appelé ni cette jeune femme ni le préfet ! Ce genre d’histoire peut avoir des conséquences en Corse ! On prête beaucoup de choses à des gens qui n’y sont pour rien.
M. le Président : Vous avez tout de même entendu dire que l’argent public prenait souvent des voies dérivées.
M. Daniel LÉANDRI : Cela se disait beaucoup, oui.
M. le Président : Et vous n’avez rien à nous dire à ce sujet.
M. Daniel LÉANDRI : Je n’ai jamais été chargé de ces affaires. Si je vous répondais, je serai malhonnête.
M. le Rapporteur : Avez-vous des informations sur le grand banditisme, et notamment sur La Brise de mer ?
M. Daniel LÉANDRI : Non, aucune. Cela rentrait encore moins dans mes attributions. En dehors des noms cités dans la presse, je ne connais absolument pas ce dossier.
M. le Rapporteur : M. Pasqua est-il toujours actif en Corse, a-t-il des contacts ?
M. Daniel LÉANDRI : Je m’interdis de parler en son nom. Il est président d’un mouvement et fait le tour des régions.
M. le Rapporteur : Vous faites partie de ce mouvement ?
M. Daniel LÉANDRI : Non, et je n’ai jamais eu de carte d’un parti politique. Toute ma famille est républicaine. Je ne me cache pas d’avoir toujours été gaulliste et je le demeure.
M. le Rapporteur : Et les réseaux Pasqua, c’est une réalité ou un fantasme ?
M. Daniel LÉANDRI : Il faudrait définir ce mot. Si un réseau signifie un tissu d’amitié, de relations, je vous répondrai : oui c’est un réseau. Sinon, je ne vois pas ce que réseau veut dire.
M. le Président : La Corse n’a de toute façon jamais été la préoccupation majeure de M. Pasqua.
M. Daniel LÉANDRI : Vous avez tout à fait raison, monsieur le Président.
M. le Rapporteur : M. Ulrich avait-il un rôle important dans la définition de la politique en Corse ?
M. Daniel LÉANDRI : Il faut lui poser directement la question ! Je sais que M. Ulrich va en Corse depuis plusieurs décennies, maintenant savoir s’il avait un rôle important ou pas, ce n’est pas à moi de répondre.
M. le Président : Avez-vous entendu parler de frictions entre policiers, et les différents types de police ?
M. Daniel LÉANDRI : Ces frictions ont toujours existé, cela ne date pas d’aujourd’hui. Mais il n’y avait pas plus de problèmes que dans les autres régions s’agissant des syndicats ; simplement un peu plus d’absentéisme.
M. Robert PANDRAUD : La plupart des policiers souhaitent qu’on les laisse tranquillement finir leur temps de service pour retourner ensuite au village ! Les revendications syndicales ne devaient pas être fondées sur des affirmations très politiques !
M. Daniel LÉANDRI : Tout à fait, monsieur le ministre, ils ne s’en souciaient pas !
M. le Président : Monsieur Léandri, je vous remercie.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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