Ce chapitre - contrairement aux problèmes généraux au niveau social abordés au chapitre 43 - est consacré aux questions qui ont des effets directs et graves sur les personnes directement concernées. Ces effets font d’ailleurs largement l’objet des discussion publiques : exploitation, attachement excessif, mise en danger de la santé, mise en danger du bien de l’enfant et autres dangers tels l’altération du libre-arbitre.

Il faut tout d’abord souligner que tous les problèmes présentés ne sont pas observés chez tous les groupes endoctrinants. De plus, l’ampleur et l’intensité de ces phénomènes varient beaucoup d’un groupement à l’autre. Il n’en reste pas moins que ces problèmes sont les effets typiques de l’altération du libre-arbitre caractéristique aux groupes endoctrinants.

EXPLOITATION

L’exploitation est l’un des aspects les plus manifestes de ceux qui peuvent être remarqués par un large public. Normalement, il faut partir du principe que la collaboration est volontaire. Il est cependant question d’emplois non ou mal rémunérés, de pressions visant à faire transférer la fortune (épargne ou héritage) en faveur du groupe, de protection insuffisante en matière d’assurance et de prévoyance ou d’endettement en faveur du groupe. En plus de cela, il y a également exploitation humaine. Certains groupes abusent de l’idéalisme de leurs adhérents ou utilisent les relations que ces derniers entretiennent pour recruter des nouveaux membres ou pour exercer d’autres influences.

ATTACHEMENT EXCESSIF

La limitation ou l’annihilation systématique du libre-arbitre des adhérents fait partie des caractéristiques des groupes endoctrinants. Cette pratique a pour but de créer rapidement une dépendance du membre envers le groupe. Certaines méthodes de recrutement sont en partie déjà orientées vers cet objectif. Toutefois, ce sont les pratiques et les structures des groupes qui permettent d’atteindre cette dépendance, notamment à l’aide d’un système disciplinaire rigoureux. Outre la dépendance économique découlant de l’exploitation précitée, la dépendance psychique est également très efficace dans la mesure où les groupes tentent de régler et de contrôler toutes les sphères, même les plus intimes, de ses membres (famille, vie intime, jusqu’à la " pensée intérieure "). En outre, il y a également instauration d’une dépendance sociale, particulièrement lorsque les relations entre le membre et le groupe ont duré longtemps, tant il est vrai que les adhérents de groupes endoctrinants tombent dans l’isolation sociale puisqu’ils ont souvent coupé tous les ponts avec leurs relations précédentes (manifestation secondaire ou recherchée par la doctrine du groupe).

A ces barrières " internes " qui rendent tout départ du groupe plus difficile, viennent encore parfois s’ajouter des barrières " externes " telles que des mesures préventives de nature juridique (contrats qui vont du minutieux à la castration), des mesures (plus rarement) de nature géographique et architecturale (campagne isolée) voire le recours à la violence physique. De plus, au moyen d’un activisme permanent, les groupes essaient d’empêcher leurs membres de penser à leur propre situation.

MISE EN DANGER DE LA SANTE

La doctrine de nombreux groupes endoctrinants inclut souvent des pratiques thérapeutiques, parfois ouvertement, parfois de manière cachée ou reniée. Parfois, le mouvement prétend que la guérison découle de l’" évolution spirituelle ". Lorsque les pratiques thérapeutiques parallèles sont liées à des dangers, ces derniers sont généralement niés par la doctrine - qui est infaillible - et la plupart du temps, par conviction, ils ne sont pas pris en considération par les adhérents. A cause de l’attitude anti-scientifique, les avertissements découlant des connaissances scientifiques sont souvent ignorés voire diabolisés. Vu l’objectif suprême (salut de l’âme / du monde), des risques qu’une personne normalement sensée éviterait sont souvent pris. Ainsi, le potentiel de dangers de telles pratiques est fondamentalement différent de celui qui est parfois lié à certains actes thérapeutiques de la médecine traditionnelle (qui n’est pas constituée que de la médecine d’école).

La santé est mise en danger par d’autres pratiques encore qui, elles, n’ont pas la guérison pour but (par exemple certaines méditations, des interrogations intensives, des manifestations "marathon", le surmenage). Dans ce cas également, les dangers sont niés ou ignorés au nom d’un idéal suprême.

MISE EN DANGER DU BIEN DE L’ENFANT

Les doutes relatifs au " plein gré " de l’affiliation, de l’attachement et de la participation à des activités d’un groupe endoctrinant ont déjà été présentés en ce qui concerne les membres adultes. Pour ce qui est des enfants, à cause de l’influence particulière des parents, leur libre- arbitre est encore plus limité, voire inexistant. Il existe certaines bases légales relatives à la détermination par des tiers. En effet, les parents, le cas échéant la commune du lieu d’origine, ont le droit de disposer de l’éducation religieuse de l’enfant (Article 303 CC en ce qui concerne les parents, article 378, 3 e alinéa CC pour le lieu d’origines des enfants sous tutelle), jusqu’à la majorité religieuse de l’enfant qui intervient lorsque ce dernier a 16 ans révolus (Article 49, 3e alinéa cst., article 303, 3e alinéa CC).

La plupart des effets néfastes que l’on observe chez les adultes peuvent également toucher les enfants. En plus, les enfants sont parfois victimes de pratiques ou de doctrines dirigées spécialement contre eux (notamment les abus sexuels, la méditation contrainte pour les jeunes enfants) (1). Chez eux, certains problèmes ont des effets particulièrement dramatiques et durables (notamment les " années perdues " en lieu et place d’une évolution et d’une formation dans la diversité, isolation d’autres enfants et d’autres influences ; les pratiques de certains groupements qui empêchent les enfants de suivre l’enseignement des écoles publiques ou qui soustraient leurs écoles privées à l’autorité de l’Etat a déjà été abordé au chapitre 435). A cause de leur infériorité et de leur manque d’expérience, les enfants sont nettement moins bien armés pour se défendre que les adultes.

AUTRES DANGERS, ALTERATION DU LIBRE-ARBITRE

La présentation ci-dessus des divers problèmes posés par les groupes endoctrinants montre bien que ces derniers accordent la priorité à leurs intérêts, et, partiellement, les font passer avant les intérêts individuels de leurs adhérents dont ils exigent une soumission correspondante.

La limite entre un engagement socialement tolérable (qui peut tout à fait être lié à des sacrifices consentis) est tracée par rapport aux méthodes utilisées pour créer la disponibilité et susciter la conviction des personnes concernées. Lorsque les méthodes utilisées font appel à la manipulation, à la tromperie et à l’endoctrinement, alors l’altération, voire la suppression du libre-arbitre n’est plus l’affaire de l’individu, mais bien de l’Etat qui peut et doit intervenir (naturellement dans la mesure où il en a les moyens). Les exemples extrêmes sont les cas dans lesquels un scénario de salut ou de persécution pousse les adhérents vers un suicide collectif ou toute autre forme de renonciation de soi (OTS, Heaven’s Gate) ou les amène à commettre des délits (secte Aum).

Mais des cas moins spectaculaires (notamment des conversions " instantanées ", des bouleversements complets du mode de vie et l’abandon d’une famille intacte à la suite d’un cours de plusieurs jours, l’apparition d’une incapacité de dialoguer provoquée par la nécessité de demander les instructions du groupe à tout propos ou par la déclamation de principes de la doctrine du groupe et le refus de prendre tout argument contradictoire en considération) donnent à l’observateur non averti l’impression d’une autonomie réduite, voire nulle.

Etant donné que non seulement le droit privé et le droit pénal, mais que la démocratie se fonde également sur l’axiome de l’autodétermination de chacun, un Etat de droit libéral ne peut demeurer sans réagir lorsque des groupes endoctrinants attentent systématiquement à l’autonomie individuelle ou envisagent de la réprimer.


(1) L’énumération de toutes les pratiques dirigées contre les enfants ne saurait être exhaustive pour des raisons de place. La commission d’enquête du Bundestag allemand s’est attaquée au problème spécifique des enfants dans les " sectes ", voir rapport final de cette commission, pp. 200 et ss, ainsi que l’étude " Arbeitskreis 4 - Kindeswohl/Kindesmissbrauch", pp. 86 et ss. du rapport intermédiaire de cette même commission. Le rapport de l’enquête suédoise sur les " sectes " insiste sur la protection des enfants ; In Good Faith - Society and new religious movements. A ce sujet, voir résumé en langue anglaise de 1998 (version originale en suédois : 392 pages).


Source : Conseil national suisse : http://www.parlament.ch