Si la typologie des mouvements établie en 1995 garde toute sa pertinence, le paysage sectaire a toutefois connu des évolutions et mérite d’être représenté dans sa forme actuelle avant de l’appréhender au regard de l’objet de la Commission.
1.- LA TYPOLOGIE DE 1995 GARDE TOUTE SA PERTINENCE
Avaient été distinguées, à l’époque, treize familles de sectes, classées en fonction de leur objet principal :
1) les alternatives qui préconisent une organisation radicalement différente de la société et des rapports humains ;
2) les apocalyptiques, qui prédisent un prochain cataclysme planétaire et offrent à leurs adeptes les moyens d’y échapper ;
3) les évangéliques, qui représentent des émanations extrêmes des Eglises réformées, où le pasteur joue un rôle de gourou ;
4) les guérisseuses, qui proposent des thérapies faisant appel à des procédés irrationnels ou peu scientifiques pour vaincre les maladies incurables les plus graves, notamment le cancer et le SIDA ;
5) les néo-païennes, qui cherchent à rétablir les cultes disparus avec la propagation du Christianisme ;
6) les nouvel-âgiennes, qui préparent l’entrée du monde dans une nouvelle ère, celle du Verseau, et prônent pour cela un néo-spiritualisme fortement empreint de millénarisme ;
7) les occultistes, qui pratiquent les sciences occultes les plus diverses (astrologie, alchimie, magie sous toutes ses formes, sorcellerie...) ;
8) les orientalistes, qui constituent des déviances des religions orientales (bouddhisme, hindouisme, taoïsme...) en fonction des lumières particulières à leur gourou ;
9) les pseudo-catholiques qui se réfèrent à la tradition catholique qu’elles entendent maintenir contre les réformes imposées par Rome ;
10) les psychanalytiques ou pseudo-psychanalytiques, qui veulent soulager l’inconscient de ses faiblesses par des techniques para-psychologiques opposées à la psychologie et à la psychanalyse classiques ;
11) les sataniques et lucifériennes qui annoncent l’avènement sur la terre du règne de Satan et se livrent pour cela à des profanations et à des messes noires ;
12) les syncrétistes qui mélangent, en fonction des recettes de leurs gourous, les ingrédients de traditions spirituelles très différentes ;
13) les ufologiques, également appelées soucoupistes, entrent en communication avec les extra-terrestres, soit pour les accueillir sur terre, soit pour préparer le départ sur une autre planète.
En affinant l’analyse, le rapport de 1995 complétait cette approche par " type dominant " d’une prise en compte de " types associés ". Or le caractère composite de certaines sectes s’est encore accru, on le verra, et dans une double direction :
– des mouvements sectaires agrègent un nombre croissant de " types associés " à côté de leur type dominant ;
– ces mouvements sont, eux-mêmes, de plus en plus nombreux.
Enfin, la distinction entre grandes et petites sectes semble se justifier plus que jamais, avec d’un côté, la puissance internationale de l’Eglise de Scientologie, et à l’autre extrême, une multitude de petits mouvements, ne rassemblant parfois que quelques dizaines de personnes.
2.- LE PAYSAGE SECTAIRE ACTUEL
Les deux plus grands facteurs d’évolution du paysage sectaire depuis quatre ans résident dans l’expansion de certains types de mouvements et dans une tendance, presque générale, à la déspécialisation.
a) Les mouvements en expansion
Si certaines sectes rencontrent des difficultés, notamment depuis 1995 et l’organisation de la lutte contre le phénomène décidée à la suite du rapport de la précédente commission d’enquête, certaines mouvances connaissent une influence croissante.
Marquent le pas les mouvements émanant de sectes internationales ou multinationales, pour deux raisons essentielles : d’une part, la pression des pouvoirs publics qui articulent de mieux en mieux leurs dispositifs, d’autre part, le fait que l’Europe de l’ouest en général et la France en particulier ne constituent plus des terres " de conquête " pour les multinationales sectaires, qui privilégient désormais leur implantation notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale ainsi qu’en Chine.
Des bouleversements sont survenus à la tête de mouvements importants, freinant leur développement ou entraînant même leur déclin.
Ainsi le Mandarom a mal surmonté le décès de M. Gilbert Bourdin en 1998, laissant les adeptes désemparés et l’organisation aux prises avec des démêlés administratifs et judiciaires.
La mise à l’écart du fondateur du Patriarche, M. Lucien Engelmajer, a entraîné des modifications statutaires importantes et une déstabilisation de l’équipe dirigeante.
Quatre types de sectes, selon la typologie rappelée ci-dessus, paraissent connaître aujourd’hui une expansion importante :
1) Les apocalyptiques, qui bénéficient notamment de l’approche du troisième millénaire et de la théorie hindouiste dite " des âges ", semblent s’insinuer, par le mécanisme du " type associé ", dans de nombreuses autres doctrines. Certains gourous, pour consolider leur pouvoir, recourent à la perspective du sacrifice sublime, comme Raël en 1996, ou annoncent des fins du monde toutes proches : Saï Baba, fondateur de la secte Sri Sathya Saï, l’avait vue pour le mois d’août 1998, M. Luong Ming Dang, créateur du mouvement Human Universal Energy, pour le 21 janvier 1999...
2) Pour des raisons similaires, le courant ufologique est en plein développement.
3) Les sectes sataniques progressent également, comme l’atteste l’augmentation du nombre de profanations qui sont recensées.
4) Enfin, les mouvements guérisseurs connaissent la plus forte expansion. De plus en plus de sectes s’efforcent, on le verra, de pénétrer les secteurs de la médecine et de la pharmacie, en s’appuyant sur les échecs des thérapies classiques, notamment en reprenant à leur profit le mouvement anti-vaccinations mis en place par le " Syndicat Hippocrate ".
a) Une tendance à la déspécialisation
Les mouvements sectaires ont connu, au cours des dernières années, un processus de relative déspécialisation ou d’indifférenciation. Les frontières entre les catégories sont devenues beaucoup moins rigides. De plus en plus, on rencontre diverses composantes au sein d’une même secte. Ainsi, les alternatives, les guérisseuses et les psychanalytiques ont propagé leur objet dominant comme composantes d’autres mouvements. Leur objet donnant lieu à des activités particulièrement lucratives, beaucoup de leurs consœurs ont cherché à les agréger à leur objet principal. On forcerait à peine le trait en disant que le prototype de la secte moderne est celui qui permet d’intégrer le maximum de thèmes différents.
Ainsi, la Scientologie et les nébuleuses Prima Verba et Anthroposophie, que l’on rencontrera à plusieurs reprises au cours de ce rapport, offrent un ensemble complet de prestations qui en font les hypermarchés des produits sectaires : on y dispense des conférences, des cours, des séminaires de développement personnel, des stages de formation professionnelle, on y vend des produits qui guérissent le Sida comme la calvitie, on y pratique des cultes qui vous mettent en rapport, au choix ou en bloc, avec les anges, les disparus, les divinités de toutes sortes ; on peut y sauver votre entreprise si elle rencontre des difficultés économiques, ou votre famille si elle éprouve le mal de l’incommunicabilité entre les êtres ; on peut vous y aider à vous débarrasser de vos ennemis, et bien sûr, on peut vous y enrichir, le tout à des tarifs d’amis qui deviennent progressivement monstrueux ...
Cette tendance à l’indifférenciation se manifeste le plus souvent par l’adjonction dans un premier temps d’une composante nouvel-âge ou guérisseuse dans un groupe de type originel différent.
Le processus de déspécialisation s’accompagne d’un développement des réseaux qui gravitent à la périphérie des sectes, de l’apparition de " filiales " prenant souvent le statut de sociétés commerciales et d’infiltration d’entreprises où un adepte occupe une position stratégique.
Les tableaux figurant en annexe du rapport donnent une idée, sinon exhaustive, du moins représentative, de l’expansion du phénomène sectaire au travers de la création de " filiales " des organisations principales et de la constitution de réseaux économiques.
3.- LES MOUVEMENTS SECTAIRES AU REGARD DE L’OBJET DE LA COMMISSION
Le rapport de la Commission d’enquête de 1995 comportait une liste de près de 200 mouvements, à partir de laquelle a été sélectionné un certain nombre d’organisations au regard de l’objet et du champ d’investigation de la présente Commission, à savoir la dimension économique et financière du phénomène, qui est l’un des aspects les plus confus et les plus difficiles à cerner des organisations sectaires.
Aussi bien, le critère de dangerosité retenu en 1995 reste indépendant du poids économique et financier. Un mouvement sectaire peut être en effet extrêmement dangereux pour les personnes sans avoir d’importance économique ou financière notable.
En revanche, des organisations non relevées dans le précédent rapport mais qui, d’une part, remplissent certains des critères sectaires retenus dans le rapport de 1995 (1), d’autre part, ont acquis un poids économique et financier certain, ont été signalées à la Commission qui, au vu des éléments d’information recueillis, a souhaité les inclure dans le champ de ses investigations : il en va ainsi de l’Ancien et mystique ordre de la Rose-Croix (AMORC), de l’Anthroposophie, de Prima Verba, d’Au Cœur de la Communication (ACC) et de Stop au Cancer.
La Commission a donc privilégié, dans son enquête, les organisations économiquement les plus puissantes mais aussi des mouvements de moindre importance se livrant à des dérives caractéristiques dans les domaines économique et financier.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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