Présidence de M. Raymond FORNI, Président

M. Jean-Pierre Dintilhac est introduit.

M. le Président : Monsieur le procureur, merci d’avoir répondu à notre nouvelle invitation. Nous avons en effet souhaité vous entendre, M. Dintilhac, car nous avons dans les différents témoignages recueillis, la déposition de l’un d’entre eux : M. Roger Marion.

Ses déclarations, effectuées devant la commission, nous paraissent susceptibles d’être déférées à la justice et compte tenu qu’apparemment - même si nous n’avons pas la connaissance précise de ce qui a été dit devant la commission d’enquête du Sénat -, il y a concordance entre ces déclarations faites devant la commission de l’Assemblée et celles faites devant la commission d’enquête du Sénat, nous avons souhaité vous voir pour recueillir votre point de vue.

Quand M. Marion est venu déposer devant nous, en réponse à une question posée sur les conditions de l’interpellation d’Yvan Colonna, il nous a déclaré : " Yvan Colonna n’avait pas été mis en cause avant les aveux de ses co-auteurs, à savoir 48 heures après le début des gardes à vue. Il ne figurait dans aucune note de renseignement, ni dans aucune surveillance de la gendarmerie dont je vous parlais. Yvan Colonna était, comme bien d’autres relations de Ferrandi, sous surveillance des renseignements généraux puisque dans le dispositif antiterroriste je n’ai aucun effectif pour effectuer des surveillances sur le terrain ".

" Ce sont soit les renseignements généraux qui assurent les surveillances - ils ont une section spécialisée - soit le RAID. En l’occurrence, la surveillance d’Yvan Colonna avait été confiée aux renseignements généraux qui l’avaient sous-traitée au RAID. Mais, compte tenu qu’Yvan Colonna a été prévenu par deux fois, au travers de la presse et en raison d’une indiscrétion ".

C’est là où je vous demande de bien écouter la suite ; le rapporteur de notre commission l’interrompt et lui dit : " Nous avons connaissance de l’article du Monde mais l’indiscrétion, c’est quoi ? ".

Et M. Marion répond : " Excusez-moi, la première fois qu’Yvan Colonna a été prévenu qu’il était surveillé, ce n’est pas par la presse, mais par une indiscrétion. En clair, d’après mes informations, c’est l’ancien directeur du SRPJ d’Ajaccio qui a prévenu son père, lequel aurait prévenu M. Bonnet ou M. Pardini. A partir de ce moment là, Yvan Colonna s’est mis à regarder sous sa voiture et y a trouvé une balise de surveillance. Je précise qu’au niveau de l’enquête, j’ai procédé à l’identification des auteurs du meurtre, comme vous l’avez lu, au travers des communications de téléphones portables, entre autres. Je précise qu’Yvan Colonna n’est apparu à aucun moment, puisqu’il n’avait pas de téléphone portable au moment de l’assassinat. A partir du moment où il a été mis en cause dans la procédure, j’ai demandé aux renseignements généraux de resserrer le dispositif de surveillance. Nous sommes donc intervenus le vendredi 21 mai à six heures du matin et Yvan Colonna a dû être mis en cause pendant la journée du samedi. Le dimanche matin, nous sommes intervenus à son domicile, où il n’était plus ".

J’interpelle à ce moment-là M . Marion : " Ce que vous nous dites sur M. Dragacci est grave : ce serait lui qui aurait prévenu indirectement Yvan Colonna qu’il était sous surveillance ". Et Roger Marion répond : " Pas Yvan, son père ".

Il nous est apparu au sein de la commission que si M. Marion disait la vérité, M. Dragacci s’est rendu coupable d’une infraction grave - tout cela se situant dans le contexte de l’assassinat du préfet Erignac et venant d’un officier de police judiciaire, ancien responsable du SRPJ - et devait être au minimum poursuivi.

Si M. Dragacci n’est pas en cause - inutile de vous dire qu’il s’en défend puisque nous l’avons interrogé et je passe sur cette espèce de règlement de compte auquel nous avons assisté et qui n’est pas le seul fait de MM. Marion et Dragacci -, dans ce cas, M. Marion est l’auteur d’une dénonciation calomnieuse.

Nous voudrions savoir si la justice est saisie de ces faits. Etes-vous informé de cette affaire qui est d’autant plus grave que si l’on rapproche les déclarations de M. Marion, de celles qui ont été faites devant le Sénat, il apparaît une convergence permettant d’affirmer - en tout cas pour de personnes extérieures au dossier - que si Yvan Colonna a réussi à fuir, c’est grâce aux complicités dont il a bénéficié de la part de responsables des administrations de police.

Il me semble que cela devrait interpeller pour le moins l’autorité judiciaire. Nous avons ce problème à résoudre : que devons-nous faire ?

Après en avoir parlé avec le Président de la commission d’enquête du Sénat, qui, comme moi, a eu le sentiment que l’on nous révélait des éléments graves, nous nous sommes interrogés sur la procédure à mettre en œuvre, notamment par le biais de l’article 40 du code de procédure pénale. Il nous est apparu dans un premier temps qu’il était sans doute préférable que nous vous faisions part de cette déposition dans le cadre de la commission d’enquête elle-même.

J’ai presque envie de vous dire que ce n’est pas le seul élément qui nous a choqués et je voudrais évoquer d’un mot l’ambiance qui semble régner au sein de la section antiterroriste spécialisée, que ce soit au parquet ou parmi les juges d’instruction du tribunal de Paris.

Je ne vous cache pas, monsieur le procureur de la République, que l’ensemble des commissaires autour de cette table a vécu douloureusement les déclarations des uns et des autres, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne s’apprécient pas beaucoup. Nous nous demandons, dans ces conditions, comment ils peuvent travailler ensemble. Ils semblent régler des comptes de manière permanente ce qui, à l’évidence, nuit à la lisibilité de leur action et surtout à l’efficacité des procédures qui leur sont confiées.

Nous sommes par ailleurs obligés de constater, quant à l’efficacité de ce dispositif, qu’elle est quasiment nulle pour les affaires les plus sérieuses et les plus graves concernant la Corse.

Tout cela ne peut rester sans lendemain et étant donné que nous nous apprêtons à publier notre rapport le 18 novembre prochain, je souhaite que vous puissiez nous dire aujourd’hui ce que vous en pensez car, même si vous n’êtes pas impliqué dans le fonctionnement de la galerie Saint-Eloi au premier chef, vous savez qu’il règne une atmosphère quelque peu " irrespirable " - selon les propos d’un juge d’instruction. Tout cela mérite quelques explications complémentaires de la part de l’autorité judiciaire qui a la responsabilité de tous ces éléments. Nous sommes navrés de devoir le dire.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Il est tout à fait naturel, dès lors que des questions importantes se posent, que vous les posiez et que vous puissiez interroger le procureur de la République de Paris.

Je répondrais sur les deux points, qu’il s’agisse des déclarations de M. Roger Marion et de M. Démétrius Dragacci et du climat que révèle cette affaire. J’ai été moi-même destinataire du document du commissaire Dragacci, qui a été envoyé à de nombreuses autorités et qui est un document faisant part à la fois de beaucoup d’amertume et de critiques quelque peu difficiles à cerner et à préciser. La lecture de ce document ne m’a pas permis de discerner des éléments de nature à constituer des infractions pénales, justifiant ou nécessitant une enquête. Il s’agit plutôt d’amertume et de regrets.

En ce qui concerne les déclarations faites devant votre commission et celle du Sénat, je ne les connais pas et je comprends que vous m’en donniez connaissance, dans la mesure où elles seraient susceptibles de contenir des éléments pouvant donner lieu à des poursuites.

Une première affirmation est parfaitement exacte et elle est fondamentale. Dans toutes les informations remontées, à savoir celles qui m’ont été remises par le préfet Bonnet le 16 novembre et le 11 décembre 1998, le nom d’Yvan Colonna n’apparaissait pas et je n’avais pas d’information - et je pense que personne n’en avait - sur l’implication d’Yvan Colonna avant que les autres opérateurs de l’attentat contre Claude Erignac eux-mêmes ne citent ce nom.

Jusqu’à cette interpellation, Yvan Colonna était surveillé comme de nombreuses personnes peuvent l’être en Corse par les renseignements généraux, mais il ne pouvait pas être considéré comme l’auteur présumé de l’attentat contre le préfet Erignac, puisqu’il n’existait alors aucun indice susceptible d’orienter l’enquête vers lui. Ceci - je tiens à le dire ici - est par ailleurs un élément qui me paraît important, dans la mesure où d’après l’ouvrage du préfet Bonnet qui vient de sortir et que j’ai lu rapidement, la justice est mise en cause, de manière générale, parce qu’elle n’aurait pas fait ce qu’elle aurait dû faire pour arrêter Yvan Colonna. Or, le préfet Bonnet ne m’a jamais informé - en tous les cas pas dans les documents qu’il m’a remis - de l’implication d’Yvan Colonna. Aussi, je ne vois pas en quoi il y aurait eu un dysfonctionnement pour ne pas avoir fait procéder suffisamment tôt à l’interpellation de quelqu’un dont on ignorait qu’il puisse être directement impliqué, même si les renseignements généraux le surveillaient car il faisait partie d’un ensemble de personnes qui pouvaient être globalement suspectes d’appartenir à des mouvances indépendantistes ou d’apporter des appuis.

M. le Président : Nous sommes dans le cadre d’un dialogue pour essayer de comprendre. Je confirme cette version. Toutes les informations que nous avons eues démontrent qu’il n’y avait pas eu transmission du nom d’Yvan Colonna dans la première phase de l’enquête, mais en fin d’enquête quand l’interpellation des co-auteurs est intervenue.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Il faut absolument éviter de faire l’amalgame entre la recherche de l’intéressé après l’interpellation des co-auteurs et les griefs sur d’éventuelles indiscrétions concernant la surveillance d’Yvan Colonna à une époque où rien ne le désignait comme l’assassin du préfet Erignac. Il est faux de prétendre que c’est parce que l’on savait qu’il était l’assassin que l’on a voulu le protéger : on ne le savait pas.

M. le Président : Je le confirme. Cependant, vous conviendrez avec moi que si le système mis en place par les renseignements généraux, ou par le RAID à qui aurait été sous-traitée cette affaire, avait fonctionné dans des conditions normales sans qu’il ait été révélé à Yvan Colonna, le suivi du personnage aurait sans doute été plus facile. Il y avait une balise sous sa voiture. Elle aurait sans doute permis, au moment où l’on apprend qu’Yvan Colonna est mis en cause par les co-auteurs dans l’assassinat du préfet Erignac, de l’interpeller plus facilement s’il n’y avait pas eu cette révélation antérieure effectuée selon M. Marion par M. Dragacci, l’informant qu’il était suivi et surveillé.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Sait-on à quel moment Yvan Colonna a eu la connaissance de ce fait ?

M. le Président : Cela s’est sans doute situé plusieurs semaines auparavant. Ce n’est pas concomitant à l’arrestation des auteurs de l’assassinat de M. Erignac.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Il ne s’agissait pas d’une personne soupçonnée d’avoir commis un assassinat et qui, par différents moyens, aurait été informée par anticipation pour fuir, mais d’une personne qui était surveillée parmi d’autres, et dont on sait a posteriori qu’elle était fortement impliquée et dont on regrette qu’elle n’ait pas fait l’objet de plus d’attention. Mais l’a posteriori est très différent de l’a priori. C’est la différence entre la relation de causalité directe et indirecte en termes d’implication pénale.

Il ne peut y avoir, dans cette affaire, de soupçons d’entrave au fonctionnement de la justice dès lors qu’alors même qu’il y aurait eu une information via le père pour le fils, ce ne pouvait pas être pour entraver l’interpellation d’un présumé criminel, puisqu’il n’était pas présumé criminel à l’époque.

M. le Président : Quand un service de police met en place un système de surveillance et qu’un autre officier de police va dire à l’intéressé : " Vous êtes sous surveillance et vous avez une balise sous votre voiture ", si la police fonctionne ainsi, je suis très inquiet.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Moi de même. Mais dans ce cas nous tombons dans les deuxièmes séries de questions que vous me posez, à savoir les dysfonctionnements, les querelles entre services, l’absence de coordination, voire la réalité de fuites.

Dans une enquête au sens large - une enquête était ouverte et une information existait depuis le 6 février 1998 sur l’assassinat du préfet Erignac - toutes les investigations effectuées étaient couvertes par le secret de l’instruction ; il y aurait donc eu violation de l’instruction pour toute divulgation d’éléments provenant de l’enquête ou du dossier d’information.

Ce n’est pas le cas en l’espèce et nous sommes ici dans un domaine de dysfonctionnements qui relèvent du disciplinaire et non du pénal. Il n’y avait pas la volonté de faire échapper un individu fortement présumé coupable d’un crime puisqu’il ne l’était pas à l’époque.

Sur les dysfonctionnements que vous évoquez, le procureur de Paris est le premier à considérer qu’ils sont graves. Cette nuit, un attentat a eu lieu à Paris, une explosion dans le 12ème arrondissement, qui est fort probablement lié au terrorisme corse compte tenu des annonces faites par de précédents communiqués.

Fort heureusement, personne n’est blessé, hormis deux enfants qui sont tombés du lit en face. J’ai immédiatement demandé que non seulement la brigade criminelle soit saisie de cette affaire, mais également la division nationale des enquêtes antiterroristes, car je considère comme indispensable, dans la lutte contre le terrorisme, d’avoir une mise en commun des moyens et la capacité de travailler ensemble. Cela a été fait.

C’est parfois assez difficile et, derrière les institutions, des questions de personnes jouent. Ce n’est pas toujours le cas, mais cela arrive. Nous avons eu un exemple de coopération remarquable, il y a quelque temps, dans le vol de plusieurs dizaines de kilos d’explosifs en Bretagne où des gendarmes ont été informés par un voisin de la présence de camions qui vidaient bizarrement des cartons. Ces citoyens ont fait leur devoir en prévenant les gendarmes qui ont eux-mêmes prévenu leur hiérarchie, puis la DNAT s’est rendue sur place et a fait son travail. C’est une excellente coopération entre la population et les différents services compétents. Cela devrait fonctionner ainsi.

Malheureusement, cela n’est pas toujours le cas ainsi qu’il résulte des exemples que vous évoquez. Concernant celui de la coopération entre les services de police en interne, le procureur a une responsabilité globale, mais également une certaine difficulté à l’assurer et à la garantir, car ce n’est pas lui qui nomme, qui mute et qui installe les responsables.

Ensuite, vous évoquez les services de la justice. Je voudrais rappeler qu’il existe plusieurs niveaux : celui de la police judiciaire au sens large - police et gendarmerie - et celui des juges d’instruction. Ceux-ci échappent bien entendu complètement à l’autorité du procureur et sont d’ailleurs très vigilants à prévenir quelque immixtion que ce soit de la part du parquet dans le fonctionnement de leur instruction et dans la manière de conduire l’enquête. Aussi, le parquet doit faire preuve, selon les cas et les personnalités, d’une certaine diplomatie pour entretenir une bonne relation afin notamment d’être informé non seulement de ce qui figure dans les dossiers, car il suffit d’en demander la communication, mais de ce qui ne s’y trouve pas encore, ce qui est le cas des investigations effectuées en exécution de commissions rogatoires qui sont toujours en cours, et donc qui ne sont pas encore versées dans les dossiers.

Le procureur a la responsabilité du parquet, à savoir non pas de la galerie Saint-Eloi, mais de l’ex 14ème section qui est devenue la section A6 du parquet, la section de la lutte antiterroriste. Or, je n’ai pas connaissance, depuis que j’ai pris mes fonctions il y a dix-huit mois, de la moindre querelle et du moindre dysfonctionnement entre les quatre magistrats du parquet qui composent cette section dirigée par Mme Stoller. La cohésion a été parfaite et les relations, excellentes. Je les vois régulièrement et je n’ai pas eu à intervenir pour régler quelque conflit que ce soit entre ces quatre magistrats qui, au nom du procureur de la République, conduisent l’action publique et la direction de la police judiciaire dans le domaine de la lutte antiterroriste.

La galerie Saint-Eloi est un autre domaine. Je ne peux pas me prononcer sur les relations personnelles qui peuvent exister, mauvaises ou bonnes, entre les magistrats instructeurs qui sont co-saisis parfois, et seuls saisis dans d’autres dossiers. Il est tout à fait indispensable qu’il y ait de bonnes relations. J’ai tenté de m’y employer à deux moments forts de cette enquête : tout d’abord, en prenant mes fonctions, en organisant un voyage en Corse avec les juges d’instruction, dont M. Bruguière, pour y rencontrer les magistrats locaux, car le lien avec les magistrats locaux est indispensable ; peu après, en organisant une rencontre que j’ai provoquée dans le bureau de M. Bruguière, avec M. Thiel pour faire le point de l’état du dossier avec Mme Erignac qui avait été invitée à venir, car je savais qu’elle avait beaucoup souffert des dysfonctionnements réels ou prétendus dont la presse s’était faite l’écho.

J’en reviens à la première question : y a-t-il infraction pénale ou présomption d’infraction pénale à charge de M. Dragacci, pour avoir commis soit une violation de l’instruction, soit une autre infraction d’entrave au fonctionnement de la justice ? A l’inverse, y aurait-il une infraction imputable à M. Marion pour l’avoir mis en cause sans élément et sans preuve ? Dans ce dernier cas, il s’agirait d’une dénonciation calomnieuse ou d’une diffamation pour lesquelles l’engagement de l’action publique ne peut se faire qu’à l’initiative de la victime. Sur le principe de l’existence d’une infraction, je ne pourrais me prononcer qu’avec une transmission des éléments de l’enquête parlementaire au titre de l’article 40. En tout état de cause cela demande une étude complexe, à la fois sur les qualifications et sur la compétence, car la compétence parisienne n’est pas évidente.

En effet, il y a lieu de s’interroger sur la compétence, soit d’Ajaccio, soit de Paris. Paris est-il compétent ? L’est-il par connexité en raison des liens entre les déclarations et la compétence terroriste ? J’ai réfléchi à ces questions hier soir et ce matin, bien que j’ai eu de nouvelles préoccupations dans la nuit : la question est complexe et je ne peux pas immédiatement vous donner la réponse.

M. le Président : Merci, Monsieur le procureur. Vous comprenez que cette démarche a été initiée par notre commission parce que nous avons été informés d’un certain nombre d’autres éléments dont d’autres vous parleront, je pense aux déclarations de M. Marion devant la commission d’enquête du Sénat. Et c’est la coïncidence des deux déclarations et leur complémentarité qui nous paraît extrêmement gênante. Nous nous posons la question du degré de responsabilité d’un homme qui était directeur de la DNAT et non pas un officier de police de base. Venant d’un homme qui avait cette responsabilité, cela nous a donné l’impression d’une certaine légèreté. On mesure ses propos quand l’on est devant une commission d’enquête et, quand l’on est officier de police, il faut disposer d’éléments de preuves pour s’avancer.

Ces déclarations justifient une éventuelle démarche parallèle du Président de la commission d’enquête du Sénat dont il n’est pas possible de dire qu’il soit de connivence avec moi car, sur le plan politique, le Sénat et l’Assemblée nationale ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Mon souci en tant que Président d’une commission d’enquête est de dépasser les clivages politiques habituels.

Il nous semble que nous avons eu révélation de faits d’une particulière gravité qui sont à l’origine de certains dysfonctionnements que nous avons pu constater tout au long du déroulement de cette commission d’enquête. Il est de notre devoir, sur le plan moral, en tant que républicains, de se dire qu’il ne nous est pas possible d’accepter cela, en tant que parlementaires. Et vous, représentant l’autorité judiciaire, il est impossible que vous restiez sans réaction, sinon cela signifie que tout cela continuera et que nous ne réglerons jamais le problème corse.

Nous pensons actuellement que si ce problème est difficile à régler, ce n’est pas forcément en raison du comportement des Corses, mais du fait de l’existence de tels dysfonctionnements dans l’appareil de l’Etat, que ce soit l’appareil judiciaire ou de police. Ce sont ces dysfonctionnements qui empêchent toute solution pérenne sur le territoire corse. C’est notre conviction aujourd’hui et ce n’est pas léger que d’affirmer cela.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Monsieur le Président, effectivement ce point n’est pas léger, c’est un problème grave. Je ne peux pas me prononcer sur des propos que je n’ai pas entendus, mais, en tant que procureur de la République de Paris et magistrat du parquet en charge de manière presque systématique de la lutte contre le terrorisme, je regrette, dans ce domaine comme dans d’autres - je ne parle pas d’un rattachement de la police judiciaire - de ne pas être consulté sur le choix des hommes. Je le dis ici et je serai prêt à le répéter dans d’autres enceintes, qu’il s’agisse de nommer le directeur de la police judiciaire qui vient d’être renouvelé et qui est un homme de grande qualité, ou de nommer le responsable de la DNAT, il n’y a jamais eu la moindre consultation du procureur de la République de Paris, ce que je déplore.

Je déplore également qu’il n’y ait pas d’échanges plus étroits pour apprécier la qualité des hommes. Certes, la justice n’a pas à gérer les fonctionnaires de police en tant que hiérarchie administrative, mais les officiers de police sont mis à sa disposition. Des appréciations sont portées dans le cadre d’annotations assez formelles mais, aux moments cruciaux du choix des hommes, on ne consulte pas les magistrats sur les candidats. Je le déplore, non seulement pour moi, mais également pour l’institution judiciaire dans son ensemble. C’est une réflexion générale que l’on peut faire. Il devrait y avoir, au minimum, des rapprochements au moment du choix des principaux responsables des grands services.

Monsieur le Président, vous avez évoqué également le dispositif actuel de la lutte contre le terrorisme en portant des appréciations très négatives. Je voudrais sur ce point vous dire que je suis très réservé sur la possibilité de porter un jugement aussi tranché sur l’efficacité des services qui conduisent quotidiennement la lutte contre le terrorisme. Il est vrai que certains assassinats ne sont pas élucidés, mais il est également vrai que de nombreuses poursuites ont été engagées et, des condamnations prononcées sur la base du travail effectué par ces services et qu’en définitive le crime le plus grave, l’assassinat du préfet Erignac, a été élucidé, même si l’auteur principal est en fuite.

Ce que je sais de la lutte contre le terrorisme en France, comme à l’étranger, c’est qu’il s’agit du domaine le plus difficile, que ce soit en Corse, sur une île, ou ailleurs.

Après avoir été entendu par votre commission et par d’autres, en réfléchissant à ce que pourrait être le système idéal, je n’en ai pas trouvé. Une déconcentration ou une délocalisation pour traiter en Corse ce qui peut être de la compétence corse serait-elle plus efficace ? L’attentat de Paris, qui a de fortes chances d’avoir été commis par les Corses, serait-il mieux traité en Corse qu’à Paris ?

Je considère que la centralisation présente de nombreux avantages ; en revanche il est vrai que la coordination et la capacité d’entente et de partage, à la fois des charges et des informations, est fondamentale. Sans cette volonté de travailler en commun il se produit une déperdition d’énergie, que ce soit chez les magistrats ou les policiers, et il vaut mieux qu’un seul juge d’instruction soit saisi d’une affaire, plutôt que trois juges qui ne s’entendent pas. De même pour les services enquêteurs : quand l’on est obligé de ne saisir qu’un seul service, c’est tout à fait catastrophique, car je crois à l’intelligence collective, à une mise en commun des moyens, et au fait que c’est un gage d’efficacité.

M. le Président : Je ne suis pas en désaccord avec cette analyse, Monsieur le procureur, j’ai peut-être été un peu rapide. La centralisation est un bon élément à condition de ne pas être un fourre-tout. Il faut une sélection. Vous y avez contribué, car la réunion dont vous avez fait état, votre rencontre avec M. Legras et les responsables sur l’île, était destinée à fixer les critères de délocalisation des affaires de terrorisme.

Une centralisation est nécessaire dans bon nombre de cas, mais le terrorisme corse est multiforme. Il n’est pas aussi simple que le terrorisme islamique ou le terrorisme basque. Nous savons parfaitement que certaines implications sont souvent liées au banditisme et à une forme de délinquance traditionnelle, ce qui complique la situation.

La deuxième réserve que je formulerai est que, bien évidemment, il faut des services centralisés compétents avec des moyens d’action peut-être différents de ceux dont disposent les services au plan local, mais il ne faut pas que ces derniers soient considérés par les structures nationales comme leurs " larbins ". Cela est ressenti, nous l’avons entendu dans les auditions auxquelles nous avons procédé, à la fois par les policiers au plan local et par les magistrats.

A partir du moment où l’on se considère comme les exécuteurs, quelqu’un a utilisé le terme de " bonniche " qui était sans doute un peu fort, la démobilisation sur le terrain est évidente et conduit à des résultats, là encore, relativement piètres par rapport aux objectifs qui, normalement, doivent être ceux des services de sécurité sur le territoire corse.

Il n’existe pas de désaccord entre nous, mais une ventilation à opérer de manière plus fine. Je pense aussi au problème du renouvellement des magistrats, car il n’est pas souhaitable que des magistrats restent trop longtemps dans des postes très exposés et difficiles, car la pression psychologique permanente finit au bout d’un certain temps par nuire à l’efficacité. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable que les juges d’instruction tels que M. Bruguière ou d’autres, restent pendant quinze ou vingt ans dans de telles structures, sinon un phénomène d’usure se manifeste qui nuit à l’efficacité de l’action que, normalement, ils devraient conduire.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Cette commission a parfois ressemblé à une chaudière incandescente dans laquelle un certain nombre de personnes venaient déposer des fagots.

S’agissant des déclarations de M. Marion, nous ne lui avons pas demandé s’il avait informé la justice de cette intime conviction dont il nous a fait part. Quelle aurait été la procédure ? Quelle est la procédure qui vous semble appropriée, pour un fonctionnaire de police ayant l’intime conviction que, dans le cadre de l’enquête, un dysfonctionnement aussi grave apparaît ? Quelle aurait été la procédure idoine, car il ne s’agit pas d’un universitaire qui vit en dehors de la réalité judiciaire ? Pour que, le cas échéant, des propositions soient faites, quelle est, d’après vous, la marche à suivre quand un dysfonctionnement aussi grave est constaté ?

Notre interrogation ne porte pas exclusivement sur le déroulement de l’enquête, mais sur le fait qu’un grand chef puisse " balancer " de cette manière un autre grand chef, ce qui est particulier, même si cela n’a eu qu’une portée limitée sur le déroulement de l’enquête.

Pour comprendre la nature des relations entre les magistrats de l’instruction et ceux du parquet, cette information que vous a donnée officiellement aujourd’hui le Président de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale a été donnée de manière quasi similaire - peut-être un peu moins solennelle au détour d’une question - le 7 septembre à M. Bruguière.

Cette information relative à un dysfonctionnement, était-elle un fait nouveau et à vos yeux suffisant pour être porté à votre connaissance par quiconque, un magistrat, un fonctionnaire de police ou un simple citoyen ? Avez-vous eu vent de cette information d’une manière ou d’une autre, puisque nous ne nous en sommes pas cachés auprès de M. Bruguière, puis ensuite auprès de Mme Le Vert.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Les mauvaises relations entre M. Marion et M. Dragacci n’étaient un mystère pour personne. C’est également un élément qui se déduit de l’instruction car, sans entrer dans le détail, la piste dite " agricole ", qui a été largement explorée, passait notamment par des interrogations et recherches sur la diffusion du rapport Bougrier à l’égard duquel il y avait suspicion qu’il ait pu être transmis de l’intérieur du SRPJ et être un élément déclencheur.

Mais si parfois il est possible d’avoir l’intuition ou le sentiment de quelque chose en se disant " Je le sens ainsi, mais je n’ai pas le commencement d’un début de preuve ", il n’est pas question d’engager quelque procédure et enquête que ce soit sur ces bases. C’est la difficulté de l’engagement du processus judiciaire et nous le voyons actuellement largement du fait de l’application de l’article 40 du code de procédure pénale. Je le constate quotidiennement, la justice est saisie, à ce titre de ce qui devrait être des dénonciations. Or, je constate avec mes collaborateurs que cette pratique est devenue tellement systématique qu’elle devient un syndrome : ce qui ne procède que d’intuitions, sans le moindre commencement de preuve, se traduit par l’envoi de masses de dossiers dont nous avons du mal à déterminer ce qui pourrait donner matière à engagement d’une enquête contre qui que ce soit.

Vous me demandez s’il y avait matière à informer l’autorité judiciaire ? Si M. Marion avait le sentiment qu’Yvan Colonna avait échappé à la justice grâce à des informations données en violation du secret de l’instruction, je considère qu’il aurait été de son devoir d’en informer le juge d’instruction, car M. Marion était saisi par commission rogatoire par le juge d’instruction. Il aurait appartenu ensuite à celui-ci de transmettre ces éléments au parquet.

Le juge d’instruction informé dans une enquête d’éléments pouvant constituer une nouvelle infraction doit, en effet, les dénoncer au parquet. Aucune information sur ce point n’est remontée au parquet.

M. le Président : Malgré l’information que nous avons donnée à Mme Le Vert et M. Bruguière ? Nous les en avons informés et rien n’est remonté jusqu’à vous.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Je n’ai été saisi d’aucune information. Monsieur le Président, la comparution devant votre commission et l’information revêtent un aspect particulier. Elles sont couvertes par le secret. Ce ne sont pas des éléments qui arrivent en annexe d’investigations pour lesquelles les policiers ont exécuté une commission rogatoire et qui, au hasard de l’exécution, découvrent des éléments nouveaux qu’ils transmettent au juge d’instruction lequel, s’il n’est pas saisi, transmet au parquet soit pour le saisir par un supplétif, soit pour ouvrir une autre information.

Nous sommes dans un contexte particulier sur lequel il n’existe ni règle dans le code de procédure pénale ni pratique et référence.

M. le Président : Nous pouvons imaginer aisément que cette information donnée par M. Marion à la commission d’enquête parlementaire a été fournie par ses soins à d’autres précédemment. En effet, je vois mal comment le responsable de la DNAT ayant connaissance du fait qu’un officier de police judiciaire, au cas d’espèce M. Dragacci, avait informé la famille Colonna qu’elle-même et Yvan Colonna étaient sous surveillance, aurait pu garder pour lui cette information, pour ne la révéler que le jour où il passe devant la commission d’enquête. Il a dû en parler autour de lui. Cette information a dû circuler. Les mauvaises relations de MM. Dragacci et Marion étaient connues, mais cet élément est subalterne par rapport aux accusations portées par l’un contre l’autre. Je ne parviens pas à croire que M. Marion nous ait réservé la primeur de cette information à nous, commission d’enquête. A l’évidence, il a dû en parler autour de lui.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : M. Marion n’a pas saisi la justice et nous n’avons aucune preuve. C’est pour cette raison que j’ai utilisé le terme de " chaudière incandescente " et que cette situation est très choquante, car il sait très bien qu’en venant devant une commission d’enquête dont une partie - ou la quasi intégralité - des conclusions sera publique, c’est fait pour " flinguer ".

M. le Président : Imaginons l’effet dans l’opinion publique, Monsieur le procureur de la République, de la publication de la déclaration de M. Marion. Que pensera l’opinion de la police française à ce niveau ? Nous ne sommes pas dans un règlement de compte dans un commissariat de province, mais à la tête de la police nationale.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : J’entends parfaitement le caractère extrêmement délétère de ce genre de propos...

M. le Président : Vous n’êtes pas en cause.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Ainsi que les conséquences que cela peut avoir sur l’image.

Trois hypothèses se présentent :

- soit une haine farouche entre les deux hommes qui fait que toute occasion est bonne pour l’un ou l’autre de tenir des propos critiques sur le second ;

- soit qu’il y ait une intuition qui n’est fondée sur rien et pour laquelle nous ne pourrons rien faire, un " sentiment de ", car nous avons tous à un moment où a un autre des sentiments sur lesquels nous sommes incapables de nous prononcer ;

- soit, ce qui serait plus grave, quelques commencements de preuve qui justifient les propos et qui n’ont pas été communiqués à la justice.

Je ne suis pas en mesure de trancher.

M. le Président : La deuxième hypothèse me paraît peu vraisemblable. L’intuition serait sans doute possible, si nous avions parlé d’accusations un tant soit peu générales. Dans le cas présent, nous parlons d’éléments très précis. La découverte d’une balise par Yvan Colonna est rendue possible par le fait qu’il a été averti indirectement par M. Dragacci et la précision apportée devant le Sénat indique que les renseignements généraux auraient permis sa fuite, par l’information donnée à Yvan Colonna. C’est une accusation directe contre un homme ou un service, c’est plus qu’une intuition.

Laissons la deuxième hypothèse de côté. Si la première était retenue, celle du règlement de comptes personnel, de la haine qui anime l’un et l’autre - car je ne blanchis ni l’un ni l’autre et je me garde bien de porter un jugement sur l’un ou l’autre - cela dénoterait que l’on confie des responsabilités à des personnes dans des conditions de rapidité et d’irresponsabilité qui paraissent assez graves.

Vous n’y êtes pour rien, puisque vous ne participez pas à ces nominations, mais vous avez affaire à ces services de manière permanente, puisque vous avez recours à eux ainsi que les juges d’instructions, pour accomplir un certain nombre de tâches. En confiant des tâches de cette importance à des personnes d’une telle irresponsabilité, on est à peu près sûr d’aboutir à ce qui se passe en Corse, à savoir une efficacité plus que douteuse de l’ensemble de l’appareil d’Etat.

M. Yves FROMION : Je souhaiterais poser à Monsieur le procureur une question connexe à ce que nous venons de dire. Vous nous avez rappelé que le préfet Bonnet vous avait rendu visite le 16 novembre sur l’instigation de Matignon. Ensuite, nous avons, au sein de cette commission, le sentiment très vif, que les affaires se sont enlisées.

Partant des informations qui avaient pu être données par le préfet Bonnet, que vous avez transmises, ne vous est-il jamais arrivé au long de ces mois qui se sont écoulés où la situation s’est accélérée avec l’affaire des paillotes où tout le monde paraît s’être remué pour parvenir à quelques résultats, de vous rapprocher du cabinet du garde des sceaux ? Avez-vous pu rendre compte à un échelon ou à un autre ? Vous êtes-vous interrogé pour savoir pourquoi ces informations qui avaient été données par vous au juge d’instruction Jean-Louis Bruguière n’amenaient pas une avancée significative dans la procédure ? Pourquoi continuait-on à s’intéresser à la filière agricole ? Nous avons le sentiment que ces informations qui, sans doute, méritaient d’être vérifiées n’ont pas été suffisamment exploitées pour des raisons que personnellement je ne parviens pas à saisir.

M. le Président : Et d’ailleurs les magistrats vous mettent en cause Monsieur le procureur de la République, sur le fait que vous auriez transmis à l’un et pas aux autres qui étaient co-saisis. Pour être précis, M. Thiel nous a dit être très étonné que le procureur de la République de Paris ne lui ait pas transmis les informations qu’il détenait en provenance du préfet Bonnet.

Quant à M. Bruguière, c’est tout juste s’il ne conteste pas que vous lui ayez transmis des informations.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Plus grave : il a dit que l’information avait été transmise mais que vous n’aviez pas donné l’origine de la source et qu’il vous avait posé deux questions : " Pouvez-vous me dire qui vous a donné les informations ? ", vous avez répondu par la négative ; il vous aurait alors demandé s’il s’agissait d’une source officielle et vous auriez répondu non.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Je n’ai, dans cette affaire qu’un regret : que l’enquête n’ait pas permis d’arrêter Yvan Colonna.

Je vais répondre à votre question de manière précise, en expliquant comment fonctionne la justice et quelles sont les relations entre le siège et le parquet. C’est le procureur de la République qui demande au président du tribunal de désigner un juge d’instruction et ensuite le parquet n’est pas dans le bureau du juge d’instruction quotidiennement. Des milliers de dossiers sont instruits et certains suivis plus régulièrement que d’autres, mais aucun ne peut être examiné quotidiennement par un magistrat du parquet.

Concernant tout ce qui se passe entre le juge d’instruction et les services de police, les relations sont totalement étanches par rapport au parquet. Ce n’est que par les juges d’instruction que nous avons des éléments d’information, quand ils versent des pièces dans le dossier, quand nous leur en parlons, ou qu’ils communiquent les dossiers. De plus, nous ne passons pas notre temps à demander les dossiers.

Quant à l’information qui m’a été donnée par le préfet Bonnet le 16 novembre 1998, je vous ai indiqué pourquoi je n’avais pas souhaité indiquer la source.

Pourquoi ne me suis-je pas étonné ensuite qu’elle ne soit pas exploitée ? Le 16 novembre, j’ai donné cette information à M. Bruguière. Je suis descendu personnellement pour lui marquer l’importance que j’attachais à cette information, je n’ai pas indiqué la source et je me souviens très bien, à l’époque, de mon intention qui était d’éviter qu’il puisse penser que la gendarmerie m’avait actionné en tant qu’ancien directeur général, pour éviter une guerre et que l’on se dise : " les gendarmes veulent reprendre pied ".

Si je ne me suis pas inquiété qu’aucune suite ne soit donnée c’est que, le 18 novembre, deux jours après - alors que j’avais remis le document à M. Bruguière en lui expliquant que cela me paraissait important et que, de surcroît, celui qui m’avait donné cette information m’avait précisé qu’il ne fallait pas se précipiter, mais cerner et préparer le terrain - Castela était interpellé.

J’ai alors pensé qu’il était regrettable que les précautions que j’avais préconisées n’aient pas été prises mais, pour moi, il était évident que cette information avait été exploitée, et que M. Bruguière n’aurait pas pu agir seul sans informer ses collègues. A mes yeux, deux jours après, l’exploitation de l’information était réalisée et je n’avais donc pas à m’en préoccuper. Je regrettais seulement que les précautions qui m’avaient été indiquées comme nécessaires, n’aient pas été prises.

A posteriori, il est toujours possible de regretter. Si vous recevez une tuile sur la tête vous regrettez de ne pas avoir pris l’autre trottoir. A l’époque je ne pouvais pas imaginer, quel que soit ce que je savais des relations, qui n’étaient pas idylliques entre les juges d’instruction, qu’ayant fait cette démarche et ayant vu personnellement M. Bruguière, Président et coordonnateur lui-même co-saisi, celui-ci puisse conserver pour lui les informations communiquées. Pour moi, c’était impensable et inimaginable et, encore une fois, quand deux jours après, Castela a été interpellé j’ai pensé : " Ils sont allés très vite, c’est peut-être un peu rapide ", mais, pour moi, l’exploitation des renseignements donnés était lancée.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Qu’elle est l’utilité d’une co-saisine ?

M. Jean-Pierre DINTILHAC : C’est une richesse et un apport considérable à la fois de réflexions communes, d’interactions et de mises en commun, à condition d’avoir une bonne entente. Sinon la co-saisine devient une cause de dysfonctionnement.

M. le Président : Quand M. Bruguière est interrogé, tout d’abord, sur l’affaire Marion : à la question de M. Donnedieu de Vabres : " Cette information vous est-elle parvenue ? ", la réponse est " non " concernant MM. Dragacci et Marion.

Deuxième volet de l’intervention de M. Bruguière quand il est interrogé sur la manière dont les informations ont été portées à sa connaissance, il explique :

" Pour que cela soit bien clair, je vais vous dire exactement comment les choses se sont passées : je n’ai jamais été destinataire des "notes Bonnet" ! Jamais et si l’on vous a dit le contraire, c’est qu’on vous a menti : je ne les ai jamais eues !

" Comment les choses se sont-elles passées ? Le procureur de la République de Paris, M. Dintilhac, que je connais bien, est venu me voir au mois de novembre, pour me dire qu’il avait des informations importantes à me communiquer. Il est venu me voir et il m’a transmis verbalement des informations concernant l’affaire Erignac. . J’ai demandé à M. Dintilhac quelle était l’origine de ces informations et il m’a répondu qu’il n’avait pas le droit de me le dire.

" J’ai alors déclaré, parce que j’avais quand même quelques idées : "C’est important pour le fonctionnement de la République : s’agit-il d’une source privée ou institutionnelle ?". Il m’a répondu : "Je t’assure que ce n’est pas une source institutionnelle". J’en ai donc déduit que c’était une source privée.

" Cela veut dire une chose : que le procureur de la République, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, m’a occulté l’origine de ces informations et surtout a tenté de faire accroire qu’elles ne provenaient pas d’un représentant de l’Etat ou d’une personne appartenant à une institution de la République. Il a ajouté : "Je ne te donnerai aucune information sur le canal par lequel ces éléments me sont parvenus, en tout cas, ce n’est pas un canal institutionnel", ce qui est faux ! "

Nous comprenons bien que M. Bruguière cherche à expliquer pourquoi ces notes n’ont pas été exploitées immédiatement. " L’ouverture du parapluie " se pratique assez largement, y compris dans la galerie Saint-Eloi. Tout cela n’est pas totalement innocent par rapport à ce qui s’est passé après le mois de novembre, car pendant des semaines, ces informations sont restées à disposition de M. Bruguière, sans qu’il les exploite jamais.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Monsieur le Président, je suis véritablement très choqué que M. Jean-Louis Bruguière ait pu vous faire ces affirmations. Un point est exact : je ne lui ai pas indiqué la source. En revanche, il est certain que j’ai insisté sur l’importance. Je ne me souviens pas du mot à mot de ce que je lui ai dit, mais j’ai voulu éviter qu’il puisse penser que la source était la gendarmerie. Cela a été ma préoccupation et, ensuite, je suis absolument certain de lui avoir donné un papier, remis par M. Bonnet, avec trois noms, et un document écrit que j’ai rédigé à la suite de l’entretien avec M. Bonnet. Je lui ai remis cette fiche écrite que j’ai moi-même tapée à la machine. Je lui ai remis ce document quand je l’ai vu et quand le 11 décembre je l’ai revu, je lui ai non pas remis un document que j’ai tapé reprenant les propos du préfet Bonnet, mais une copie de la note qui m’avait été donnée par M. Bonnet. A deux reprises, j’ai donné les informations.

M. Yves FROMION : Dans le prolongement de ce que nous disions, vous avez continué à vous intéresser au développement de l’affaire. Cela ne s’est pas arrêté au 16 novembre.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Quand j’ai pris mes fonctions, j’ai dit que le dossier concernant l’assassinat du préfet Erignac était celui auquel je m’intéresserai en priorité, jusqu’à ce que l’on découvre les auteurs. C’est le dossier dont je me préoccupais le plus, car je considère qu’il le justifiait et que, de surcroît, ayant bien connu le préfet Erignac, j’y étais particulièrement attaché.

M. le Président : L’atmosphère est grave. Je vais vous donner une autre lecture, car elle en est révélatrice. " Ma réaction tardive ", nous dit M. Bruguière " tient au fait qu’étant destinataire de ces éléments il m’a fallu impérativement faire une évaluation personnelle compte tenu de l’étrangeté de la procédure suivie ". Apparemment, le fait d’aller le voir à son bureau est une démarche étrange à ses yeux.

" Le procureur de la République en personne vient me voir dans mon bureau, ce qui est déjà une démarche assez atypique, pour me transmettre des éléments non sourcés, alors qu’il ne doit transmettre que des éléments sourcés " et il ajoute, quand M. le rapporteur lui pose la question : " Comment expliquez-vous que M. Dintilhac ne vous ait pas donné la source ? " : " Il y a deux explications, ou il agit proprio motu, ou il agit sur ordre, à savoir qu’on lui a demandé à un échelon supérieur de la chaîne hiérarchique d’occulter un certain nombre de choses au juge ".

" Or, j’observe que M. Vigouroux, directeur de cabinet, était au courant de ces notes selon ses propres dires et qu’elles sont passées par lui, ce qui semble pour le moins surprenant quand on sait que l’action publique n’est pas conduite par le garde des sceaux et encore moins, l’action de la justice ".

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Je regrette que M. Bruguière ait pu tenir ces propos...

M. le Président : Nous aussi.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : D’autant que je connais bien Jean-Louis Bruguière et que j’estime avoir de bonnes relations avec lui. Nous avons parlé de cette affaire et jamais il n’a contesté que je lui ai remis ces notes écrites.

En imaginant même que la source qui a donné les informations au préfet Bonnet, et que je ne connais pas, soit venue me voir personnellement ou m’ait donné un rendez-vous dans la rue, et que j’apporte, même verbalement, ce qui n’est pas le cas, à M. Bruguière des éléments concernant ce dossier majeur, je ne vois pas en quoi il n’y avait pas lieu de les exploiter, en tout état de cause et quelque soit le cas de figure.

M. Yves FROMION : Vous êtes-vous entretenu avec le cabinet du garde des sceaux à la suite des informations qui vous ont été données par le préfet Bonnet, tout d’abord le 16 novembre, puis au mois de décembre ? Après le lancement de la procédure telle que vous l’avez très clairement définie, avez-vous eu à plusieurs occasions un entretien ? Avez-vous fait un point sur cette affaire qui est une affaire d’Etat ? Vous nous avez parlé de la séparation des pouvoirs : nous comprenons tout cela très bien, mais vous avez vous-même déclaré que certains dossiers étaient importants et l’assassinat d’un préfet est une première dans l’histoire de la République. Le cabinet du garde des sceaux vous a-t-il interrogé ?

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Quand j’ai reçu le préfet Bonnet, il en porte témoignage dans son livre, et qu’il m’a donné ces informations, je lui ai immédiatement indiqué la manière dont j’envisageais de procéder : je donnerai ces informations au juge d’instruction. Lorsque je l’ai reçu, je ne savais pas si on l’avait envoyé ni de quoi il souhaitait me parler. Au cours de notre entretien, je lui ai dit que je donnerai les informations qu’il m’apportait au juge d’instruction et que j’occulterai la source, qui, pour moi, était M. Bonnet, et les conditions dans lesquelles celui-ci avait reçu cette information.

Je lui ai indiqué les raisons pour lesquelles je ferai cela de manière anonyme et il a lui-même convenu de la nécessité et de l’opportunité de le faire de cette manière, de façon à le protéger et à garantir la bonne exploitation de ces informations. Aucune disposition du code de procédure pénale n’exigeait une procédure particulière pour la transmission d’informations à un juge d’instruction saisi.

Après l’avoir reçu et avoir pris ma décision, je suis allé voir le procureur général pour lui rendre compte et lui dire de quelle manière j’entendais procéder, car je considère que c’était capital et qu’il était normal que je rende compte à ma hiérarchie. Je suis allé voir ensuite, avec son accord, le directeur de cabinet du garde des sceaux pour l’informer et lui indiquer ce que j’entendais faire, ce que j’avais décidé de faire et ce que j’ai fait. Je n’ai reçu d’instruction de personne. J’ai agi en conscience de manière à être le plus efficace possible et sans retard.

Peut-être des ambiguïtés se sont-elles produites, des quiproquos sur le fait que j’ai voulu éviter que l’on pense que cela vînt de la gendarmerie. Dans tous les cas, je me suis déplacé et j’ai parfaitement le souvenir - je l’ai en tête - de l’importance que j’attachais à l’information lorsque je l’ai communiquée à M. Bruguière.

Peu importe de mon point de vue les conditions dans lesquelles il pense que j’aurais dû lui dire ou pas ; je lui ai communiqué ce qui me semblait être l’essentiel, à savoir des éléments qui étaient de nature à faire avancer l’enquête et, deux jours après, j’ai eu le sentiment que cela avait été le cas, hâtivement à mon avis, mais j’ai vu que Castela était interpellé.

M. le Président : Excusez-nous de vous avoir obligé à revenir devant cette commission d’enquête. Veuillez me pardonner d’avoir fait quelques lectures, mais autant que vous en preniez connaissance, aujourd’hui que le jour de la publication du rapport. Vous tomberez de moins haut. Nous regrettons tout cela, mais comprenez notre situation. Nous sommes comme vous, qui détenez des informations et qui avez une procédure à suivre pour tenter d’être le plus efficace possible. Nous avons été chargés d’analyser les dysfonctionnements. La surprise sur ce que nous avons découvert fut grande !

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Je suis à la disposition de la commission. Ces avatars m’affligent, mais ils ne sont pas de nature à entamer l’immense satisfaction que j’éprouve du fait que l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac ait pu aboutir et j’attends avec impatience que l’assassin du préfet Erignac soit, lui aussi, interpellé. Concernant le reste, ce ne sont que des avatars agaçants, mais qui n’entament pas l’essentiel.

M. le Rapporteur : On s’en souvient parce qu’il y a eu un mouvement de protestation des magistrats locaux.

Le paradoxe, c’est que vous soulignez la nécessité d’un dispositif plus intégré, plus spécialisé, plus professionnel et que pendant l’exercice de vos fonctions, la DNAT et les juges antiterroristes sont intervenus assez tardivement. A partir de 1996. Pourquoi dans les années antérieures avoir laissé les services de police locaux, le SRPJ d’Ajaccio, M. Dragacci...

M. Claude GUÉANT : M. Dragacci n’était pas chef du SRPJ à cette époque.

M. le Rapporteur : Non, mais il était le chef de cabinet du préfet adjoint pour la sécurité. C’est M. Dragacci qui a été à l’origine de la première affaire de Spérone, par exemple. Il avait déjà des responsabilités. C’est Mme Ballestrazzi qui était à la tête du SRPJ.

Pendant toute cette période, ces problèmes ont été gérés pratiquement au niveau local.

M. Claude GUÉANT : Oui, c’est exact. C’est ce que je disais précédemment : nous avons fait le constat que les forces locales, dans l’état qui était le leur, n’étaient pas en mesure de relever le défi au niveau où il se situait, qui était très élevé.

Vous avez raison de dire, monsieur le Président, que bien des affaires n’ont pas été résolues, soit que leurs auteurs n’aient pas été identifiés, soit qu’identifiés, ils n’aient pas été arrêtés. Les assassins de Sargentini sont parfaitement identifiés puisqu’il y avait un témoin. Ils n’ont pas été arrêtés.

Il y a une affaire sur laquelle nous avons énormément travaillé parce qu’elle était importante pour la paix publique, celle de l’attentat à la voiture piégée contre Charles Pieri à l’été 1996 dans le port de Bastia. Je puis vous dire que j’ai personnellement animé tous les bureaux de liaison pendant cette période. Je ne suis pas un policier, je n’y consacrais pas tout mon temps et je ne suis pas forcément excellent, mais nous avons fait beaucoup d’efforts, de filatures et nous n’avons pas trouvé. Il est vrai que c’est tout à fait fâcheux.

Mais il y a aussi d’autres affaires qui ont été réglées, y compris parmi les assassins de responsables nationalistes, il y a un certain nombre de gens qui ont été identifiés.

M. le Président : Ces assassinats de nationalistes font l’objet d’enquêtes menées par les juges antiterroristes. Ce sont bien eux qui s’en occupent ?

M. Claude GUÉANT : Oui.

M. le Président : Sur le plan de l’efficacité, on peut se poser quelques questions. C’est peut-être dû à la rivalité entre les juges eux-mêmes. Vous en avez entendu parler comme nous, j’imagine ?

M. Claude GUÉANT : Oui, bien sûr. Y compris au sein du même parquet !

M. Yves FROMION : Vous n’étiez plus en fonction au moment où le GPS a été créé. Aviez-vous entendu parler de ce projet ? La gendarmerie avait-elle laissé entendre qu’elle allait mettre sur pied des dispositifs plus efficaces au cours des bureaux de liaison ?

M. Claude GUÉANT : J’ai pris mes nouvelles et actuelles fonctions le lundi 9 février 1998 au matin. Claude Erignac avait été assassiné le vendredi 6 février.

C’est après, je crois, qu’il a été question de créer le GPS. Je n’en avais pas entendu parler. Ni même de moyens particuliers.

Il est certain que la gendarmerie, de la même façon que j’envoyais le RAID pour prêter assistance au SRPJ, envoyait des éléments du GIGN pour renforcer les effectifs locaux en moyens de surveillance, notamment en milieu naturel.

M. Yves FROMION : Le choix entre le RAID, le GIGN ou d’autres unités de la gendarmerie était fait dans vos bureaux de liaison, en coordination, ou chaque administration - police de son côté, gendarmerie du sien - décidait elle-même à un moment donné, en raison d’une enquête ou face à une situation donnée, de renforcer ses moyens ?

M. Claude GUÉANT : Ma réponse illustre l’insuffisance de coordination que je soulignais tout à l’heure : l’information était échangée au cours des bureaux de liaison sur ces missions d’effectifs nationaux, mais en revanche, les décisions n’étaient généralement pas concertées.

M. Yves FROMION : S’agissant de l’échelon politique, les décisions ou les informations échangées lors des bureaux de liaison de la Corse que vous présidiez faisaient, j’imagine, l’objet de notes au ministre. Saviez-vous si ces informations remontaient ensuite vers l’hôtel Matignon ou étaient diffusées vers le ministère de la Justice ? Quelle était l’exploitation politique - puisque c’est l’échelon politique qui est en charge des affaires - des informations qui pouvaient être échangées ou des instructions qui pouvaient être données ? L’échelon politique utilisait-il le bureau de liaison de la Corse pour essayer d’améliorer la coordination ? Aviez-vous le sentiment d’être un rouage important entre le décisionnel politique et l’exécutif administratif, sans être péjoratif ?

M. le Président : Voulez-vous dire, monsieur Fromion, que l’échelon politique devrait être en charge de ces affaires ? Après ce que nous avons entendu ici, on peut en douter.

M. Yves FROMION : On peut voir les choses comme cela. C’est pourquoi j’aimerais avoir quelques éclaircissements sur le sujet.

M. Claude GUÉANT : De façon très précise, en ce qui concerne l’information du ministère de la Justice, celui-ci participait au bureau de liaison. Il y était invité et il était souvent présent. Soit il entendait tout ce qui s’y passait soit, au minimum, il recevait les comptes rendus de chacune de ces réunions, comptes rendus très synthétiques, mais qui permettaient de situer les choses assez précisément.

Ces notes de bureau de liaison étaient communiquées au cabinet du ministre. Je ne sais pas, ensuite, ce qu’il en advenait.

Cela étant, puisque l’on parle beaucoup de politique et d’administratif - et c’est bien normal pour une commission comme la vôtre - je crois que le travail des policiers ou des gendarmes est assez simple : nous constatons des faits délictueux ou criminels, nous faisons de notre mieux, avec des succès dont je concède volontiers qu’ils sont variés, pour interpeller les auteurs. C’est tout.

M. Yves FROMION : Pour être toujours plus précis : avez-vous le sentiment que le bureau de liaison, qui est une bonne chose de mon point de vue, était utilisé par l’échelon politique autant qu’il aurait pu l’être ? Faisait-on véritablement passer par ce bureau de liaison l’essentiel des instructions et des orientations, pensez-vous qu’il existait d’autres liaisons, ce qui ne serait d’ailleurs pas étrange, entre le ministre de l’intérieur, le Premier ministre et les préfets en charge des affaires sur le terrain ?

Avez-vous le sentiment, au moins jusqu’à la fin de vos responsabilités, en février 1998, que ce bureau de liaison était le canal - non pas historique ! - mais le canal utilisé par le gouvernement, ou se passait-il des choses par ailleurs, directement depuis Matignon ou tout autre ministère ?

M. Claude GUÉANT : Il est certain que les cabinets, les ministres et le Premier ministre parlaient des affaires corses. Mais je voudrais souligner, pour préciser la réponse que je vous faisais il y a un instant, que la police nationale pas plus que son directeur général ou le bureau de liaison qui rassemblait tous les partenaires, n’étaient investis de la politique du gouvernement à l’égard de la Corse. Leur mission était de lutter contre la criminalité avec ses spécificités corses, mais ils ne recevaient pas d’instructions de lever le pied ou d’aller plus vite.

Il a fallu, compte tenu d’une situation très dégradée, reconstituer le potentiel de renseignement, de documentation et retravailler. Cela a permis d’atteindre quelques succès, insuffisants certes, mais quelques succès quand même.

M. Yves FROMION : Quand a été créé ce bureau de liaison de la Corse ?

M. Claude GUÉANT : Il existait avant mon arrivée. L’UCLAT a été créée par un décret ancien et s’est structurée ensuite en bureaux de liaison thématiques.

M. le Président : Nous vous remercions.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr

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