Présidence de M. Raymond FORNI, Président

MM. Bonnin, Eychenne, Bombert et Jean-Luc Gobin sont introduit.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Bonnin, Eychenne, Bombert, et Jean-Luc Gobin prêtent serment.

M. le Président : Lieutenant-colonel, nous avons procédé à l’audition d’une série de responsables de la gendarmerie nationale, en commençant par le directeur général et le général Lallement. Hier, nous avons entendu le colonel Rémy. Nous avons souhaité, lors de notre venue à Bastia, compléter nos informations par une vision plus proche du terrain.

Je rappelle que la commission a un pouvoir de sanction. Je vous le dis parce que nous sommes excédés de la manière dont certaines réponses sont apportées, notamment du côté de la gendarmerie nationale. Il y a de telles différences dans les déclarations qu’elles nous paraissent invraisemblables. En d’autres termes, notre conviction est que malgré leurs prestations de serment, certains nous racontent n’importe quoi.

Nous souhaiterions savoir comment fonctionne actuellement la chaîne de commandement en Corse et comment la gendarmerie nationale a vécu la création du GPS ?

Vous avez à vos côtés un responsable chargé du renseignement. On nous a dit qu’en raison du contexte - en particulier, les gendarmes qui subissent des agressions répétées et qui sont avant tout soucieux de protéger leurs familles -, les renseignements obtenus par la gendarmerie en Corse étaient extrêmement limités en comparaison de ceux habituellement obtenus sur le reste du territoire français.

Comment vivez-vous les relations avec la police ? Chacun sait que " la guerre des polices " existe, peut-être plus ici qu’ailleurs, puisque, à un moment donné, la gendarmerie a été privilégiée aux dépens de la police nationale par le préfet Bonnet, ce qui a donné lieu à la mise en place du GPS. Sans doute avait-il des raisons de le faire. Cela n’a pas été un succès, mais c’est un constat. Pendent des mois, les gendarmes ont été aux avant-postes et la police a été un peu laissée de côté, parce qu’il y avait à son égard une certaine méfiance due à la porosité, à l’impossibilité de conserver le secret, à la corsisation des emplois beaucoup plus forte que dans la gendarmerie.

Enfin, quelles sont vos relations avec la magistrature ? Comment vivez-vous le choix des magistrats de saisir des enquêtes judiciaires la gendarmerie ou la police ? Comment ressentez-vous les interventions extérieures telles que celles des sections spécialisées du parquet de Paris et des juges d’instructions spécialisés dans la lutte anti-terroriste ? Quel est votre avis sur le rôle et la place pris en Corse par la DNAT ?

M. BONNIN : Monsieur le Président, avant de répondre directement à vos questions, je me propose de vous présenter rapidement la gendarmerie en Haute-Corse, étant précisé que je répondrai ainsi en partie à vos attentes.

M. le Président : Ne nous attardons pas trop sur l’organisation et sur l’organigramme, car nous les connaissons. Nous savons quels sont les effectifs de gendarmerie. Nous savons qu’ils sont ici beaucoup plus forts que partout ailleurs sur le territoire national. Le ratio population/gendarmes permanents, auxquels s’ajoutent régulièrement les escadrons mobiles en renfort, est élevé.

M. BONNIN : On ne peut pas comprendre l’organisation et les missions de la gendarmerie sans connaître le département de la Haute-Corse, avec sa géographie, sa population, son habitat spécifiques.

L’isolement des villages et des populations de l’intérieur génère des difficultés d’ordre général pour remplir la mission de la gendarmerie. La durée des déplacements, le réseau routier secondaire très dense, plutôt mal entretenu, une mauvaise propagation des ondes radioélectriques concourent à accroître la difficulté. Nous essayons de la résoudre par un schéma adaptable d’unités de gendarmeries. Il faut régulièrement modifier les implantations immobilières des casernes pour suivre les mouvements de population.

S’agissant des particularismes corses, l’île est confrontée à trois fléaux auxquels doit donc également faire face la gendarmerie. Le plus destructeur est la délinquance routière qui classe les deux départements corses parmi les plus meurtriers de France. Le plus médiatiquement connu est le nationalisme avec ses mouvements violents. Le plus insidieux recouvre les phénomènes mafieux avec la délinquance économique et financière et la délinquance violente, notamment les vols à main armée.

En outre, la saison estivale est synonyme de phénomènes délictueux très ciblés : incendies criminels et délinquance d’appropriation liée au flux de tourisme, plus encore en 1999 que les années précédentes, vols à main armée, petite et moyenne délinquance, vols à la roulotte, vols de véhicules qui génèrent un sentiment d’insécurité.

Dans ce contexte, la gendarmerie de la Haute-Corse déploie une activité importante en matière de police judiciaire, liée à la gravité et à l’importance des affaires. Les homocides - quinze par an en moyenne au cours des cinq dernières années - nécessitent des moyens humains et matériels importants mis en œuvre pendant longtemps.

En matière de nationalisme, l’action de la gendarmerie se divise en deux volets : la recherche du renseignement - vous avez souligné qu’elle était délicate - et la sécurisation du terrain, compliquée par la dispersion de l’habitat et des brigades territoriales, ainsi que par le relief. Un troisième volet a trait à la police judiciaire avec les préférences des magistrats pour saisir tel ou tel service dans le cadre du code de procédure pénale.

Le groupement comprend 450 militaires, 180 véhicules, pour 4 756 faits judiciaires, ce qui, paradoxalement, en terme de petite et moyenne délinquance, situe le département en bas de classement, alors que tout ce qui a trait aux actions violentes des nationalistes est assez marqué. On trouve donc une délinquance classique faible et une délinquance spécifique plus marquée qu’ailleurs, en nombre certes relativement limité mais suffisamment important pour nécessiter des effectifs et des moyens performants en temps et en espace.

Je ne m’attarderai pas sur les organigrammes. On remarque ici - ce n’est pas le cas dans tous les départements - la présence d’un officier qui est aussi mon adjoint et dont la mission est presque exclusivement liée à l’exercice de la police judiciaire. On trouve aussi un officier de renseignement qui est quasiment inexistant dans les autres départements de France. Nous avons par ailleurs très peu de gendarmes auxiliaires et de gendarmes adjoints.

M. le Président : Sont-ils recrutés sur place ?

M. BONNIN : Ils ne sont pas recrutés sur place. Nous avons de grandes difficultés pour recruter ces personnels sur place. Ils viennent du continent comme 90 % des personnels professionnels de la gendarmerie de la Haute-Corse. Dans les 5 à 7 % de corses, on compte des corses d’origine et des non-corses mariés à une corse. Le temps de présence en Corse est très rarement supérieur à quinze ans. La grande majorité des gendarmes ont un à quatre ans de présence.

M. le Président : On nous a dit que la présence en Corse était considérée comme une double campagne.

M. BONNIN : Comme une campagne simple et non comme une double campagne ! Il y a une bonification de service. Une année de service effectif ouvre doit à une annuité " gratuite " supplémentaire.

M. le Rapporteur : Ceux qui ont quinze ans de présence sont donc considérés comme ayant accompli trente années de service.

M. le Président : Cela vous paraît-il justifié ?

M. BONNIN : Au regard des difficultés de service que je n’ai pas encore totalement vécues, je crois que oui. Puisque nous nous rendrons ensuite dans des brigades, vous pourrez constater que la vie avec ou sans famille n’est pas tous les jours faciles dans les brigades de gendarmerie de la Haute-Corse.

Je me pose la question de savoir si cette attribution de bonification ne pourrait pas être réduite dans le temps, c’est-à-dire être accordée seulement pendant cinq ou dix ans.

M. le Président : Elle pose deux problèmes : celui de la comparaison avec d’autres catégories de fonctionnaires, notamment les policiers, et celui de la spécificité que l’on donne à l’île alors que tout le monde essaie de considérer qu’elle fait partie du territoire français. Est-il justifié dans ces conditions d’être en campagne ? Dans les Hautes-Alpes et dans certaines autres régions françaises, il est sans doute aussi difficile d’être en brigade qu’ici.

M. BONNIN : Je ne sais pas si l’on peut considérer que c’est aussi difficile dans les Alpes de Haute-Provence qu’en Haute-Corse. En tout état de cause, si cet " avantage " venait à être supprimé totalement, l’effectif de la gendarmerie de la Haute-Corse se réduirait beaucoup, les gens viendraient très peu de temps, ce qui accroîtrait les difficultés de la gendarmerie pour exécuter des missions, notamment les missions de renseignement.

M. le Rapporteur : C’est une carotte.

M. BONNIN : Tout à fait. C’est aussi simple que cela dans les départements difficiles. Cela existe également outre-mer. Je comprends que le concept soit difficile à admettre.

M. le Président : C’est la comparaison.

M. BONNIN : Je partage ce sentiment. A défaut de le supprimer, on pourrait le limiter dans le temps. Toutes les brigades ne vivent pas aussi dangereusement les unes que les autres.

M. le Président : Votre réponse suggère une solution intermédiaire. Nous recherchons aussi des propositions. Je pose la question parce qu’elle a de l’importance vis-à-vis de l’extérieur, à savoir de la police, de certaines catégories de fonctionnaires et du sentiment même que l’on donne aux corses de la manière dont est traitée la Corse sur le plan national. Ce n’est pas l’île de la Réunion, la Martinique ou la Guadeloupe.

M. BONNIN : La gendarmerie est une des armées. Les militaires profitent de cet avantage. C’est un ensemble d’avantages qui est alloué au monde militaire dans son ensemble et qui n’est pas propre à la gendarmerie.

Par ailleurs, le ratio est d’un gendarme pour 219 habitants en Corse. C’est considérable par rapport au continent où l’on cherche à atteindre le ratio d’un pour huit cents à mille habitants dans les zones de gendarmerie nationale.

M. Bernard DEROSIER : Ce chiffre tient-il compte des escadrons de gendarmerie mobile ?

M. BONNIN : Non. L’effectif est réparti entre quatre compagnies dirigées chacune par un officier. Certaines comportent des unités spéciales de gendarmerie de haute montagne. Sur les quatre compagnies on trouve trois unités spécialisées en police judiciaire. La compagnie de Bastia dispose de la brigade de recherches départementale qui m’est directement rattachée. Les compagnies de Calvi et de Ghisonaccia disposent également d’une brigade de recherches entièrement dédiée à la mission de police judiciaire. Au sein de chaque compagnie a été créée une structure dédiée à la mission de renseignement.

Sur trente et une brigades territoriales, neuf sont à effectif égal à six. Compte tenu du réseau routier de montagne, on devine que leur emplacement n’est pas toujours excellent pour aller rapidement d’un point à un autre. De plus, les populations à surveiller varient de trois cents à trois mille habitants. Sept autres brigades territoriales ont un effectif égal à quatre. La gendarmerie est en train de revenir sur ce dispositif qui fonctionne mal. On accroît l’isolement des unités, des familles, les difficultés pour assurer les missions. Compte tenu des quarante-huit heures de repos hebdomadaire et des permissions, l’effectif journalier présent est souvent de 1,5, ce qui n’est pas gérable. C’est pourquoi des dissolutions sont d’ores et déjà prévues.

J’indiquais tout à l’heure que le dispositif devait être réorganisé régulièrement, avec plus d’ampleur que sur le continent. Nous avons besoin du soutien non seulement des autorités mais aussi des élus locaux - je sais qu’il existe de la part du député ici présent - pour améliorer le dispositif.

M. le Rapporteur : De quand date cette organisation ?

M. BONNIN : Juste après 1990. C’est donc assez récent.

M. Roger FRANZONI : Il y a eu une politique d’implantation dans les années quatre-vingt. De nombreuses brigades ont été construites à cette époque. On a construit bon nombre de gendarmeries, notamment à Luri et à Saint-Florent.

M. BONNIN : La population a, depuis, migré vers le littoral. Soit, il n’y a plus de population et on supprime totalement la gendarmerie soit, elle demeure utile et il faut la renforcer. Nous avons un peloton spécialisé de gendarmerie de haute montagne et des brigades de montagne. La gendarmerie mobile dispose de trois escadrons et d’un peloton au sud du département. Mais la situation a évolué à la suite de l’affaire Bastia Securità. L’entreprise Ardial a été requise et un escadron complet de gendarmerie mobile assure quotidiennement la protection des transports de fonds. Une partie des effectifs de la gendarmerie mobile est accaparée par d’autres dispositifs que l’aide à la gendarmerie départementale.

M. le Président : Un escadron ne fait que cela ?

M. BONNIN : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Quelles sont les missions des unités mobiles ?

M. BONNIN : Des gardes statiques et des gardes de personnalités. Les deux sous-préfectures de Calvi et Corte sont gardées, ainsi que le tribunal d’instance de Corte. Les deux sous-préfets de Calvi et Corte sont escortés. Cela nécessite un roulement de personnels assez important. Un peloton, c’est-à-dire le tiers d’un escadron est requis quotidiennement en réserve d’intervention immédiate.

M. le Rapporteur : Il y a peu de manifestations.

M. BONNIN : Il est vrai que les missions relatives à l’ordre public en terme de rassemblement de personnes sont assez rares dans le département.

M. BOMBERT : Il convient d’ajouter les missions quasi journalières d’escorte des convois d’explosifs de plus de cent kilos pour les carrières et chantiers. Il faut aussi prendre en compte les demandes d’escorte de convois de cigarettes pour la SEITA.

M. le Rapporteur : La gendarmerie était-elle mobilisée pour les journées de Corte ?

M. BONNIN : J’étais le responsable opérationnel des journées de Corte pour la gendarmerie, puisque la ville est située en zone de gendarmerie nationale. Il y avait trois escadrons. En pareil cas, on désorganise tout, on supprime les escortes et l’on peut rassembler dans un temps réduit les trois escadrons nécessaires.

M. le Président : On parle de protection des bâtiments, de gardes statiques. Ces mesures sont-elles justifiées et efficaces ?

M. BONNIN : Non, en dehors de la protection des sous-préfets, bien que j’estime à titre personnel que cela ne soit pas du ressort de la gendarmerie mobile. La gendarmerie mobile n’est pas formée pour protéger les personnalités. D’autres services en France sont mieux à même de remplir ce genre de missions. A moins d’installer du béton et des sacs de sable, les gardes statiques de bâtiments ne sont pas efficaces.

M. le Rapporteur : Il y a aussi des unités de CRS ?

M. BONNIN : Elles sont cantonnées en zone de police nationale, à Bastia. Pour ce qui est des missions d’ordre public, on considère que les CRS interviennent pour les manifestations qui se déroulent à Bastia et dans les communes limitrophes. Il n’est d’ailleurs pas rare que les escadrons de gendarmerie mobile prêtent main forte en zone urbaine de police nationale.

M. Roger FRANZONI : Il est exact que les populations se déplacent vers la côte. Il n’empêche que l’été, elles refluent vers l’intérieur. Des petits villages de deux cents habitants se retrouvent parfois avec huit cents ou mille habitants. De plus, deux millions de personnes transitent vers la Corse. Il convient de tenir compte de ces éléments. Dans les petits villages qui possèdent une gendarmerie, on souhaite qu’elle soit opératoire toute l’année, même l’été. C’est un gros problème.

M. le Président : Je ne pense pas que la question se pose en terme d’effectifs.

M. Roger FRANZONI : Non, en terme d’organisation.

M. le Président : Il est difficile de faire mieux. Cela coûte cher. A force de répandre des escadrons mobiles, on risque de donner le sentiment que l’on vit dans un département assiégé.

M. le Rapporteur : Les unités d’investigation ont-elles été très fortement renforcées ?

M. BONNIN : La section de recherches, unité qui dépend directement du commandant de légion, le colonel Rémy, agit sur le ressort de la cour d’appel de la région corse. Elle lui est directement subordonnée.

M. le Président : Quand vous faites du transport de fonds ou de la garde statique, vous ne faites pas de renseignement. Or le renseignement est indispensable, surtout dans une région comme celle-ci. Sans renseignement, vous êtes totalement inefficaces, aveugles et sourds...

M. BONNIN : ... et soumis à toutes les menaces. Je partage totalement votre point de vue. Dans un passé récent, j’ai exercé pendant trois années, de 1994 à 1997, les fonctions de chef du bureau renseignement en Nouvelle-Calédonie. Mes précédentes fonctions au bureau de la police judiciaire, à la direction générale, n’ont pu que me conforter dans cette opinion. C’est tout naturel mais ça l’est encore plus quand on le vit de près. Si l’on n’est pas capable de réaliser les missions de renseignement et de police judiciaire, on ne peut rien faire.

M. le Président : C’est un défi qu’il vous faut relever car sinon, vous prendrez, par rapport aux services de police, un retard difficile à combler. La présence des gendarmes sur le terrain, dans les villages, est toujours appréciée par la population, pas seulement ici mais partout en France. Quand vous proposez à un élu de supprimer une brigade, il lève les bras au ciel et il crie à l’assassinat. Pourtant, au fond d’eux-mêmes, ils savent bien que certaines brigades de gendarmerie n’ont pas pleinement leur justification sur le terrain. Il faut vraiment que cela évolue.

M. Roger FRANZONI : Pas seulement pour les gendarmes, mais aussi pour les familles et les enfants.

M. le Rapporteur : Y a-t-il parfois plus d’une brigade par canton ?

M. BONNIN : Dans un seul, à Oletta. Elle devrait prochainement être dissoute.

S’agissant du nombre des attentats en zone de gendarmerie en 1998, il a beaucoup baissé. Pour l’heure, en 1999, les chiffres ne sont guère supérieurs. Les gendarmeries de Corse subissent régulièrement des attentats. Notre caserne, ici au groupement a subi, en 1996, des impacts de balles dont la trace reste présente. Jusqu’en avril 1999, des attentats ont visé la compagnie de Ghisonaccia. On peut toujours dire que jusqu’à présent les attentats ont visé, de nuit, des bâtiments de service sans personne à l’intérieur. Cela a failli ne pas être toujours le cas. Les familles vivent dans les casernes. A Penta di Casinca, lors du dernier attentat, des balles ont traversé les cloisons de la cuisine d’un gendarme qui était en train de dîner. Cela ne peut pas ne pas marquer l’esprit des gendarmes, de leurs épouses et de leurs enfants, ni avoir une influence directe sur le service de la gendarmerie.

M. Roger FRANZONI : A Luri, des balles ont pénétré dans des chambres d’enfants.

M. le Président : Les trois gendarmes assassinés dont il est fait état sont-ils ceux d’Aleria ?

M. BONNIN : Deux à Aleria, un à Cargèse.

M. EYCHENNE : Le gendarme tué à Cargèse n’était pas visé. Il aidait quelqu’un à désamorcer une bombe.

M. BONNIN : J’ai un listing de trois pages dressant la liste des attentats contre des bâtiments des brigades de Haute-Corse. Dans les Alpes de Haute-Provence, on ne connaît tout de même pas cela. Quant au reste de la délinquance, elle est assez faible, hormis la délinquance routière qui est un fléau et une source de préoccupation pour la gendarmerie qui passe du temps sur les axes.

M. le Président : En matière d’infractions routières qui peuvent être à l’origine des accidents, le travail de gendarmerie est-il équivalent à celui réalisé sur le reste du territoire ?

M. BONNIN : Il est même plus développé que celui effectué sur le continent. Après qu’une infraction a été constatée, elle est renouvelée dix kilomètres plus loin. L’indiscipline fait partie du caractère corse.

M. Roger FRANZONI : Tant que l’on ne saisira pas les voitures, les gens ne paieront pas les amendes.

M. BONNIN : Le directeur du service de police judiciaire qui s’est exprimé hier a dû vous dire que depuis quelques années, on est revenu à des normes comparables à celles du continent, mais je ne vais pas parler de ce que je ne suis pas censé évoquer. Si ce n’était pas le cas il y a dix ou cinq ans, aujourd’hui les infractions relevées en droit sont poursuivies jusqu’au bout, ici comme ailleurs. Il existe un gros effort de recherche des infractions : cinq mille infractions, ce n’est pas rien.

Les causes d’accidents sont principalement la vitesse excessive pour 38,5 %. Ils se produisent le plus souvent sur les axes principaux, c’est-à-dire les routes nationales. Mais la présence de deux millions de touristes sur une période de deux mois et demi fait exploser les statistiques. Un nombre incroyable de véhicules français et étrangers est passé sur les routes de Corse.

M. Roger FRANZONI : Les jeunes se tuent au petit matin, à la sortie des boîtes de nuit.

M. Michel HUNAULT : Pas seulement en Corse !

M. Roger FRANZONI : Ici, c’est encore pire. Le plus lamentable c’est que les gens sont résignés.

M. BONNIN : L’alcoolisme est responsable de 7 % des accidents, ce qui est moindre que sur le continent.

Au regard du nombre d’escadrons de gendarmerie mobile prépositionnés sur l’île, on pourrait s’attendre à un meilleur renfort de la gendarmerie départementale, puisque sur le territoire de certaines brigades du littoral, la population " explose ". A Calvi par exemple, la population qui est de huit mille habitants en hiver est multipliée par quatre en été. Mais, pendant la saison estivale, les charges de la gendarmerie mobile pénalisent lourdement les détachements dont ils pourraient faire bénéficier la gendarmerie départementale.

M. le Président : Revenons-en plus précisément aux problèmes du renseignement, des relations avec les services de police, avec la magistrature et avec l’autorité judiciaire. Comment la gendarmerie a-t-elle vécu les événements liés aux affaires de paillotes ?

M. BONNIN : La gendarmerie sur l’ensemble du territoire national, à quelque niveau que ce soit, a très mal vécu l’affaire des paillotes. Voir un des hauts gradés de la gendarmerie de Corse se trouver dans une telle situation a bouleversé toute la gendarmerie, naturellement plus en Corse qu’ailleurs.

Cependant, au travers de mes déjà nombreuses visites d’unités, j’ai pu percevoir que la page était quasiment tournée. Certains en ont encore gros sur le cœur mais depuis de nombreuses semaines, chacun fait en sorte que la gendarmerie poursuive ses missions dans la plus grande normalité, afin de recouvrer la confiance de la population - si tant est qu’elle l’ait jamais perdue - dans l’exécution de ses différentes missions. Dans les semaines qui ont suivi l’affaire, les quolibets et les plaisanteries de mauvais goût étaient assez nombreux. Je crois pouvoir dire qu’ils ont quasiment disparu et que chaque gendarme a retrouvé une certaine sérénité, sinon une sérénité certaine dans l’accomplissement de ses charges.

M. le Président : Comme officier de gendarmerie, comment expliquez-vous cette dérive alors que la gendarmerie est soucieuse d’appliquer scrupuleusement les règles qui comprennent notamment celle ne pas exécuter un ordre manifestement illégal ?

M. BONNIN : La loi le prévoit.

M. le Président : Cette dérive est-elle liée à la création du GPS ? La mise en place de cette unité particulière l’a-t-elle facilitée voire favorisée ?

M. BONNIN : Monsieur le Président, je serais bien en mal d’expliquer cette dérive. Franchement, je ne sais pas. A titre personnel, je pense que c’est une dérive de l’homme, plutôt que de l’officier de gendarmerie. Je pense que c’est avant tout une dérive psychologique de l’homme dans un milieu relationnel particulier, lui-même objet de dérives similaires. Cela dit, je ne connais pas du tout l’affaire.

M. le Président : Il ne s’agit pas de parler de l’affaire. Permettez-moi de rappeler que ce n’est pas seulement la dérive d’un homme. Pour être précis, il y a le colonel Mazères et il y a ceux qui l’assistent et qui sont des officiers en charge de responsabilités et non des exécutants de base. Il y aussi la dérive d’un autre gendarme, le colonel Cavallier, dont le comportement me paraît assez curieux et dont les motivations n’apparaissent pas très claires. Enfin, une autre dérive que notre déplacement nous permet de mieux saisir consiste en une volonté de la part de la gendarmerie de minimiser voire, dans une certaine mesure, de couvrir. Nous sommes un peu surpris d’entendre certaines déclarations sur les relations qu’a eues Cavallier avec sa hiérarchie, sur les rapports qu’il a faits de toute cette affaire et sur la manière dont il s’est comporté.

M. BONNIN : Je n’ai pas eu de relations directes avec eux.

M. le Président : Vous ne connaissiez ni Mazères...

M. BONNIN : Non.

M. le Président : ...ni Cavallier ?

M. BONNIN : Cavallier est de ma promotion de Saint-Cyr.

M. le Président : Précisément, qu’en pensez-vous en tant qu’homme ?

M. BONNIN : Nous ne nous sommes pas croisés depuis vingt-cinq ans. Il m’est donc difficile de porter un jugement sur lui.

M. Bernard DEFLESSELLES : Le colonel Rémy nous en a parlé. Certains ici connaissaient bien le lieutenant-colonel Cavallier. Capitaine, vous êtes en poste depuis longtemps ?

M. Jean-Luc GOBIN : Je connais le lieutenant-colonel Cavallier.

M. le Président : Etiez-vous sous ses ordres ?

M. Jean-Luc GOBIN : J’ai été sous ses ordres en gendarmerie mobile à Mont-de-Marsan, mais très peu de temps, puisqu’il est arrivé en septembre 1993 et qu’il est parti en décembre pour le Cambodge : je l’ai donc côtoyé trois mois à cette période. Ensuite, je suis parti au Sahara occidental pendant six mois. L’ayant quitté à la fin de l’année 1994, je l’ai très peu connu.

J’ai le souvenir d’un chef très fonceur. Il demandait beaucoup d’entraînement physique, mais je ne l’ai jamais vu donner de consignes particulières pour faire preuve de violence dans le cadre du maintien de l’ordre. Il appréciait énormément ses personnels. Il était d’une grande disponibilité sur le terrain. Il était là jour et nuit. On savait que c’était quelqu’un de brillant. Le colonel en parlerait mieux que moi pour ce qui est de Saint-Cyr. En tout cas, c’est quelqu’un qui ne laissait pas indifférents ses subordonnés, qu’ils soient gradés ou gendarmes.

M. le Président : Un officier brillant capable d’enregistrer une conversation, de traficoter une bande d’enregistrement... Cela vous paraît-il conforme à une certaine éthique ? Est-ce conforme au comportement d’un chef dont vous dites qu’il est par ailleurs digne d’éloges ?

Nous sommes en dehors de tout système traditionnel. Voilà un préfet qui choisit des officiers de gendarmerie, qui met en place un système avec des gens qui viennent des Pyrénées-Orientales où il était en poste auparavant. Tout cela est en dehors des règles habituelles de nomination.

L’une des propositions que nous serons sans doute amenés à faire sera de rendre impossibles des nominations de ce genre, car elles sont extrêmement dangereuses pour l’arme et pour les hommes. Vous dites que le trouble est dépassé parmi les vôtres, je le souhaite, mais dans l’opinion publique il faut se méfier des effets qui, à long terme, finissent par peser. Je ne suis pas persuadé qu’au fin fond de la France profonde les relations de l’opinion vis-à-vis de la gendarmerie nationale n’aient pas été quelque peu modifiées. A nous de dire quelles solutions nous préconisons.

Je ne pense pas que couvrir quelqu’un et faire jouer la solidarité soit la meilleure attitude. Je doute de la motivation prêtée à Cavallier par la gendarmerie, selon laquelle sa conception du rôle d’officier de gendarmerie était telle qu’il n’a pas pu supporter ce qu’on lui demandait de faire ou de couvrir. N’y a-t-il pas aussi des règlements de comptes, des vengeances, des sentiments moins nobles ?

M. Jean-Luc GOBIN : Je ne puis vous répondre.

M. le Président : Personne ne peut me répondre, pas plus le colonel Rémy que le général Lallement ou les autres. C’est cela le problème.

M. BONNIN : Avez-vous auditionné le colonel Cavallier ?

M. le Président : Pas encore.

M. BONNIN : Il vous répondra.

M. le Rapporteur : Durant cette période, en particulier avec la création du GPS, le commandant de légion avait une fonction opérationnelle qu’il n’a pas dans le schéma classique où il a plutôt une fonction administrative et de contrôle.

M. BONNIN : C’est exact.

M. le Rapporteur : Vous êtes maintenant revenu à ce fonctionnement ?

M. BONNIN : Tout à fait.

M. le Président : Que pensent du GPS ceux qui ont vécu la constitution de cette structure ? Vous paraissait-elle adaptée à la situation en Corse ?

M. Jean-Luc GOBIN : C’était une structure tout à fait adaptée aux problèmes rencontrés en Corse. Arrivé le 1er septembre 1998, j’ai vécu l’installation du GPS qui a pris officiellement ses fonctions à la même date. Dans le cadre de mes fonctions d’officier plus particulièrement chargé de la police judiciaire, j’ai eu à faire intervenir le GPS pour la première fois, en Haute-Corse, pour interpeller l’auteur présumé d’un assassinat. Sans le peloton de recherches et d’observation du GPS, d’une part, et sans l’action du peloton d’intervention, d’autre part, je doute que nous aurions pu obtenir la reddition de l’intéressé sans effusion de sang. Je pense que c’était un outil parfaitement adapté à la situation. C’était une structure composée d’hommes particulièrement motivés et sélectionnés, mais ce n’était pas une unité d’élite.

M. le Président : Ce n’était pas le GIGN ?

M. Jean-Luc GOBIN : Cela n’avait rien à voir. Au début, cette unité n’avait peut-être pas l’homogénéité d’une équipe légère d’intervention d’un escadron, parce que les gens ne se connaissaient pas encore suffisamment. Ils manquaient par ailleurs cruellement de matériels. Pour se déplacer, pour aller sur le terrain, ils devaient demander des véhicules ou du matériel. Je n’ai rien de particulier à dire contre le GPS, bien au contraire. Je trouve que son absence va nous faire cruellement défaut, en particulier pour les missions de surveillance, d’observation, de suivi et de filature.

M. le Président : Vous conviendrez avez moi qu’ils avaient des limites et qu’ils l’ont montré. S’ils étaient bons dans le domaine que vous indiquez, dans d’autres domaines, on ne peut pas dire qu’ils accomplissaient leurs missions avec succès.

M. BOMBERT : Ils n’étaient pas faits pour cela.

M. le Président : Ce qu’on leur demandait...

M. BOMBERT : ... n’était pas dans la doctrine. Ils étaient entraînés pour faire du renseignement et de l’observation. Ils prêtaient main forte en cas de coup dur. Dans ce domaine, ils excellaient. Ils n’étaient pas formés pour mettre le feu. Ils ont dû subir une certaine déstabilisation quand ils ont été " contraints " d’accomplir de tels actes.

M. BONNIN : Je partage tout à fait cette analyse. Il y a quelque chose de très fort dans une équipe. Lorsqu’on vous demande d’obéir à un ordre manifestement illégal, inconsciemment, on met tout en œuvre pour que cela échoue. C’est un peu l’idée que je me fais de cette intervention.

M. le Président : Certains disent qu’avec les gendarmes, on ne peut pas obtenir de renseignements en Corse. Que répondez-vous ?

M. BONNIN : Cela ne me paraît pas correspondre à la réalité et cela me vexe profondément. Il ne me semble pas que la gendarmerie apporte moins de renseignements que les autres services de renseignement. Que l’on me montre ce qu’apportent les autres services de renseignement pour établir une comparaison !

Par ailleurs, les structures traditionnelles de la gendarmerie en matière de recherche de renseignements sont aussi bien - ou aussi mal - adaptées ici qu’ailleurs. Une formation de base est dispensée aux sous-officiers de gendarmerie. Sur le terrain, une dynamique est donnée à tous les niveaux pour l’exécution de cette mission, plus ou moins grande selon le lieu où l’on exerce et les menaces qui pèsent.

En Haute-Corse, plus que dans l’Allier ou dans l’Aveyron, la qualité de l’exécution de la mission de renseignement est nécessaire. La difficulté est encore plus grande car dans certaines zones comme le Fiumorbo pour la compagnie de Ghisonaccia, voire dans certains secteurs de Balagne, la population est totalement fermée à l’emprise que pourrait exercer la gendarmerie à son égard pour la recherche du renseignement. On ne pratique pas la recherche du renseignement à l’égard d’un vol de poulets comme à l’égard d’armées clandestines qui recherchent l’indépendance par la force. Il convient de distinguer clairement les modes opératoires.

Le GPS et la brigade de gendarmerie à effectif de quatre sont deux extrêmes qu’il faut peut-être ramener à un juste milieu. Toutefois, parce qu’elle fait partie du maillage traditionnel de la gendarmerie au sein de la population, la brigade de quatre est peut-être à même d’apporter le renseignement qui convient. Parce qu’il avait quelques techniques particulières d’observation et disposait de moyens particuliers, le GPS était peut-être capable également d’apporter des éléments, à condition que chacun reste dans la mission légale confiée par la République à l’institution.

On ne peut pas dire que nous ne pratiquions pas le renseignement ou que nous ne sachions pas le pratiquer. D’autant que dès que nous disposons d’un renseignement et que nous le transmettons, d’autres services se précipitent dessus pour le recouper et l’exploiter.

M. le Rapporteur : Lors de la remontée du renseignement, comment son exploitation est-elle réalisée ? Avez-vous des réunions régulières ?

M. BONNIN : Une politique est définie. On cerne les menaces par rapport à la République au sens large et l’on s’organise pour collecter le renseignement correspondant à chacune de ces menaces. Il est sans doute plus facile de travailler sur la FNSEA ou le CDJA dans l’Aveyron que sur un mouvement clandestin, d’autant que, je le rappelle, la gendarmerie travaille en uniforme, au vu de la population. D’autres services mieux armés auraient pu infiltrer depuis longtemps ces milieux afin d’obtenir des renseignements. Il paraît que ce n’est pas le cas. On ne peut pas dire que la gendarmerie ne recueille pas de renseignements, car il faut comparer ce qui est comparable. Je m’insurge contre cette affirmation.

M. le Président : Les liens que vous évoquez sont-ils avec les renseignements généraux, avec les différents services de renseignements ? De ce point de vue, quelles sont vos relations avec la police nationale, notamment le SRPJ ?

M. BONNIN : Monsieur le Président, les relations avec les SRPJ de France et de Navarre sont toujours bonnes lorsqu’elles sont unilatérales, les SRPJ pratiquant une politique de présence active sur le terrain. Comme la DCPJ et, au-delà, la DGPN s’inscrivent dans le cadre d’un concept de sécurité intérieure entendu au sens large, la complémentarité des forces de police est essentielle au sein de notre pays, que ce soit en terme de police administrative, donc de recherche de renseignement, ou en terme de police judiciaire, vers le SRPJ. A mon sens, la complémentarité doit être bilatérale.

Les relations avec le SRPJ sont plutôt bonnes - le capitaine Gobin pourrait certainement en parler plus que moi -, dans la mesure où il y a communication réciproque des renseignements judiciaires et des éléments d’enquête relevés par chacun. Par exemple, au mois de juillet, nous avions collecté un renseignement sur la présence éventuelle d’Yvan Colonna en Balagne. Celui-ci a été transmis aux services de police, donc au SRPJ, donc à la DNAT qui, quelques jours plus tard, a monté une opération pour vérifier la présence de Colonna en fonction des informations que nous avions collectées. J’affirme que la complémentarité existe, peut-être avec des défauts car rien n’est jamais parfait dans quelque système que ce soit, et que le climat relationnel est plutôt bon. Je ne sais pas ce que vous a dit M. Veaux hier.

M. le Président : Rassurez-vous...

M. BONNIN : Je ne suis pas inquiet. Je n’ai pas à être rassuré, je fais un constat.

M. le Président : M. Veaux nous a dit que tout allait très bien.

M. Didier QUENTIN : Vous avez dit que la population était très fermée. Auparavant, vous nous avez indiqué que 47 % des effectifs avaient une durée de séjour inférieure à quatre ans, ce qui signifie, a contrario, que 53 % restent plus de quatre ans. Ces durées de séjour très longues sont-elles de nature à faciliter le travail de renseignement ?

M. BONNIN : Il faut se méfier des extrêmes. Les durées trop courtes ne sont pas favorables, les durées trop longues non plus. On peut se demander si un gendarme ou un policier qui a près de vingt ans de présence est toujours à sa place, s’il n’est pas un tant soit peu compromis. A cet égard, la bonification de service favorise peut-être l’accroissement de la durée d’affectation.

On en revient aussi aux attentats et à la manière dont vivent les brigades de gendarmerie dans le département de la Haute-Corse. Des personnels et des familles sont choqués et bouleversés par les événements qu’ils subissent. A quelques heures près, le mitraillage d’une caserne ou le dépôt d’un pain d’explosif peut tuer des épouses ou des enfants. Parmi ceux qui sont restés moins de quatre ans, la grande majorité ont demandé à partir après avoir connu un tel événement.

M. Bernard DEFLESSELLES : Colonel, vous venez d’évoquer vos bonnes relations avec le SRPJ.

M. BONNIN : Je me dois de préciser que selon l’organisation traditionnelle de la gendarmerie, l’interlocuteur privilégié du patron du SRPJ est plutôt le patron de la section de recherche, unité spécialisée au niveau du commandant de légion.

M. Bernard DEFLESSELLES : Avec le SRPJ, vos relations sont donc plutôt bonnes et s’effectuent en pleine complémentarité. Quelle est la nature de vos relations avec les autorités judiciaires ? On sait que le préfet Bonnet s’était appuyé davantage sur la gendarmerie que sur la police nationale. Le fait que nous changions d’époque a-t-il une incidence ? Avez-vous maintenu avec les autorités judiciaires, la complémentarité qui doit normalement exister ?

M. BONNIN : Je crois pouvoir l’affirmer. Je n’ai aucune difficulté, je me sens parfaitement en phase avec l’autorité judiciaire. J’espère que c’est réciproque. Cela se passait très bien avec le précédent procureur de la République, cela se passe très bien avec ses substituts, cela se passe très bien avec les magistrats chargés de l’instruction, cela se passe également très bien avec les magistrats de la 14ème section à Paris. Nous sommes très régulièrement en contact téléphonique. Je me rends aux réunions organisées par la 14ème section tous les deux ou trois mois pour faire le point sur les enquêtes qui la concernent. Il me semble qu’il n’y a pas d’ombre dans les relations avec l’autorité judiciaire.

M. Bernard DEFLESSELLES : Et avec le pôle économique et financier ?

M. BONNIN : C’est plutôt la section de recherche qui traite, en liaison avec le magistrat, les grosses affaires comme celle du Crédit agricole.

M. le Président : Il existe des magistrats spécialisés. Nous en avons rencontré hier.

M. BONNIN : Dans les unités de recherche de Haute-Corse et plus particulièrement à la section de recherche d’Ajaccio, nous avons des enquêteurs spécialisés en matière de délinquance économique et financière.

M. Bernard DEFLESSELLES : Vous estimez donc que ce changement d’époque, c’est-à-dire la normalisation des relations entre la préfecture et la gendarmerie et la police nationale, ne vous pénalise pas aujourd’hui. Il n’y a pas de " retour de bâton ".

M. BONNIN : Franchement, non.

M. Jean-Luc GOBIN : En ce qui concerne la Haute-Corse, absolument pas !

M. BONNIN : Les rapports ont toujours été très courtois et francs avec le parquet et l’instruction.

M. le Rapporteur : Une éminente personnalité nous a parlé d’une " guerre des saisines ". D’autres interlocuteurs nous ont dit que la gendarmerie était saisie de l’affaire du Crédit agricole et s’en sont étonnées, s’estimant mieux placées. On l’a vu clairement dans l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac où pratiquement tous les services étaient saisis : la DNAT, le SRPJ, la gendarmerie via l’affaire de Pietrosella. N’y a-t-il pas une absence de règles, de clarté dans la façon dont les magistrats décident de confier telle ou telle enquête à tel ou tel service ? N’est-ce pas source de confusion, de concurrence ou de compétition au mauvais sens du terme entre les différents services ?

M. BONNIN : Malheureusement ou heureusement, le code de procédure pénale prévoit, autorise, encourage cette concurrence. Il va de soi que ce n’est pas tous les jours facile à vivre. Lorsque la gendarmerie s’est impliquée totalement dans une affaire judiciaire, y a consacré des moyens, a envoyé des personnels de Bastia à Corte ou en Balagne, il n’est pas agréable de constater deux heures après la présence sur place de deux fonctionnaires du SRPJ. Pour quelle raison ? Ils ne sont pas saisis, ils vont peut-être l’être. Cela n’est pas très positif. Après qu’un attentat a été commis à Bastia, je n’ai jamais vu des enquêteurs de la gendarmerie venir voir ce qui se passait, alors que les fonctionnaires de police sont en train de constater l’événement.

M. Bernard DEROSIER : En d’autres termes, souhaiteriez-vous que les choses soient précisées, puisque le code de procédure pénale ne prévoit pas que des fonctionnaires du SRPJ doivent venir quand la gendarmerie est chargée d’une enquête ?

M. BONNIN : Si la précision était de nature à minimiser l’action de la gendarmerie, je préférerais que non. Les officiers de police judiciaire, qu’ils soient gendarmes ou policiers, qu’ils soient de la brigade territoriale de Saint-Sulpice-les-Feuilles ou de Calvi, qu’ils soient de la section de recherche d’Ajaccio, de la Division nationale anti-terroriste ou du SRPJ de Bastia, qu’ils soient gendarme, lieutenant-colonel, général, directeur du SRPJ ou policier de base ont tous exactement les mêmes capacités et compétences au regard du code de procédure pénale.

M. Bernard DEROSIER : Je ne parle pas de compétence, je parle de territorialité.

M. BONNIN : Il faut bannir le paradoxe de la concurrence négative qui fait dire à certains magistrats - ce n’est pas le cas ici, je parle de mon expérience d’officier du bureau de la police judiciaire de la Direction générale de la gendarmerie - que, bien que le code de procédure pénale ne le précise pas, tous les vols à main armée et les crimes de sang relèvent nécessairement de la police judiciaire, c’est-à-dire de la police nationale. Si c’est la précision que vous souhaitez apporter, je ne la souhaite pas.

M. Bernard DEROSIER : Je ne souhaite pas de précision, je vous demandais si vous la souhaitiez.

M. BONNIN : Je ne la souhaite pas dans ce sens. Elle n’est pas suffisamment qualitative pour amener la meilleure satisfaction possible du citoyen et de la population que nous recherchons tous. Le magistrat doit, en principe, saisir le service qui paraît avoir alors les plus grandes compétences pour conduire l’affaire à son terme.

M. le Rapporteur : Je comprends qu’il puisse y avoir, y compris pour le magistrat, une concurrence positive. Je pense qu’avoir la possibilité de saisir plusieurs services est aussi une garantie pour le magistrat.

M. BONNIN : C’est un avantage que la France a conservé.

M. le Rapporteur : Mais cela peut être aussi très négatif. On a constaté des dysfonctionnements dans l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac. La concurrence peut être aussi très destructrice entre des services qui ne communiquent plus entre eux. La gendarmerie a mal vécu d’avoir été dessaisie. C’est vous qui collectez le renseignement, mais ce n’est pas vous qui l’exploitez. Il y a là une source de conflits potentiels et de dysfonctionnements, dans des situations de tension forte, ce qui est la cas de la Corse, avec une pression du terrorisme, une pression médiatique et politique, car vous avez une hiérarchie très présente qui veut des résultats. Tout cela est de nature à provoquer des dérapages.

En matière de terrorisme, un juge d’instruction peut saisir la gendarmerie d’une affaire et la DNAT d’une autre affaire, alors qu’elles peuvent avoir des points communs. D’une affaire à l’autre, on retrouve les mêmes éléments et les mêmes hommes. N’y a-t-il pas, là aussi, une grande source de confusion ?

Faut-il s’orienter vers une spécialisation plus forte ? Un service doit-il s’occuper du terrorisme ou bien faut-il maintenir la possibilité de faire appel à plusieurs services ? Il est difficile de savoir quelle voie privilégier.

M. le Président : Le fait de vous saisir systématiquement des affaires d’attentats contre les gendarmeries n’est-il pas contraire à la vision que l’on doit avoir du terrorisme en Corse ? Ceux qui commettent des attentats contre les gendarmeries sont sans doute les mêmes que ceux qui commettent des attentats contre les perceptions et les immeubles privés. Le mélange entre le terrorisme et le banditisme crapuleux est connu.

Tout le monde sait de qui l’on parle. Nous n’avons pas une longue expérience de ce territoire mais on nous a tout de suite dit qu’Armata Corsa, c’était François Santoni. On sait qu’il conduit une action dite nationaliste mais aussi une action liée au banditisme ordinaire. Pourquoi ne parvient-on pas à confondre ces gens qui continuent de s’exprimer à la télévision, à tenir des conférences de presse, à faire étalage de leur puissance ? Leur nombre se limite à quelques dizaines de personnes en Corse. Le soutien de la population au mouvement nationaliste n’est pas aussi large que cela. A mon avis les 20 % de voix obtenues par les nationalistes aux élections régionales s’inscrivent dans un autre contexte. Le mouvement nationaliste ne représente pas grand monde, alors que vous êtes un millier, auxquels s’ajoutent les effectifs de police, les brigades mobiles. Je comprends mal que l’on n’arrive pas à cerner ces gens-là.

M. BONNIN : La difficulté est de réunir des éléments de preuve selon le code pénal.

M. le Président : On parle de la police et de la gendarmerie mais l’Etat est un ensemble d’administrations. Or compte tenu du train de vie et des moyens dont disposent un certain nombre de nationalistes, si vous ne pouvez pas les viser sur le strict plan pénal, des actions parallèles comme les contrôles fiscaux doivent permettre de déterminer l’origine de leurs fonds. Pourquoi n’y a-t-il pas plus de coopération entre les différentes administrations d’Etat et les structures comme la vôtre, chargées de l’action judiciaire et pénale ?

M. BONNIN : C’est la raison pour laquelle la ministre de la Justice a prévu la création de pôles économiques et financiers dans certains ressorts de cours d’appel, dont celui de Bastia.

M. le Président : L’affaire d’Aleria date des années soixante-dix, nous sommes en 1999. Il a fallu trente ans.

M. BONNIN : La politique de la France à l’égard de la Corse n’a pas toujours été d’une grande clarté. Il ne faut pas reprocher aux gendarmes, aux policiers et aux administrations de ne pas avoir su trouver la bonne voie plus tôt. Encore faut-il que cette voie soit la dernière et que dans deux ans, on n’en revienne pas à des méandres. On ne peut pas prêcher quelque chose, d’un côté, et prêcher autre chose, de l’autre.

M. le Président : Colonel, je vous rassure. J’ai la même opinion que vous sur les variations politiques qui ont considérablement nui à la Corse. Cela a été catastrophique. Si on en est là, c’est sans doute d’abord le résultat de lignes politiques qui n’ont pas été clairement définies, de compromissions permanentes, d’ordres donnés. Chacun sait que le soir de la conférence de presse de Tralonca, on a dit aux gendarmes de rester chez eux et de ne pas faire de zèle. Nous le savons parce qu’on nous l’a dit.

M. Jean-Luc GOBIN : Je n’étais pas là. Mais nos camarades, en particulier du Cortenais, qui connaissent bien ce qui s’est passé à ce moment-là, nous ont tous dit - j’en prends à témoin le chef d’escadron EYCHENNE - que les gendarmes n’ont jamais reçu d’instructions pour rester en brigade.

M. le Président : Capitaine, ne nous dites pas cela ! Vos responsables nous l’ont dit. Devant la commission d’enquête, sous serment, le général Lallement nous a dit que les consignes qu’il avait reçues étaient : " ce soir, il faudra rester calme ". Ne venez pas nous dire le contraire, cela fait un peu désordre.

M. Jean-Luc GOBIN : Cet ordre n’est peut-être pas allé jusqu’à la brigade territoriale.

M. le Président : Cela m’inquiète encore plus.

M. Jean-Luc GOBIN : Monsieur le Président, je maintiens tout à fait. Il y a quelques mois, nous avons eu une discussion importante avec des camarades du terrain, des gens tout à fait fiables et qui nous l’ont montré en maintes occasions. Les yeux dans les yeux, nous les avons interrogés sur Tralonca : que faisiez-vous ce soir-là ? Quelles consignes aviez-vous reçues ? avez-vous reçu consigne de rester chez vous et de ne pas faire de zèle ? Ils nous ont répondu : " Nous n’avons absolument rien changé à notre mission de surveillance habituelle. La preuve, c’est qu’à un moment, une patrouille de gendarmerie de deux hommes qui se trouvait à un carrefour dans la nature a croisé un véhicule à bord duquel se trouvaient des gens plus ou moins cagoulés qui venaient probablement de Tralonca. " Cela prouve bien que les gendarmes n’avaient pas reçu de consignes particulières, au moins ceux-là. Peut-être ont-ils été inattentifs. Je veux tout de même y croire. Ces gendarmes ont été confrontés à un véhicule qui rentrait de la région de Tralonca. Ce sont des gens de Corte, qui sont là depuis très longtemps, qui sont fiables, qui nous ont confirmé ne pas avoir reçu d’instructions particulières pour ne pas être sur le terrain cette nuit-là.

M. le Président : J’abonde dans le sens du lieutenant-colonel, à savoir que les ordres donnés, les directions indiquées ont tellement varié au fil du temps que l’on a fini par s’y perdre. Je suis convaincu que la faiblesse n’est jamais une bonne politique et qu’à l’égard des nationalistes, il faut faire preuve d’une grande fermeté.

En ce qui concerne Tralonca, d’autres que le général Lallement nous ont dit que des négociations étaient en cours. Un certain nombre de points ont été évoqués dans la conférence de presse du FLNC à Tralonca, les réponses correspondantes ont été apportées par le ministre le lendemain sur place. Il paraît tout de même bizarre que les points évoqués correspondent aux réponses données. S’il n’y avait pas eu de négociations, on nous prendrait vraiment pour des niais.

M. BONNIN : Les gendarmes présents ici, comme les membres de l’administration, comme les fonctionnaires de police ont vécu ces méandres politiques. Peut-être attendent-ils qu’une ligne soit fixée pour décider d’être efficaces.

M. Michel HUNAULT : Lieutenant-colonel, vous avez indiqué qu’au mois de juillet, vous aviez obtenu un renseignement sur la présence de Colonna. Quel dispositif est mis en place pour le rechercher ?

M. BONNIN : La recherche d’individus fait partie du dispositif traditionnel de recherche du renseignement. Il s’agit de cibler dans la discrétion les différents sites ou familles d’accueil de manière à identifier la présence de l’individu à tel ou tel endroit. Dans la discrétion, cela ne signifie pas de vivre sous terre avec un périscope, mais d’agir dans le cadre de la démarche traditionnelle des brigades en matière de recherche du renseignement.

M. BOMBERT : Chez nous, le renseignement n’est pas le fait d’un service, il est le fait de chaque gendarme, chaque jour, dans sa brigade. Chacun a pour mission prioritaire sur le terrain de faire du renseignement en général, portant sur la connaissance des gens, des lieux. Les gendarmes sont d’abord des agents du renseignement de base.

M. le Président : Lorsque des responsables préfectoraux disent que de ce point de vue, la gendarmerie en Corse se montre discrète, vous vous élevez contre une telle appréciation qui ne correspond pas à la réalité ?

M. BOMBERT : Il convient ici de faire la part entre le renseignement, qui doit être une information recoupée, élaborée, et la rumeur, qui est très répandue en Corse. Plutôt que d’inonder les autorités de rumeurs, mieux vaut s’accorder le temps et le recul nécessaires pour déterminer si l’on a vraiment affaire à des renseignements fiables.

M. le Président : J’en reviens à la porosité. Compte tenu de ce que l’on dit sur la porosité des services de police, les gendarmes leur transmettent-ils volontiers des informations ?

M. BONNIN : Lorsqu’une information est de nature à les concerner ou les concerne, oui. Au-delà des réunions de police hebdomadaires, je suis en contact régulier avec le directeur départemental de la sécurité publique à Bastia et avec le directeur départemental des renseignements généraux de Bastia. S’agissant de l’état des relations avec les autorités de police locales, j’ai l’impression d’être en phase avec elles et j’ai l’impression qu’elles le sont avec moi.

M. le président : Avez-vous affaire au préfet adjoint pour la sécurité ?

M. BONNIN : J’ai affaire à lui pour la mission dont il est investi.

M. le Président : Cela vous paraît-il être une fonction utile ?

M. BONNIN : Après huit à neuf semaines de présence, je reste partagé. Je n’arrive pas à conclure. J’imagine que c’est un avantage pour les préfets de ne pas avoir à se préoccuper de tout ce qui a trait à la sécurité en terme d’effectifs et autres. J’imagine également que le fait qu’il soit quelque peu spécialisé dans cette mission permet une meilleure allocation des moyens. Je ne sais pas si c’est extrêmement efficace.

M. le Président : Ce n’est pas forcément une structure utile.

M. BONNIN : Nous travaillons avec les administrations. Nous avons traité de nombreux dossiers en commun avec la DDE sur les infractions en matière d’urbanisme. Nous avons même filmé le littoral. Nous conduisons une action non négligeable en commun. Nous travaillons également avec la DDAF en ce qui concerne les forêts. Avec le service des impôts, nous participons actuellement à l’examen d’un dossier sur les indemnités compensatoires de handicap naturel afin de vérifier que les subventions vont bien là où elles doivent aller, que le lieu de résidence de ceux qui la perçoivent ou de ceux qui voudraient la percevoir est conforme à la profession déclarée.

M. BOMBERT : Nous nous intéressons également aux éléments de train de vie qui font l’objet de dossiers au service des impôts. Cela a été lancé depuis un an.

M. le Président : Avez-vous le sentiment que lorsque vous transmettez des renseignements de ce type aux services des impôts, la mise en œuvre des poursuites est réalisée avec efficacité ?

M. BOMBERT : Il y a un autre problème qui est la mobilité des gens et la volonté de chacun d’agir. Jusqu’à une période récente, nous avions la chance d’avoir un fonctionnaire des impôts très spécialisé et très performant. Il faudrait toujours avoir des membres de l’administration de cette qualité.

M. le Président : En ce qui concerne vos effectifs, vous considérez donc qu’ils sont suffisants ?

M. BONNIN : Par rapport aux effectifs sur l’ensemble du territoire, force est de constater que nous sommes en nombre suffisant.

M. le Président : Vous nous avez indiqué tout à l’heure quel était le taux d’élucidation des dossiers.

M. BONNIN : Pour la délinquance, il est de 49,5 %.

M. le Président : Je crois pouvoir dire que cela n’a pas grande signification, car tout dépend des infractions considérées.

M. BONNIN : Cela correspond à la moyenne nationale.

M. le Président : Mais le taux d’élucidation des actes de terrorisme est sans doute très faible, comme pour les autres actes de violence physique. Comment l’expliquez-vous ? Des plans ont été mis en œuvre, dans les années 1995-1996. Seule une affaire a dû aboutir, alors que les faits se produisent souvent devant de nombreux témoins.

M. BONNIN : Les témoins sont frappés d’une amnésie immédiate, brutale et prolongée. C’est un paramètre important à évoquer. Pénétrer le milieu mafieux ou la mouvance nationaliste, les deux se recouvrant parfois, n’est pas simple. Je le répète, il faut comparer. Je ne crois pas que la DNAT ou la DCPJ aient fait beaucoup mieux que la gendarmerie.

M. le Président : Ce n’est pas la gendarmerie qui est visée, c’est le taux d’élucidation général.

M. BONNIN : Cela peut s’expliquer par le fait que, des années avant, l’autorité judiciaire n’était pas plus encline qu’une autre administration à aller plus loin. Cela me paraît très clair.

M. le Président : Parce que les autorités politiques changeaient souvent d’avis ?

M. BONNIN : Je n’y étais pas.

M. Roger FRANZONI : Ils veulent absolument des témoins visuels alors qu’ils ont souvent des présomptions graves et concordantes. La notion de faisceau de présomptions graves et concordantes permettrait des poursuites mais ils n’osent pas. Ils veulent que quelqu’un leur disent : " Je l’ai vu, c’est lui qui a tué ", alors que même dans la presse on écrit : il y avait ceci, il y avait cela. Un faisceau de présomptions permet d’engager des poursuites mais ils n’osent pas.

M. le Président : Hier, nous avons été extrêmement surpris d’entendre le président du tribunal de grande instance nous dire qu’à l’occasion d’une conférence de presse, trois avocats ont fait des déclarations aux termes desquelles il apparaissait qu’ils avaient participé à l’élimination physique d’un certain nombre d’individus. Ces gens-là sont toujours en exercice. Comment est-ce possible ?

M. Roger FRANZONI : Tout au moins, ils ont applaudi.

M. le Président : Comment peut-on revendiquer un acte, donc faire un aveu, et ne pas être inquiété ? On a dû mal à l’imaginer lorsque l’on vient de Belfort.

M. le Rapporteur : Pourquoi le parquet ne poursuit-il pas dans de tels cas ?

M. BONNIN : Je compléterai ma réponse à la question de la clarification des tâches entre police et gendarmerie. Si l’on prévoit une sorte de listing pour savoir à qui il revient d’intervenir dès lors qu’un événement à connotation judiciaire se produit, je crains qu’une telle distribution des tâches ne soit encore unilatérale, c’est-à-dire que tout ce qui concerne le nationalisme serait du ressort de la police nationale pour des raisons qui m’échappent, tous les OPJ ayant même qualité et même compétence. De plus, le maillage de la gendarmerie, sa présence quotidienne aux côtés de la population me paraissent être un atout majeur pour faire mieux dans ce domaine, dans les mois et les années à venir.

La gendarmerie en Haute-Corse s’est organisée de manière à être efficace. Dès l’an passé, les effectifs de la section de recherche d’Ajaccio, ont presque été doublés notamment en matière de délinquance économique et financière. S’agissant des crimes de sang, nous disposons de tous les moyens nécessaires pour relever le défi. Pour les violences, les vols à main armée et les attentats, nos capacités d’expertise sont également à la hauteur. Nous n’en gardons pas l’exclusivité. Dans l’affaire de la paillote, la cassette que vous avez évoquée a été expertisée par le laboratoire de la police nationale.

La collecte du renseignement qui est à la base de l’exécution de toute mission est bien l’affaire de la gendarmerie.

Le système pourrait être amélioré. J’évoquerai l’un des vieux dossiers de la direction générale, puisque j’ai eu à en connaître lorsque j’y étais, dont le colonel Rémy a dû vous parler hier. Vous le savez, un fichier dit des activités liées au terrorisme avait commencé d’être mis en œuvre en 1995 mais, pour des raisons diverses, le décret l’instituant a été abrogé quelques mois plus tard. Si ce fichier était à nouveau autorisé, cela faciliterait la tâche de la gendarmerie dans les régions concernées par les terrorismes. Car il n’y a pas un terrorisme en France, il y a des terrorismes différents. Même s’il existe parfois entre eux un certain tuilage, le terrorisme basque n’est pas le terrorisme de la Corse ou de la Bretagne.

La gendarmerie ne dispose pas des moyens informatiques appropriés pour procéder aux recoupements qui permettraient d’accroître l’efficacité de la mission de renseignement. Le fichier informatique du terrorisme détenu par les renseignements généraux est un fichier de police administrative qui fonctionne très mal et qui est très mal alimenté. Certes, le ministère de l’Intérieur souhaite en améliorer le fonctionnement et le rendre accessible aux autres partenaires, mais c’est un fichier de police administrative qui ne peut pas être utilisé comme le fichier de police judiciaire auparavant dénommé fichier des activités liées au terrorisme.

M. le Président : Lieutenant-colonel, nous vous remercions.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr