L’observation du phénomène requiert chaque jour davantage la prise en compte de l’investissement des organismes à caractère sectaire dans la vie économique.
Le rapport de la Commission parlementaire d’enquête sur "la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers" a fourni de nombreuses indications qui conduisent à aborder la question de l’emprise sectaire sous l’angle des stratégies de développement. Pour ce faire, des analyses croisées sont indispensables pour évaluer aussi précisément que possible l’impact réel d’organisations ramifiées dans les lieux de prise de décision. L’analyse du phénomène sectaire dans ses relations avec l’économie, le commerce et les échanges financiers, peut être facilitée par l’utilisation d’une méthode inspirée de l’analyse économique.
Il existe différentes manières d’aborder cet aspect essentiel de la démarche sectaire. L’une d’entre elles consiste à distinguer deux approches :
1) l’approche par les risques qui peut être assimilée à une analyse de l’expression d’une demande :
demande d’informations ou demande de formation, demande de soutien formulées par des salariés d’entreprises ou de dirigeants pour leur propre compte.
demande d’intervention (formulée par la direction de l’entreprise) sous la forme d’appels d’offres de service auxquels sont susceptibles de répondre des organismes directement ou indirectement liés à des structures sectaires.
2) l’approche par les stratégies de développement des organisations à caractère sectaire qui visent à pénétrer les entreprises, dans le but de recueillir de l’information, orienter les prises de décision, éventuellement "renseigner".
L’entreprise, personne morale, apparaît donc à la fois comme support déterminant du développement des organismes à caractère sectaire et comme victime potentielle de ces organismes ou des structures qui en dépendent.
Les deux approches par l’offre et la demande permettent de couvrir un large éventail de moyens d’évaluation du phénomène d’investigation, et aussi pour l’avenir, d’outils d’intervention au service de l’entreprise et des pouvoirs publics.
I - L’évaluation du phénomène
L’évaluation du phénomène sectaire est naturellement délicate en raison du caractère opaque des actions menées et de la difficulté de relier les différentes initiatives prises par les groupements concernés compte tenu de l’autonomie apparente des sociétés, organismes et associations qui y sont rattachés et qui poursuivent différents objectifs :
* tout d’abord économiques, notamment de production et de commercialisation de biens et de services financiers en contrepartie de prestations réelles ou supposées favorisant les transferts d’argent,
* patrimoniaux enfin en raison de l’importance accordée aux investissements comme instrument de consolidation de leur politique de développement.
Cette évaluation paraît toutefois pouvoir s’affiner au fur et à mesure que la stratégie de développement de chaque organisation sera mieux appréhendée dans sa globalité et en particulier au travers de ses liens avec les milieux économiques.
En effet, le monde des entreprises prend actuellement conscience de son double statut de victime potentielle et de vecteur de développement durable de l’emprise sectaire sur les rouages économiques. Cette prise de conscience est nettement perceptible au sein de la Mission qui a à connaître des dossiers nombreux et riches en informations relatifs aux menaces diverses qui pèsent sur les entreprises.
L’effort d’évaluation du phénomène peut ainsi être soutenu par l’appréciation des risques auxquels sont exposées les entreprises, les sociétés commerciales, les organismes bancaires. Ceux-ci ont besoin d’un interlocuteur du côté des pouvoirs publics qui puisse par l’analyse de cas, éclairer les politiques de recrutement, de formation et bien d’autres aspects de la vie interne de l’entreprise.
La Mission a recensé au cours des derniers mois un grand nombre de situations représentant un danger certain pour la stabilité des entreprises qui peuvent être décrites sous la forme suivante :
RISQUES D’INFLUENCES
LIEUX ET MOYENS NIVEAU D’INTERVENTION
Interne
(personnel de l’entreprise) Externe
(fonctions et procédures ciblées)
Recrutement
Formation
Conseil . gestion des personnels
. orientation des choix de sociétés externes (fournisseurs)
. sélection des stagiaires . prospection des entreprises/choix des interlocuteurs internes (salariés)
. maintien ultérieur des contacts avec cadre en situation de stage
. détermination d’offres utiles à l’entreprise
Audits
Contrôles . gestion financière
. facturation B comptabilité . stratégies commerciales
. gestion de clientèle
Informatique . Définition des cahiers des charges . élaboration de logiciels
. audits préalables
. analyses organisation/méthode
Cette présentation permet de cerner les points de contact entre offre sectaire et demande des entreprises, notamment par l’examen des raisons qui motivent la mise en relation.
Les exemples de la formation professionnelle et du recrutement de cadres de haut niveau sont particulièrement éclairants tant du point de vue des méthodes employées par les organismes en cause pour se lier à une entreprise qu’en ce qui concerne les modes d’intervention possibles des pouvoirs publics, en tout premier lieu en matière d’aide à la détection, puis au niveau de partenariats nouveaux à établir avec les acteurs économiques et sociaux.
La dérive sectaire est caractérisée par un développement des risques pour l’entreprise, mais aussi pour le salarié. L’entreprise et le salarié ont donc un rôle actif en la matière.
L’externalisation de nombreuses tâches jusqu’alors assumées "en interne" par les entreprises elles-mêmes, l’ouverture des marchés à une concurrence de plus en plus délicate à connaître dans son organisation, ses stratégies et sa capacité d’implantation sur les marchés créent de nouveaux domaines de vulnérabilité.
Nombre d’instruments de management peuvent être mis à contribution pour la détection de phénomènes sectaires et venir ainsi compléter l’action des pouvoirs publics. Cette complémentarité peut d’autant mieux s’exercer qu’au-delà d’interventions parallèles, il peut être mis en place des partenariats. Il convient donc de dresser une cartographie des liens existants entre ceux qui produisent une offre présentant des risques de dérive sectaire et ceux qui formulent une demande susceptible de déboucher sur l’apparition de risques.
Le tableau ci-dessous tente de synthétiser ces liens en distinguant ceux qui :
* contractualisent les rapports entreprises/prestataires de services,
* déterminent une zone de vulnérabilité dans la relation entreprise-salarié,
* fournissent à l’administration les moyens d’intervenir aux fins de conseil, de contrôle, ou encore d’aménagement des textes régissant certains métiers comme la formation professionnelle, le recrutement, l’audit ou le conseil en entreprise.
La mise en oeuvre de moyens de détection sur chacun de ces liens fonctionnels est souhaitable et implique tous les intervenants.
II - Les niveaux d’intervention
a - la mise en relation des entreprises avec des officines liées au mouvement sectaire.
La prospection commerciale, les actions de marketing des organismes à caractère sectaire via leurs cabinets ou organismes de formation ou de recrutement sont un premier moyen pour l’entreprise de procéder à un recueil d’informations.
C’est à ce niveau que l’entreprise peut élaborer son propre outil de "veille" sur les marchés de fournisseurs auxquels elle a besoin d’accéder.
Une telle démarche est néanmoins des plus limitées si elle est conduite de façon isolée.
Les grandes entreprises, comme les PMI/PME, devraient fonder leur appréciation sur les fournisseurs de services externes au travers des éléments suivants : l’évolution de leurs clientèles, l’évolution des prestations, l’évolutions de la nature des services fournis, et ne pas négliger l’historique des relations entre les salariés et la société prestataire.
L’extrême mobilité des personnels d’entreprise et des cabinets de conseil rend la tâche des plus ardues, et nombre d’entreprises réputées ou estimées sensibles sont amenées à prendre en considération ce phénomène.
Ce besoin essentiel de vigilance est à apprécier au regard du principe de précaution.
Ce positionnement des milieux économiques demandera du temps (l’action souterraine des organismes présentant un risque de dérive est naturellement difficile à repérer et un développement qualitatif de la présence à caractère sectaire au sein de l’entreprise n’est pas totalement évitable).
Il convient donc simultanément de créer des outils de détection et de veille active au niveau des procédures exercées par l’entreprise dans les phases de mise en oeuvre des contrats, c’est à dire au niveau des appels d’offre des cahiers des charges et des bilans d’action.
b - l’intervention au niveau des procédures.
Elle est déterminante pour l’avenir et la préservation des intérêts vitaux de l’entreprise.
Un rapide recensement de cas rencontrés par la Mission permet de mesurer l’éventail des risques encourus.
Formation professionnelle - développement personnel
– formation de longue durée impliquant les mêmes stagiaires
– *coaching+
Recrutement - responsable de gestion "bases de données"
– animateur formation DRH
– directeur recrutement
– ingénierie système d’information
Direction commerciale a) responsables régionaux (réseaux commerciaux)
b) cadres du siège.
La prise en compte de la menace au sein de l’entreprise pourrait s’exprimer dès la rédaction de l’appel d’offre, mais aussi dans l’élaboration du cahier des charges et dans la conduite d’évaluation coordonnée dans le temps intégrant l’ensemble des interventions d’un organisme déterminé ou d’organismes ayant un quelconque lien entre eux.
Les efforts à réaliser au moment de l’élaboration du cahier des charges pourraient en particulier comporter des garanties quant :
* à la durée des formations réparties dans le temps ;
* au niveau d’implication personnelle attendu des stagiaires ;
* à la connaissance précise du CV des intervenants et des dirigeants de l’organisme ;
* à la documentation et aux références utilisées au cours du déroulement de la formation ;
* à des règles de transparence sur le déroulement de la formation favorisant l’évaluation par les stagiaires tant vis à vis du formateur que de l’entreprise et des organismes de financement.
Au-delà de la politique contractuelle de l’entreprise et des fournisseurs de service, il importe en effet de diversifier et de renforcer les modes opératoires de bilans d’action.
Deux préconisations semblent de nature à améliorer les dispositifs existants :
* l’échelonnement dans le temps des évaluations,
* le suivi minutieux et contradictoire des formations personnelles.
Au-delà, d’autres types d’interventions sont nécessaires qu’il convient de développer rapidement compte tenu de la sensibilité grandissante du sujet :
* la mise en oeuvre de filières de formation reconnues par les pouvoirs publics,
* la création et la reconnaissance de titres professionnels,
* l’élaboration par les professions de service de chartes d’éthique et de codes de déontologie,
* une coordination de contrôles administratifs renforcée.
* un développement des relations de partenariat avec les entreprises.
Ces étapes vont engager de manière croissante les services de l’État et en tout premier lieu la MILS. Il est donc nécessaire de fixer une limite à cet engagement, et d’avoir à l’esprit que l’avenir des relations entre les professions et les services de l’État doit reposer, avant tout, sur l’établissement de partenariats finalisés. Des contacts sont à établir avec les métiers ou groupements de métiers représentant un risque majeur de détournement de leur objet par des organismes que guident des motivations trouvant leurs sources dans les doctrines sectaires. Ces métiers doivent à terme pouvoir se doter des instruments les mettant à l’abri de tels risques, la MILS leur fournissant les informations qu’ils ne peuvent pas obtenir. Cette prestation d’information doit donc s’accompagner d’un pendant de formation.
Un nombre important d’organismes fédérateurs des métiers de la formation professionnelle, du recrutement et du conseil aux entreprises manifestent ainsi leur intention d’établir des relations de travail avec la Mission, relations qui peuvent aller jusqu’à la mise sur pied de partenariats conventionnels.
Il en est de même pour de grandes entreprises qui abordent la question tant du point de vue de la sécurité interne que du point de vue de la défense de leurs intérêts stratégiques.
La dimension transnationale de certaines organisations à caractère sectaire, l’efficacité de leurs stratégies d’influence et de communication, et enfin la structuration de leurs activités économiques et financières font de l’entreprise une cible privilégiée. A ce titre, la mise en relation dans un intérêt commun, des milieux d’affaires, des partenaires sociaux et de la Mission interministérielle sont un des enjeux important pour les mois qui viennent. Ceci doit se faire lorsque cela paraît nécessaire, avec pour objectif d’établir une convention de partenariat.
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