Tous les actes répréhensibles commis par les sectes ne font évidemment pas l’objet d’une condamnation. Loin s’en faut. Une telle condamnation, nécessite, en effet, la réunion de plusieurs conditions qu’il est souvent difficile d’obtenir :

 il faut, tout d’abord, que la personne ayant subi un préjudice en soit consciente. Or, pour les adeptes, la règle qui leur est imposée par leur gourou est forcément bonne. Il faut donc que l’adepte ait pris suffisamment de distance vis-à-vis de la secte, généralement en en étant sorti, pour accéder à cette prise de conscience ;

 il convient ensuite que l’intéressé décide de porter plainte. Or, cette démarche est loin d’être systématique : beaucoup préfèrent " tourner définitivement la page " d’une période traumatisante de leur histoire ; d’autres se confient volontiers à des associations de défense mais n’osent pas intenter d’action en justice par manque de confiance ou par peur de représailles ;

 la preuve du délit ainsi que la responsabilité de son auteur est, de l’avis de la plupart des personnes entendues par la Commission, difficile à appporter, ne serait-ce qu’en raison de " l’originalité " des délits sectaires, desquels les victimes sont parfois, par leur consentement d’un moment, les propres acteurs ;

 il faut aussi que les faits correspondent à une incrimination prévue et sanctionnée par la loi, ce qui n’est pas évident dans les cas de manipulation mentale par exemple ;

 reste enfin, au cas où une condamnation est intervenue, à la faire appliquer, ce qui se heurte parfois à de grandes difficultés, en raison de la multiplicité des moyens que certains mouvements peuvent déployer : procédures dilatoires, pressions de tous ordres, auto-dissolution ou, tout simplement, fuite à l’étranger.

Les informations fournies à la Commission par les Renseignements généraux ainsi que les témoignages qu’elle a reçus l’ont conduite à penser que les dangers que font courir certains mouvements sectaires aux individus et à la société sont, en réalité, à la fois plus nombreux, plus étendus et plus graves que ne le suggère la seule lecture des décisions judiciaires.

L’énumération ci-dessous regroupe, en dix catégories, les dangers que présente le phénomène sectaire pour les individus d’une part, pour la société d’autre part, tels que la Commission a pu les appréhender au travers de l’ensemble de ses travaux.

A) LES DANGERS POUR L’INDIVIDU

LA DESTABILISATION MENTALE EST LE PREMIER D’ENTRE EUX.

On entend par cette expression le fait, par la persuasion, la manipulation ou tout autre moyen matériel, de déstabiliser quelqu’un pour le soumettre à son emprise.

Selon les Renseignements généraux, les 172 mouvements sectaires coercitifs qu’ils ont recensés recourraient à des pratiques pouvant être ainsi qualifiées.

La déstabilisation mentale peut prendre des formes très diverses, et, notamment, très insidieuse, comme l’illustrent le test de personnalité et les " auditions " proposés par l’Eglise de Scientologie. Voici comment un ancien adepte de cette association a décrit à la Commission l’expérience du test :

" Ce test, qui comporte environ 200 questions ayant trait à l’argent, la famille, au travail, etc., a, à mon sens, un fondement psychologique vrai mais donne ensuite lieu à une analyse - sur ordinateur, aujourd’hui, ce qui lui donne un aspect sérieux qui en impose beaucoup - tendant avant tout à mettre en valeur les défauts - ce qui est somme toute simple —.

" Les défauts sont donc amplifiés tandis que les qualités sont plutôt sous-estimées, ce qui permet d’arriver au constat qu’il y a des choses à faire et que le centre de dianétique a des choses à vous proposer.

" (...) Et à partir de là, [les gens] sont tentés d’aller plus loin " .

Dès lors, le processus de déstabilisation mentale est déjà commencé. Il franchit une étape supplémentaire lorsque l’intéressé va effectivement " plus loin " et accepte de se livrer à des " auditions " dianétiques :

" J’ai fait cinq ou six heures d’audition. Dans ces auditions dites dianétiques(...), on vous fait fermer les yeux - un peu comme chez un psy - et on vous fait revivre les moments difficiles. Personnellement, j’ai parlé de mon premier amour d’adolescent - j’ai fait la même chose que ce que l’on fait devant un psy —, ce qui a entraîné chez moi une remontée émotionnelle qui m’a un peu perturbé.

" Là, le mal était bel et bien fait car j’avais envie d’aller plus loin. (...) " .

L’intéressé est effectivement " allé plus loin " , ce qui l’a conduit à un état d’aliénation et de dépendance extrêmes.

Cette pratique, on le voit, est très insidieuse, car elle se pare d’un fondement scientifique et s’exerce avec l’accord de la victime, de façon progressive et dans un cadre parfaitement légal.

Certains procédés sont, en revanche, nettement plus brutaux. Il s’agit, par exemple, d’affaiblir l’individu en lui imposant une discipline très rigoureuse, ou de réduire son esprit critique en l’astreignant à des actes ou des prières répétitifs afin d’obtenir sa complète obéissance. Les témoignages recueillis sur la journée type d’un adepte de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, avec, notamment, ses onze heures de travail et ses six heures de dévotion par jour, l’attestent.

Ces procédés peuvent même parfois conduire les adeptes à un état d’asthénie pathologique avancé.

On constate également, bien que plus rarement, le recours à des techniques sophrologiques, pouvant aller jusqu’à l’hypnose profonde ou à la prescription de drogues, permettant de réaliser, pour reprendre l’expression du colonel Morin, un véritable " viol psychique " de l’adepte.

Ces formes de déstabilisation mentale peuvent avoir de graves conséquences sur le psychisme de ceux auxquels elles ont été appliquées, telles que dépression, envoûtement, attitude schizophrénique ou profond état de dépendance.

CERTAINES SECTES ONT, EN OUTRE, A L’EGARD DE LEURS ADEPTES, DES EXIGENCES FINANCIERES EXORBITANTES.

Selon les Renseignements généraux, ce serait aujourd’hui le cas de 76 sectes.

Il en est notamment ainsi de l’Eglise de Scientologie. Celle-ci facturerait, en effet, certains cours à plus de 70.000 francs. Plusieurs témoignages recueillis par la Commission montrent qu’elle aurait conduit de nombreux adeptes à une grave situation d’endettement.

On peut citer également l’Association pour l’unification du christianisme mondial qui aurait demandé entre 7.000 et 14.000 francs à chacune des 72.000 personnes mariées collectivement par le Révérend Moon à Séoul au mois d’août dernier.

L’exploitation financière serait aussi le fait, notamment, de l’Alliance Rose Croix, la Nouvelle Acropole, les Chevaliers du Lotus d’Or, l’Eglise universelle du royaume de Dieu, le Grand logis ou le Mouvement raëlien français.

LA RUPTURE DE L’ADEPTE AVEC L’ENVIRONNEMENT D’ORIGINE est fréquemment constatée. Elle est évidente lorsqu’il s’agit de sectes pratiquant la vie en communauté, mais celles-ci ne sont pas les plus nombreuses. Elle est plus insidieuse mais tout aussi réelle dans le cadre de sectes dont les adeptes continuent, en apparence, de mener une vie familiale et sociale normale, mais dont l’engagement les conduit progressivement à cesser toute relation véritable avec le monde extérieur au mouvement dont ils sont membres. Et c’est précisément là le but auquel les dirigeants de sectes veulent parvenir, en incitant l’adepte à consacrer le plus possible de son temps à la secte, à ses rites et à ses croyances : faire cesser tout contact avec les personnes qui seraient susceptbiles d’insinuer le doute dans l’esprit de l’adepte, de réveiller son sens critique et, finalement, de le détourner de la secte.

D’après les informations recueillies par votre commission, 57 mouvements spirituels présenteraient ce danger, notamment l’Alliance universelle, l’Eglise de scientologie, les Témoins de Jéhovah, IVI, la Famille ou le Mouvement humaniste.

On se bornera, pour l’illustrer, à rappeler un témoignage communiqué par un ex-adepte des Témoins de Jéhovah :

" (...) Si je me décide aujourd’hui à écrire, c’est pour casser le silence de vingt années maintenant de souffrance morale durant lesquelles à cause d’une secte, qui est (...) " la secte des Témoins de Jéhovah " , j’ai vécu l’enfer.

" Les gens vivent en autarcie, ne participent en rien à la vie économique, culturelle ou autre d’un pays. Ils sont un danger parce qu’ils vous détruisent tout simplement ; vous écartent de votre famille, de vos amis, de la société même. Vous êtes isolés de tout, il y a un endoctrinement commun à tous les disciples et gare si vous essayez d’être vous-même. C’est interdit. "

LES PRATIQUES DE CERTAINES SECTES PORTENT ATTEINTE A L’INTEGRITE PHYSIQUE DES ADEPTES. Selon les renseignements qui ont été obtenus par votre commission, 82 sectes feraient courir un tel danger à leurs membres.

Il peut s’agir de mauvais traitements, coups et blessures, séquestrations, non assistance à personne en danger ou exercice illégal de la médecine, mais aussi d’agressions sexuelles.

Plusieurs plaintes ont ainsi été déposées contre le gourou du Mandarom, Gilbert Bourdin, pour viols, tentatives de viols et agressions sexuelles. L’intéressé a d’ailleurs été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire en juin dernier.

Il est bien connu qu’au sein de la secte Les Enfants de Dieu (aujourd’hui dissoute) la prostitution et l’inceste étaient couramment pratiqués. Voici, par exemple, comment la fille de David Berg, le fondateur du mouvement, raconte l’attitude de son père à son égard dans le " Shukan Bushun " du 30 juillet 1992 :

" Mon père m’a pressée pour la première fois d’avoir un rapport sexuel avec lui, quand j’avais huit ans, au Texas. J’ai résisté, néanmoins, j’ai été violée. Cela a été si brusque que j’en étais totalement bouleversée et incapable d’en parler à quiconque.

" (...) Malheureusement, quand mon père était saisi par le désir sexuel, il ne pouvait pas se contrôler, même si l’objet de son désir était sa propre fille.

" (...) Un jour, mon père rassembla les membres de la famille royale et annonça : " l’inceste est une bonne chose. C’est ainsi qu’Adam et Eve ont eu beaucoup de descendance " (...) "

Une autre adepte fait part, elle, de la pratique du " flirty fishing " consistant à prostituer des enfants " avec l’intention déterminée de gagner plus d’adeptes et d’acquérir des appuis " .

Auto-dissoute en 1978, cette secte aurait été recréée sous une autre appellation ( " La Famille " ), sous laquelle existe effectivement aujourd’hui une association sectaire.

Chacun garde enfin en mémoire les drames à grande échelle que furent, entre autres, les suicides collectifs du Guyana en 1979, qui ont fait 923 victimes, ou de Waco en 1993, qui ont tué 88 personnes.

ENFIN, L’EMBRIGADEMENT DES ENFANTS SERAIT LE FAIT DE 28 MOUVEMENTS.

Outre " la Citadelle " dont les exactions ont déjà été évoquées, pratiqueraient l’embrigadement des enfants sous une forme plus ou moins insidieuse, les Témoins de Jéhovah, l’Association pour l’unification du christianisme mondial, la Communauté de la Thébaïde, l’Eglise de Scientologie de Paris, l’Eglise kristique de la Jérusalem nouvelle, la Fédération française pour la conscience de Krishna, la Famille et le Grand Logis.

Au-delà de ces effets négatifs sur des individus déterminés, les sectes peuvent également se révéler particulièrement nocives pour la collectivité dans son ensemble.

B) LES DANGERS POUR LA COLLECTIVITE

CERTAINES SECTES ONT, EN PREMIER LIEU, UN DISCOURS CLAIREMENT ANTISOCIAL.

Cela n’est d’ailleurs pas étonnant : les mouvements qui préconisent des pratiques contraires aux lois et à la morale commune doivent bien les justifier ; ils expliquent donc souvent à leurs adeptes que ces lois et cette morale sont mauvaises et que seuls les principes de la secte méritent d’être suivis.

46 organisations auraient un discours antisocial selon les Renseignements généraux, parmi lesquelles les Chevaliers du lotus d’or, la Fédération française pour la conscience de Krishna, la Famille, le Suicide des rives, le Mouvement raëlien et l’Ordre du coeur immaculé de Marie et de Saint Louis de Montfort.

PLUSIEURS ORGANISATIONS PROVOQUENT, D’AUTRE PART, DES TROUBLES A L’ORDRE PUBLIC.

Selon les indications fournies à votre commission par le ministère de l’intérieur, ce serait le cas de 26 sectes, parmi lesquelles les Témoins de Jéhovah, la Nouvelle Acropole, l’Eglise de Scientologie, la Fédération française pour la conscience de Krishna, le Suicide des rives et le Mouvement raëlien français.

Les témoignages recueillis concernant la Nouvelle Acropole, assimilant la secte à un mouvement néo-fasciste, sont assez éloquents. En voici un extrait :

" (..) Or, malheureusement, à la Nouvelle Acropole, au fur et à mesure que les années passent, les idées trépassent. C’est-à-dire que rentré dans une école de philosophie à la façade honnête, vous vous retrouvez très rapidement dans une secte aux visées politiques, au caractère extrême-droite et de type néo-fasciste, et si vous ne réagissez pas rapidement, vous risquez de vous retrouver en uniforme de style para-militaire (bleu-marine pour les femmes, noir pour les hommes et marron pour les officiers), le brassard au bras, l’étendard dans une main, chantant des chants guerriers au rythme de musiques militaires, puis baissant la tête, le genou à terre, saluant le bras levé un rapace dans un soleil !!!

" (...) Ce sont de plus des ennemis déclarés de la démocratie, uniquement bonne aux lâches et aux faibles, aux dires des dirigeants de la Nouvelle Acropole. De plus, ils sont hostiles à toute forme d’opposition, et sont susceptibles de devenir très dangereux. Pour eux, la fin justifie les moyens (...) " .

CERTAINES SECTES SONT COUTUMIERES DES DEMELES JUDICIAIRES, COMME EN TEMOIGNENT LES AFFAIRES EVOQUEES PLUS HAUT.

Toutefois, il convient de préciser que les rapports difficiles qu’entretiennent certaines sectes avec la justice peuvent prendre deux visages : les poursuites dont elles font l’objet en raison du caractère délictueux ou préjudiciable de leurs actes ; les actions qu’elles intentent elles-mêmes à l’égard des personnes qui ont, selon elles, terni leur image.

A cet égard, la Commission a eu l’occasion de constater que la plupart des personnes auditionnées qui se sont publiquement exprimées sur les effets négatifs de certains mouvements sectaires ont été assignées en justice par ceux-ci pour diffamation. L’Eglise de Scientologie est, par exemple, très coutumière du fait. En général, les tribunaux déboutent les mouvements.

ON CONSTATE EGALEMENT DE NOMBREUX CAS DE DETOURNEMENT DES CIRCUITS ECONOMIQUES, DE TELLES PRATIQUES ETANT LE FAIT DE 51 ORGANISMES, SELON LES ANALYSES DES RENSEIGNEMENTS GENERAUX.

Il en serait ainsi de l’Association pour la recherche sur le développement holistique de l’homme, l’Association Nouvelle Acropole France, Athanor, le Centre de documentation d’information et de contact pour la prévention du cancer, la Clé de l’univers, l’Eglise de Scientologie, du Mouvement raëlien français ou de la Soka Gakkaï internationale France.

On a vu, de fait, comment certaines sectes pouvaient avoir recours au travail clandestin ou à diverses formes de fraude ou d’escroquerie.

Par ailleurs, plusieurs personnes ont évoqué devant la Commission LES INFILTRATIONS OU TENTATIVES D’INFILTRATION auxquelles se livreraient les sectes au sein des pouvoirs publics. Dans le même sens, certains journalistes se sont attachés depuis quelques années à démontrer l’influence que pouvaient exercer certaines sectes - au premier chef l’Eglise de Scientologie - dans l’appareil d’Etat.

Votre commission, quant à elle, ne s’estime pas autorisée à faire état dans le présent rapport d’allégations portées à sa connaissance au cours de ses travaux mais dont elle n’a eu aucun moyen de vérifier le bien-fondé. Certains pourraient voir là de la naïveté et la juger déplacée face aux entreprises subtiles de groupes qui savent très habilement mettre en oeuvre les moyens leur permettant d’arriver à leurs fins. Il n’en est rien. Simplement, la Commission juge de son devoir de faire preuve de prudence et de refuser de rapporter des allégations dont les conséquences pourraient être d’une certaine gravité, sans pouvoir en apporter la moindre preuve. Pour autant, elle n’a pas manqué d’être alarmée par certains éléments qui lui ont été communiqués. Aussi attire-t-elle l’attention des responsables administratifs sur la nécessité, sans tomber dans la paranoïa, de faire preuve de la plus grande vigilance, de façon à éviter, au moins, que soient attribués des subventions ou des marchés à des sectes ou des organismes gravitant dans leur mouvance, par méconnaissance de leur nature exacte.

Multiple, divers, complexe, le phénomène sectaire présente des dangers indéniables pour l’individu comme pour la société. Et ce, d’autant qu’ils peuvent prendre les formes les plus insidieuses. Aucune catégorie sociale ou professionnelle n’y échappe et si les jeunes paraissent davantage touchés, on trouve dans les sectes des personnes de tous âges.

Une question essentielle se pose alors aujourd’hui : ces dangers tendent-ils à s’accroître depuis dix ans ?

On ne peut guère apporter de réponse précise à cette question, car il est, en l’état actuel des choses, impossible de mesurer avec exactitude leur évolution dans l’ensemble des mouvements. Toutefois, les avis recueillis par la Commission de la part de plusieurs observateurs laissent penser que si les pratiques des sectes ne sont pas plus dangereuses aujourd’hui qu’hier, beaucoup plus de personnes en sont victimes.

Dans ces conditions, il paraît particulièrement important de savoir, d’une part, si le dispositif juridique existant est suffisant pour y faire face et, d’autre part, ce que les pouvoirs publics peuvent faire pour mieux lutter contre ces dérives.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr