La Scientologie constitue actuellement une vaste entreprise de caractère transnational. Fondée par un auteur de science-fiction au passé incertain, elle s’est présentée initialement comme une société de développement mental.
A partir de 1954, sans doute pour bénéficier de la présomption de respectabilité que l’opinion attache aux convictions religieuses et obtenir des privilèges fiscaux consentis aux confessions reconnues, la Scientologie s’est déclarée comme un mouvement religieux. Elle a été reconnue comme telle aux Etats-Unis, non par les pouvoirs publics, ni par la justice, mais par l’administration fiscale dans des circonstances qui ont paru très contestables dans un pays démocratique [1].
Elle cherche à obtenir des avantages similaires dans les pays où elle s’implante. En France, elle n’a pas obtenu le statut d’association cultuelle de la loi de 1905, n’a pas davantage sollicité, à la connaissance de la Mission, celui de la congrégation prévu par la loi de 1901. Elle n’existe donc que sous la forme de plusieurs associations déclarées portant, selon les lieux de leurs sièges sociaux et de leur objet affiché, des appellations diverses.
Cette vaste multinationale présente plusieurs facettes d’activités dont le caractère commercial n’est pas douteux.
Quant aux méthodes employées pour favoriser le développement de cette secte, elles ont fait l’objet de plaintes. Des adeptes en nombre non négligeable ont été condamnés en justice, tant à l’étranger qu’en France, et cela depuis plus de vingt ans sans que la secte ait été sanctionnée en tant que personne morale. Il est vrai qu’en France, les personnes morales ne peuvent faire l’objet de sanctions pénales que pour les faits commis depuis 1994.
Lafayette Ronald Hubbard lui-même, condamné aux Etats-Unis pour vol en 1945 a été poursuivi pour banqueroute à Philadelphie en 1952, inculpé, puis relaxé en 1958 pour détention de substances supposées dangereuses (pilules de dianazène), et entendu en 1968 dans une affaire de chantage. En France, le fondateur de la secte, aujourd’hui décédé, a été condamné par défaut le 14 février 1978 à une peine de 4 ans de prison et de 35 000 F d’amende pour escroquerie.
Les démêlés judiciaires de la secte de la Scientologie ne concernent pas que la France.
En République fédérale d’Allemagne, la filiale Narconon a été ainsi condamnée à payer des dommages-intérêts à un jeune employé abusivement exploité. Le 2 janvier 1991, le tribunal administratif de Hambourg affirme la nature commerciale des activités de la Scientologie. Le 28 mai de la même année, le même tribunal retire à l’Eglise de Scientologie son statut associatif en raison de la nature commerciale et lucrative de ses activités.
Au Danemark, en décembre 1990, un scientologue et deux détectives privés sont condamnés à 3 mois de prison avec sursis pour espionnage illégal.
En Belgique, le 30 septembre 1999 et au cours du mois d’octobre 1999, une section spéciale de la gendarmerie procède à une vaste opération de perquisition. De nombreux documents sont saisis qui concerneraient en particulier, selon le journal Le Soir de Bruxelles, les activités européennes de la police secrète de la Scientologie (Office of special affairs).
En Angleterre, la qualité de "charity " (organisation non gouvernementale à but humanitaire) vient d’être refusée en des termes mettant à mal ce que la Scientologie prétend être.
Un recensement exhaustif des condamnations non amnistiées démontrerait l’irrespect permanent de nombreux membres de la secte à l’égard des lois.
Les faits constatés posent également le problème de la responsabilité de la secte elle-même, en tant que personne morale et service organisé.
Un aspect répréhensible peu connu devrait faire réfléchir à l’heure de l’utilisation mondiale des communications informatiques. Il s’agit de la tenue de fichiers non conformes aux prescriptions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)[2]. Plusieurs affaires[3] ont montré que certains de ces fichiers pouvaient contenir des informations très personnelles recueillies au cours des auditions des adeptes, auditions comparables peu ou prou à des confessions, voire à des séances de psychothérapie comportementaliste.
Il ressort du jugement du tribunal de Paris du 4 septembre 1998 (précité en note) que le prévenu conservait sur des fichiers informatiques, les renseignements nominatifs obtenus par des tests comportant des questions établis par Ron Hubbard, et ce sans que la déclaration préalable que la loi prévoit ait été faite.
Le jugement du tribunal de Lille (12.12.96, précité en note) fait le constat suivant :
" ...la perquisition qui fut effectuée permettait de découvrir que les réponses apportées à ce test faisaient l’objet, pour en déterminer le résultat, d’une exploitation informatique ; qu’une autre disquette (BASIC) contenait des données nominatives ; ... qu’aucune déclaration d’aucune sorte n’avait jamais été effectuée à la CNIL ..."
Il faut avoir à l’esprit que de tels tests peuvent conduire ceux qui y répondent à donner des informations très intimes, et parfois compromettantes.
De plus, les demandes présentées par certaines organisations scientologues à la CNIL, et les réclamations reçues par cette commission, montrent que la volonté de la Scientologie est de conserver de tels fichiers au-delà d’un délai au terme duquel devrait être acquis, pour ceux qui y figurent, "le droit fondamental à l’oubli". C’est à cette question importante pour les libertés individuelles qu’ont répondu les décisions CNIL n°98-072 à 074 du 7 juillet 1998 qui consacrent "le droit à l’oubli". Les organisations scientologues concernées avaient formé un recours dont elles se sont ensuite désistées pour éviter probablement que le Conseil d’Etat ne consacre lui-même ce droit (arrêt CE du 7.07.99 constatant le désistement des associations scientologues)
Pour quel usage, ces données informatiques ? Où vont-elles via les réseaux électroniques ? Comment chaque particulier peut y avoir accès pour son propre compte ?
De fait, le comportement de nombreux adeptes de la Scientologie ne peut être compris et apprécié qu’en prenant connaissance de certains enseignements dispensés au sein de l’organisation et des instructions données aux adeptes dans le cadre d’un véritable service organisé au niveau mondial, service organisé qui se joue des frontières.
Ces enseignements figurent en termes explicites dans certaines publications de la secte, sous la signature du fondateur en particulier. Ainsi, dans le domaine socio-politique[4] : *Quand vous quittez une position de puissance, payez immédiatement toutes vos obligations, déléguez le pouvoir à tous vos amis et partez armés jusqu’aux dents, avec les moyens de faire chanter tous vos anciens rivaux, des fonds illimités sur votre compte privé, des adresses de tueurs à gages expérimentés : allez vivre en Bulgarie et soudoyez la police. Et même alors, vous risquez de ne pas vivre longtemps, si vous gardez une once de pouvoir dans tout camp que vous ne contrôlez plus aujourd’hui, ou si vous ne faites que dire : "Je soutiens le politicien Jiggs". Abandonner totalement le pouvoir est vraiment dangereux.+ (Ron Hubbard, Introduction à l’éthique de la Scientologie, p. 80).
Dans celui de l’intrusion dans le domaine de l’administration fiscale, avec encouragement à la délation anonyme :
"Tout fonctionnaire ayant constaté des irrégularités au sein de l’administration fiscale est invité à se joindre à cette entreprise de rétablissement de la justice au sein du système fiscal. Toute information livrée par un membre actuel de l’administration fiscale restera strictement confidentielle. Les employés du fisc qui craignent des représailles provenant de leur hiérarchie peuvent envoyer leurs documents de façon anonyme" (Ethique et Liberté, journal français de la Scientologie, édition spéciale, 1996).
En matière de refus du principe d’égalité entre les hommes :
*Il y a deux solutions pour s’occuper des personnes qui se situent en dessous de 2.0 sur l’échelle des tons, aucune d’elle n’a quoi que ce soit avec le fait de raisonner avec eux ou d’écouter leurs justifications. La première est de les faire monter sur l’échelle des tons en retransformant l’enthêta en thêta (Y) L’autre est de s’en débarrasser calmement et sans remords. Les vipères sont des compagnons agréables par rapport aux personnes qui se situent dans les zones inférieures de l’échelle des tons. Ni la beauté, ni le charme, ni les valeurs sociales artificielles ne peuvent excuser les dommages terribles que ces personnes font aux hommes et aux femmes saines d’esprit.
Mettre à part d’un seul coup toutes les personnes se situant dans les zones inférieures de l’échelle des tons provoquerait une élévation instantanée du niveau de culture et interromprait la spirale descendante dans laquelle toute société peut se trouver. Il n’est pas nécessaire de produire un monde de Clairs pour obtenir une société raisonnable et valable ; il est seulement nécessaire de supprimer toutes les personnes qui se situent à 2.0 et en dessous, soit en les auditant suffisamment pour les amener au-dessus de 2.0 (Y) ou en les mettant en quarantaine de la société. Un dictateur vénézuélien a un jour décidé de stopper la lèpre. Il s’est aperçu que la plupart des lépreux de son pays étaient aussi des clochards. Simplement en rassemblant et en tuant tous les clochards du Venezuela, il fut mis fin à la lèpre dans ce pays+ (extrait de "Science de la Survie")
Ces préceptes, parmi beaucoup d’autres, risquant d’attirer l’attention de la Justice sur les adeptes sollicités de les mettre en oeuvre, la secte préconise la déstabilisation de ceux qui menacent de révéler ses agissements, qu’elle désigne dans son jargon sous le nom de "personnes suppressives" . C’est la "propagande noire" : "S’il se présente une menace à long terme, vous devez immédiatement évaluer la situation et provoquer une campagne de propagande noire afin de détruire la réputation de la personne et la discréditer de telle sorte qu’elle soit mise au ban de la société" (Ron Hubbard, lettre de règlement du 30 mai 1974).
Ces campagnes ne doivent pas épargner les magistrats élus ou professionnels, selon le témoignage apporté par un ancien adepte américain, Jesse Prince : l’action de déstabilisation comporte trois phases principales :
– rassembler des informations pour soumettre le magistrat à un chantage en exploitant une "over [overt(s) ?] data collection" (ODC ’ répertoire d’actes fautifs dont le magistrat se serait rendu coupable et qui seraient restés inconnus).
– puis révéler ces informations "compromettantes" par la voie de la rumeur ou d’intermédiaires multiples, sans liens apparents avec la secte.
– enfin, refermer le piège sur le magistrat par une "stinging operation" ( épinglage) de telle sorte qu’il soit publiquement compromis.
Ces techniques de harcèlement employées à l’égard de ceux qui combattent le sectarisme scientologue tombent sous le coup des articles 222-33 et 222-44 du code pénal.
Les contraintes exercées à l’encontre de nombreux adeptes, en position plus ou moins consciente de fragilité personnelle ou sociale, tombent sous le coup de diverses dispositions pénales, notamment l’article 313-4 du code pénal.
Les méthodes préconisées pour harceler les magistrats chargés d’instruire ou de juger des membres de la secte contreviennent aux dispositions de divers articles assortis de circonstances aggravantes tel l’article 222-8.4, 222-10.4, 222-12.4 et 222-13.4 du code pénal (voir aussi l’art. 222-15 qui renvoie aux précédents) ou d’articles spécifiques (434-8, 434-16, 434-24, etc...). Elles ont un caractère explicite et, quoique la secte soit discrète sur ce sujet, ont déjà été dénoncées par d’anciens adeptes.
De surcroît, l’existence au sein de la secte d’une police privée aux objectifs peu apparents (dont l’existence a été reconnue par un responsable français de la secte), dénommée Office of special affairs (OSA) tombe sous le coup de l’article 1er de la loi du 10 janvier 1936 et des articles 431-13 et suivants du code pénal. Les actions conduites par les scientologues désignés pour agir au sein de l’OSA semblent être commandées depuis le quartier général de la secte aux Etats-Unis, et peuvent être qualifiées d’activités clandestines menées à partir d’une nation étrangère.
[1] Article d’investigation en annexe (New York Times dans une traduction de la publication Courrier international n° 333 - mars1997-)
[2] Décisions CNIL n° 98-072 à 074 du 7 juillet 1998 (CE 7.07.99 constatant le désistement des associations scientologues)
[3] Condamnations à Lille (MP c. Potaux 18.12.96) et Paris (MP c. Ianna 04.09.98) .
[4] Les citations qui suivent ont été publiées par l’universitaire Paul Ariès dans "La Scientologie, laboratoire du futur ?" Editions GOLIAS, 1998.
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