Le vieil Antonio et le lion
Le vieil Antonio avait chassé un lion de montagne (qui ressemble beaucoup au puma américain) avec son vieux mousquet (fusil à silex). Je m’étais moqué de son arme quelques jours auparavant : "On se servait de ces armes quand Hernán Cortés a conquis le Mexique", lui avais-je dit. Il s’était défendu : "Oui, mais regarde entre quelles mains elle se trouve maintenant." Il arrachait à présent les derniers bouts de viande de la peau avant de la tanner. Il me montre fièrement la peau. Pas le moindre trou. "En plein dans l’oeil", se vante-t-il.
"C’est le seul moyen de préserver la peau intacte", ajoute-t-il. "Et qu’allez-vous faire de la peau ?" je lui demande. Le vieil Antonio ne me répond pas, il continue de racler la peau du lion avec sa machette, silencieux. Je m’assieds à côté de lui et, après avoir bourré ma pipe, je lui confectionne tant bien que mal une cigarette avec une feuille de maïs. Je la lui tends sans un mot, il l’examine et la défait. "C’est pas encore ça", me dit-il en la refaisant. Nous nous asseyons pour procéder ensemble à cette cérémonie de fumeurs.Entre deux bouffées, le vieil Antonio tisse son histoire :
– "Le lion est fort parce que les autres animaux sont faibles. Le lion mange la viande des autres parce que les autres se laissent manger. Le lion ne tue pas avec ses griffes ou ses crocs. Il tue par le regard. D’abord, il s’approche lentement... en silence, parce qu’il a des nuages aux pattes qui tuent le bruit. Puis il saute et renverse sa victime, d’un coup de patte qui l’abat plus par la surprise que par la force.
"Puis il continue de la regarder. Il regarde sa proie. Comme ça... (et le vieil Antonio de froncer les sourcils et de me planter ses yeux noirs). Le pauvre petit animal qui va mourir ne peut que regarder, il regarde le lion le regarder. Le petit animal ne se voit plus lui-même, il regarde ce que regarde le lion, il regarde l’image du petit animal dans le regard du lion, il regarde à quel point, dans le regard du lion qui le regarde, il est petit et faible. Le petit animal ne se demandait même pas s’il était petit et faible, il n’était qu’un petit animal, ni grand ni petit, ni fort ni faible. Mais maintenant qu’il se regarde dans le regard du lion, il voit la peur.
Et voyant qu’on le regarde, le petit animal se convainc lui-même, tout seul, qu’il est petit et faible. Et, dans la peur qu’il voit que le lion voit, il a peur. Alors le petit animal ne regarde plus rien, ses os se figent, comme nous quand l’eau nous prend dans la montagne, la nuit, dans le froid. Alors, le petit animal se rend comme ça, il s’abandonne, et le lion le croque sans problème. Voilà comment le lion tue. Il tue en regardant.
Mais il existe un petit animal qui ne fait pas comme ça, et qui lorsque le lion l’attrape n’y fait pas attention et continue comme si de rien n’était, et si le lion le frappe, il répond de ses petites mains, qui sont petites mais qui font mal lorsqu’elles font couler le sang. Et cet animal ne se laisse pas faire par le lion parce qu’il ne voit pas qu’on le regarde... il est aveugle. Des taupes, voilà comment on appelle ces petits animaux."
On dirait que le vieil Antonio a fini de parler. Je risque un "Oui, mais..." Le vieil Antonio ne me laisse pas continuer, il poursuit son histoire en se roulant une autre cigarette. Il procède lentement, tournant souvent la tête pour s’assurer que je suis bien attentif.
"La taupe est devenue aveugle parce que, plutôt que de regarder vers l’extérieur, elle s’est mise à regarder son coeur, elle s’est forcée à regarder au-dedans. Et personne ne sait pourquoi il lui est passé par la tête de regarder au-dedans. Et voilà cette taupe ignorante qui se regarde le coeur et ne se soucie donc pas de savoir qui est fort ou faible, qui est grand ou petit, parce que le coeur est le coeur et qu’on ne le mesure pas comme on mesure les choses ou les animaux.
Et cette façon de se regarder le coeur, seuls les dieux pouvaient le faire, alors les dieux ont puni la taupe en ne la laissant plus regarder au-dehors et en plus, ils l’ont condamnée à vivre et marcher sous la terre. C’est pourquoi la taupe vit sous la terre, parce que les dieux l’ont punie. Et la taupe n’a même pas ressenti de chagrin parce qu’elle a continué à se regarder dedans. C’est pour ça que la taupe n’a pas peur du lion. Pas plus que n’a peur du lion l’homme qui sait se regarder le coeur.
Parce que l’homme qui sait regarder son coeur ne voit pas la force du lion, il voit la force de son coeur, alors il regarde le lion, et le lion voit que l’homme le regarde et voit ce que l’homme regarde, et le lion voit, dans le regard de l’homme, qu’il n’est qu’un lion, et le lion voit qu’on le regarde, il prend peur et s’enfuit."
Ici rien n’a changé. Il n’y a toujours pas de démocratie
(8 octobre 1994)
Post-scriptum qui dévoile l’un des mystères de l’Euzèdélaine. Un vent violent, de travers, amer et sucré à la fois, traîne un papier jusqu’aux pieds d’un paysan indigène. Sur le papier, on peut lire :
"Déclaration de principes de l’EZLN"
Il faut une certaine dose de tendresse
pour se mettre à marcher avec tout ce qui s’y oppose,
pour se réveiller avec tant de nuit dessus.
Il faut une certaine dose de tendresse
pour deviner, dans cette obscurité, un filet de lumière,
pour faire du devoir et de la vergogne un ordre.
Il faut une certaine dose de tendresse
pour virer de là tant de fils de pute
qui se promènent par là.
Mais parfois il ne suffit pas
d’une certaine dose de tendresse
il faut y ajouter...
une certaine dose de plomb.
Histoire de Paticha
(...) Paticha voulait être zapatiste quand elle serait grande. Cette date probable était, pour Paticha, très proche puisque, d’après ses calculs, à six ans on est assez grand pour traverser la frontière de la rivière et partir avec ces hommes et ces femmes qui marchent la nuit, transportant des armes et des nuages pour protéger leur chemin.
Un après-midi, alors que nous tentions seuls la traversée de la rivière parce que personne n’était venu nous aider, Artemio apparut les yeux embués de larmes. Paticha était malade et la fièvre commençait à l’emporter loin de nous. Nous renonçâmes à cette traversée hasardeuse et nous rendîmes à la cabane d’Artemio. Paticha brûlait de tremblements fièvreux.
Ses yeux brillants trouvèrent à nouveau la pipe entre mes lèvres, et elle y risqua de nouveau sa petite main. Cette fois, la chaleur du foyer ne la brûla pas puiqu’elle était déja brûlante des derniers tremblements. Je lâchai la pipe dans sa main qui reposa le long de son corps. Nous fîmes tout ce qui était possible sur place, sans médicaments, sans docteur, sans rien, et la nuit tombée, les chiffons mouillés sur le corps de Paticha séchaient rapidement ; nous la baignâmes plusieurs fois tout habillée et la pipe dans la main.
En quatre heures, elle avait quitté nos mains et la vie... Elle cessa de trembler, ferma les yeux et, finalement, se mit à refroidir, refroidir... La fièvre l’abandonnait en même temps que la vie. Sa petite main resta accrochée à la pipe, et c’est avec elle que nous l’enterrions le lendemain.
Paticha n’a jamais existé aux yeux de ce pays, elle n’est jamais morte parce que sa naissance n’a été inscrite sur aucun registre. "Non nato", c’est-à-dire "non né", telle serait plus tard la mention sur un document perdu parmi tant de bureaux et de fonctionnaires. Des enfants comme Paticha, il y en a eu et il y en a beaucoup qui partagent ces peines et ces douleurs. Ils ne sont jamais morts parce qu’ils ne sont jamais nés.
Ce sont des morts qui ne valent rien et ne comptent pas lors de l’assignation de budgets, ou lors d’élections avec une "époustouflante majorité" pour les candidats des "majorités", ni lors de la signature de traités internationaux de commerce.Je me suis trouvé une autre pipe, mais le petit morceau de coeur qui s’est enfui avec Paticha, je n’ai pu le remplacer d’aucune façon.
Il est douloureux de savoir que l’histoire de Paticha n’est pas une fable, que c’est une réalité courante dans notre Patrie. Mais ça n’est pas le plus terrible : ce qui est sinistre, c’est que nous soyons obligés de prendre les armes contre le Gouvernement suprême pour que vous, enfants d’autres terres, connaissiez cette histoire et constatiez que ce qu’il se passe n’est pas juste. Les Patichas qui ne naissent jamais et meurent toujours, pullulent sous les cieux du Mexique.
Je vous demande si nous pouvons continuer de connaître ces injustices et faire comme si de rien n’était, comme si personne n’était né et personne n’était mort. Je vous demande si, sachant cela, nous devons nous contenter de la montagne de promesses avec laquelle le mauvais gouvernement compte nous arracher nos armes et notre dignité. Je vous demande si, avec ce gros poids sur la poitrine, nous devons nous rendre. Je suis sûr que non. Ne l’oubliez pas, ne nous oubliez pas.
Salut et bonne chance pour vos examens. Appliquez-vous en Histoire, sans elle tout est inutile et dépourvu de sens. Voilà.
Montagnes du Sud-Est mexicain.
Sous-commandant Insurgé Marcos.
Dignité indienne
Mourir proprement
La paix que certains demandent aujourd’hui a toujours été une guerre pour nous, et il semble que les grands seigneurs de la terre, du commerce, de l’industrie et de l’argent sont gênés par ces Indiens qui vont mourir dans les villes et salissent leurs rues, qui n’étaient jusqu’alors souillées que par les emballages de produits importés ; ils préféreraient les voir continuer de mourir dans les montagnes, loin des bonnes consciences et du tourisme.
Sur la reconnaissance du combat des indigènes
Cette histoire de l’EZLN qui serait une "force politique en formation" doit être une blague de monsieur Córdova. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que la misère indigène n’existe pas, mais qu’elle "est en formation" ? Qu’il n’y a jamais eu de 1er janvier 1994, mais qu’il "est en formation" ? Qu’il n’y a pas des milliers d’indigènes en armes (1.500 disent les ingénus du Pentagone), mais qu’ils "sont en formation"
Pourquoi cette insistance à nier une réalité ? Croit-on encore pouvoir tromper la société ou espère-t-on se rassurer soi-même par cette négation "en formation" ? Que vont-ils faire ? Répéter un million de fois : "L’EZLN n’existe pas, il est en formation" ? Pour quoi faire ? Dans l’espoir que ce mensonge, à force d’être répété, devienne réalité ?
Pourquoi tout le monde se tait-il ? C’est ça, la "démocratie" qu’on voulait ? La complicité avec le mensonge ? Faire la sourde oreille lorsque, après avoir jeté aux quatre vents le louable message démocratique de huit partis politiques, monsieur Salinas de Gortari a le cynisme de soutenir explicitement le candidat du PRI ?
Voilà la démocratie qu’on nous propose si nous déposons les armes ? Une démocratie dans laquelle le Gouvernement fédéral est juge et partie du processus électoral ? Pourquoi le gouvernement retire-t-il de l’ordre du jour du dialogue le point concernant la politique nationale ?
Les indigènes du Chiapas sont "mexicains" lorsqu’il s’agit de les exploiter, mais ils ne peuvent même pas donner leur opinion lorsqu’il est question de politique nationale ? Le pays veut le pétrole du Chiapas, l’énergie électrique du Chiapas, les matières premières du Chiapas, la force de travail du Chiapas et enfin le sang du Chiapas mais PAS L’AVIS DES INDIGENES DU CHIAPAS sur la marche du pays ? A quelle catégorie de citoyens appartiennent les indigènes chiapanèques ? A celle des "citoyens en formation" ?
Pour le Gouvernement fédéral, les indigènes restent-ils donc des petits enfants, c’est-à-dire des "adultes en formation" ? Quand comprendront-ils ? Combien de sang faut-il encore pour qu’ils comprennent que nous voulons du respect, pas la charité ? Toute tentative de parler semble inutile, le Gouvernement fédéral ne veut parler qu’à lui-même. Pourquoi personne ne prend la peine de dire au Gouvernement fédéral que ce qu’il présente, c’est un monologue, pas un dialogue ? Ou bien le monologue serait-il un "dialogue en formation" ?
Qui est l’étranger ?
Qui est l’étranger, demandons-nous ? (...) Celui qui voit en l’empire de l’aigle rapace l’image du bonheur et soupire pour mieux imiter la superbe qui opprime d’autres terres ? (...) Celui qui renie la couleur obscure de la peau, a honte de son passé et utilise le mot "indien" comme insulte et mode de discrédit ?
De quoi faut-il nous pardonner ?
(18 janvier 1994)
(...) Jusqu’à ce jour, 18 janvier 1994, nous n’avons eu connaissance que du "pardon" que propose le gouvernement fédéral à nos hommes [1]. De quoi devrions-nous nous excuser ? De quoi compte-t-on nous pardonner ? De ne pas mourir de faim ? De ne pas nous taire dans notre misère ? De ne pas avoir humblement supporté le poids historique écrasant du mépris et de l’abandon ?
D’avoir pris les armes après avoir constaté que toutes les autres voies étaient closes ? De ne pas avoir observé le Code pénal du Chiapas, le plus absurde et le plus répressif qu’on ait en mémoire ? D’avoir montré au reste du pays et au monde entier que la dignité humaine existe encore et qu’on la trouve chez les habitants les plus démunis ? De nous être préparés consciencieusement avant de commencer ?
D’avoir porté des fusils au combat, plutôt que des arcs et des flèches ? D’avoir appris à nous battre avant de commencer à le faire ? D’être tous mexicains ? D’être en majorité des indigènes ? D’appeler le peuple mexicain tout entier à lutter de toutes les façons possibles pour ce qui lui appartient ? De lutter pour la liberté, la démocratie et la justice ? De ne pas suivre la voie des chefs des guerrillas précédentes [2] ? De ne pas nous rendre ? De ne pas nous vendre ? De ne pas nous trahir ?
Qui doit demander pardon et qui peut l’accorder ? Ceux qui, des années et des années durant, se sont mis à une table copieuse et se sont rassasiés pendant qu’à nos côtés s’asseyait la mort, tellement quotidienne, tellement nôtre qu’on a fini par ne plus la craindre ? Ceux qui nous ont rempli les poches et les coeurs de déclarations et de promesses ?
Les morts, nos morts, si mortellement morts de mort "naturelle", c’est-à-dire de rougeole, de coqueluche, de dengue, de choléra, de typhoïde, de mononucléose, de tétanos, de pneumonie, de paludisme et autres délices gastro-intestinaux et pulmonaires ?
Nos morts, si majoritairement morts, si démocratiquement morts de tristesse parce que personne ne faisait rien, parce que tous les morts, nos morts, s’en allaient comme ça, sans que personne n’en tienne le compte, sans que personne ne vienne enfin prononcer le "CA SUFFIT !" qui rendrait à ces morts leur sens, sans que personne ne demande aux morts de toujours, nos morts, qu’ils meurent à nouveau, mais pour revivre, cette fois.
Ceux qui nous ont refusé le droit naturel de gouverner et de se gouverner ? Ceux qui ont nié le respect dû à nos coutumes, notre couleur, notre langue ? Ceux qui nous traitent comme des étrangers sur notre propre sol et nous demandent de produire des papiers et de nous soumettre à une loi dont nous ignorons l’existence et l’équité ? Ceux qui nous ont torturés, capturés, assassinés et faits disparaître pour le grave "délit" de vouloir un morceau de terre, pas un gros morceau, pas un petit morceau, juste un morceau dont on pourrait extraire de quoi se remplir un peu l’estomac ? Qui doit demander pardon, et qui peut l’accorder ?
Le président de la République ? Les ministres ? Les sénateurs ? Les députés ? Les gouverneurs ? Les maires ? Les policiers ? L’armée fédérale ? Les grands seigneurs de la banque, de l’industrie, du commerce et de la terre ? Les partis politiques ? Les intellectuels ? Les revues "Galio" et "Nexos" ? Les médias ? Les étudiants ? Les enseignants ? Les colons ? Les ouvriers ? Les paysans ? Les indigènes ? Ceux qui sont morts pour rien ?Qui doit demander pardon, et qui peut l’accorder ?
Bon, c’est tout pour le moment.
Salut et accolade, et par ce froid, les deux sont appréciables (je crois), même s’ils viennent d’un "professionnel de la violence".
Sous-commandant Insurgé Marcos
Les hommes sans visage
Bas les masques
Pourquoi tant de scandales au sujet des passe-montagnes ? La culture politique mexicaine n’est-elle pas une culture de masques ? (...) Je fais la proposition suivante : je suis prêt à retirer ma cagoule si la société mexicaine retire le masque que lui ont apposé des intérêts à vocation étrangère depuis des années. Que se passera-t-il alors ? C’est prévisible : la société civile mexicaine (à part les zapatistes qui me connaissent parfaitement en image, en pensée, en paroles et à l’ouvrage) s’apercevra, non sans déception, que le "sup Marcos" n’est pas étranger et qu’il n’est pas aussi beau que ne le laissait croire la "demi-filiation" de la PGR (3). Mais ce n’est pas tout, en retirant son propre masque, la société civile mexicaine se rendra brutalement compte que l’image qu’on lui avait vendue d’elle-même est fausse et que la réalité est bien plus accablante. L’une et l’autre nous montrerions nos visages, mais la grande différence, c’est que le "sup Marcos" a toujours su quel était son vrai visage, alors que la société civile mexicaine s’éveillera d’un long rêve paresseux que lui a imposé la "modernité" envers et contre tout et tous.
Le "sup Marcos" est prêt à retirer son passe-montagne, la société civile mexicaine est-elle prête à abaisser son masque ? Ne manquez pas le prochain épisode de cette histoire de masques et de visages qui s’exposent et se cachent (si les avions, les hélicoptères et les masques vert olive le permettent).
3. PGR : Bureau du procureur général de la République, police judiciaire, qui a longtemps insisté sur le fait que Marcos est métis, pas indigène.
Le 1er janvier
Beaucoup d’entre nous avaient brûlé leurs navires ce matin-là, et il nous a fallu assumer cette lourde démarche, coiffés des passe-montagnes qui nous cachaient le visage. Nous avons été nombreux à effectuer ce premier pas sans retour, déjà conscients qu’au bout nous attendait une mort certaine ou un improbable triomphe. Prendre le pouvoir ? Non, quelque chose d’à peine plus difficile : un nouveau monde.
Plus jamais seuls
Nous, zapatistes, ne serons plus jamais seuls...
Vérité payée
"Non, non et non !", dis-je face à l’étonnement de celui qui essaie de me convaincre de signer une espèce de contrat d’exclusivité pour la publication des communiqués et des lettres de l’EZLN. "Vous laissez passer là une magnifique source de revenus", insiste-t-il.
"Vous ne pouvez pas être si habiles en politique et si maladroits en économie", dit l’autre. J’allume ma pipe, et j’en mâchouille le bec autant que mes paroles lorsque je lui dis : "Nous écrivons parce que nous en avons envie, comme ça, pas pour gagner de l’argent, de même que nous luttons comme ça, parce que nous en avons envie."
Nous nous quittons en nous traitant de tous les noms. Moisés, qui est resté attentif et silencieux pendant toute la discussion, déplie une bâche pour nous protéger de la pluie. "Qu’est-ce qu’ils voulaient, alors ?", demande-t-il. Je lui réponds, après une bonne glissade dans la boue : "Nous payer ce que nous écrivons." Moisés me regarde, étonné. Il cligne des yeux, et s’aventure : "Parce que pour dire la vérité, on peut se faire payer ?"
Gâchette
Tout ce que nous avons fait, c’est donner une gâchette à l’espoir.
Venez...
Venez. Nous sommes là où nous sommes nés et où nous avons grandi, où se trouve le grand coeur qui nous soutient, où reposent nos morts et l’Histoire. Nous sommes là, dans les montagnes du Sud-Est mexicain... venez nous chercher..., nous saurons recevoir chacun comme il le mérite..., bien ou mal...
Post-scriptum majoritaire déguisé en minorité non tolérée
A propos de tout ce qui se dit sur l’éventuelle homosexualité de Marcos : Marcos est gay à San Francisco, noir en Afrique du Sud, asiatique en Europe, chicano [3] à San Isidro, anarchiste en Espagne, palestinien en Israël, indigène dans les rues de San Cristóbal, bande de voyous à Neza, rocker dans la cité universitaire, juif en Allemagne, ombudsman (défenseur du peuple) à la Sedena [4], féministe dans les partis politiques, communiste dans l’après-guerre froide, prisonnier à Cintalapa, pacifiste en Bosnie, Mapuche [5] dans les Andes, professeur dans la CNTE [6], artiste sans galerie ni portefeuille, maîtresse de maison un samedi soir dans n’importe quelle colonie de n’importe quelle ville de n’importe quel Mexique, guérillero dans le Mexique de la fin du XXe siècle, gréviste à la CTM [7], journaliste bouche-trou dans les pages intérieures, machiste dans le mouvement féministe, femme seule dans le métro à 22 heures, retraité qui fait le piquet au Zócalo, paysan sans terre, éditeur marginal, ouvrier au chômage, médecin sans cabinet, étudiant non conforme, dissident du néolibéralisme, écrivain sans livres ni lecteurs, et, pour sûr, zapatiste du Sud-Est mexicain.
Finalement, Marcos est un être humain quelconque de ce monde. Marcos est toutes les minorités non tolérées, opprimées, qui résistent, qui explosent et disent : "Ça suffit !"
Tout ce qui est minorité au moment de parler et majorité au moment de se taire et de tenir bon. Tous les exclus qui cherchent la parole, leur parole, quelque chose qui rende la majorité aux éternels fragmentés, nous. Tout ce qui dérange le pouvoir et les bonnes consciences, tout cela est Marcos .
Il n’y a pas de quoi, messieurs de la PGR [8], je suis là pour vous servir... du plomb.
Au sujet de la Convention nationale démocratique
Au sujet des formes de lutte
(20 janvier 1994)
Nous, les derniers des citoyens mexicains et premiers des patriotes, avons compris au départ que nos problèmes, et ceux de la Patrie tout entière, ne pourront être résolus qu’au moyen d’un mouvement national révolutionnaire autour de trois revendications principales : liberté, démocratie et justice.
Notre forme de lutte n’est pas la seule, et peut-être pour beaucoup n’est-elle même pas la meilleure. Il existe, et elles ont une grande valeur, d’autres formes de lutte. Notre organisation n’est pas la seule, et peut-être n’est-elle même pas la préférée de beaucoup. Il existe, et elles ont une grande valeur, d’autres organisations honnêtes, progressistes et indépendantes.
L’Armée zapatiste de libération nationale n’a jamais prétendu que la forme de sa lutte était la seule légitime. En fait, pour nous, c’est la seule voie qu’on nous ait laissée. L’EZLN salue le développement honnête et conséquent de toutes les formes de lutte qui nous mènent, tous, à la liberté, la démocratie et la justice. L’Armée zapatiste de libération nationale n’a jamais prétendu que son organisation était la seule véritable, honnête et révolutionnaire du Mexique ou du Chiapas.
En fait, c’est ainsi que nous nous sommes organisés parce qu’on ne nous a pas laissés le faire autrement. L’EZLN salue le développement honnête et conséquent de toutes les organisations indépendantes et progressistes qui luttent pour la liberté, la démocratie et la justice pour la Patrie tout entière. Il existe et il existera d’autres organisations révolutionnaires. Il existe et il existera d’autres armées populaires.
Nous n’avons pas la prétention de rassembler sous notre drapeau zapatiste tous les Mexicains honnêtes. Nous offrons notre drapeau. Mais il existe un drapeau plus grand et plus puissant qui peut tous nous accueillir. Le drapeau d’un mouvement national révolutionnaire qui ferait la place aux plus diverses tendances, aux pensées les plus variées, aux différentes manières de lutter, mais qui ne représenterait qu’une seule volonté, un seul but : la liberté, la démocratie, la justice.
Deuxième déclaration de la jungle Lacandone
(10 juin 1994)
Nous ne proposons pas un monde nouveau, tout juste une étape bien antérieure : l’antichambre du nouveau Mexique. En ce sens, cette révolution n’aboutira pas à une nouvelle classe, un nouveau fragment de classe ou un nouveau groupe au pouvoir, mais à un "espace" libre et démocratique de lutte politique. Cet "espace" libre et démocratique naîtra sur le cadavre malodorant du système de parti-Etat et de présidentialisme.
Un nouveau rapport politique naîtra. Une nouvelle politique dont la base ne sera pas une confrontation entre organisations politiques, mais la confrontation de ses propositions politiques avec les différentes classes sociales, car c’est du soutien RÉEL de celles-ci que dépendra la titularisation du pouvoir politique, pas son exercice. Dans cette nouvelle relation politique, les différentes propositions de système et d’orientation (socialisme, capitalisme, social-démocratie, libéralisme, démocratie chrétienne, etc.) devront convaincre la majorité de la Nation que leur programme est le meilleur pour le pays.
Mais pas seulement cela, ils se sauront également "surveillés" par ce pays qu’ils conduiront de manière à être obligés de rendre des comptes réguliers, et dépendront du vouloir de la Nation concernant leur permanence au pouvoir ou leur remplacement. Le plébiscite est une forme réglée de confrontation Pouvoir-Parti politique-Nation et mérite une place significative dans la Loi suprême du pays.
La législation mexicaine actuelle est trop étroite pour ces nouveaux rapports politiques entre gouvernants et gouvernés. Il faut une CONVENTION NATIONALE DEMOCRATIQUE dont émanera un GOUVERNEMENT PROVISOIRE ou de TRANSITION, que ce soit par démission de l’éxécutif fédéral ou par voie électorale.
LA CONVENTION NATIONALE DEMOCRATIQUE ET LE GOUVERNEMENT DE TRANSITION doivent déboucher sur une nouvelle Carta magna dans le cadre de laquelle seront organisées de nouvelles élections. Les souffrances qu’un tel processus signifiera pour le pays seront toujours moindres comparées au tort que causerait une guerre civile.
La prophétie du Sud-Est vaut pour tout le pays, nous pouvons déjà tirer les enseignements de ce qui s’est passé et rendre moins douloureux l’accouchement du nouveau Mexique.
Tous ces voleurs de l’espoir supposent que derrière nos armes se cachent l’ambition et une volonté de jouer les premiers rôles, et que cela déterminera notre action dans le futur. Ils se trompent. Derrière nos armes à feu, il y a d’autres armes, celle de la raison. Et toutes sont animées par l’espoir. Nous ne nous en laisserons pas priver.
L’espoir armé a connu son heure au début de l’année. Il est à présent souhaitable qu’il attende. Il est souhaitable que l’espoir qui accompagne les grandes mobilisations reprenne la première place, qui lui correspond en droit et à raison. Le drapeau est à présent entre les mains de ceux qui ont un nom et un visage, d’honnêtes et bonnes gens qui empruntent des voies qui ne sont pas les nôtres, mais dont la destination est la même que celle qui guide nos pas.
Nous saluons ces hommes et ces femmes, nous les saluons et faisons le voeu qu’ils portent ce drapeau à l’endroit où il doit être. Nous attendrons, debout et dignement. Si ce drapeau tombe, nous saurons le relever...Que l’espoir s’organise, qu’il aille maintenant dans les vallées et les villes comme il est allé hier dans les montagnes. Battez-vous avec vos armes, ne vous occupez pas de nous. Nous saurons résister jusqu’au dernier. Nous saurons attendre... et nous saurons revenir si toutes les portes se ferment à nouveau, pour que la dignité poursuive son chemin.
C’est pourquoi nous nous adressons à nos frères des organisations non gouvernementales, des organisations paysannes et indigènes, aux travailleurs de la campagne et de la ville, aux enseignants et étudiants, aux femmes au foyer et aux fermiers, aux artistes et aux intellectuels, aux partis indépendants du Mexique :Nous vous appelons à un dialogue national sur le thème de la Démocratie, la Liberté et la Justice. C’est pourquoi nous lançons la présente convocation à la Convention nationale démocratique.
Nous appelons à la réalisation d’une Convention démocratique nationale, souveraine et révolutionnaire, d’où sortiront les propositions d’un gouvernement de transition et une nouvelle Loi nationale, une nouvelle Constitution qui garantisse le respect réel de la volonté populaire.
La Convention révolutionnaire souveraine sera nationale, sa composition et ses représentants devront inclure tous les Etats de la Fédération, plurielle en ce sens que les forces patriotes pourront y être représentées, et démocratique dans la prise de décisions, par le recours à la consultation nationale.
La Convention sera présidée, de façon libre et volontaire, par des civils, personnalités publiques au prestige reconnu, quels que soient leur appartenance politique, leur race, leur religion, leur sexe ou leur âge.
La Convention se formera à travers des comités locaux, régionaux et d’Etat dans les ejidos , les fermes, les écoles et les usines par des civils. Ces comités de la Convention se chargeront de recueillir les propositions populaires pour la nouvelle Loi constitutionnelle et les missions du nouveau gouvernement qui en émanera.
La Convention doit exiger la tenue d’élections libres et démocratiques, et lutter sans relâche pour le respect de la volonté populaire.
L’Armée zapatiste de libération nationale reconnaîtra la Convention démocratique nationale comme authentique représentante des intérêts du peuple mexicain dans sa transition vers la démocratie.
Des montagnes du Sud-Est mexicain.
CCRI-CG de l’EZLN.
Sur le Chiapas
(1992)
Bienvenue !... Vous êtes arrivé dans l’Etat le plus pauvre du pays : le Chiapas.
Le Chiapas saigne par des milliers de chemins : des oléoducs et des gazoducs, des lignes électriques et des wagons de chemin de fer, par la voie de comptes en banque, par camions et camionnettes, par des sentiers clandestins, des chemins de terrassement, par brèches et trous ; cette terre continue de payer son tribut aux empires : pétrole, énergie électrique, bétail, argent, café, bananes, miel, maïs, cacao, tabac, sucre, soja, sorgho, melon, mamey [9], tamarins et avocats, et le sang du Chiapas coule par les mille et une morsures des crocs du pillage dans la gorge du sud-est mexicain. Dans le Chiapas, les quatre-vingt-six dents de Pemex [10] sont plantées dans les communes de Estación Juarez, Reforma, Ostuacán, Pichucalco et Ocosingo.
Chaque jour, elles sucent 92.000 barrils de pétrole et environ 155 milliards de mètres cubes de gaz. Elles emportent le gaz et le pétrole et laissent en échange la marque du capitalisme : destruction écologique, dénuement agricole, hyperinflation, alcoolisme, prostitution et pauvreté.
La bête ne se contente pas de cela et étend ses tentacules à la jungle Lacandone : huit gisements de pétrole sont à l’étude. Les brèches sont ouvertes à la pointe des machettes, celles qu’empoignent ces paysans qui se sont vus dépossédés de leurs terres par la bête insatiable.
Les arbres tombent, les déflagrations de dynamite résonnent à travers des terres où seuls les paysans n’ont pas le droit d’abattre les arbres pour y semer. Chaque arbre abattu peut leur coûter une amende équivalant à dix fois le salaire minimum et une peine de prison. Le pauvre ne peut abattre les arbres ; la bête pétrolière, entre des mains chaque fois plus étrangères, oui. Le paysan déboise pour vivre ; la bête déboise pour piller.
La santé des Chiapanèques est un criant exemple de l’emprise capitaliste : un million cinq cent mille personnes ne disposent d’aucun service médical. On dénombre 0,2 cabinet par millier d’habitants, soit cinq fois moins que la moyenne nationale. Il y a 0,3 lit d’hôpital par millier d’habitants, trois fois moins que dans le reste du Mexique ; il y a un chirurgien pour cent mille habitants, deux fois moins que dans tout le pays ; 0,5 médecin et 0,4 infirmière par millier de personnes, deux fois moins que la moyenne nationale.
La santé et l’alimentation rivalisent de misère. 54% de la population du Chiapas souffre de malnutrition, chiffre qui dépasse les 80% dans les hauteurs et la jungle. L’alimentation moyenne d’un paysan est constituée de café, de pozol [11], de tortillas et de haricots.
Voilà tout ce que laisse le capitalisme en rétribution pour ce qu’il emporte.
San Cristóbal est un grand marché : par des milliers de chemins arrive le tribut indigène au capitalisme ; Tzotzils, Tzeltals, Chols, Tojolabals et Zoques, tous apportent quelque chose : du bois, du café, du bétail, des tissus, des produits artisanaux, des fruits, des légumes, du maïs. Tous emportent quelque chose : maladie, ignorance, moquerie et mort. De l’Etat le plus pauvre du Mexique, c’est la plus pauvre région. Bienvenue à San Cristóbal de las Casas, "ville coloniale" comme le disent les coletos [12], mais la majeure partie de la population est indigène.
Bienvenue au grand marché rénové par Pronasol. Ici tout s’achète et se vend, sauf la dignité indigène. Ici tout est cher, sauf la mort.
Ne descendez pas là-bas, ne marchez pas pendant trois journées de huit heures, n’arrivez pas à San Martín, ne voyez pas qu’il s’agit d’un terrain communal très pauvre et tout petit, ne vous approchez pas de ce hangar qui tombe en morceaux et dont les parois sont rouillées et cassées. Qu’est-ce que c’est ? Eh bien, parfois c’est l’église, parfois c’est l’école et parfois la salle de réunions.
A cette heure-ci, c’est l’école, il est onze heures du matin. Non, ne vous en approchez pas, ne regardez pas au-dedans, ne voyez pas ces quatre groupes d’enfants infestés de vers et de poux, à demi-nus, ne voyez pas les quatre jeunes indigènes qui font les maîtres d’école pour une paie de misère qu’ils doivent aller chercher au bout des trois journées de marche que vous avez vous-même connues ; ne voyez pas que l’unique séparation entre une "classe" et l’autre est un petit couloir. Jusqu’à quelle classe les cours sont-ils assurés ici ? Tercero [13].
Non, ne regardez pas ces panneaux, seule chose que le gouvernement ait envoyée à ces enfants, ne les regardez pas : ce sont des panneaux pour la prévention du sida...
Il était une fois un vice-roi en chocolat au nez de cacahuète. L’apprenti vice-roi, le gouverneur Patrocinio González Garrido [14], à la manière des anciens monarques installés par la couronne espagnole lors de la conquête, a réorganisé la géographie du Chiapas.
La gestion des espaces urbains et ruraux est un attribut du pouvoir assez complexe, mais s’il est exercé avec la maladresse de monsieur González Garrido, on atteint les sommets d’une délicieuse stupidité. Le vice-roi a décidé que les villes dotées de services et d’avantages seraient réservées à ceux qui ont déjà tout.
Et il décide, le vice-roi, que la masse est aussi bien au-dehors, dans les intempéries, et qu’elle ne mérite de place que dans les prisons, qui ne sont pas des plus confortables. C’est pourquoi le vice-roi a fait construire les prisons à l’extérieur des villes, pour que la proximité de cette masse délinquante et indésirable n’incommode pas ces "messieurs dames". Prisons et casernes sont les principaux travaux qu’a entrepris ce gouverneur dans le Chiapas.
Humour
L’EZLN ne se rend pas, il résiste
Au sein du Comité nous avons discuté toute l’après-midi. Nous avons cherché dans les dialectes l’équivalent du verbe "SE RENDRE" et nous ne l’avons pas trouvé. Il est intraduisible en tzotzil et en tzeltal, et personne ne se souvient de son existence en tojolabal ou en chol. Ça fait des heures qu’ils en cherchent des équivalents. Dehors, il pleut et un nuage compagnon vient se coucher auprès de nous. Le vieil Antonio attend que tous se taisent un à un et que seul demeure le multiple tambourinement de la pluie sur le toit de tôle.
En silence, le vieil Antonio s’approche de moi, toussant sa tuberculose, et me dit à l’oreille : "Ce mot n’existe pas dans la langue vraie, c’est pour ça que les nôtres ne se rendent jamais et préfèrent mourir, parce que nos morts commandent que les mots qui n’ont pas cours ne soient pas vécus." Puis il se dirige vers le feu pour effrayer la peur et le froid. Je raconte cela à Ana María, elle me regarde tendrement et me rappelle que le vieil Antonio est mort...
L’incertitude des dernières heures de décembre dernier revient. Il fait froid, les gardes se relèvent avec un mot de passe qui est un murmure. La pluie et la boue éteignent tout, les humains murmurent et l’eau crie. Quelqu’un demande une cigarette et l’allumette éclaire le visage de la combattante à son poste... un instant seulement... mais on arrive à voir qu’elle sourit...
Quelqu’un arrive, la casquette et le fusil dégoulinants d’eau. "Il y a du café", informe-t-il. Le Comité, comme c’est l’usage sur ces terres, vote pour savoir si l’on boit le café ou si l’on continue à chercher l’équivalent de "SE RENDRE" en langue vraie. Le café l’emporte à l’unanimité. PERSONNE NE SE REND...Resterons-nous seuls ?
Manger l’avion
(lettre d’introduction à l’envoi d’un paquet de communiqués)
Messieurs :
Voici une série de lettres envoyées par le CCRI-CG de l’EZLN à divers destinataires. J’espère que vous aurez de la place, si ce n’est pour les publier, du moins pour les commenter ou vous assurer de leur arrivée à bon port.
C’est tout pour le moment. Nous attendons patiemment que cet avion qui nous survole soit à court d’essence et tombe. Les avis divergent sur le fait de savoir si, une fois qu’il sera tombé, nous le mangerons cuit ou après première ébullition ! Les plus raffinés recommandent la marinade.
Le service sanitaire nous met en garde contre les risques d’indigestion que cause l’excès d’aluminium. De toute façon, le sel est la seule chose dont nous ayons de trop. Vous voulez en goûter un petit bout ? (On dit que l’aluminium se conserve bien.)
Indigestement (ce qui veut dire que pour l’instant je n’envoie pas de salut, évidemment).
Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Sous-commandant Insurgé Marcos.
L’inspiration indigène
Le vent d’en bas
La plupart, les millions, continuent de ne pas écouter la voix du puissant, et les indécis ne peuvent pas entendre, assourdis qu’ils sont par les sanglots et le sang qui, mort et misère, leur hurlent à l’oreille. Mais quand ils ont un moment de repos, parce que cela se produit encore, ils écoutent une autre voix, pas celle qui vient du haut, mais celle que porte le vent d’en bas et qui naît dans le coeur indien des montagnes, celle qui leur parle de justice et de liberté, celle qui leur parle du socialisme, celle qui leur parle d’espoir..., le seul espoir ici-bas.
Et les plus anciens parmi nos anciens racontent qu’un certain Zapata s’était levé au nom des siens et que sa voix chantait plus qu’elle ne criait : "Terre et liberté !" Et ces anciens disent qu’il n’est pas mort, que Zapata doit revenir. Et les plus anciens parmi nos anciens racontent que le vent, la pluie et le soleil disent au paysan quand il doit labourer, quand il doit semer et quand il doit récolter. Et ils racontent que l’espoir aussi se sème et se récolte.
Et ces anciens disent que le vent, la pluie et le soleil se mettent à parler d’une façon nouvelle à la terre, que tant de misère ne peut pas continuer à donner cette moisson de mort, qu’elle doit commencer à donner une moisson de révolte. Ainsi parlent les anciens. Les puissants n’écoutent pas, ils ne peuvent pas entendre, assourdis qu’ils sont par le hurlement abrutissant des empires à l’oreille. "Zapata" insiste le vent, celui d’en bas, le nôtre.
La démocratie naturelle
Le travail collectif, la pensée démocratique, la soumission à la voix de la majorité sont plus qu’une tradition en zone indienne, ils ont été la seule chance de survie, de résistance, de préservation de la dignité et de révolte.
Comme en 19
Comme en 1919, nous, zapatistes, devons payer de sang notre cri de "Terre et Liberté !". Comme en 1919, le Gouvernement suprême nous tue pour mettre fin à notre révolte. Comme en 1919, la terre n’appartient pas à celui qui la travaille. Comme en 1919, les armes sont le dernier recours que laisse le mauvais gouvernement aux sans-terre.
Ombres d’une tendre fureur
Nous sommes des ombres d’une tendre fureur, nos pas couvriront à nouveau le ciel, et vêtiront de leur manteau protecteur les dépossédés et les hommes et les femmes bons, qui savent que la justice et la paix peuvent aller main dans la main.
Si l’on nous refuse nos droits, alors notre tendre fureur pénétrera les fières demeures, il n’y aura pas une muraille infranchie, pas une porte qui ne cède, pas une cloison qui ne s’écroule. Notre ombre sera porteuse de douleur pour ceux qui appellent à la guerre et à la mort de notre race. Il y aura davantage de pleurs et de sang pour que la paix prenne place à notre table avec la bonté.
La Vaillance
La vaillance nous est venue de la bouche de nos ancêtres déjà morts, mais vivant à nouveau dans notre dignité, celle qu’ils nous avaient donnée. Et nous avons vu ainsi qu’il n’est pas bon de mourir de peine et de douleur, nous avons vu qu’il n’est pas bon de mourir sans avoir lutté, nous avons vu qu’il nous fallait gagner une mort digne pour que tous vivent, un jour, dans le bien et la raison.
Double visage
Ils pensaient, ceux du double visage, qu’ils avaient fait taire nos cris à jamais. Ils pensaient, eux, les usurpateurs de lumière et les porteurs d’ombre, que nos morts étaient morts. Ils fêtaient déjà, dans l’orgueilleuse solitude de leurs palais, notre défaite et leur victoire. Leur mensonge dansait sur la vérité piétinée.
Sur le combat de l’EZLN
PEUPLE DU MEXIQUE ! Nous, hommes et femmes intègres et libres, sommes conscients du fait que la guerre que nous déclarons est une mesure extrême mais juste.
Les dictateurs mènent contre nos peuples une guerre génocide non déclarée depuis de nombreuses années, pour laquelle nous demandons ta participation décidée, en soutenant le projet du peuple mexicain qui lutte pour le travail, la terre, un toit, l’alimentation, la santé, l’éducation, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix.
Nous déclarons que nous ne cesserons pas de nous battre avant d’avoir obtenu satisfaction sur toutes ces revendications de base de notre peuple et formé un gouvernement libre et démocratique pour notre pays.
La place de Marcos dans l’EZLN
J’ai l’honneur d’avoir pour supérieurs les meilleurs hommes et femmes des ethnies Tzeltal, Tzotzil, Chol, Tojolabal, Mam et Zoque. J’ai vécu parmi eux pendant plus de dix ans et je m’enorgueillis de leur obéir et de les servir par mes armes et mon âme. Ils m’ont appris plus qu’ils n’en apprennent aujourd’hui au pays et au monde entier.
Ils sont mes commandants et je les suivrai sur les routes qu’ils choisiront. Ils constituent la direction collective et démocratique de l’EZLN, leur ouverture au dialogue est sincère tout comme le sont le coeur qu’ils mettent à lutter et la crainte d’être à nouveau trompés.
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