Insistons. Les rares citoyens qui ont de bonnes lectures (tel "Maintenant") ont déjà conscience du scandale des responsabilités de l’armée et de l’État français au Rwanda. Nous avions beaucoup parlé, jusqu’à présent, des responsabilités historiques de la France - comment pendant des années l’État français a soutenu le régime d’abord criminel, puis génocidaire des tenants du Hutu Power.
Vient de paraître un rapport de Human Rights Watch Arms Project, une organisation américaine de défense des droits de l’homme, dont la branche en charge de l’Afrique avait dénoncé dès 1992 ce qui se passait au Rwanda. Ce rapport était à l’époque passé largement inaperçu en France bien qu’une représentante de Human Rights Watch avait demandé à être reçue à l’Élysée pour alerter les hautes autorités françaises sur le crime de grande ampleur dans lequel elles étaient en train de se compromettre. Hubert Védrine l’avait reçue poliment. Et lui avait répondu en substance : "Chère Madame, circulez, il n’y a rien à voir."
Ainsi l’Élysée, averti, confirmait qu’il n’entendait en rien changer le cours des choses. Le crime rwandais ressortait de la raison d’État et ce type de raison ne se remet pas facilement en question, même avec les meilleurs arguments du monde.
Le récent rapport de Human Rights Watch Arms Project est plus embêtant. Il est publié plus de un an après le génocide. Il parle d’après - et de pendant - le génocide. Les responsabilités dénoncées dans ce rapport sont très actuelles. Donc doublement scandaleuses.
C’est après le génocide que l’armée française a protégé - et continue à protéger - un ensemble de gens passibles de condamnations pour crimes contre l’humanité. Appelle-t-on cela "recel de malfaiteurs" à ce stade ? Je crains que la terminologie juridique manque de mots pour de telles obscénités.
Ma foi, ceci ne serait pas bien grave si ne s’y ajoutait tout ce qui est décrit en détail dans ce rapport : l’aide apportée jusqu’à aujourd’hui aux troupes du Hutu Power pour continuer leurs activités criminelles. L’armée française les entraîne en République centrafricaine afin, entre autres, de déstabiliser le Burundi. L’autre objectif de nos stratèges à la manque, c’est la "reconquête" du Rwanda. Le tout trouve réconfort dans les bras du général Mobutu, qui n’a pas encore réussi à exterminer son peuple, mais qui, avec notre aide, peut encore faire du mal pendant longtemps.
Un tribunal international est en train de se mettre sur pied en Tanzanie pour juger les responsables du génocide rwandais. Nous pouvons compter sur la diplomatie française pour entraver autant que faire se peut la marche de cette justice-là.
Mais d’ores et déjà les criminels qui siègent au gouvernement, à l’Élysée (anciens comme nouveaux) et à l’état-major de nos armées, feraient bien de se méfier. Ils pourraient encore tenter de plaider les "circonstances atténuantes" quant à leurs crimes passés - ils ont pu faire une "erreur", un peu lourde, soit, dans cette science à laquelle personne ne comprend rien, la "géopolitique".
Le tribunal aurait à apprécier, mais gageons qu’il ne lui serait pas interdit de céder à une certaine clémence. Les crimes qu’ils commettent aujourd’hui, par contre, ne pourront bénéficier d’aucun pardon. Avec chaque jour qui passe, la responsabilité de l’État français et la preuve de sa culpabilité s’alourdissent dangereusement. Le devoir des "patrons" de la politique africaine de la France est aujourd’hui de cesser toute assistance à l’organisation génocidaire hutue. Ils seraient de plus bien inspirés de participer à faire la lumière, y compris sur leurs propres responsabilités passées.
Monsieur Chirac, malgré ses extraordinaires compromissions personnelles dans le royaume de Françafrique, a eu la chance d’avoir été maire de Paris pendant que les assassins faisaient leur travail. Aujourd’hui, il a d’autres responsabilités. S’il ne veut pas finir dans un Nuremberg de l’an 2000, il doit dès aujourd’hui prendre en compte le rapport du 19 mai 1994 publié par Human Rights Watch.
Le conseil vaut pour tous les hommes politiques de ce pays. Qu’ils se dépêchent, les députés et les partis, de monter à la tribune et de faire les déclarations qui s’imposent pour qu’on ne puisse pas à leur tour les considérer complices des cochonneries de l’armée française. Les militaires, eux aussi, feraient bien d’invoquer un droit de réserve sur cette opération en cours, absolument indéfendable aux yeux de l’humanité. Il sera trop tard demain pour dire "je ne savais pas" ou "j’ai obéi aux ordres".
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