Il y aurait quinze mille psychothérapeutes en France et ce chiffre pourrait doubler dans les dix années à venir. On estime à plusieurs centaines les différentes techniques de psychothérapie, qui peuvent s’effectuer soit individuellement, soit collectivement, en famille, ou en groupe. Des néo-formations thérapeutiques (surnommées théo-thérapies), généralement d’inspiration religieuse, se multiplient aujourd’hui à un rythme effréné.
Le foisonnement de cette discipline a son revers de médaille. Il n’existe aucun statut régissant ce métier en vogue, aucune habilitation particulière à le pratiquer. N’importe qui peut s’improviser psychothérapeute sans se mettre en infraction. Médecins, psychiatres, psychologues et non diplômés cohabitent, ayant normalement pour point commun d’avoir effectué un travail de psychothérapie personnelle, équivalent à une initiation qui leur permet d’être reconnus par leurs pairs. Certains n’ont qu’un savoir théorique ou universitaire, considéré comme insuffisant à la pratique de la psychothérapie. D’autres pratiquent sans aucune formation spécifique, sur le seul critère de leur propre travail sur eux-mêmes. D’autres encore n’ont ni connaissance théorique, ni expérience pratique.
Rien n’étant obligatoire, les charlatans peuvent pratiquer sans contrainte. Beaucoup de témoignages informent sur les abus de professionnels fantaisistes qui ont conduit leurs patients dans des situations de détresse. Le public ne sait rien ni du praticien ni de ce qu’il lui vend. Aussi découvre-t-on aujourd’hui des cas " d’errance thérapeutiques ", c’est-à-dire de patients en mal de guérison qui passent d’un psychothérapeute à un autre, espérant toujours trouver la " perle rare " qui les libérera de leurs angoisses et les conduira à l’épanouissement personnel.
Le problème, en soi, pourrait ne pas concerner la Mission. Cependant, des faits ont attiré son attention : parmi les innombrables courants de psychothérapie, et plus particulièrement dans les néo-formations, certaines pratiques sont structurellement comparables à celles dénoncées dans les groupes à dérive sectaire. Certaines dérives déontologiques mènent à la dépendance du patient, à une influence prépondérante du psychothérapeute, à une rupture avec la famille, le conjoint ou les amis, et proposent une nouvelle vision du monde au risque de désocialiser le patient. La Mission partage donc avec l’essentiel du milieu psychothérapeutique le souci de mettre au point des garde-fous.
Les nouvelles thérapies et la spiritualité New-Age, toutes deux développées dans les années 70, se sont mélangées et ont donné naissance à un courant de psychothérapie dans lequel le Syndicat National des Praticiens en Psychothérapie (SNPPsy) reconnaît qu’il arrive que soient mobilisés "les sentiments de lien et de manque inhérents à la nature humaine pour resserrer des adeptes autour d’un gourou dans un groupe plus ou moins fermé, plus ou moins secret qui fait office de famille marginale ou de matrice maternelle" (Yves Lefebvre). Ce type d’enfermement est loin de favoriser le libre-arbitre et l’autonomie des individus au coeur de la mission d’une psychothérapie. Elle revient à profiter du besoin du thérapisant à idéaliser son thérapeute et représente en cela un exemple de dérive sectaire thérapeutique. Il faut cependant attirer l’attention sur l’existence d’effets négatifs dans environ 10% des thérapies. Ces effets apparaissent chez des patients ayant différents diagnostics, traités avec des psychothérapies d’orientations théoriques différentes, appliquées selon des modalités distinctes. Ces effets ne doivent nullement être confondus avec ceux engendrés par une mauvaise pratique de la psychothérapie.
Plusieurs éléments expliquent pourquoi la psychothérapie peut connaître en son sein des dérives de type sectaire. A écouter d’anciens patients, on constate qu’elle touche un public qui a soif de se transformer, de s’améliorer, de ne plus souffrir et qui se place dans ce but sous le pouvoir imaginaire du thérapeute, comparable alors à une sorte de magicien. Pendant le traitement, les relations parentales sont abordées et remises en cause. Le patient vit des moments de souffrance qu’il parvient à dédramatiser grâce à la chaleur, l’écoute, le contact avec les autres, lorsqu’il s’agit d’une thérapie de groupe, et, en tout cas, grâce au soutien, à la présence, à l’écoute du psychothérapeute. Point d’ombre : l’argent, parfois considéré comme un frein à l’enthousiasme thérapeutique et vécu comme " une pression manipulatrice ". Quand la thérapie a réussi, on regrette cependant rarement d’avoir investi pour sa personne.
Même public touché, mêmes attentes, mêmes relations au groupe, mêmes moments de souffrance que dans l’engagement sectaire. Seuls les résultats peuvent être diamétralement opposés : la thérapie réussie amène le patient à se sentir sujet, lui apporte confiance et autonomie. Son but est d’aider celui qui y fait appel à trouver sa place dans la société. La secte, au contraire utilise les désirs de bien-être du néophyte, la remise en cause de son entourage, ses phases de souffrance, l’attachement normalement provisoire au groupe et à son fondateur pour en faire un adepte dépendant. Le danger potentiel de la psychothérapie est que le praticien se grise d’être idéalisé par son patient et qu’il s’efforce alors de l’attacher à ce sentiment au lieu de ramener la relation à la réalité le moment venu. Ce type de danger est latent dans certaines nouvelles approches psychothérapeutiques qui visent au " mieux-être " d’individus ne souffrant pas par ailleurs de troubles psychologiques ni de désordres somatiques, et qui s’adressent donc à tout un chacun. Ces pratiques jouent la carte de l’immédiateté des résultats. Il n’est plus alors besoin d’un long retour sur les expériences traumatisantes du passé.
Il arrive qu’elles développent la notion d’autoguérison. Par ailleurs, ancrées dans des courants spirituels, elles peuvent juger inutile la formation du thérapeute, la spiritualité pouvant se transmettre par d’autres biais. Il devient alors légitime de se demander ce qui autorise ce type de démarche à s’autoproclamer psychothérapeutique plutôt que spirituelle, et si le mélange des genres à ce point poussé n’induit pas en erreur le patient potentiel. Il s’agit donc de s’interroger sur les critères qui permettent effectivement à ces thérapies de s’intégrer légitimement dans le paysage de la psychothérapie, et de réfléchir sur les limites de cette intégration.
Pour prévenir les dérives d’une profession qui a montré son utilité sociale de par le nombre imposant de patients qui font appel à ses services, un cadre légal de formation, des règles de jeu et une protection du titre s’imposent.
La Mission se contente ici de reproduire les projets et propositions de loi faites par les psychothérapeutes qui lui semblent pouvoir jouer favorablement dans le sens de sa lutte. Bien que constituée de pratiques extrêmement variées qui participent à la richesse même de cette profession, il n’est cependant pas impossible d’y trouver des éléments fondateurs : connaissances théoriques, travail effectué sur soi-même, instauration d’une relation spécifique, unique, basée sur le respect, entre le patient et le thérapeute, participent à la définition du psychothérapeute. Si certains estiment que la pratique légale de la psychothérapie ne saurait reposer exclusivement sur des diplômes universitaires, tous s’accordent sur l’importance d’une connaissance théorique en psychopathologie, connaissance qui pourrait être sanctionnée par un diplôme universitaire ou par celui d’une école reconnue officiellement pour la qualité de sa formation.
La formation théorique pourrait partir de ce tronc commun, puis se poursuivre par une spécialisation dans l’une des nombreuses écoles de cette discipline. Pour être complète, elle ne pourrait se passer d’une initiation à la pratique psychothérapique, qui de l’avis de nombreux psychothérapeutes, signerait l’acceptation par les pairs d’un nouveau psychothérapeute.
L’existence d’une formation, quels qu’en soient le continu et la forme retenus, serait un premier élément fondamental de prévention contre les abus de l’utilisation du titre de psychothérapeute, et participerait par conséquent à la protection du public.
Le respect d’une éthique, d’une déontologie instituée par ce corps professionnel est un deuxième élément constitutif de la lutte contre les dérives. On constate en effet qu’aujourd’hui, très peu de psychothérapeutes sont affiliés à un syndicat qui, en l’absence de tout autre cadre structurant, est encore la seule instance régulatrice de la profession. Des plaintes promulguées parfois à l’encontre de certains membres syndiqués montrent cependant l’insuffisance de cette structure. Il n’en demeure pas moins que la majorité des psychothérapeutes - inscrits comme tels dans les annuaires professionnels notamment - exercent dans l’indépendance et la liberté la plus complète, sans pouvoir faire l’objet d’aucun contrôle.
On pourrait imaginer la création d’une sorte d’ordre, ou de fédération des associations, suffisamment pluraliste pour que toutes les écoles s’y retrouvent et dont l’inscription impliquerait l’acceptation d’un code éthique. Le non respect des règles déontologiques y serait sanctionné par des avertissements, des blâmes, voire par l’exclusion. Cette instance pourrait trouver une partie de son inspiration dans le code de déontologie des psychologues, qui avait été initié pour des raisons similaires à celles qui alertent aujourd’hui le milieu de la psychothérapie. C’est-à-dire, en particulier, pour "sauvegarder les usagers et la société des abus et mésusages de la psychologie" et "définir les limites face aux demandes sociales, du fait même de la demande de résolution magique des problèmes personnels".
Cette suggestion, faite par des psychothérapeutes eux-mêmes, est au moins aussi importante que la première dans l’optique de la lutte contre les sectes. Celles-ci en effet se développent d’autant plus dangereusement qu’aucune vigilance ne s’exerce sur elles dans ce domaine sensible. La meilleure prévention contre ce phénomène consisterait en la mise en place d’instances de contrôle qui auraient pour premier effet de repérer les psychothérapeutes individuels ou les groupes critiqués pour leur manquement déontologique. et de surveiller leurs pratiques.
Il conviendrait enfin de garantir les droits du patient et, de définir une sorte de contrat dont l’acceptation mutuelle ouvrirait, le cas échéant, la possibilité de recours. Ce contrat pourrait préciser la nature du processus thérapeutique envisagé, sa durée approximative et son coût, global ou par séance. On sait en effet que les dérives les plus dangereuses se réalisent lorsqu’il n’existe aucun garde-fou.
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