Du point de vue quantitatif, les données sont divergentes. En se basant sur le recensement fédéral de 1990, Jean-François Meyer a relevé que moins de deux pour cent de la population suisse se réclame d’un groupement constitué autour d’une croyance qui se distancie des grandes religions ; ces adhérents font partie d’environ 300 mouvements religieux. Ailleurs, le même auteur parle de "moins de trois pour cent" et d’au moins " 200 à 300 mouvements" (Mayer Jean-François, La liberté religieuse à l’heure du pluralisme, Rutherford Institute, Rapport sur la Suisse, Paris, août 1997, p.3.), ailleurs encore de "300 à 600 mouvements". Le groupe de travail œcuménique "Neue religiöse Bewegungen in der Schweiz " parle de plus de 600 mouvements (Groupe de travail œcuménique " Neue Religiöse Bewegungen in der Schweiz ", Entwicklungen von 1979 - 1997, p. 5), à l’instar du journaliste Hugo Stamm. Selon le professeur Georg Schmied de l’Informationsstelle der evangelischen deutschschweizer Kirchen, dans la 7e édition (en préparation) de l’ouvrage d’Oswald Eggenberger, il est question de 700 à 800 mouvements. Les différences entre ces chiffres (1) découlent d’une part de l’approche et des intérêts particuliers des divers auteurs et, d’autre part, du phénomène en tant que tel. Ainsi, tous les mouvements ne sont pas constitués en groupements et ne sont donc pas pris ou ne peuvent pas être pris en compte par les statistiques. En outre, il faut également partir du principe qu’il existe une zone grise, confuse, non structurable et non quantifiable qui entraîne un risque de focalisation de l’intérêt sur un nombre de mouvements limités bien connus. Il semblerait cependant que la Suisse (avec la Grande-Bretagne et la Hollande) soit en effet le pays le plus touché par la multiplication des mouvements à caractère religieux.

Selon le recensement, en 1990, la population suisse comptait 39,98 % (environ 2,7 millions de personnes) de protestants contre 44,3 % en 1980 (Eglises évangéliques réformées, églises évangéliques méthodistes, autres églises et communautées protestants), et 46,32 % (environ 3,1 millions de personnes) de catholiques contre 47,9 % en 1980 (Eglise catholique romaine, église catholique-chrétienne, églises orthodoxes et églises chrétiennes des rites d’Orient). Environ 58.000 personnes faisaient partie à une "autre communauté chrétienne" (Eglise néo-apostolique : env. 30.000, Témoins de Jéhovah : 19.500, autres communautés chrétiennes : 8.300) et 30.000 personnes à d’"autres communautés religieuses et philosophiques " (dont les bouddhistes par exemple). Pour ce qui est des communautés religieuses israélite et musulmanes, elles comptaient respectivement 17.500 et 152.000 membres. Environ 51.000 personnes ont indiqué n’appartenir à aucune communauté alors que 100.000 personnes n’ont donné aucune information quant à leurs préférences religieuses. De 1980 à 1990, le nombre des personnes qui se décrivent comme n’appartenant à aucune religion est passé de 3,8 % à 7,4 %. Pour un nombre croissant de personnes témoignant d’une croyance religieuse, les deux grandes Eglises chrétiennes ne constituent plus la norme pour ce qui concerne les questions religieuses et on estime que, actuellement, environ un suisse sur cinq se considère comme n’appartenant à aucune religion ou confession.

Ces chiffres liés à la constatation que, par exemple, les Témoins de Jéhovah ont contribué à l’intégration sociale des immigrants en provenance d’Italie, d’Espagne et du Portugal permettent de tirer la conclusion suivante : la diversité du paysage religieux suisse ne se distingue que de manière insignifiante des modèles que l’on retrouve dans les autres pays étrangers de notre milieu culturel - une nouvelle situation pour un pays qui n’a jamais eu de tradition coloniale et qui ne se décrit pas comme pays d’immigration (Roland Campiche et Claude Bovay, in Mayer, Jean-François, La liberté religieuse à l’heure du pluralisme, Rutherford Institute, Rapport sur la Suisse, Paris, août 1997, p.2). Aujourd’hui, la Suisse est considérée comme un pays d’" importation " pour pratiquement chaque mouvement. Elle a également ses propres mouvements (Methernita, Uriella etc.) mais elle n’exporte pratiquement pas de mystiques.

Les nombreux commentaires de la presse au sujet d’une étude réalisée par l’institut d’éthique sociale de Lausanne sur l’appartenance religieuse et confessionnelle en Suisse (Office fédéral de la statistique : L’évolution de l’appartenance religieuse et confessionnelle en Suisse, Berne 1997) ont interprété l’augmentation de la part des personnes s’intitulant " sans confession " (environ 12 pour cent de la population ou 500.000 personnes) comme phénomène représentatif d’une avancée de l’athéisme. " Il y a effectivement de plus en plus de gens qui se disent sans lien avec une quelconque organisation religieuse mais qui ont leur croire [...]. Nous sommes justement dans une société qui se spécifie par l’abondance du croire plutôt que par sa rareté, sous des formes diverses et variées."

En Suisse, les groupements classés dans la catégorie des " nouveaux mouvements à caractère religieux " et qui ne peuvent plus être rangés dans la lignée de la pensée chrétienne au sens le plus large, ont commencé à essaimer durant les années 50 et 60. Il s’agit pour une partie d’une " importation culturelle " en provenance d’Inde, du Japon, du monde asiatique, du monde de l’ésotérisme, et pour une autre, d’" innovations culturelles " imprégnées d’éléments de culture occidentale sans références à la tradition chrétienne (Scientologie par exemple). Il est plutôt rare de rencontrer de nouvelles religions indigènes. Même si la Suisse est considérée comme "plaque tournante" du marché du religieux, son évolution ne diffère pas beaucoup de celle des autres pays, puisque, avec la crise de l’individu, chaque société occidentale est sujette au phénomène des sectes - toutefois, la prospérité et l’aisance d’une société influence ce processus dans la mesure où la catégorie de la " personne riche et malheureuse " se rencontre assez souvent en Suisse.

Quelques-unes des personnes entendues sont de l’avis que le marché du religieux en Suisse, avec sa demande spirituelle et l’offre très large en mouvements et en diverses orientations qui en résultent, est autorégulé pour deux raisons. Premièrement, la grande diversité de l’offre ne constitue pas le meilleur milieu pour un ancrage durable et stable et, deuxièmement, dans des conditions économiques normales, les extrêmes politiques et religieux s’auto-équilibrent. Les Suisses ont une aversion des extrêmes.

Après le drame de l’OTS, il convient de relativiser l’opinion, exprimée à diverses reprises lors des auditions, selon laquelle la Suisse romande serait plus tolérante que la Suisse alémanique envers les mouvements endoctrinants : il est intéressant de constater que c’est la Suisse romande justement qui tente de mettre sur pied une collaboration intercantonale. En outre, l’influence du pays voisin sur la région linguistique suisse correspondante, c’est-à-dire l’Allemagne, la France et l’Italie, a également été relevée.


(1) Le rapport d’une commission d’enquête parlementaire française souligne les difficultés en matière d’évaluation quantitative


Source : Conseil national suisse : http://www.parlament.ch