Le troisième incident mettant en cause le DPS sur lequel la Commission souhaite apporter un éclairage particulier s’est déroulé le 21 octobre 1996, à l’occasion d’une réunion publique tenue par le Front National, salle Wagram, à Paris.
A) LES SOURCES
Outre une séquence filmée, aimablement fournie par l’INA (Institut national de l’audiovisuel), deux types de documents ont permis à la Commission de procéder à une reconstitution de l’incident qui s’est déroulé le 21 octobre 1996 : les auditions de témoins et des documents de nature administrative.
. S’agissant des auditions, deux catégories doivent être distinguées.
Une partie des témoignages recueillis par la Commission émanent de personnes qui ont été témoins visuels des incidents survenus, qu’il s’agisse d’acteurs des événements (membres du DPS) ou d’observateurs privilégiés (journalistes). Parmi les membres du DPS que la Commission a entendus, seul M. Eric Staelens, responsable du DPS d’Ile-de-France, a déclaré être présent à cette réunion. Son témoignage est néanmoins très succinct, M. Staelens étant, selon ses dires, " en fin de cortège ". Quant aux journalistes présents sur les lieux à titre professionnel, il s’agit de MM. Michel Soudais2, journaliste à Politis, Romain Rosso, journaliste à L’Express, et de Mme Christiane Chombeau, journaliste au Monde. Les éléments qu’ils ont apportés à la Commission au cours de leur audition lui ont été précieux, en dépit de divergences sur un nombre de points limité.
La Commission a également entendu un certain nombre de responsables qui, bien que n’étant pas physiquement présents sur les lieux de l’incident, y ont porté - ou, du moins, auraient dû le faire - une attention particulière, du fait des fonctions qu’ils occupaient à l’époque.
Deux responsables administratifs représentant les pouvoirs publics, M. Philippe Massoni, préfet de police, et M. Jean-Pierre Pochon, directeur des renseignements généraux à la préfecture de police, ont apporté à la Commission des informations précieuses sur cet incident. Il convient de rappeler en effet, comme l’a fait le préfet de police lors de son exposé liminaire, que " la préfecture de police assume, entre autres missions, la charge du maintien de l’ordre public dans la capitale ". Plus particulièrement, cette mission " est assurée, sous l’autorité du préfet de police, par la direction de la sécurité publique, par la direction régionale des renseignements généraux et, le cas échéant, par la direction de la police judiciaire si des infractions sont susceptibles d’être commises ".
S’il n’était pas illégitime d’espérer obtenir un éclairage intéressant de la part de M. Bernard Courcelle, alors directeur national du DPS, il n’en a cependant rien été : M. Bernard Courcelle, après avoir indiqué qu’il n’était pas présent à la réunion du 21 octobre 1996 mais qu’il avait été entendu sur cette affaire par la 4ème DPJ, s’est demandé si la commission d’enquête avait le droit de parler de cet incident, arguant du fait que, selon lui, une instruction judiciaire était en cours sur ce sujet. Il n’a, par conséquent, rien ajouté. Or, comme l’a fait remarquer le rapporteur durant l’audition de M. Bernard Courcelle, c’est une enquête administrative, et non judiciaire, qui a été diligentée.
La Commission regrette également de ne pouvoir ajouter à ce recensement des sources, les témoignages des représentants syndicaux de la police nationale, qu’il s’agisse par exemple du syndicat des commissaires de police, du syndicat national des officiers de police ou encore du syndicat national des policiers en tenue, interrogés sur cette affaire. Manque de curiosité ? Difficulté à faire remonter l’information des sections syndicales ? Laxisme du monde policier ? Quels que soient les motifs de cette incapacité des syndicats de la police nationale à faire un recensement précis de ce type d’incidents qui la concernent pourtant, votre rapporteur ne peut qu’exprimer son inquiétude à cet égard.
. " Il conviendrait de reprendre les rapports du ministère de l’intérieur pour savoir quand les renforts ont été demandés, quand ils ont été envoyés, comment ils se sont rendus à l’Arc de Triomphe, sur quel mot d’ordre, etc. Et interrogez les gens non pas sur des "on-dit" et des approximations, car, dans de telles situations, personne ne regarde sa montre pour savoir s’il s’est écoulé vingt ou trente-cinq minutes. En revanche, il existe des rapports de police qui relatent précisément les faits " (M. Jean-Louis Debré).
La Commission, conformément à la démarche d’objectivité sous le signe de laquelle elle a placé ses travaux, ne pouvait que suivre les conseils du ministre de l’intérieur en poste au moment des événements. Grâce à la collaboration active de la préfecture de police, elle a donc pu disposer d’un second type de sources, de nature administrative, particulièrement précieuses dans la mesure où elles émanent de témoins directs et ont été rédigées soit simultanément soit immédiatement après les événements.
Au total, outre une note rédigée par la préfecture de police à l’intention de la Commission, six documents établis à l’époque des faits ont été communiqués à la Commission :
– trois documents émanent de la direction des renseignements généraux de la préfecture de police, qui, outre son travail de prévision et d’analyse ex post, " est également chargée de répondre en temps réel [du] déroulement [d’un éventuel incident], de le décrire et d’en faire, le plus rapidement possible, une analyse " (M. Philippe Massoni). Pratiquement, les renseignements généraux travaillent donc " de deux manières. La première, liée à l’immédiat, ce sont les flashs qui sont des instantanés envoyés tant au préfet de police qu’à nos collègues de la sécurité publique puisqu’ils sont chargés d’exécuter les mesures de protection de l’ordre public. La seconde, ce sont les notes d’information et les rapports " (M. Jean-Pierre Pochon). Dans le cadre des événements qui se sont déroulés le soir du 21 octobre 1996, d’une part, deux flashs ont été envoyés à la direction de la sécurité publique, respectivement à 22 heures 35 et 22 heures 56, par les membres des renseignements généraux présents dans et aux abords de la salle Wagram et qui ont ensuite suivi le cortège. D’autre part, une note d’information et d’analyse a été rédigée le lendemain des faits ;
– les trois autres documents proviennent de la direction de la sécurité publique. Il s’agit des rapports établis, dès le soir des événements, par les effectifs civils du commissariat du 17ème arrondissement chargés de la surveillance de la réunion d’une part, par le lieutenant Eric Barbraud, du commissariat du 8ème arrondissement, qui est intervenu place de l’Etoile d’autre part. Le troisième document est un extrait du bulletin quotidien de la direction de la sécurité publique qui donne un récit synthétique des événements.
B) LES EVENEMENTS DU 21 OCTOBRE 1996
A l’automne 1996, " les propos de Jean-Marie Le Pen sur l’"inégalité des races" sont [...] au centre du débat public "3. Par deux fois en effet, les 30 août et 9 septembre 1996, le chef du Front National martèle sa conviction que les races " n’ont pas la même capacité d’évolution " et que certaines " sont plus égales que d’autres ". C’est dans ce contexte qu’intervient le projet de loi contre le racisme dit " loi Toubon ", du nom du ministre de la justice de l’époque, qui vise à modifier les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour renforcer les sanctions contre l’incitation à la haine raciale.
" Contre la loi Toubon " : tel est donc le thème de la réunion publique qu’organise la fédération de Paris du Front National, le soir du 21 octobre 1996, à Paris, salle Wagram. Quand les deux représentants de la direction de la sécurité publique se présentent à 18 heures 30 et entrent en contact avec Mme Martine Le Hideux, vice présidente du Front National, ils sont informés que la réunion devrait durer de 20 heures 30 à 22 heures 30 et se dérouler en présence de 800 personnes, parmi lesquelles M. Bruno Gollnisch, secrétaire général du Front National depuis un an. De fait, c’est en présence de 800 à 900 personnes4 que la soirée débute, vers 21 heures, dans une " ambiance particulièrement électrique " selon M. Romain Rosso, qui va même jusqu’à employer les termes de " séditieux " et d’" insurrectionnel " pour en caractériser l’esprit. La tonalité des discours tenus lors de cette réunion ressortit effectivement à ce registre5.
C’est d’abord M. Jean-Yves Le Gallou, président du groupe Front National au conseil régional d’Ile-de-France, qui, estimant que le projet de loi Toubon visait à rendre impossible toute expression critique sur l’immigration, conclut son intervention en disant que certaines poursuites judiciaires se portaient " non comme des condamnations mais comme des décorations ". C’est ensuite Mme Martine Le Hideux qui, arguant du fait que la résistance à l’oppression fait partie des droits énoncés par la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, exhorte ainsi les militants : " Battez-vous, car la résistance est en vous ou alors la liberté de l’information, la liberté d’expression, la liberté du travail, de l’enseignement n’existeront plus ".
Le dernier orateur est M. Bruno Gollnisch. Il en appelle à ce qu’il estime être un retour à l’esprit initial de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, que le projet de loi Toubon vise à modifier. Exigeant l’abolition des lois Pleven et Gayssot et le retrait du projet de loi, il souligne la dimension " subjective " de la notion d’incitation à la haine raciale, appuyant sa démonstration sur le fait que " divers groupes de rap, invitant à tirer dans la tête des flics ou à tirer des balles dans la tête des FN n’ont pas été, de leur côté, poursuivis ". M. Romain Rosso souligne que " M. Bruno Gollnisch, particulièrement excité, avait verbalement menacé toutes les personnes - les députés, les journalistes, les magistrats, les policiers - approuvant ou appliquant cette loi " : " Que les auteurs de cette loi et ceux qui seraient tentés de les suivre réfléchissent, législateurs, plumitifs, magistrats à la botte des sections spéciales de la police de la pensée. Un jour, plus proche qu’on ne le croit, nous accéderons aux responsabilités du pouvoir [...] Ce jour-là, leurs biens répondront de nos amendes, leur liberté de nos prisons [...] Ils parlent du peuple. Qu’ils craignent la colère du peuple ! [...] Ceux qui auront voté ou fait appliquer ces lois se définiront comme les collaborateurs de la nouvelle occupation. Ils rejoindront les Judas et les traîtres dans les poubelles de l’Histoire ".
L’auditoire est en liesse et, quand, vers 22 heures 25-22 heures 30, aux mots de " Aux armes, citoyens ! ", le secrétaire général du Front National exhorte les militants à se rendre à l’Arc de triomphe pour déposer une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, il est suivi par une foule importante. Combien de personnes se rendent-elles exactement place de l’Etoile ? A 22 heures 35, un premier flash des renseignements généraux signale qu’" environ 800 personnes ayant assisté à cette réunion ont l’intention d’aller chanter la marseillaise au pied de l’Arc de triomphe " et qu’" arrivés sous l’Arc de triomphe, les manifestants scandent "non, non à la loi Toubon" ". Les estimations des membres de la direction de la sécurité publique6 sont identiques : " A 22 heures 30 remarquons sortie rapide de la quasi-totalité de ces personnes... ". Les estimations fournies par M. Romain Rosso sont différentes : selon lui, 400 personnes sur un millier présentes à la réunion ont suivi la manifestation. Il n’en reste pas moins que ce sont plusieurs centaines de personnes qui, " formant instinctivement un cortège sur la demie chaussée de l’avenue de Wagram " et " se plaçant derrière un véhicule [...] équipé d’une sonorisation puissante " (direction de la sécurité publique) se rendent sur la place de l’Etoile. Selon le lieutenant Eric Barbraud, qui, prévenu par la direction de la sécurité publique de la manifestation impromptue se déroulant avenue de Wagram, se rend auprès de la flamme pour empêcher le dépôt de gerbe, 250 individus issus de cette foule prennent pied sur le plateau après avoir coupé la circulation et y défilent en chantant l’hymne national. Il est alors 22 heures 40.
C’est au cours de la phase suivante que le DPS entre en scène. Voyant que des membres du groupe se préparent à effectuer un dépôt de gerbe sur la tombe du soldat inconnu, le lieutenant Barbraud se porte sur le site. Un échange assez vif a alors lieu avec M. Roger Holeindre, qui se présente à lui comme le président d’une puissante association d’anciens combattants. " Je lui ai rappelé que pour déposer une gerbe il fallait avoir l’accord du Comité de la Flamme, seule autorité compétente pour organiser ce genre de cérémonie. Cet individu s’est rapidement énervé, m’interpellant sur mon civisme et mon devoir en tant que représentant de l’Etat et de la République. [...] Pendant ce temps les manifestants chantaient la Marseillaise. Mon interlocuteur m’a alors annoncé qu’ils allaient déposer la gerbe quelque (sic) soit mon avis. Un second individu s’est joint aux insultes et m’a déclaré qu’en la présence de monsieur Golmisch7 (orthographe incertaine) sur place je devais me retirer. Le groupe s’est alors fait pressant et une personne m’a empoignée pour me repousser. Une tierce personne m’a frappée dans le dos. Il y a eu une bousculade sérieuse où j’ai dû employer la force pour ne pas être mis au sol. Dans l’agression ma casquette m’a été subtilisée. Puis l’équipage de la TV 143 ainsi que mon chauffeur sont intervenus, alors que des manifestants s’opposaient aux plus virulents des leurs "8.
En dépit d’une incertitude sur le nombre de membres du DPS qui interviennent, les journalistes présents sur les lieux donnent un récit concordant et insistent tous sur le rôle personnel de M. Bruno Gollnisch. C’est en effet à la demande de ce dernier que le DPS intervient :
– " M. Bruno Gollnisch donne l’ordre qu’on libère le chemin et deux membres du DPS saisissent ce responsable des forces de l’ordre, le soulèvent - quelqu’un prend sa casquette - et l’évacuent manu militari devant nous, en présence de la presse " (Mme Christiane Chombeau) ;
– " le seul policier présent qui gardait la flamme a, bien entendu, tenté de s’interposer pour éviter le dépôt clandestin d’une gerbe. Mal lui en a pris, car sur l’ordre de M. Bruno Gollnisch, qui s’est adressé à son garde du corps, qui a ensuite transmis cet ordre aux membres du service d’ordre, deux membres du DPS ont pris le policier, l’ont bousculé sans ménagement et éloigné de la flamme. Ce geste n’a pas eu l’air de déranger le moins du monde les membres du DPS qui, par ailleurs, avaient l’air de bons pères de famille " (M. Michel Soudais) ;
– " Arrivé en haut des Champs-Elysées, M. Bruno Gollnisch, entouré des 400 militants chauffés à blanc, donne l’ordre à quatre membres du DPS d’écarter le policier en faction devant la tombe du soldat inconnu manu militari. Ce fonctionnaire a été écarté sans ménagement ; il n’a pas été frappé, il a été molesté " (M. Romain Rosso).
Dans l’ouvrage qu’il consacre au Front National, ce même journaliste fournit une indication intéressante sur l’état d’esprit de M. Bruno Gollnisch au soir des événements : " "C’est comme cela que se font les révolutions", commenta alors un Gollnisch survolté "9. A l’évidence, le secrétaire général du Front National a en mémoire le geste du responsable du parti franciste, Marcel Bucard, un soir de septembre 1933...
Alors que " la gerbe n’a pu être déposée pendant la bousculade qu’au bord de la Tombe du Soldat Inconnu ", un appel à la dispersion est lancé à 22 heures 50 aux manifestants, qui refluent vers la périphérie du plateau à partir de 22 heures 55 et regagnent la salle Wagram, fermée, d’où a lieu la dispersion définitive. Le lieutenant Barbraud est à nouveau en contact avec M. Roger Holeindre : " Après le retrait des manifestants monsieur Hollande (sic) est revenu afin de s’excuser et pour me restituer ma casquette. Il a déclaré que pendant leur réunion ils avaient eu l’idée de déposer une gerbe et que personnellement il comprenait notre opposition et qu’il regrettait les débordements idiots d’une minorité ".
C) UN INCIDENT REVELATEUR
En dépit de quelques incertitudes, concernant notamment le nombre de participants à la manifestation, cet incident incite à s’interroger sur quatre points.
– Quelle est la nature du lien qui unit l’appareil politique du Front National à son service d’ordre ?
A l’évidence, le 21 octobre 1996, à l’Arc de triomphe, le DPS s’est comporté comme l’exécutant zélé des ordres donnés par un responsable politique éminent de ce parti. Faut-il aller jusqu’à conclure, comme l’a fait M. Michel Soudais lors de son audition, que des membres du DPS sont " capables de commettre des actes illégaux sur ordre " ? Dans le même ordre d’idées, l’intervention de manifestants du Front National contre " les plus virulents des leurs " évoquée par le lieutenant Eric Barbraud est-elle significative d’une fracture entre militants de base et membres du DPS ou d’une divergence d’approche quant à la relation au politique au sein même du DPS ?
– Le DPS forme-t-il un ensemble cohérent ou rassemble-t-il des éléments hétérogènes, voire antagoniques ?
Les paroles de M. Roger Holeindre relatifs aux " débordements idiots d’une minorité " posent la question de la cohérence interne du DPS, de même que les heurts internes observés par le lieutenant Barbraud. Que penser également du témoignage de M. Eric Staelens qui, bien que responsable du DPS d’Ile-de-France, se trouvait, selon ses dires, en queue de cortège et a déclaré à la Commission que cette manifestation impromptue ne lui avait pas convenu ? Faut-il voir dans ces débats internes la reproduction, au sein même du service d’ordre, des lignes de fracture idéologiques internes au parti lui-même ? En effet, au sein de l’appareil du Front National, M. Bruno Gollnisch se situe alors " dans le camp des nostalgiques de l’Action française et autres ligues d’avant-guerre plutôt que dans celui des républicains "10. Evoquant l’incident de Wagram, M. Romain Rosso n’a pas hésité à dire que " c’était en quelque sorte le 6 février 1934 de M. Bruno Gollnisch ". De fait, les spécialistes du Front National insistent sur la place et le profil tout à fait spécifiques de M. Bruno Gollnisch au sein du Front National. Il n’est donc pas impossible que certains membres du DPS aient alors répugné à obéir à un homme dont l’assise au Front National est encore vacillante.
– Quelles sont les fonctions précises du DPS ?
A l’évidence, comme l’a fait remarquer Mme Christiane Chombeau, " ce n’est pas la mission d’un service d’ordre normal " que d’agresser un représentant des forces de l’ordre. L’est-ce davantage d’encadrer et de canaliser plusieurs centaines de personnes qui manifestent en toute illégalité ? Car il est difficile de croire que tout cela n’a pas été préparé : M. Romain Rosso fait notamment remarquer qu’" il s’agissait d’un acte tout à fait prémédité puisqu’est apparu, à la sortie de la salle, un car-podium ". Le DPS s’est donc fait l’instrument d’une triple violation de la loi : manifestation interdite, dépôt de gerbe non autorisé, agression d’un représentant des forces de l’ordre.
Que dire enfin du fait que " la totalité de la scène a été filmée par une équipe et que des photographes prenaient des vues " et qu’" il semble qu’il s’agissait d’équipes de ce mouvement, sans que cela soit possible à certifier " (lieutenant Barbraud) ?
– Comment expliquer la relative inertie des forces de l’ordre ?
Il est pour le moins difficile à comprendre que, malgré la présence dans et aux alentours de la salle Wagram, de deux membres de la direction de la sécurité publique et d’une équipe des renseignements généraux, des forces de police conséquentes ne soient pas intervenues plus rapidement. Les autorités compétentes ont pourtant été prévenues assez tôt, ainsi que l’atteste le flash des renseignements généraux envoyé dès 22 heures 35. Plus encore, les membres de la Commission s’étonnent que, dans ce climat politique tendu, marqué par une nouvelle " dérive " verbale du chef du Front National, aucun renfort de police n’ait été prévu a priori. Il semble en outre que les responsables administratifs aient quelque peu négligé la part prédominante du symbolique dans l’action du Front National. Ainsi, c’est également à la suite d’une réunion contre le renforcement de la législation anti-raciste - à l’époque la loi Pleven -, que de graves incidents ont lieu à Paris, le 21 juin 1972, dans le sillage de la réunion d’Ordre Nouveau. Echauffourées qui conduisirent à la dissolution de ce mouvement le 28 juin 1972... Comment expliquer, dans ces conditions, ce qui apparaît rétrospectivement comme une succession de négligences de la part des responsables du maintien de l’ordre ?
Vraisemblablement, les autorités compétentes ont été prises de court. Selon M. Philippe Massoni, " rien ne pouvait laisser prévoir que plusieurs centaines de personnes allaient ensuite partir à pied et se rendre à l’Arc de Triomphe, bousculant les gardiens de la paix qui se trouvaient là. Aucune information préalable n’avait été recueillie sur cette intention ". Le directeur des renseignements généraux de la préfecture de police l’a d’ailleurs confirmé : " C’était une première absolue ", le Front National n’étant pas coutumier des manifestations surprises, à Paris du moins.
Si ces arguments peuvent expliquer l’absence de déploiement préalable d’un dispositif policier, ils ne suffisent pas à justifier l’intervention tardive des forces de l’ordre ; car, quand les forces de police arrivent sur les lieux, vers 23 heures, soit environ une demi-heure après l’appel à manifestation lancé par M. Bruno Gollnisch, " l’essentiel était fait " (Mme Christiane Chombeau). Et si vraiment, comme il est mentionné dans le bulletin quotidien de la direction de la sécurité publique qui relate l’incident, " des effectifs des compagnies républicaines de sécurité étaient dépêchés aux abords du site, à disposition des commissaires de police respectivement chargés de la ronde état-major et de la BACN ", comment se fait-il que le lieutenant Eric Barbraud soit intervenu seul, face à 250 manifestants survoltés ?
A la lumire de cet événement, ce qui se passe quatre jours plus tard, le 25 octobre 1996, à Montceau-les-Mines prend un relief nouveau. Il semble en effet qu’aucun lien n’ait été établi entre des réunions pourtant consacrées au même thème ; en tout cas, la stratégie adoptée au préalable par les forces de l’ordre à Montceau-les-Mines, n’a en rien été modifiée. Pourtant, les journalistes qui suivent le Front National font le rapprochement entre les deux réunions politiques : là encore, il s’agit d’un meeting de M. Bruno Gollnisch, là encore, l’objet est de dénoncer le projet de loi Toubon, " lex lepenia " selon l’expression du même Bruno Gollnisch. " Nous étions à Montceau-les-Mines, un peu par hasard, pour compléter un sujet que nous étions en train de monter sur M. Bruno Gollnisch à la suite des incidents qui avaient eu lieu aux Champs-Elysées quelques jours plus tôt, lorsqu’il avait bousculé un policier après une réunion à la salle Wagram " (M. Michaël Darmon). Plus encore, les renseignements généraux rédigent au lendemain des événements de Wagram une note intitulée " Activisme du Front National - Vers une stratégie plus offensive ", dans laquelle, outre les événements du 21 octobre 1996, est mentionnée une nouvelle altercation entre le Front National et les forces de l’ordre, le 22 octobre 1996, place Montparnasse, à Paris. Pourquoi, dans ces conditions, les pouvoirs publics ont-ils laissé le champ libre au DPS à Montceau-les-Mines, trois jours après, le 25 octobre 1996 ?
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