En marge de la coopération militaire officielle, les services secrets sont omniprésents sur le continent. A commencer par le plus célèbre d’entre eux, la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure, ex-SDECE, alias la " Piscine). Ce n’est pas Michel Roussin, ancien haut responsable de ce service, qui le contredira : en mars 1993, on lui confia le " portefeuille " de la rue Monsieur, et il peupla son cabinet d’encartés à la " Piscine ". Tous les chefs d’Etats africains du " pré carré " ont à leurs côtés un conseiller-Présidence, officier DGSE chargé de les conseiller dans les affaires délicates (23). Le plus souvent, cet officier est en guerre ouverte avec le chef de la mission de Coopération et avec le représentant de la SCTIP (Service de coopération technique internationale de police), qui relève du ministère de l’Intérieur, et fait aussi du renseignement. Bien que son nom n’y prédispose pas, ce ministère développe de plus en plus l’implantation africaine de son service de renseignement plus traditionnel, la DST (Direction de la surveillance du territoire) - tandis que l’armée double la DGSE d’un autre de ses services, la DRM (Direction du renseignement militaire), propulsée par Pierre Joxe. L’embrouille n’est pas qu’apparente, entre services concurrents, parfois champions de la manip’. Mais, comme pour les essais nucléaires, l’éventuel accident se déroule assez loin de l’Hexagone.
Cela n’empêche pas ces multiples " spécialistes " d’être les principaux inspirateurs, au jour le jour, des décideurs de la politique franco-africaine (24), en " ciblant " des ennemis et leur prêtant les plus noirs desseins. Mal sevrés de leur bréviaire antisoviétique, officiers, agents ou analystes tuent leurs loisirs dans les romans de Gérard de Villiers et y réinventent de nouvelles " missions de la France ". Ils forgent ainsi ce mille-feuilles de représentations débiles qui peuplent les officines françafricaines, leurs périodiques et leurs brain-trusts microcéphales. Dans une DGSE modelée par Foccart, et donc dépositaire de certains ressentiments gaullistes, les Anglo-Saxons et les anglophones sont le repoussoir idéal. D’autant que leurs places fortes ont la démographie avec elles : Nigéria, Ghana, Afrique du Sud et de l’Est. Dans ce contexte, l’Ouganda de Yoweri Museveni (" suppôt du FPR ", " pion des Anglo-Saxons ", accusé de vouloir " déstabiliser " la région jusqu’au Zaïre de l’ami Mobutu) et son émule rwandais le FPR de Paul Kagame, trop peu perméables au réseau des magouilles françafricaines, sont devenus de parfaits boucs émissaires. La DST et le SCTIP, instrumentalisés par un Charles Pasqua à l’américanophobie spectaculaire, ne sont pas en reste.
L’oisiveté est mère de tous les vices : en temps de paix relative, rien de tel que les services secrets pour vous inventer une guerre.
23. Citons, parmi les plus connus, Paul Fontbonne, auprès d’Idriss Déby, au Tchad (1990-94), et Jean-Claude Mantion auprès du général André Kolingba en Centrafrique (jusqu’en 1993) - deux " alliés " du régime génocidaire de Khartoum.
24. Cf. Dossier noir n° 3. Fiche n° 5 : Services secrets : l’intoxication.
"Présence militaire française en Afrique : dérives..." / Dossier Noir numéro 4 / Agir ici et Survie / L’Harmattan, 1995
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