De l’ensemble des décisions de justice auxquelles la Commission a eu accès, notamment de celles fournies par la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, il ressort que de nombreuses sectes se sont, au cours des dix dernières années, rendues coupables d’illégalités. Celles-ci relèvent de six domaines principaux :
IL S’AGIT, EN PREMIER LIEU, DE DELITS RELATIFS AUX ATTEINTES PHYSIQUES A LA PERSONNE HUMAINE : MAUVAIS TRAITEMENTS, COUPS ET BLESSURES, SEQUESTRATION, NON ASSISTANCE A PERSONNE EN DANGER OU PRATIQUE ILLEGALE DE LA MEDECINE.
Ainsi, le Tribunal de grande instance de Versailles a-t-il établi, dans une décision des 8 et 9 février 1995 (n\xfb 234) que M. et Mme Mihaes, les dirigeants de la secte " la Citadelle " , se sont rendus coupables, entre autres, de violences sur mineur de quinze ans, d’enlèvement et de séquestration. Le compte-rendu des faits par le tribunal est éloquent :
" Attendu que M. Solomon, qui avait appartenu à ce groupe [la Citadelle] à partir de 1974, l’avait quitté en 1990, rejoint quelques temps plus tard par son épouse, alors que leurs deux enfants majeurs Karen et Pascal ainsi que leur fille mineure Dana Solomon étaient restés dans le mouvement ;
" Que M. Solomon et son épouse étaient parvenus à reprendre avec difficultés leur fille Dana le 25 août 1991, alors quelle se trouvait au château de Courcillon (72), propriété du couple Mihaes ;
" Que Dana Solomon devait expliquer que dans cette communauté les enfants étaient habituellement séparés de leurs parents et qu’ils subissaient divers mauvais traitements qui leur étaient infligés, notamment par Mme Mihaes, Mme Esther Antoine et M. Axel Schmidt ;
" Qu’elle-même avait été à plusieurs reprises frappée, séquestrée, contrainte au jeûne et privée habituellement d’une nourriture suffisante ;
" Attendu qu’il est établi que, sous couvert d’application de préceptes bibliques, les enfants ont été contraints aux jeûnes, aux confessions publiques, ont été soumis à des punitions qui, outre les coups, pouvaient s’exercer en un isolement ainsi qu’en a été victime Dana Solomon, retenue contre sa volonté dans la maison de gardien de la propriété du Vésinet, sans chauffage pendant les mois d’hiver et ne disposant que d’une nourriture extrêmement frugale, mais qui pouvait aussi s’exercer sous forme d’un déplacement de résidence ainsi qu’en avait été victime Claire Solomon placée, ``en punition’’, au domicile du couple Bahjejian et séparée de ses frères et soeur ;
" Attendu qu’en ce qui concerne plus précisément les prévenus, il est établi que Mme Delia Mihaes, qui a toujours contesté les accusations portées contre elle, a commis les faits qui lui sont reprochés dans la prévention, en se livrant, à de multiples reprises, à des actes de violence à l’égard des enfants Stéphane, Jonathan, Céline et Claire Antoine, Dana Solomon ainsi qu’à l’égard de ses fils jumeaux Octavius et Flavius ;
" Qu’elle a gravement compromis la santé et l’éducation de ces enfants en leur faisant subir les privations et les brimades précédemment exposées ;
" Qu’il est par ailleurs établi qu’elle s’est rendue complice de séquestration exercée sur la personne de Dana Solomon (...) " .
Le Tribunal de grande instance de Dijon a, par ailleurs, été amené, dans un jugement du 9 janvier 1987 (n\xfb 118-87), à condamner le directeur-adjoint du centre Narconon de Grangey-sur-Ource pour non assistance à personne en danger. Ce centre, créé par l’Eglise de Scientologie, propose des cures de désintoxication en appliquant les méthodes de Ron Hubbard, à savoir la procédure de " purification " , fondée principalement sur plusieurs heures de sauna par jour, des " auditions " et une absorption importante de vitamines. En l’espèce, la victime était depuis longtemps soignée pour épilepsie et s’était adressée à cet organisme car elle souhaitait se " libérer des médicaments " . Le centre l’a, sans examen médical préalable, placée dans une chambre de " sevrage " . Or, les expertises médicales ont montré que le décès était dû à " un état de mal épileptique dû à l’absence de traitement suffisant à son début et de traitement d’urgence pendant l’état de mal. " Le jugement ne laisse aucun doute sur la responsabilité du centre :
" Que si Jocelyne Dorfmann avait pris la décision de réduire sa consommation médicamenteuse, puis de l’interrompre au risque de compromettre son état de santé, les prévenus ne l’ont à aucun moment prévenue de la nécessité d’un examen médical d’admission, lequel aurait vraisemblablement permis de contre-indiquer la cure de sevrage ; qu’il est inconcevable que la victime ait pu être acceptée sans cet examen et sans entretien sérieux malgré ses déclarations sur son état de santé et son épilepsie, alors que les prévenus ont reconnu savoir qu’en cas de maladie grave, le traitement médical ne devait pas souffrir d’interruption ;
" Que si lors de la survenue de la première crise, les prévenus ont pu se méprendre sur la nature exacte, la répétition des crises et leur intensité croissante devaient leur évoquer une origine distincte d’un état de manque qui, selon les médecins experts, ne peut être confondu avec un état épileptique ;
" Qu’ils n’ont pas jugé utile de demander directement à la victime, alors qu’elle était encore consciente, si ces manifestations pouvaient correspondre aux crises d’épilepsie auxquelles elle avait fait allusion ou de faire appel au médecin le plus proche. (...) "
Plusieurs cas d’exercice illégal de la médecine ont, en outre, été observés ces dernières années. On évoquera, par exemple, le cas assez significatif de M. Main, chef d’une communauté religieuse appelée " Le Bon pasteur " , qui, se réclamant du titre d’évêque (il avait été ordonné tel par des ecclésiastiques n’obéissant plus à Rome après le Concile de Vatican II), prétendait guérir ou soulager ses " fidèles " par des paroles, des prières, des appositions des mains, l’utilisation d’un pendule et des pratiques d’exorcisme et de désenvoûtement. Les conclusions du Tribunal de grande instance de Périgueux, dans sa décision du 22 juin 1994 (n\xfb 894), sont se passent de commentaires : M. Main a été reconnu coupable d’exercice illégal de la médecine par le tribunal de grande instance de Périgueux dans un jugement du 22 juin 1994.
DE NOMBREUSES CONDAMNATIONS ONT EGALEMENT ETE PRONONCEES EN MATIERE DE VIOLATION DE CERTAINES OBLIGATIONS FAMILIALES, NOTAMMENT DE PARENTS ADEPTES DE SECTES A L’EGARD DE LEURS ENFANTS.
Ainsi, par exemple, la Cour d’appel de Rennes a-t-elle, dans une décision du 13 février 1993 (Epoux Durand), jugé que M. et Mme Durand, membres de la secte Sahaja Yoga, avaient " compromis gravement par manque de direction nécessaire la santé et la sécurité de [leur] enfant Yoann " et tomb aient, de ce fait, sous le coup de l’article 357.1 du code pénal, en l’envoyant à l’âge de six ans et demi en Inde dans une école de Dharamsala dirigée par les adeptes de cette secte. Les motifs de la décision méritent d’être cités :
" (...) considérant (...) que sur la foi d’un simple prospectus donnant de simples orientations générales (...), Dominique et Josette Durand (...) ont pris la décision d’envoyer en avril 1990 (...) leur enfant Yoann sans d’ailleurs l’accompagner dans son voyage, dans une école dont le contenu de l’enseignement, en anglais et hindi, ne leur était pas vraiment connu (...), qu’ils n’offraient à l’enfant des garanties sur l’issue de cet enseignement, sur les conditions d’accueil et de vie dont le dossier révèle qu’elles étaient notamment sur le plan climatique très rudes (...) sans s’assurer de l’infrastructure médicale et des conditions sanitaires qui attendaient l’enfant, sans même avant son départ s’informer auprès de la médecine spécialisée sur les risques qu’il encourait dans une région du monde frappée de graves maladies épidémiques pour l’essentiel inconnues en Europe, sans mesurer les risques pour un enfant de 6 ans et demi d’un sentiment d’abandon, voire de rejet alors qu’il savait la naissance proche d’un autre enfant dans le foyer et qu’il entretenait des relations particulièrement privilégiées avec ses grands-parents maternels, les époux Héline ;
" (...) que le rapport établi par trois experts qui ont examiné l’enfant le 5 juillet 1991 constate d’importantes dégradations psychiques liées à la séparation brutale et prolongée exactement décrites par le tribunal, des examens postérieurs révélant une nette amélioration chez un enfant revenu dans son cadre familial et poursuivant une scolarisation normale ; "
Parfois, les faits ne sont pas aussi manifestement répréhensibles. Le juge s’abstient alors de condamner directement les parents adeptes, mais leur refuse l’exercice de l’autorité parentale ou le droit de garde. C’est en ce sens, par exemple, que statua le Tribunal de grande instance d’Avignon le 25 mai 1992 (décision n\xfb 673/92) :
" Il n’appartient certes pas au Tribunal de se prononcer sur les bienfaits ou méfaits de la secte (...) des Témoins de Jéhovah mais seulement, selon " l’intérêt des enfants mineurs " , (...) d’indiquer le parent chez lequel les enfants ont leur résidence habituelle et de statuer sur l’exercice de l’autorité parentale.
" Après avoir énuméré une partie de l’impressionnante liste des interdits que les adeptes de cette secte - à laquelle Madame ...... ne conteste pas avoir adhéré - doivent respecter, Madame Audoyer remarque à juste titre dans le rapport d’enquête sociale qu’elle a déposé qu’ils sont susceptibles d’entraver un avenir pour des enfants telles que Debora et Flora.
" L’éducation des enfants ne saurait en effet consister en un endoctrinement basé sur une vision particulièrement cataclysmique du monde dont seuls les adeptes de la secte seraient préservés, mais au contraire en un éveil de l’esprit, une ouverture à tous les domaines de la connaissance et à toutes les disciplines, ainsi qu’aux relations avec les autres sans discrimination de race, de religion ou d’idées.
" En l’état actuel, afin de préserver tant le présent que l’avenir de ces deux enfants (...), il apparaît nécessairede fixer leur résidence habituelle chez leur père qui exercera l’autorité parentale. (...) "
LES SECTES SE SONT, EN OUTRE, MAINTES FOIS RENDUES COUPABLES DE DIFFAMATION, DENONCIATION CALOMNIEUSE OU VIOLATION DE LA VIE PRIVEE AU COURS DE LA PERIODE RECENTE.
Ce fut notamment le cas de l’Eglise de Scientologie.
Ainsi, le Tribunal de grande instance de Paris a-t-il, dans un jugement du 13 octobre 1993 (M. Abgrall c/ Mme Lefèvre), condamné pour diffamation Mme Lefèvre, directeur de la publication d’ " Ethique et liberté " , l’une des revues de l’Eglise de Scientologie.
En effet, un article de cette publication, titré " Une milice de la pensée " et consacré à l’Association de défense de la famille et de l’individu, faisait état d’enlèvements et de séquestrations commis par les membres de cette association, et notamment de l’internement en hôpital psychiatrique en 1991 d’un scientologue de Marseille, réalisé avec la complicité de J.M. Abgrall, psychiatre, alors que ces faits n’ont nullement été prouvés.
Dans le même sens, la Cour d’appel de Douai a, dans sa décision du 18 mars 1982 (n\xfb 302), reconnu le Centre Hubbard de Dianétique coupable de " diffamation publique, assimilée à l’injure " , pour avoir écrit en faisant référence à l’ADFI :
" ... Il me paraît vital pour la liberté de religion et pour la liberté d’opinion de dénoncer et d’arrêter les agissements de ce groupe fascisant qui tire sur tout ce qui bouge qui soit nouveau ou différent...
On peut également évoquer le cas d’une dénonciation calomnieuse confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 28 avril 1987 (A.J.), ainsi que celui d’une violation de la vie privée par l’association " Ethique et liberté " , dans une décision rendue le 15 mars dernier par le Tribunal de grande instance de Paris (n\xfb 9).
PLUSIEURS DECISIONS JURIDICTIONNELLES TEMOIGNENT AUSSI D’UNE PRATIQUE ASSEZ FREQUENTE DE LA FRAUDE FISCALE PAR CERTAINES ASSOCIATIONS.
La Cour de Cassation a, par exemple, confirmé dans un arrêt du 25 juin 1990 (Blanchard Henri et autres) l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 janvier 1988, condamnant le Président de l’Association pour l’unification du christianisme mondial (AUCM), qui est la branche française de la secte Moon, pour fraude fiscale. Cet arrêt montre notamment que cet organisme a, sous le couvert d’une association à but religieux, réalisé d’importants bénéfices non déclarés :
" (...) Attendu que Henri Blanchard a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir soustrait frauduleusement l’AUCM dont il était le président à l’établissement et au paiement de l’impôt sur les sociétés, et pour avoir sciemment omis de passer ou de faire passer dans les documents tenant lieu de livre-journal et de livre d’inventaire tout ou partie des écritures ;
" Attendu que (...) les juges énoncent que l’AUCM n’a que les apparences d’une association et qu’elle exerce, par la mise en vente d’un journal, une activité lui procurant des bénéfices dont une partie importante, non portée en recettes, a servi, par l’intermédiaire de prête-noms, à des acquisitions mobilières ou immobilières occultes, dont, pour certaines, l’affectation n’a pu être précisée ; (...) " .
Ont également été convaincues de fraude fiscale, entre autres, l’Association internationale pour la conscience de Krishna (AICK) (cf. notamment l’arrêt du 19 octobre 1989 de la Cour d’appel de Bourges, n\xfb 461/89) et l’Eglise de Scientologie (cf. notamment l’arrêt du 3 février 1995 de la Cour d’appel de Paris, n\xfb 7). Là aussi, ces organismes avaient réalisé de substantiels bénéfices commerciaux par le biais d’associations à but soi-disant désintéressé.
Par ailleurs, l’arrêt du 3 février 1995 de la Cour d’appel de Paris a établi que l’Eglise de Scientologie présentait un passif de l’ordre de 41 millions de francs et l’a mise en redressement judiciaire. En outre, le tribunal de commerce de Paris a prononcé, le 30 novembre 1995, la mise en liquidation judiciaire de l’Eglise de Scientologie de Paris, pour des impayés à l’administration fiscale et à l’URSSAF d’un montant de 48 millions de francs.
ON CONSTATE EGALEMENT PLUSIEURS CAS D’ESCROQUERIE, DE TROMPERIE OU D’ABUS DE CONFIANCE.
Le Tribunal de grande instance de Draguignan a ainsi, dans une décision du 20 mars 1995 (n\xfb 882/95), condamné pour escroquerie deux personnes (M. Galiano et Mme Pison) se présentant respectivement comme une réincarnation du Christ et de la Vierge. Et ce, pour les raisons suivantes :
" Il résulte ainsi de l’ensemble de ces éléments que les mis en examen, par des mises en scène dans des réunions publiques, ont persuadé des gens crédules de l’existence de pouvoirs surnaturels leur permettant d’espérer un mieux vivre ou une guérison, tout en utilisant l’alibi de la science, à savoir la profession de psychanalyste pour l’un et de dentiste pour l’autre. En tentant de se faire remettre ou en percevant des sommes, ils ont commis le délit d’escroquerie. "
La Cour de cassation a, par ailleurs, jugé, dans un arrêt du 15 novembre 1995 (A. Pouteau), que la SARL Wide, dont Alain Pouteau était le gérant et dont l’enquête a montré qu’elle était " sous l’obédience de l’Eglise de Scientologie " , " exploitait un centre de formation aux métiers de la vente et faisait diffuser des annonces dans la presse et des lettres circulaires auprès des maires dans lesquelles elle s’engageait à procurer aux candidats, à l’issue de leur formation, une place dans une entreprise sérieuse " , s’est rendue coupable de tromperie, car elle " n’était pas en mesure de garantir des emplois à ses stagiaires " .
La fameuse affaire de la secte du Fréchou illustre, d’autre part, parfaitement le cas d’abus de confiance commis par les dirigeants de sectes au détriment de leurs adeptes. En l’occurrence, ils se prévalaient indûment du titre de prêtre, ce qui leur avait permis d’extorquer à leurs fidèles un montant important de dons (cf. notamment l’arrêt du 10 mai 1991 de la Cour d’appel d’Agen, n\xfb 215/91).
ENFIN, LA JURISPRUDENCE FAIT ETAT DE MULTIPLES VIOLATIONS DU DROIT DU TRAVAIL OU DE CELUI DE LA SECURITE SOCIALE.
" La dénonciation de l’exploitation impitoyable de l’adepte par les dirigeants, mépris des lois sociales, durée du travail, pas de rémunération, ni de couverture sociale (...) trouvent leur confirmation dans le fait qu’Ecoovie ne verse au débat aucun contrat de travail, aucun bulletin de salaire, aucune déclaration à la sécurité sociale ou au fisc concernant les adeptes qu’elle emploie, se bornant à alléguer que ceux-ci sont bénévoles. " . C’est ainsi, par exemple, que le Tribunal de grande instance de Paris décrivait, dans son arrêt du 10 juillet 1985 (n\xfb 263), la façon dont la secte Ecoovie concevait l’application des règles du droit du travail et de la sécurité sociale.
Maintes condamnations ont donc été prononcées sur des points très divers à l’encontre des sectes au cours des dernières années, sur la base de faits matériels incontestables.
Toutefois, la Commission a été amenée à constater que cette approche ne rend qu’incomplètement compte des dangers de certains mouvements sectaires.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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