Le 30 mars, les catholiques ont pris connaissance avec stupéfaction de la XIe encyclique du Saint-Père, "Evangelium vitæ". Elle s’ouvre sur une dénonciation traditionnelle de l’avortement et de l’euthanasie. Elle se poursuit par une mise en cause des démocraties et de la tyrannie qu’elles imposent en légiférant à l’encontre des lois "divines". Elle se conclut par une exhortation des fidèles "à résister aux lois injustes des hommes" au risque "d’aller en prison ou d’être tués".
Jean-Paul II ne se contente pas d’inviter à l’objection de conscience envers toute participation à l’avortement. Il invite les catholiques à s’opposer à l’avortement au risque de leur vie. Il prêche une nouvelle guerre sainte. En quelques lignes, il revient un siècle en arrière et conteste l’acceptation de la démocratie par l’Eglise romaine.
Pour le cardinal-archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, les "sauvetages" (c’est-à-dire les commandos anti-avortement) sont moralement légitimes s’ils restent non violents, même s’ils ne sont pas toujours opportuns. En d’autres termes, ne tuez pas les médecins avorteurs, mais empêchez le fonctionnement des centres d’IVG tout en ménageant les rapports de force politiques.
On pourrait considérer "Evangelium vitæ" comme une manifestation sectaire d’un pape finissant, sans incidence réelle en France. Ce serait méconnaître la stratégie de son auteur.Selon le cardinal Lopez-Trujillo, les premières années du pontificat de Jean-Paul II furent consacrées à hâter l’effondrement des Etats communistes d’Europe orientale, fondés sur l’idéologie marxiste d’inspiration diabolique. La seconde partie de son règne sera consacrée à la restauration des moeurs et de la foi en Europe occidentale. En effet, l’Europe libérale serait dominée par la "culture de la mort", autre idéologie diabolique instituant de fausses libertés comme celles issues de la prétendue égalité en droits des hommes et des femmes, de la libéralisation des crimes d’avortement et d’euthanasie, et de la promotion de l’homosexualité, qui, elle, blesserait gravement la dignité humaine.
Le projet de Jean-Paul II et de sa prélature personnelle, l’Opus Dei, c’est l’établissement d’une Europe chrétienne, cléricale et théocratique. Après la chute du communisme, son nouvel adversaire, c’est la démocratie libérale. C’est pourquoi il avait désigné comme responsables de la consultation du Sacré Collège les cardinaux les plus réactionnaires : Ratzinger, Lopez-Trujillo et Mgr Sgreccia. La rédaction du texte fut notamment confiée au père Michel Schooyans. Ce dernier, professeur à l’université de Louvain, ne cache pas que le véritable adversaire, c’est la démocratie, et que l’évocation de l’avortement n’est qu’un mode de mobilisation. Il a déjà testé ces idées dans ses ouvrages, notamment "Enjeu politique de l’avortement" et "La Dérive totalitaire du libéralisme".
Après des années d’équivoque, l’homme en blanc, l’autoproclamé "pèlerin des droits de l’homme", tombe le masque : son seul combat est celui de la Cité de Dieu, celui de saint Augustin tout autant que de Khomeiny. Craignant une contestation interne, comparable à celle qui suivit la promulgation de "Humanæ vitæ" par Paul VI, Jean-Paul II a verrouillé le système. Si "Evangelium vitæ" n’a pas l’intangibilité d’un dogme, l’encyclique se présente comme le développement pratique d’une vérité révélée. De plus, Jean-Paul II ne s’est pas seulement contenté, selon l’usage, de consulter ses cardinaux, il a aussi demandé leur avis aux présidents de conférences épiscopales. Dès lors, toute critique de l’encyclique pourrait être assimilée à l’abjuration d’un dogme ou à une rupture de la communion épiscopale.
Pour mener à bien sa déstabilisation du bloc de l’Est, Jean-Paul II s’était appuyé sur la Pologne. Non pas tant parce qu’elle est son pays d’origine, mais parce que les Polonais furent les adversaires les plus acharnés des Russes. Pour déstabiliser l’Europe de l’Ouest, il a choisi de s’appuyer sur la "Fille aînée de l’Eglise", la France.
En mai 1994, le cardinal Lopez-Trujillo a été envoyé "en visite privée" à Paris. Il a rencontré les principaux candidats de la liste du vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon. Il a sollicité et obtenu quelques soutiens pour eux trois semaines avant les élections européennes.
En juillet 1994 le Parlement adopta en urgence la loi sur la Famille. Ce fut une victoire du lobby coordonné par l’abbé Alain Maillard de la Morandais et qui fit oublier son échec sur la loi Falloux.
En octobre 1994, le pape a accordé une audience à Christine Boutin, député des Yvelines, et à Françoise Seillier, député européen. Il les a investies d’une mission politique pour préparer "la royauté du Christ".
En février 1995, le Saint-Siège a nettoyé l’épiscopat français en révoquant Mgr Gaillot.
En un temps bref, le Saint-Siège a fait avancer son projet de censure des médias. S’ensuivirent l’adoption de l’article Jolibois dans le nouveau code pénal rétablissant le délit de blasphème, à l’Assemblée nationale le rapport Boutin sur la télévision, au Sénat les rapports Gouteyron et Jolibois sur la distribution de la presse et le secret de l’instruction, à la Commission nationale consultative des droits de l’homme un avis sur la déontologie de la presse, avec partout un seul mot d’ordre : museler les journalistes, réprimer l’expression du sexe et de la violence...
Le 1er avril 1995, lors d’une réunion qui s’est tenue au prieuré Saint-Jean à Boulogne-Billancourt, l’Opus Dei a mis en place un système de surveillance des parlementaires. Chaque militant a été invité à prendre en charge la conversion d’un député ou d’un sénateur "par la prière, la réflexion et l’action efficace".
Très prochainement, une fondation défiscalisée sera constituée pour financer les mouvements anti-avortement. Ses statuts ont déjà été déposés au ministère de l’Intérieur, de généreux donateurs ont rassemblé en trois mois les cinq millions de francs de dotation initiale. Le Conseil d’Etat devra prochainement reconnaître l’utilité publique de son objet social. Son conseil d’administration devrait comprendre des députés, des conseillers d’Etat, le professeur Lucien Israël (président des comités de soutien au vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon) et un représentant du pape désigné au sein de l’académie pontificale Pro Vita.
Quand on se réclame de l’éternité, on a tout son temps. Jean-Paul II croit pouvoir disposer de sept ans pour rechristianiser la France. Pour le moment, il fait mettre en place les structures et les lois qui lui sont nécessaires.
Thierry Meyssan
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