Juillet 1975

A l’occasion d’un safari mémorable, les Présidents Valéry Giscard d’Estaing et Juvénal Habyarimana signent un accord d’assistance militaire, fixant le cadre dans lequel la France distribue une aide en armements. Cet accord est longtemps resté modeste, à hauteur de quelque 4 millions de francs par an.

1983

Jean-Christophe Mitterrand, fils du Président, est introduit à la cellule franco-africaine de l’Elysée, qu’il dirigera bientôt (jusqu’en 1992). Il noue des relations étroites avec de nombreux chefs d’Etat africains, et leurs enfants - dont Jean-Pierre Habyarimana.

Juin 1990

Erik Orsenna rédige le discours de La Baule, pour François Mitterrand (il quittera plus tard l’Elysée en dénonçant la politique africaine du Président). Juvénal Habyarimana est invité à procéder à un ravalement démocratique, qui permette son propre rétablissement. François Mitterrand l’assure de son plein soutien dans cette entreprise.

Octobre 1990

Attaque du Front Patriotique Rwandais (FPR), issu de la 2ème génération des exilés tutsis. Arrestation d’environ 8 000 Tutsis (hommes et femmes) à Kigali. Premier massacre de Tutsis à Kibirira.

Intervention franco-belgo-zaïroise. Un vif débat au Parlement belge entraîne un retrait rapide du contingent belge. Le maréchal Mobutu envoie 3 000 hommes de sa Division Spéciale Présidentielle. Leurs exactions obligent à négocier un retour accéléré. Seules restent les troupes françaises, sur décision du Président François Mitterrand.

De 1990 à 1994, François Mitterrand ne cessera de se faire tenir au courant de la situation militaire au Rwanda - même durant ses déplacements. A l’état-major de l’Elysée, la situation est suivie jusqu’en 1993 par le général Jean-Pierre Huchon.

Décembre 90

Diffusion du texte raciste dit des " 10 commandements du Hutu ", dans la revue Kangura publiée à Gisenyi, notoirement soutenue par la belle-famille du Président Habyarimana et l’aile dure du régime. En 4ème de couverture figure un portrait de François Mitterrand. En légende, ce dicton local : " Les grands amis, on les rencontre dans les difficultés ".

Janvier 1991

Le FPR libère la prison de Ruhengeri dans l’ouest du pays et ouvre un nouveau front dans le nord-est (région de Byumba). Un détachement français intervient.

Massacre de la communauté tutsie des Bagogwe par l’armée (FAR), encadrant des émeutiers.

Février 1991

L’ancien membre des escadrons de la mort Janvier Afrika - dont les témoignages ont pu être amplement recoupés - affirme avoir été formé durant quatre mois, à partir de février 1991, par des militaires français, qui auraient aussi " instruit " des miliciens Interahamwe.

Novembre 1991

Selon Me Eric Gillet, de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), les interrogatoires

" musclés " des prisonniers FPR sont menés par des officiers français.

Février 1992

Le ministère français de la Défense détache le lieutenant-colonel Chollet auprès du général Habyarimana " pour l’organisation de la défense et le fonctionnement de l’institution militaire ".

Mars 1992

Création de la formation extrémiste la Coalition pour la Défense de la République (CDR). Massacres de Tutsis au sud dans le Bugesera.

Un contrat égyptien de 6 millions de dollars de fournitures d’armes au Rwanda est " couvert " par le Crédit Lyonnais. Durant les années 1990-93, la manufacture d’armes sud-africaine Armscor livre au Rwanda pour 86 millions de dollars par an. Elle refuse de dire en quelles devises elle a été payée...

Août 1992

Massacres de Tutsis dans la région de Kibuye, perpétrés par les milices - juste après la signature d’un premier cessez-le-feu à Arusha.

Octobre 1992

Le sénateur belge Kuypers dénonce le rôle des

" escadrons de la mort " (les " réseaux Zéro ") et la politique raciste du régime Habyarimana.

Novembre 92

Le Président Juvénal Habyarimana invite les militants du MRND à combattre le "chiffon de papier" des premiers accords d’Arusha. Léon Mugesera, membre du Bureau Politique du parti présidentiel MRND, prône ouvertement la liquidation des Tutsis.

Décembre 92

Pogromes de Tutsis et d’opposants hutus dans la région du Président à Gisenyi.

Janvier 1993

Une Commission d’enquête internationale, conduite notamment par la FIDH, parcourt le Rwanda. L’un des membres de cette Commission, Jean Carbonare, affirme avoir vu des instructeurs français dans le camp de Bigogwe, où l’" on amenait des civils par camions entiers. Ils étaient torturés et tués ".

Février 1993

De nouveaux massacres suivent le départ de la Commission, entraînant le 8 février une reprise des hostilités. La France renforce son dispositif militaire au Rwanda.

Mars 1993

La commission d’enquête internationale dénonce les pratiques de génocide au Rwanda et la responsabilité au plus haut niveau des autorités rwandaises dans ces massacres.

Résolution 812 du Conseil de Sécurité, visant à mettre en place une force internationale d’interposition. Début du retrait des troupes françaises. Retour du FPR sur ses positions d’avant février 1993.

Août 1993

Signature des accords d’Arusha. Infléchie avec l’arrivée d’Alain Juppé au ministère des Affaires étrangères, la politique française les appuie officiellement.

Début des émissions racistes et incendiaires de la Radio Télévision Libre des Mille collines (RTLM), dirigée notamment par Séraphin Rwabukumba (beau-frère du Président Habyarimana et membre des réseaux Zéro), Ferdinand Nahimana (ancien Président de l’Université et principal idéologue du régime).

Décembre 93

Fin du retrait des troupes françaises et mise en place de la Mission des Nations-Unies pour l’Assistance au Rwanda (MINUAR).

Janvier 1994

Blocage des accords d’Arusha : la fraction présidentielle refuse de mettre en place le Gouvernement de transition élargi au FPR.

En principe partis du Rwanda depuis décembre, onze militaires français du DAMI (Département d’assistance militaire à l’instruction) sont reconnus à Kigali, en civil, durant le 1er trimestre. Le capitaine Paul Barril, prestataire de services de sécurité au régime rwandais, fréquente aussi cette capitale.

29 mars 1994

Le chef d’état-major des FAR préside une réunion, en présence du Préfet de Kigali, qui prépare et organise, sous la responsabilité de l’armée, l’élimination des

" infiltrés " (les Tutsis et les " traîtres " hutus).

6 avril 1994

Vers 20h30, destruction de l’avion (piloté par trois Français) transportant le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana et le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira.

En moins de 3/4 d’heure, avant même que la nouvelle soit annoncée à la radio, des barrages sont installés aux grands carrefours de Kigali, et les rues principales se jonchent de cadavres. La Garde présidentielle interdit à la MINUAR de se rendre sur les lieux de l’attentat. Le commandant français de Saint-Quentin y a accès.

7 avril 1994

Assassinat du Premier ministre rwandais, Agathe Uwilingiyimana, de plusieurs ministres et responsables politiques hutus démocrates. Massacres de Rwandais tutsis, de ceux qui les protègent et des partisans d’une politique de conciliation nationale. Extension hors de Kigali des massacres de Tutsis et de ceux qui les protègent. Massacres dans les paroisses de Zaza (10 et 12 avril), Kabarondo (13 avril), Nyarubuye (14 avril), Kibungo (15 avril), Shangi (17 avril) ...

8 avril 1994

Selon le colonel belge Luc Marchal, de la MINUAR, l’un des avions français destiné au rapatriement des Européens résidant au Rwanda était chargé d’armes au profit des FAR.

9 avril 1994

La France et la Belgique envoient des troupes à Kigali et commencent l’évacuation des expatriés. Le gouvernement français organise aussi l’évacuation sur Paris d’Agathe Habyarimana - cofondatrice de RTLM et co-inspiratrice des " réseaux Zéro ". Sa famille est au coeur du dispositif génocidaire. Seront aussi ramenés et hébergés à Paris, entre autres, ses frères Séraphin Rwabukumba et Protais Zigiranyirazo - personnage central du Hutu power - ainsi que l’idéologue Fernand Nahimana, père spirituel de RTLM.

Il est également procédé le 9 avril à l’évacuation des quelque soixante enfants de l’orphelinat Sainte-Agathe - permettant l’exfiltration de trente-quatre " accompagnateurs " rwandais, n’ayant pour la plupart pas l’air de nounous...

L’ambassadeur de France Jean-Michel Marlaud fait détruire précipitamment toutes les archives. Son ambassade est largement ouverte au personnel politique de l’ancien régime (mais non aux Tutsis menacés d’extermination). Il aide à rendre " présentable " la liste du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), par lequel le Hutu power s’empare de l’exécutif (en contradiction avec les accords d’Arusha, dont elle a assassiné nombre des protagonistes).

10 avril 1994

Un commando militaire français est envoyé au point de chute de l’avion présidentiel.

12 avril 1994

Offensive à Kigali des forces du FPR contre l’armée de l’ancien régime.

La France, la Belgique... ferment leurs ambassades. Exode du personnel diplomatique.

21 avril 1994

Au Conseil de Sécurité, la France vote la réduction de 2 700 à 450 du nombre des Casques bleus et observateurs présents au Rwanda.

Fin avril 1994

Le représentant de la France au Conseil de Sécurité s’oppose à ce que celui-ci qualifie de " génocide " les massacres perpétrés contre les Tutsis du Rwanda.

Paris reçoit le " ministre des Affaires étrangères " du GIR Jérôme Bicamumpaka, accompagné du chef du CDR Jean-Bosco Barayagziwa, qui " récupèrent " l’ambassade du Rwanda.

9-13 mai 1994

Visite d’Efrem Rwabalinda, adjoint du chef d’état-major des FAR (le général Augustin Bizimungu), à la mission militaire du ministère de la Coopération - commandée depuis un an par le général Jean-Pierre Huchon. Une aide militaire multiforme est promise, un matériel de communication cryptée est fourni, pour maintenir le contact des FAR avec Paris. Le général Huchon apporte ses conseils pour " retourner l’opinion internationale " en faveur du camp génocidaire.

17 mai 1994

Le Conseil de Sécurité vote le déploiement de 5 500 Casques bleus au Rwanda et l’embargo sur les armes à destination de ce pays. Soutenant la position du représentant du GIR, celui de la France s’était efforcé d’empêcher cet embargo.

22 mai 1994

Succès militaire du FPR à Kigali. Les FAR perdent le contrôle de l’aéroport.

25 mai 1994

La Commission des Droits de l’Homme des Nations unies vote une résolution indiquant que " des actes à caractère de génocide ont pu survenir ", décide l’envoi au Rwanda d’un rapporteur (René Degni-Segui) pour enquêter sur les violations du droit humanitaire international.

Message du deuxième secrétaire de l’ambassade du Rwanda au Caire, annonçant au GIR une livraison de 35 tonnes d’armes (munitions et grenades) pour un montant de 765 000 dollars. Le document mentionne une transaction faite à Paris.

25 mai 1994

D’avril à juin, les FAR sont ravitaillées en armes et munitions par des Boeing 707 atterrissant à Goma (Zaïre). Toutes les sources sur place se déclarent certaines que ces livraisons d’armes ont été " payées par la France ".

Fin mai 1994

Réunis à huis clos à Paris, les ambassadeurs des pays d’Afrique francophone incitent les dirigeants français à s’opposer à la " déstabilisation " du Rwanda par le FPR.

11 juin 1994

A Paris, le Quai d’Orsay déclare que la communauté internationale devra prendre de nouvelles initiatives, si les combats et les exactions se poursuivent.

16 juin 1994

A Paris, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé emploie pour la première fois le terme de génocide (un jour après le Secrétaire d’Etat Lucette Michaux-Chevry) : " Il faut parler de génocide au Rwanda... ".

21 juin 1994

Le Conseil Oecuménique des Eglises déclare, dans un communiqué : " La perspective de la France n’est pas fondée sur une analyse approfondie de la réalité au Rwanda et dans les pays voisins".

22 juin 1994

Sur proposition de la France, le Conseil de sécurité autorise une intervention armée humanitaire au Rwanda. La résolution ne prévoit pas la poursuite des responsables du génocide - qui a déjà fait quelque

500 000 victimes.

L’intervention française est condamnée par le FPR et les partis démocratiques rwandais - notamment le Premier ministre désigné par les accords d’Arusha, Faustin Twagiramungu.

Selon Jacques Baumel, vice-président de la Commission de la Défense de l’Assemblée, François Mitterrand voulait envoyer les parachutistes français sauter sur Kigali. Il en aurait été empêché par des membres plus prudents de l’exécutif de cohabitation.

23 juin 1994

Entrée officielle des forces françaises au Rwanda, par Cyangugu.

28 juin 1994

Publication du rapport des Nations Unies (René Degni-Segui) sur le génocide des Tutsis et les massacres de Hutus au Rwanda.

4 juillet 1994

L’armée de l’ancien régime est refoulée de Kigali et de Butare, contrôlées désormais par le FPR. La France crée une " Zone humanitaire sûre " (ZHS) au sud-ouest du Rwanda.

13 juillet 1994

Début d’un exode massif de Rwandais vers le Zaïre.

19 juillet 1994

Un gouvernement d’union nationale est formé à Kigali.

Annonce de l’épidémie de choléra parmi les réfugiés :

il y a 13 à 14 000 victimes entre le 19 et le 25 juillet.

Juillet-août 1994

Durant l’opération Turquoise, la plupart des responsables du génocide (dont les animateurs de RTLM) se replient sur la ZHS avant d’aller à Bukavu (Zaïre). Aucun n’est interpellé, pas plus que les préfets, sous-préfets ou chefs miliciens qui ont, localement, organisé les massacres. Le chef des FAR, le général Bizimungu, est aperçu à Goma dans un véhicule de l’armée française.

Des officiers français dissuadent de rentrer à Kigali ceux des officiers des FAR qui souhaitent renouer avec le gouvernement d’union nationale.

En ZHS ou à Goma, la plupart des militaires oublient les calculs géopolitiques qui les ont envoyés là pour accomplir un incontestable travail humanitaire.

21 août 1994

Fin de l’opération Turquoise.

Début octobre

Mathieu Ngirumpatse, président du MRND, responsable des milices Interahamwe, indique à l’AFP qu’il rentre d’un voyage en France.

Début novembre

Jérôme Bicumumpaka, " ministre des Affaires étrangères " du GIR, se flatte d’avoir été, de nouveau, reçu officiellement en France.

8 novembre 1994

Dans le texte écrit du discours de François Mitterrand aux participants du Sommet franco-africain de Biarritz, il est question des " génocides " du Rwanda, les adversaires étant renvoyés à leur envie réciproque de

" s’autodétruire ". Le nouveau gouvernement rwandais n’est d’ailleurs pas invité à Biarritz.

Témoignage sur la collaboration d’un colonel français avec les ex-FAR. Selon les " services " de l’ONU, la DGSE utiliserait des entreprises françaises (voire britanniques) pour continuer de ravitailler les ex-FAR.

Selon Tadele Slassie, commandant en chef des Nations unies dans la région, les forces zaïroises participeraient à l’entraînement des ex-FAR. Or les liens militaires franco-zaïrois ont été considérablement renforcés depuis l’opération Turquoise.

9 novembre 1994

Le Conseil de Sécurité de l’ONU crée un Tribunal pénal international ad hoc (TPIR) pour juger les actes de génocide et les crimes contre l’humanité commis en 1994 au Rwanda.

18 novembre 1994

A Paris, le nouveau ministre de la Coopération Bernard Debré déclare, sur RFI, que si " la politique française à l’égard du Rwanda est difficile à cerner [...], c’est que l’Elysée, le président Mitterrand, est très attaché à l’ancien Président Habyarimana et sa famille, et à tout ce qu’était l’ancien régime ".

21 novembre 1994

Selon le Secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali, " il y a des raisons de croire que ces éléments [les responsables du génocide] préparent une invasion armée du Rwanda ".

25 novembre 1994

Après des mois de blocage de toute aide financière au nouveau régime de Kigali, tant à la Banque mondiale qu’à l’Union Européenne (UE), la France cède à l’indignation croissante et accepte que l’UE accorde un premier soutien de 67 millions d’Ecus.

9 février 1995

La résolution 978 du Conseil de sécurité de l’ONU demande aux Etats membres d’arrêter les responsables présumés du génocide rwandais qui se trouveraient sur leur sol. La France obtient que cette résolution n’ait pas de caractère obligatoire.

17-19 sept. 1995

Visite au Rwanda de Xavier Emmanuelli, Secrétaire d’Etat à l’action humanitaire d’urgence. Il présente ce déplacement " comme premier pas d’une nouvelle relation avec ce pays ami de la France ".

Ces propos apparaissent contredits par une série de pressions diplomatiques, la bienveillance franco-zaïroise envers les ex-FAR en voie de reconstitution, et l’accueil en France de responsables présumés du génocide.

5 novembre 1995

Dans ses résolutions finales, le Colloque international de Kigali sur le génocide et l’impunité souligne la responsabilité de la France (ainsi que de la Belgique et de l’ONU) et lui demande de contribuer à l’indemnisation des victimes.


"Rwanda : depuis le 7 avril 1994, la France choisit le camp du génocide" / Dossier Noir numéro 1 / Agir ici et Survie / L’Harmattan, 1995