Les nominations au gouvernement de Clara Lejeune (directrice de cabinet du ministre de la Solidarité entre les générations) et de son époux Hervé Gaymard (secrétaire d’Etat aux finances) marquent-elles des gages de Jacques Chirac aux commandos antiavortements ? On l’imagine... tant la famille Lejeune est active au sein du dispositif papal contre "la culture de la mort". Rétrospective.
Cursus vitæ
Pour comprendre le rôle politique en France et dans le monde de la famille Lejeune, il faut revenir en arrière et se remémorer la carrière du patriarche :
Jérôme Lejeune (13 juin 1926 - 3 avril 1994) suivit des études de médecine et fit partie de l’équipe qui découvrit en 1959 la cause du mongolisme. En 1961, il obtient un doctorat es sciences, et devient professeur de génétique fondamentale à l’hôpital Necker. Expert auprès de l’OMS en matière de génétique, il collectionna toute sa vie les récompenses académiques et les titres honorifiques.
En France il était membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences morales et politiques, dont il était pressenti pour assurer la présidence en 1995. Au sein de l’Institut de France, il menait farouchement campagne pour écarter des candidatures ou au contraire en soutenir d’autres selon des critères bien plus idéologiques que scientifiques. Ainsi y fit-il entrer, le 6 novembre 1992, son ami le cardinal Joseph Ratzinger ou bien, à l’inverse, quelques jours avant sa mort, agonisant sur une civière, se fit-il transporter en ambulance à l’Académie de médecine pour s’opposer à l’élection d’un confrère mal pensant.
Jérôme et Karol se retroussent les manches
Mais il était avant tout, selon les mots du pape Karol Wojtyla, un laïc engagé "prêt à devenir un signe de contradiction sans considération des pressions exercées par la société permissive". En clair, il se consacra à la lutte politique de l’Opus Dei d’instauration d’un gouvernement chrétien par le contrôle des moeurs.
En 1972, il réussit à convaincre la Cité catholique (organisation politique dévouée à la pénétration des valeurs morales par le biais culturel) de s’intégrer dans la stratégie mondiale de l’Opus, sans pour autant perdre son particularisme maurassien. Pendant vingt-deux ans, il participa chaque année au congrès de la Cité catholique, devenue ICTUS, sous la houlette de maître Jacques Trémollet de Villers, défenseur de Paul Touvier et du régime de Vichy.
Surtout, Jérôme Lejeune devint progressivement la personnalité mondiale de référence en matière de lutte contre l’avortement. Il fut particulièrement actif en France, son pays d’origine, aux Etats-Unis et au Danemark, patrie de son épouse Birthe Bringsted. Il mit en place des associations "pour le respect de la vie", dont Laissez-les vivre, Les femmes et les enfants d’abord, SOS Tout-petits et Secours aux futures mères. On lui doit divers ouvrages dont L’Enceinte concentrationnaire, ainsi que divers outils de propagande. D’abord, l’assimilation de l’avortement aux crimes contre l’humanité perpétrés par la dictature nazie, ce qui prend tout son relief quant on connaît sa complaisance pour Paul Touvier. Puis, la réalisation de vidéos, plus proches du film d’horreur que du documentaire, dénonçant le "génocide de l’avortement".
Des copies en ont été gracieusement offertes à chaque parlementaire par Christine Boutin, député (CDS) des Yvelines et consulteur du Vatican.
Ses actions de lobbying lui permettent de repousser en France plusieurs tentatives de dépénalisation de l’avortement sous Georges Pompidou. Tandis qu’aux Etats-Unis, il dépose un rapport en 1981 devant le Sénat, et intervient en 1989 au procès de Maryville, procès symbole qui a fait jurisprudence et permis le recul du droit à l’avortement sur le terrain juridique dans ce pays.
Membre du conseil d’administration de l’hôpital parisien Notre-Dame-du-Bon-Secours, il en fit licencier sans indemnités en 1987 les chercheurs qui pratiquaient des fécondations in vitro.
Jérôme Lejeune, nommé par le Saint-Père membre de l’Académie pontificale des sciences, devint le conseiller obligé de Jean-Paul II dans leur combat commun contre l’avortement. En 1991, les deux hommes constatèrent avec colère la rébellion de l’académie, qui refusa de jouer le rôle de caution scientifique du magistère. Aussi le pape décida-t-il de créer une académie distincte et mieux pensante pour les sciences humaines, l’Académie pontificale des sciences sociales, et une organisation godillot, l’Académie pontificale pour la vie (1), dont le professeur Lejeune fut naturellement le président.
Les obsèques de Jérôme Lejeune ont été célébrées en grande pompe le 6 avril 1994 en la cathédrale Notre-Dame-de-Paris par le cardinal Jean-Marie Lustiger et Mgr Lorenzo Antonetti, nonce apostolique. Dans un message d’action de grâce, Jean-Paul II a remercié Dieu pour l’oeuvre du défunt et a souligné le sens mystique de la mort du "défenseur de la vie" survenue le jour de Pâques, "fête de la résurrection du Christ".
Famille nombreuse, famille heureuse
Le 25 mai 1994, la veuve, les cinq enfants, la belle-fille et les deux gendres du défunt ont créé une Association des amis du professeur Lejeune. Domiciliée à Paris dans la demeure familiale transformée en résidence de l’Opus Dei, l’association a choisi l’inévitable Jean Foyer (ancien garde des Sceaux puis ministre de la Santé et président de l’Association des juristes pour le respect de la vie) comme président et l’historien contre-révolutionnaire Pierre Chaunu comme secrétaire général.
La famille Lejeune, mobilisée au grand complet, est aujourd’hui unie dans le combat posthume de son patriarche. La douairière, Birthe, est membre ad honorem de l’académie Pro Vita. La fille aînée, Anouk, est membre, ainsi que son époux, du conseil pontifical pour la famille aux côtés de Christine Boutin ; ils coorganisèrent le pèlerinage des Familles françaises à Rome du 6 au 9 octobre 1994. Le fils cadet, Damien, est devenu prêtre de L’OEuvre. Karin a épousé Jean-Marie Le Méné, un conseiller référendaire à la Cour des comptes.
Ensemble ils militent contre l’avortement tout en élevant les cinq enfants que la divine providence leur a donnés. Clara, après avoir appartenu au cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, vient d’être nommée directrice de cabinet de Colette Codaccioni. Hervé Gaymard, son époux et le père de ses cinq enfants, a été élu en 1993, sans mener campagne, député de la Savoie. Il fut en effet choisi comme suppléant du très catholique Michel Barnier, dont la promotion ministérielle était prévue. Il a activement participé au recours en annulation de la loi sur la bioéthique devant le Conseil constitutionnel. Pendant la campagne présidentielle, il est devenu le directeur de la communication de Jacques Chirac. Tout naturellement, il a été nommé secrétaire d’Etat aux finances dans le gouvernement Juppé.
Presque toute la tribu loge à Paris à quelques pas de la place Saint-Michel. Là, dans un havre de paix, cette famille exemplaire bâtit la "fondation Lejeune pour la vie" : une organisation qui, sous couvert de recherche médicale, pourra collecter des dons défiscalisés et financer les commandos antiavortements. Ils viennent d’en déposer les statuts au ministère de l’Intérieur après avoir réuni une dotation initiale de cinq millions de francs.
1. Motu proprio du 1er janvier 1994 et motu proprio du 11 février 1994.
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