La plupart des sectes utilisent leurs revenus pour acquérir un patrimoine, essentiellement immobilier. Cet investissement constitue la face apparente de la richesse sectaire, choisie dans l’intérêt matériel de l’organisation mais aussi parfois destinée à lui servir de " vitrine ".

A) L’ACQUISITION D’UN PATRIMOINE SOUVENT ELOIGNE DE L’OBJET DES ASSOCIATIONS CONCERNEES

De fait, le patrimoine des sectes atteint une importance quantitative inquiétante. L’actif détenu par certaines associations, au but religieux, spirituel ou cultuel apparent, peut présenter une nature et des montants disproportionnés par rapport à leur objet social.

Les associations françaises de Témoins de Jéhovah sont, rappelons-le, à la tête d’un capital d’un milliard de francs. Le capital associatif de la branche française de la Soka Gakkaï s’établit à plus de 240 millions de francs, à près de 140 millions de francs pour l’AMORC, et à 60 millions de francs pour Mahikari France.

Il peut s’agir d’un capital industriel ou commercial. Les Témoins de Jéhovah ont investi dans une imprimerie industrielle comportant des installations d’impression, des locaux de stockage et du matériel de transport. D’autres associations sectaires sont propriétaires de participations dans des sociétés commerciales, comme le montrent les exemples des sociétés de restauration détenues par le Patriarche, de la société Diffusion rosicrucienne contrôlée par l’AMORC, ou de l’entreprise LH France, possédée par Mahikari.

Le patrimoine des associations sectaires est souvent constitué d’un portefeuille financier dont l’importance varie selon les mouvements. Au-delà du rôle spirituel qu’ils s’attribuent, certains dirigeants de secte se révèlent être des financiers avisés, si l’on en juge par les actifs financiers figurant au bilan de leurs associations et les revenus qu’elles en tirent.

Les associations françaises de la Soka Gakkaï disposent d’un portefeuille en SICAV dont la valeur nette comptable au 31 décembre 1997 s’établissait à 64 millions de francs. Les immobilisations financières et les valeurs mobilières de placement détenues par les instances nationales des Témoins de Jéhovah atteignaient, au 31 août 1998, 62,9 millions de francs. Les associations locales de la même secte auraient également procédé à des placements financiers qui, d’après les informations transmises à la Commission, auraient représenté près de 500 millions de francs déposés sur le réseau d’une seule banque. Cette information ne correspond pas aux estimations des responsables nationaux de l’organisation jéhoviste qui ont déclaré devant la Commission que l’actif des associations locales atteignait un total de 600 millions de francs, essentiellement constitué par leurs investissements immobiliers.

Les placements financiers réalisés par l’AMORC atteignaient, au 31 décembre 1998, 16 millions de francs qui ont apporté, pour les derniers exercices clos, une rémunération annuelle d’environ 1,3 million de francs. Mahikari n’a pas accepté de communiquer le montant de ses actifs, jugeant cette information " confidentielle ", jugement qui semble signifier que sa fortune boursière est suffisamment importante pour mériter d’être gardée secrète. En tout état de cause, ces actifs doivent représenter plusieurs dizaines de millions de francs. Il a en effet été précisé dans les réponses au questionnaire de la Commission que cette association tire de ses placements financiers des revenus annuels variant entre 1,1 et 1,6 million de francs. Le rendement est encore nettement plus élevé s’agissant de l’organisation jéhoviste : les produits financiers de l’Association Les Témoins de Jéhovah ont par exemple atteint, en 1992-1993, 16,6 millions de francs.

La Commission ne dispose pas d’une évaluation des actifs financiers détenus par le Mandarom. Cette secte semble préférer le maniement d’espèces à la détention d’un portefeuille. Le contrôle fiscal réalisé en 1995 sur l’Association des chevaliers du lotus d’or qui formait à l’époque l’instance nationale du mouvement, a néanmoins révélé l’existence de deux investissements : l’association a procédé au début des années 1990 à la souscription d’un certificat de dépôt pour un montant de 511.584 francs et au placement de 690.100 francs sur un compte à terme.

La Commission a par ailleurs relevé la trace de revenus financiers dans les comptes d’Au cœur de la communication, de la Pentecôte de Besançon et de Spiritual Human Yoga France, nouvelle appellation de la branche française de la secte créée par M. Luong Minh Dang et plus connue sous le nom de Human Universal Energy (HUE).

L’existence de ces placements pose le problème des relations entre les sectes et les établissements financiers. Il est clair que le monde de la finance ne reste pas insensible à la puissance financière de certaines organisations sectaires. La Commission a pris connaissance d’un protocole d’accord qui aurait été passé entre les Témoins de Jéhovah et une banque importante afin de mettre en place un partenariat permettant aux associations de la secte de bénéficier de conditions privilégiées auprès de ses agences. Ces conditions porteraient sur le fonctionnement des comptes, la rémunération des ressources et l’octroi de prêts immobiliers à des taux avantageux et selon des modalités de remboursement modulables.

On peut légitimement s’interroger sur l’influence exercée par certains établissements bancaires dans les mécanismes d’extorsion de fonds utilisés par les sectes. L’instruction relative à l’Eglise de scientologie de Lyon a montré le rôle joué par les agences qui ont accepté de prêter à Patrice Vic, alors que ce dernier était manifestement manipulé par le dirigeant de l’association. Elle a même établi que ce dernier proposait à certains adeptes, afin d’appuyer leurs demandes de prêt, d’emprunter auprès de l’agence du Crédit lyonnais où il disposait de son propre compte.

La Commission tient à appeler les banques à la plus grande vigilance dans leurs relations avec les milieux sectaires. Elle les incite à prendre l’habitude de consulter la Mission interministérielle de lutte contre les sectes chaque fois qu’elles ont un doute. Un expert pourrait utilement être détaché auprès de la mission à cet effet.

B) LE PARC IMMOBILIER DES SECTES

L’immobilier reste l’investissement préféré des sectes. Réalisé soit directement par les associations, soit par l’intermédiaire de sociétés civiles immobilières, il leur permet de disposer des locaux utiles aux différents rites ou séances qui ponctuent la vie de la secte. Mais ce type d’investissement est aussi un moyen d’écouler, et parfois de blanchir, les sommes versées en espèces que les sectes reçoivent de leurs adeptes.

Chacun connaît des exemples de " châteaux " acquis par une secte. Il est indéniable que les mouvements sectaires disposent de la puissance financière suffisante pour procéder à de telles acquisitions, mais aussi, grâce à leurs adeptes, de la main-d’œuvre gratuite susceptible de les entretenir. L’intérêt des sectes pour les demeures historiques a été jugé suffisamment inquiétant pour que la Direction du patrimoine s’en alarme, et attire l’attention sur les exemples de spoliation de sites classés ou inscrits, à la suite de leur occupation par des associations sectaires.

Le goût des sectes pour les vieilles pierres n’est pas une fausse réputation. Les exemples sont multiples. Citons Krishna installé au château de Bellevue dans le Jura et au domaine d’Oublaisse dans l’Indre ; Tradition famille propriété disposant à travers l’association Avenir de la culture du château de Jaglu dans l’Eure et Loir ; la Nouvelle Acropole propriétaire de la Cour Pétral, ancien monastère situé dans le même département ; l’Office culturel de Cluny qui dispose du château de Machy dans le Rhône ; Orkos installé au château de Montramé en Seine-et-Marne...

L’intérêt des sectes peut également se porter vers des bâtiments commerciaux et des immeubles industriels, comme des entrepôts, ou, dans le cas du Patriarche, une filature, une conserverie ou une station service.

L’évaluation du parc immobilier des sectes est difficile à réaliser. La multiplicité des mouvements, l’éparpillement des investissements et la diversité des montages juridiques demanderaient plusieurs mois d’enquête. Les annexes du rapport donnent une estimation des immeubles appartenant aux principales sectes ou mis à leur disposition. Il s’agit toujours d’une valeur a minima qui indique le plancher au-dessus duquel ce patrimoine se situe. De nombreuses implantations n’ont en effet pas pu être valorisées, faute de temps ou en raison de la difficulté à déterminer la valeur marchande de certains investissements très importants ou particulièrement prestigieux.

En tout état de cause, ces évaluations permettent de situer la fortune immobilière des sectes. Plusieurs organisations sortent du lot et sont à la tête d’un parc supérieur à une centaine de millions de francs. Outre les Témoins de Jéhovah, il s’agit de la Soka Gakkaï qui a procédé à des acquisitions de prestige, l’Eglise néo-apostolique qui s’est offert un parc immobilier afin d’accueillir ses fidèles dans les meilleures conditions et Dianova dont les investissements immobiliers ont été dénoncés par la Cour des comptes. Viennent ensuite l’AMORC, l’Anthroposophie, Moon, Mahikari et la Fraternité blanche universelle dont le patrimoine se chiffre en dizaine de millions de francs. Pour leur part, Krishna, Tradition Famille Propriété, le Mouvement du Graal, l’Office culturel de Cluny, les Roses Croix d’or et la Pentecôte de Besançon se situent entre 10 et 15 millions de francs, les autres sectes se trouvant en deçà.

Le mouvement des Témoins de Jéhovah est certainement la secte qui montre le plus d’intérêt pour les investissements immobiliers. Cet intérêt répond à une volonté d’affirmer la présence de l’organisation sur l’ensemble du territoire à travers le millier de salles du royaume qui ont vu le jour aux quatre coins de la France, parfois acquises, souvent construites en des temps records par des escouades de Témoins mobilisés à cet effet. La secte évalue, on l’a vu, ce patrimoine immobilier à 600 millions de francs. Les acquisitions réalisées par les instances nationales correspondaient davantage à un souci de gérer la fortune de la secte " en bon père de famille ", et de placer ses économies dans la pierre afin de loger des adeptes. Ainsi, la secte possédait plusieurs immeubles dans l’Aisne et dans l’Eure, et surtout un nombre très important d’appartements à Boulogne-Billancourt, principalement des studios qui devaient probablement être utilisés à l’hébergement des membres. Le transfert du siège à Louviers a entraîné une concentration du patrimoine dans cette ville. La secte s’est en effet séparée des terrains qu’elle possédait dans l’Aisne, de maisons situées à Incarville et d’immeubles à Boulogne, dont son ancien siège cédé le 17 novembre 1998 pour 8,1 millions de francs. De 1993 à 1998, ces ventes ont représenté au total une recette d’une trentaine de millions de francs. Elles se sont accompagnées de la construction à Louviers, dans un quartier entièrement possédé par la secte, d’un complexe administratif et d’hébergement devenu le centre européen de l’organisation. Le mouvement détient par ailleurs, sur un autre site de la ville, des installations d’imprimerie ainsi que d’importants ateliers (blanchissage, couture...). Au total, les bâtiments administratifs et d’habitation s’étendent sur 4,5 hectares, tandis que les locaux d’activité et de stockage représentent une surface de 19.500 mètres carrés. La secte évalue ce patrimoine à 240 millions de francs. Les différents biens que les associations nationales possèdent toujours dans d’autres villes de l’Eure, à Boulogne ou dans le sud-est de la France portent le patrimoine total des Témoins de Jéhovah à plus de 860 millions de francs, salles du royaume incluses.

C) DES INVESTISSEMENTS AU SERVICE DES PRATIQUES SECTAIRES

Quelle que soit sa forme, le patrimoine acquis par les sectes représente un investissement destiné à accroître son influence.

Il a, en premier lieu, pour objectif de mettre l’organisation à l’abri du besoin, notamment en lui procurant des revenus réguliers tirés, par exemple, de placements financiers. Certains mouvements disposent même de propriétés agricoles qui peuvent faire vivre la communauté installée sur place. C’est le cas de Dianova et de Krishna. Les comptes de la Soka Gakkaï font également apparaître des revenus agricoles tirés de la propriété que la secte possède à Trets dans les Bouches-du-Rhône.

Les investissements sont surtout utilisés pour les activités sectaires proprement dites. Animés et mis en valeur par les adeptes invités à offrir bénévolement leurs services, les immeubles acquis par la secte sont autant de lieux de propagation de son message.

Les mouvements sectaires achètent principalement des lieux de réunion. Deux cas d’acquisition de salles de cinéma ont été portés à la connaissance de la Commission. En dehors de l’exemple des Témoins de Jéhovah, la fortune immobilière de mouvements comme Mahikari ou la Pentecôte de Besançon s’appuie sur la propriété de lieux de cultes répartis dans les départements où la secte bénéficie d’une audience. L’Eglise néo-apostolique dispose à Metz d’une " église " de 1.600 m2, construite sur un terrain de 60 ares, capable d’accueillir 1.300 personnes et offrant des installations techniques très modernes. Le Mandarom vient de déposer un permis de construire pour l’édification de la sépulture de Gilbert Bourdin dont le coût est estimé à 50 millions de francs.

Les différents châteaux acquis par les sectes sont souvent destinés à servir de local pour les conférences, les cours ou les séminaires qu’elles dispensent. Par exemple, les Roses Croix d’or utilisent à cette fin leur château de Tourtel en Meurthe-et-Moselle ou le domaine de Rieusselat dans l’Hérault. L’AMORC a récupéré à Orléans les anciens entrepôts de Dunlop pour y réunir les " initiés " de la région. Elle est surtout propriétaire, par l’intermédiaire d’une société commerciale, de l’Espace AMORC sis 199 Rue Saint Martin à Paris, qui forme un complexe de 2.500 m2 modulables, composé de 10 salles réparties sur trois niveaux, d’un auditorium de 400 places, d’une librairie et d’une galerie d’art. On peut enfin citer l’exemple de la Société anthroposophique qui dispose, outre 24 propriétés utilisées comme établissements scolaires ou préscolaires, de plusieurs lieux de culte et de différentes structures d’hébergement.

Le patrimoine sectaire peut également être parfois utilisé comme une vitrine de la secte qui, en montrant sa richesse, cherche à prouver son honorabilité et à assurer sa respectabilité. La Soka Gakkaï est le mouvement le plus représentatif de cette attitude. La secte japonaise a acquis, moyennant l’aide de l’association mère, plusieurs lieux prestigieux susceptibles d’asseoir la réputation culturelle qu’elle revendique. Elle est en effet propriétaire du Château des Roches, ancienne demeure de Victor Hugo située dans la vallée de la Bièvre où elle a installé un " centre cuturel ". Ce lieu a été inauguré par le dirigeant international de la secte, M. Ikeda, en présence de représentants de milieux culturels et politiques français, et des manifestations y sont régulièrement organisées. La secte Moon est également soucieuse de son image et possède des adresses de prestige. Après avoir contrôlé le Trianon Palace à Versailles, elle détient, par l’intermédiaire de deux sociétés de droit étranger, l’hôtel et le restaurant du Château de Bellinglise dans l’Oise. L’AMORC est propriétaire du château d’Omonville dans l’Eure, propriété classée monument historique. L’impeccable façade classique de ce monument orne le bas des courriers officiels de la secte. Dans un registre plus sobre sinon plus modeste, d’autres mouvements utilisent leur siège social comme la vitrine de leur organisation. Le site de Louviers, avec les dizaines de chambres construites sur le même modèle pour l’hébergement des adeptes, joue par exemple ce rôle pour les Témoins de Jéhovah qui y organisent régulièrement des journées portes ouvertes.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr