La partie ci-après est consacrée à la description des problèmes dans leur contexte social, en relation avec les services spécialisés et les autorités. Les problèmes touchant directement les personnes concernées seront abordés au chapitre 44 (Problèmes spécifiques des personnes directement concernées). De l’avis de la commission, il n’est pas toujours possible de différencier les problèmes généraux (de société) des problèmes spécifiques (individuels). Certains problèmes ressortissent à ces deux domaines à la fois.

INFORMATION INSUFFISANTE

Malgré la grande quantité d’informations détenue par des individus, des services d’information indépendants ou des Eglises, des organisations de personnes concernées et de certains services administratifs, il y a de grandes lacunes, principalement en ce qui concerne un grand nombre de groupements, petits, nouveaux ou en constante évolution.

Mais, en ce qui concerne les grands groupes, connus depuis plus longtemps, force est de constater que l’actualité des connaissances amassées est toujours en retard par rapport à leur situation actuelle. De plus, les données disponibles proviennent généralement d’un nombre de sources restreint qui ne parviennent à garder une vue d’ensemble ou à permettre une évaluation générale qu’au prix de recherches complémentaires qui prennent énormément de temps.

Les raisons de ces lacunes résident pour une part dans la faible capacité des services spécialisés et, d’autre part, dans le nombre important des groupes concernés ainsi que dans les transformations que certains de ces groupes entreprennent constamment. Par ailleurs, nombreux sont les groupes qui provoquent volontairement ce manque de transparence en ne fournissant aucune information publique, en fournissant des informations donnant une fausse image de leur organisation réelle ou en changent régulièrement d’apparence. Dans des cas extrêmes, certains groupes n’apparaissent que sous une forme " camouflée ". Cette attitude est parfois déjà ancrée dans la doctrine professée par le groupe, lorsque les idées principales véhiculées par cette dernière ne sont accessibles qu’à un cercle de personnes initiées, qu’elles ne sont transmises qu’oralement ou uniquement dans un cercle fermé et que leur divulgation est passible de sanctions. De tels groupes font usage d’un voile de mystère.

Le manque d’informations entraîne de nombreux problèmes. Tout d’abord, la concurrence indispensable des idées, telle qu’elle doit avoir lieu dans une démocratie pluraliste et libérale, n’est pas possible ou seulement de manière limitée puisque les doctrines, les méthodes, sont mises à l’abri de la réflexion et du débat critiques. Sans connaissances au sujet de la situation actuelle, il se peut que des situations de crise internes ne puissent être identifiées - comme dans le cas de l’OTS - ou, lorsqu’elles le sont tacitement, elles ne peuvent pas être évaluées de manière crédible. Lorsque des groupes se manifestent sans cesse sous de nouvelles appellations et sous de nouvelles formes d’organisation, une partie des effets de l’information préventive est, entre autres conséquences, anéantie. Des informations inexac-tes ou qui ne sont pas à jour augmentent les risques dans le cadre des activités en matière d’information et de consultation. Le risque encouru est celui de donner de mauvais conseils, de ne parvenir à offrir qu’une assistance insuffisante ou d’être confronté à un dépôt de plainte. Si l’on veut accorder une priorité élevée à la qualité de la consultation, l’information et le conseil ne doivent pas être considérés de manière isolée.

Le Conseil fédéral et l’administration ne semblent pas disposer d’un système d’information adéquat. Comme l’OPCA le souligne dans son rapport de travail et comme la commission a pu le constater, la Confédération ne dispose d’aucun service qui se préoccupe explicitement de ce sujet, et ceci bien que plusieurs de ses services y sont de temps à autre confrontés.

Ainsi, certains projets dans le cadre de la loi sur les activités de jeunesse ont été refusés étant donné que la participation démocratique n’était pas assurée. Toutefois, le service responsable souhaiterait pouvoir disposer de critères plus solides lui permettant de reconnaître les abus. Pour ce qui est de l’information, il y a un certain nombre de problèmes particuliers qui se posent dans le domaine de la protection des données. En effet, seul un nombre restreint d’organisations respectent l’obligation ancrée dans la loi sur la protection des données qui stipule que les bases de données privées contenant des données sensibles permettant d’établir des profiles de la personnalité - les données relatives aux opinions et activités religieuses ou philosophiques en font partie - doivent être annoncées au Préposé fédéral à la protection des données.

De son propre avis, le Préposé fédéral à la protection des données ne dispose que de moyens et de possibilités restreintes. Il n’est ni en mesure de dépister les bases de données non annoncées de manière systématique, ni d’agir (notamment en vertu du principe de la proportionnalité) en cas de réserves justifiées relatives à des bases de données qu’il connaît (par exemple pour les données sur la santé, sur la fortune et les capitaux ou sur les difficultés personnelles). Cette entrave concerne également le transfert illicite de données sensibles vers des pays ne disposant pas de dispositions équivalentes en matière de protection des données. Au vu de ses propres expériences et étant donné la faible consultation du registre en question, le Préposé fédéral à la protection des données n’accorde pas une importance prioritaire à l’obligation d’annoncer les bases de données. Il faudrait concentrer les efforts sur le droit de chacun de se renseigner auprès des responsables des bases de données.

Ce n’est que de cette manière que les personnes concernées (et non des organisations ou des tiers qui les représentent) peuvent contrôler l’exactitude des données à leur sujet et, le cas échéant, exiger leur correction.

Lorsque des communautés religieuses ou à caractère religieux sont reconnues par le droit cantonal, l’obligation d’annoncer les bases de données doit se conformer aux dispositions cantonales et non aux prescriptions fédérales en matière de protection des données.

En plus des constatations de l’OPCA, il s’est avéré que la pratique très réservée en matière d’échange d’informations entre les cantons conduit, pour diverses raisons, à des disparités en ce qui concerne l’imposition ou l’exonération des fondations ou des associations. Par ailleurs, ces disparités existent également entre la Confédération et les cantons. En vue d’une mise en œuvre harmonisée de l’impôt fédéral direct, l’Administration fédérale des contributions considère que la création d’une sorte de registre suisse des impôts serait souhaitable.

Elle est cependant d’avis qu’une telle base de données - qui existe partiellement dans cer-tains cantons - serait difficilement réalisable et, pour diverses raisons, difficile à tenir à jour.

Les groupements religieux ou à caractère religieux, le plus souvent organisés en tant qu’associations, ne sont pas connus des services fiscaux et des autres services et, le plus souvent, n’envisagent pas de s’annoncer en tant que contribuables éventuels.

RECHERCHE ET COLLABORATION LACUNAIRES

Les travaux scientifiques relatifs aux nouveaux mouvements à caractère religieux sont effectués par quelques scientifiques d’horizons les plus divers et découlent surtout de leur intérêt personnel pour la question. Ainsi, les rapports que la jeunesse entretient avec la religion ne font l’objet d’aucune recherche ; seule une enquête du DDPS auprès des recrues (qui, par sa nature même ne touche pas toute la jeunesse) fournit des informations dans ce domaine.

Ce déficit en matière de recherche doit également être considéré sous l’angle du fédéralisme - les questions religieuses sont du ressort des cantons. Une étude du Fonds national des années 1987 à 1989 (programme de recherche sur le pluralisme culturel et l’identité nationale) qui portait en partie sur les mouvements religieux non conventionnels en Suisse et leurs effets sur la société ne correspond plus aux circonstances actuelles et, de l’avis du Conseil fédéral, pourrait être réactualisée (Interpellation relative à la lutte contre les sectes, 98.3136 du 20 mars 1998).

En Suisse (contrairement à ce qui est le cas pour les Etats-Unis où tout une discipline scientifique se préoccupe de ces questions) les méthodes de manipulation ne sont guère étudiées.

Les suites psychiques résultant d’actes psychologiques (par opposition à des suites psychiques résultant d’actes physiques) sont mal connues. De plus, l’approche scientifique n’est pas assez interdisciplinaire et il serait urgent de procéder à une recherche fondamentale.

De l’avis d’une des personnes entendues, la question de savoir avec précision ce qu’une " secte " est en réalité est tout à fait légitime.

Bien qu’elle ne soit pas totalement inexistante, au même titre qu’il y a des lacunes en ce qui concerne la recherche scientifique, il y a également un manque de collaboration entre la recherche universitaire et les services d’information et de consultation privés et des Eglises.

Ce manque de collaboration découle pour beaucoup de l’approche du phénomène. La recherche s’intéresse aux résultats scientifiques alors que les services d’information et de consultation s’intéressent aux effets sur le psychisme et sur la santé ainsi qu’aux problèmes financiers des victimes directes et indirectes des mouvements endoctrinants. Le fait que la recherche soit alimentée par des moyens publics, donc assurée à long terme, alors que l’information et les consultations fonctionnent en grande partie grâce au volontariat, semble paradoxal. Ces services d’information et de consultation, qu’ils soient privés ou qu’ils dépendent des Eglises, connaissent des problèmes financiers et souffrent du manque de personnel.

C’est la raison pour laquelle ils ne parviennent pas toujours à répondre à la demande. (Durant les auditions, il est clairement apparu que le départ de conseillers expérimentés signifie également une grande perte de connaissances et de savoir-faire que l’engagement d’un nouveau collaborateur ne permet pas de compenser d’un jour à l’autre).

Le Fonds national suisse de la recherche scientifique soutient un projet intitulé " Religion et lien social " relatif à un observatoire des religions en Suisse. Sous la direction du département interfacultaire d’histoire et de sciences des religions de l’université de Lausanne, le but de ce projet est de procéder à une large analyse des religions en Suisse sous l’angle des sciences sociales. Entre autres buts, il prévoit notamment l’élaboration d’une base de données et la mise en place d’un réseau de chercheurs et d’organisations spécialisées. Les objectifs du projet ne sont pas de procéder à des recherches sur les abus et les potentiels de conflit.

PROBLEMES LIES A L’APPLICATION DES LOIS EN VIGUEUR

En majorité, la commission est d’avis que les bases légales en vigueur sont suffisantes. Cependant, le recours aux lois est insuffisant (absence de plaintes) ou ces dernières ne sont pas assez bien appliquées (cf. par exemple certaines législations sanitaires cantonales en ce qui concerne les pratiques des guérisseurs ou d’autres offres de soins pseudo-médicaux). Il est également difficile de sanctionner des propos qui ne tombent pas sous le coup de l’article 261 bis CP (par ex. propos racistes ou antisémites) pour la seule raison qu’ils sont exprimés en privé. En outre, la législation comporte aussi un certain nombre de lacunes telles des prescriptions légales minimales dans le cadre de la protection des consommateurs (critères minimaux en matière de contrats).

Les avocats expérimentés qui défendent les intérêts de membres ayant quitté leur mouvement ainsi que ceux de leurs parents, soulignent que les autorités judiciaires (et tutélaires) sont imprégnées de l’idée selon laquelle "les sectes ne touchent que les personnes vulnérables". Elles sont très réservées lorsqu’il s’agit de justifier des mesures liées à l’appartenance à un mouvement endoctrinant, qu’il s’agisse du bien de l’enfant, de divorce, de lésions corporelles ou psychiques. Lorsque le contexte est religieux ou prétendu tel, les craintes sont généralement, de l’avis de l’expert, encore plus importantes.

Les raisons de cette grande retenue résident en partie dans une appréciation insuffisamment claire du contenu et des limites de la liberté de croyance. En outre, les autorités judiciaires ont aussi souvent peur de devoir procéder à des délimitations difficiles ou d’affronter des contre-attaques juridiques ou au moyen de publications de la part des groupements visés.

Mais il y a également des lacunes, autant en ce qui concerne les connaissances relatives à l’efficacité et aux dangers des structures et des méthodes propres aux " sectes " qu’en matière de compréhension des problèmes qui en découlent pour les personnes victimes des mouvements endoctrinants.

Cette situation peut avoir pour effet qu’une personne concernée n’obtienne pas de l’Etat la protection que le cadre juridique actuel permettrait de lui offrir. Au-delà, elle peut encore avoir des effets plus larges dans la mesure où le public se met à supposer qu’il ne peut attendre aucune aide de l’Etat lorsqu’il s’agit de groupes endoctrinants. Un certain nombre de ces groupes exploitent ces sentiments d’impuissance, voire les renforcent sciemment dans le cadre de leur système disciplinaire interne ou de leur comportement externe menaçant.

De tels sentiments d’impuissance augmentent le nombre - déjà relativement important - de préjudices infligés par les mouvements endoctrinants qui ne sont pas recensés officiellement.

De l’avis de l’une des personnes entendues, sans ce sentiment d’impuissance, de nombreux problèmes ne se seraient jamais posés ou se seraient posés avec moins d’acuité si les lois avaient été appliquées, ce qui découle aussi de la sous-estimation des méthodes (qui ne sont pas assez étudiées).

Les prochains chapitres - limites du pouvoir de l’Etat, Prétendu " plein gré " et Responsabilité peu claire - montrent également les barrières qui se dressent sur le chemin du recours aux dispositions légales et de leur application. Le cas échéant, ils fournissent des indications sur les lacunes actuelles.

LIMITES DU POUVOIR DE L’ETAT

Le présent chapitre décrit les limites juridiques et réelles qui, de l’expérience des personnes concernées et des avocats, peuvent avoir des effets problématiques dans la pratique.

Comme cela a déjà été précisé, les limites de l’action de l’Etat en vertu de la constitution (liberté de conscience et de croyance) et les autres limites instituées par l’Etat (liberté d’expression etc.) ne font expressément pas l’objet du présent examen et elles ne sont pas remises en cause par la commission.

Même dans le cas où des situations intolérables sont avérées et les lois en vigueur appliquées, les interventions de l’Etat ou les mesures de protection sont souvent impossibles, ou alors les mesures ordonnées ne peuvent pas être exécutées.

Les raisons de cette situation résident souvent dans le fait que les préjudices subis concernent la sphère privée qui se soustrait aux contrôles ou aux influences externes, de l’Etat en particulier. De plus, les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution, la liberté de croyance et la liberté d’expression notamment, font que des abus ne peuvent être combattus que lorsqu’ils dépassent un certain seuil, c’est-à-dire lorsque d’autres droits fondamentaux sont lésés ou mis en danger de manière considérable. Certains groupes endoctrinants limitent d’entrée de jeu les possibilités d’agir de l’Etat ainsi que l’efficacité de ses mesures, notamment au moyen d’une doctrine qui refuse l’autorité de l’Etat ou, du moins, la subordonne à l’autorité du groupe. En cas de développement déterminé de cette tendance, le groupe va jusqu’à légitimer la désobéissance civile, voire jusqu’à dispenser ses adeptes du respect des règles de l’Etat.

En outre, certains groupes organisés au niveau international sont en mesure d’éviter l’application de mesures étatiques grâce à des transferts internationaux.

D’autres obstacles peuvent apparaître lorsqu’il s’agit de recourir à l’aide de l’Etat, notamment lorsque le groupe oblige ses membres et partenaires contractuels à se soumettre à une juridiction interne au groupe.

Ces pratiques, elles aussi, suscitent des sentiments d’impuissance chez les personnes concernées, ce qui aggrave souvent leurs propres problèmes et a pour effet, entre autres, de durcir les discussions sur les groupes endoctrinants. Plus tôt, ceci avait pour conséquence que certaines personnes concernées approuvaient ou recouraient à des mesures non admises pour se faire justice (ce que l’on appelle communément " déprogrammation ").

PRETENDU " PLEIN GRE "

L’attitude de chacun ne dépend pas seulement de son point de vue, mais également de la difficulté de reconnaître un état de dépendance. En effet, la psychologie moderne enseigne que l’homme a une tendance, souvent difficile à comprendre, qui le pousse non seulement à se soumettre à des pouvoirs sociaux qu’il considère comme inévitables, mais encore à justifier cette attitude au moyen de bonnes raisons et de convictions, voire de laisser le soin à de faux prophètes de le faire pour lui. De cette manière, l’individu se donne pour ainsi dire l’impression d’obéir de son plein gré, ce qui lui permet d’accepter une soumission inévitable sans trop se déconsidérer à ses propres yeux. (Müller Jörg Paul, Religionsfreiheit - ihre Bedeutung, ihre innere und äussere Gefährdung. conférence introductive à l’occasion d’un séminaire de l’OSCE du 16 au 19 avril 1996 à Varsovie, dans : Reformatio, décembre 1996, pp. 420 et ss).

La caractéristique la plus visible des mouvements endoctrinants est l’altération du libre-arbitre qui peut aller jusqu’à la perte complète de toute autonomie. Si l’on tient compte du fait qu’il n’est pas possible de prendre une décision de manière tout à fait autonome, sans aucune influence extérieure, voire qu’une certaine influence est socialement tolérée (et partiellement même souhaitée), il s’avère difficile de délimiter à partir de quel point l’influence exercée devient excessive et socialement intolérable.

Il faut chercher les raisons de cette difficulté dans le fait que les méthodes de manipulation et d’endoctrinement provoquent des processus internes qu’il est difficile de constater depuis l’extérieur. Les processus externes ont souvent lieu dans un cadre très restreint ou restreint au groupe lui-même, et ne peuvent par la suite pratiquement plus être ni reconstitués, voire prouvés. En outre, la manière d’agir de ces méthodes de manipulation, en partie très subtiles, ne sont pas encore bien connues dans ce domaine (contrairement à ce qui est le cas de la torture des prisonniers de guerre ou de la publicité) et font l’objet d’opinions divergentes (non vérifiées). Le jugement est aussi rendu plus difficile du fait que la personne manipulée y contribue elle-même d’une certaine manière dans la mesure où ses besoins insatisfaits et sa détresse la rendent propice aux manipulations.

Le problème réside dans le fait que, lorsqu’elles demandent l’aide des pouvoirs publics, les personnes concernées se heurtent à la difficulté de devoir prouver les éléments constitutifs des délits (dol, lésion) ou de convaincre les autorités concernées qu’il y a atteinte aux biens juridiquement protégés.

La critique des mouvements endoctrinants doit donc affronter les questions cruciales qui sont de savoir dans quelle mesure le libre-arbitre est respecté, jusqu’à quel point l’adhésion (et l’obéissance) des membres est volontaire et dans quelle mesure la communauté permet à ses membres de la quitter en tout temps sans exercer de pression ou en lui permettant de se libérer d’autres engagements consentis " par crédulité " et qui ne sont pas liés au mouvement en tant que tel. La réponse à cette question est, entre autres, importante pour l’Etat lorsque certains groupements vont si loin qu’ils refusent toute autorité séculière et que, par exemple, ils empêchent les enfants de suivre l’enseignement des écoles publiques ou qu’ils soustraient leurs écoles privées à l’autorité de l’Etat (cantons).

RESPONSABILITE PEU CLAIRE

Lorsque des délits sont commis dans le contexte interne à des groupes endoctrinants, les conditions sont très différentes de celles inhérentes à des délits commis dans d’autres circonstances.

En effet, le lésé ne remarque d’une part pas tout de suite qu’il a été victime d’un acte délictueux et, d’autre part, il est difficile de savoir clairement qui est responsable cet acte délictueux.

Les raisons de ce problème résident partiellement dans le fait que les rôles du coupable et de la victime se mélangent souvent. Soit la victime a elle-même participé à des actes semblables contre d’autres membres du groupe, soit elle a " librement " consenti à l’acte. Les délits ne sont généralement pas commis à la suite d’une défaillance individuelle, mais, par exemple, sur ordre d’un membre ou d’un organe de l’organisation hiérarchiquement supérieur - dont l’identité n’est pas connue ou qui réside à l’étranger - ou en application d’instructions inhérentes à la doctrine du groupe. Il arrive souvent que cette dernière prescrive des structures ou des formations qui visent le démantèlement du sens de la responsabilité et du " bon sens ". La priorité absolue des valeurs propres au groupe sur les biens juridiquement protégés du monde extérieur alliée à une motivation exagérée, résultant d’une doctrine paranoïaque ou prônant le salut du monde, produit des coupables qui n’ont ni sentiment de culpabilité ni aucune retenue.

Le problème découle du fait qu’une telle situation ne peut être reconnue qu’en ayant des connaissances de la structure interne du groupe et des mécanismes psychiques auxquels il fait appel. Si ces connaissances font défaut, il se peut que les autorités chargées de l’instruction restent inactives à tort. Lorsque la doctrine prescrit un comportement délictueux et lorsque son auteur ne peut être atteint ou reste inconnu, il est alors tout au plus possible de condamner l’exécutant. Cette situation n’est toutefois pas satisfaisante, ni du point de vue de l’idée de justice, ni de celui de la prévention générale. De plus, si elle ne leur permet pas de se distancier du groupe ou de la doctrine en question, l’aspect éducatif de la peine n’a pas d’effet sur des coupables endoctrinés.

PEUR ET DEPENDANCE FINANCIERE

Le travail sur le terrain permet de se rendre compte que les " victimes " ont très souvent peur de se défendre et de faire respecter leurs droits.

Les raisons de cette attitude résident dans le fait que le détachement d’un groupe endoctrinant n’est pas une démarche ponctuelle. Au contraire, il s’agit d’un long processus. Souvent, des séquelles d’" esprit de groupe " continuent d’agir, accompagnées de sentiments de honte et de culpabilité. Pour cette raison, les personnes qui désirent se retirer de ces mouvements ont souvent de la peine à identifier et à défendre leurs propres intérêts. La persistance importante de ce phénomène de distanciation empêche souvent de faire valoir des droits avant qu’ils ne soient frappés de prescription extinctive. En raison de l’isolement social que le système de nombreux groupes impose aux adhérents, ces derniers se retrouvent ainsi coupés du monde extérieur et, lorsqu’ils quittent le groupe, ils se sentent perdus dans un milieu au sein duquel ils ne parviennent pas à trouver le soutien qui leur serait nécessaire.

Quelques groupes attisent la peur au moyen de véritables stratégies terrorisantes et par un comportent agressif vis-à-vis de l’environnement externe. En outre, si l’on observe la situation avec lucidité, force est de constater que la puissance économique et l’agressivité - issue de l’excès de motivation - de certains groupes endoctrinants (dans l’attaque comme dans la défense) empêchent ou gênent la défense d’intérêts légitimes de certaines personnes et muselle toute critique publique à leur encontre.

Ceci est à l’origine de problèmes aux niveaux individuel et social dans la mesure où de nombreuses violations demeurent impunies et ne font jamais l’objet de réparation. De plus, cette constatation a pour effet de renforcer les convictions de toute puissance du groupe et de le conforter dans l’idée qu’il suit la bonne voie.


Source : Conseil national suisse : http://www.parlament.ch