Le lecteur risque d’achever le parcours de ce Dossier avec une vision peu optimiste. Les favoris dans la course à l’Élysée semblent avoir un degré limité de liberté par rapport au village françafricain, lui-même en cours d’accoutumance à des pratiques mafieuses. L’assujettissement n’est évidemment pas aussi fort chez Edouard Balladur, Jacques Chirac et Lionel Jospin. Et, comme nous le soulignions en avant-propos, il restera toujours des marges de manoeuvre - fût-ce avec l’état d’esprit de Guillaume d’Orange, " Rien ne sert d’espérer pour entreprendre... ".
Mais l’on sait bien qu’un tel état d’esprit n’est pas que de raison, et qu’il ne suffit pas d’informer sur le caractère inacceptable de la politique franco-africaine pour que tous ceux auxquels cette information advient se dressent et la fassent chuter. Chacun, y compris parmi les plus concernés, pressent que de savoir vraiment l’intolérable pourrait contraindre moralement à agir : pour éviter de subir pareille contrainte, beaucoup s’arrangent pour éviter de savoir, ou maintiennent le savoir dans le flou - ce qui leur ménagera des excuses (" Nous ne savions pas... "). Accepter de quitter ses oeillères suppose de ne pas s’interdire d’avance les réactions que le savoir pourra susciter. L’information n’arrivera donc que si, la transmettant, l’on s’efforce de solliciter aussi le " coeur " - qui comprend aussi bien le besoin de dignité que la compassion, la générosité, la fraternité,...
Il s’agit ensuite de donner du coeur à l’ouvrage - assécher les marigots où prospèrent les caïmans françafricains, éclairer les zones d’ombre où ils font circuler leur argent noir. Cela implique de coaliser suffisamment de citoyens avertis, convaincus de la nécessité d’agir. Dans notre esprit, ces citoyens se rencontrent aussi bien en France qu’en Afrique : c’est leur intérêt commun de remplacer l’actuel noeud gordien par des relations contractuelles, au bénéfice du plus grand nombre. Si ces citoyens reçoivent un coup de main d’en haut (les occupants des palais officiels), tant mieux. Mais il est préférable de ne point trop l’escompter.
Se dessine là le projet d’une Coalition élargie, aux tâches nombreuses, requérant des aptitudes variées. Le principal talent sera de communiquer une envie, un désir : arrêter le gâchis (ce ne devrait pas être impossible au pays de la gastronomie) ; rompre avec le mensonge, pour ceux qui croient que la langue française peut véhiculer autre chose ; remettre à l’ordre du jour les droits de l’homme et la démocratie, pour ceux qui n’imaginent pas que la République puisse en divorcer...
Coalition C.F.A. (Citoyens France Afrique)
Pourquoi cette Coalition ?
La crise rwandaise comme révélateur.
La crise rwandaise a mis en lumière les ambiguïtés, voire le cynisme, de la politique française en Afrique. Les massacres et le génocide perpétrés par les forces militaires et paramilitaires (milices), longtemps formées, équipées, conseillées et protégées par la France, résultent en partie de sa complaisance à l’égard d’un régime qui, pour maintenir son pouvoir, a utilisé jusqu’à l’extrême l’argument ethnique. La tragédie rwandaise nous révèle le fondement de la politique française en Afrique : préserver une zone de clientélisme sous le drapeau francophone. C’est pourquoi l’objectif numéro un des autorités françaises aura été, tout au long de la guerre opposant les forces armées du régime Habyarimana au FPR, d’éviter à n’importe quel prix la victoire de ce dernier, jugé trop indépendant, ou trop perméable aux influences anglophones. C’est ainsi que le maréchal Mobutu, qui ruine systématiquement le Zaïre depuis plusieurs décennies, reste aux yeux des responsables français le champion du combat francophone contre les visées anglo-saxonnes - qu’incarnerait le Président ougandais Museveni.
La tragédie rwandaise appelle la mise en examen et la réforme d’une politique dont les dysfonctionnements empoisonnent les relations de coopération entre la France et l’Afrique.
Ce que nous ne voulons plus : une politique africaine échappant au contrôle démocratique et orientée vers des intérêts politiques et économiques à courte vue.
Les ressorts de la politique française au Rwanda et au Zaïre ne sont que les cas extrêmes, et connus du grand public, d’une politique qui s’applique avec la même constance au Togo, au Cameroun, au Gabon, au Tchad,... La direction de cette politique relève depuis 35 ans du "domaine réservé" présidentiel, sans que cela ne figure dans la Constitution de la Ve République. Elle échappe à tout contrôle démocratique, à tout débat sur ses objectifs et ses méthodes. Elle est élaborée entre chefs d’État, conseillers et hommes d’influence chargés de la défense d’intérêts économiques considérables, parfois concurrents (pétrole, uranium et autres minerais, construction civile et distribution d’eau, secteurs porteurs de la consommation - tabac, bière -, transport maritime et aérien). Un tel confinement renforce les avantages du pouvoir d’État en Afrique francophone, où les contre-pouvoirs politiques, syndicaux et associatifs ne sont pas toujours bien organisés. Ce pouvoir recourt alors à des moyens tels que la corruption, une armée clanique, le détournement de l’aide internationale, etc., pour renforcer sa position dominante, à l’abri d’accords de défense avec la France qui constituent une assurance tous risques contre l’alternance politique. Ces mêmes accords ont, de surcroît, installé un lobby militaro-africaniste aux dangereuses dérives. Et l’ensemble de ces pratiques altère jusqu’en France-même le fonctionnement de la démocratie.
C’est ce système de relations au fort relent colonial que nous souhaitons voir disparaître, au profit d’une coopération impliquant toutes les composantes de la société, d’échanges économiques visant au développement équitable et durable, de relations diplomatiques débattues démocratiquement.
Ce que nous demandons :
* La fin d’une gestion de la politique africaine sans équivalent dans les pays démocratiques. La cellule franco-africaine de l’Élysée ne doit plus être en mesure d’entreprendre des guerres secrètes, ni de gérer sans intermédiaire le dispositif de Coopération. La cohérence de cette politique doit être garantie par le pouvoir exécutif, contre les multiples réseaux et lobbies. Sa mise en oeuvre doit être soumise au contrôle du Parlement.
* La fin d’"accords de défense" complètement dévoyés, au profit d’une approche moins néo-coloniale et plus internationale de la sécurité du continent.
* La suspension des relations de coopération avec les régimes violant de manière flagrante et massive les droits de l’Homme. La liste de ces
pays devrait être examinée et votée par le Parlement lors de la discussion des budgets correspondants.
* Que plus aucune dépense budgétaire ne puisse être comptée en Aide Publique au Développement sans que son utilité pour le développement des populations bénéficiaires ne soit authentifiée a posteriori par une commission indépendante.
Ce que nous faisons ensemble :
* Informer les responsables politiques, l’opinion publique et nos propres adhérents sur le délabrement et les dangers de la politique africaine de la France, par des moyens variés : conception et diffusion de documents écrits, organisation de débats, propositions de formation...
* Saisir l’occasion des Sommets franco-africains ou de la Francophonie pour examiner les dérives de cette politique et proposer de fonder les relations franco-africaines sur des valeurs incontestables.
* Exercer une vigilance particulière par rapport à toutes les initiatives et décisions prises à l’Élysée en direction de l’Afrique.
* Relier aux perspectives de la coalition les actions propres à chacune de nos associations, qui seraient concernées par cet enjeu.
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