Bénévolat, dévouement et diversité : telles sont les trois caractéristiques des membres du DPS qui ressortent des témoignages de ses responsables.
A) LE BENEVOLAT, TRAIT CARACTERISTIQUE DES MEMBRES DU DPS
Le DPS est une structure de bénévoles. Tous les responsables du DPS entendus par la Commission ont souligné ce fait, constitutif de la naissance même du DPS, ainsi que l’a rapporté M. Patrick Bunel, qui en fut membre dès sa création en 1984. Cette règle ne supporte que de rares exceptions : seul le directeur national, sa secrétaire et les personnes chargées de la sécurité du siège du Front National, à Saint-Cloud, sont salariés par l’association Front National. " Il n’y a pas de salariés au service d’ordre. Seuls ma secrétaire et moi étions salariés. Les seuls personnels de " sécurité " salariés sont ceux qui assurent l’accueil du siège, en permanence. Cela représente un effectif de cinq personnes " (M. Bernard Courcelle).
Bénévoles, les membres du DPS font-ils l’objet d’une sélection ? Si, en règle générale, les témoins auditionnés ont apporté une réponse positive à cette question, il convient toutefois de noter que les membres de la commission d’enquête ont entendu une version quelque peu divergente de la part de M. Patrick Bunel. Au Président qui lui demandait si n’importe quelle personne souhaitant participer au service d’ordre pouvait le faire, M. Patrick Bunel a apporté la réponse suivante : " C’était un petit peu cela. Si, lors d’un meeting, les organisateurs, face à une forte contre-manifestation, estimaient que la salle allait être submergée, que les gens allaient être frappés, des bénévoles sortaient de la salle. On leur distribuait des insignes DPS et ils venaient à la rescousse, à l’entrée ".
Les autres témoins n’ont toutefois pas validé cette réponse. En effet, deux critères de recrutement ont été généralement mentionnés, sans oublier la formation incendie ou le secourisme :
– l’absence de casier judiciaire. Il semble qu’il s’agisse là d’un critère constant et nécessaire, qui a été cité aussi bien par M. Bernard Courcelle que par son successeur, M. Jean-Pierre Chabrut. " S’agissant du recrutement, nous demandons à toutes les personnes souhaitant faire partie du service d’ordre de nous fournir un extrait de leur casier judiciaire. Si nous ne l’obtenons pas, nous refusons systématiquement la candidature " (M. Bernard Courcelle). " Il faut déjà fournir un casier judiciaire vierge et remplir un questionnaire selon un schéma très classique " (M. Jean-Pierre Chabrut) ;
– en revanche, le deuxième critère de recrutement mentionné, l’appartenance au Front National, semble avoir été plus évolutif. Si M. Bernard Courcelle ne liait pas l’adhésion au DPS à l’appartenance au Front National, tel n’est pas le cas de son successeur : " J’ai donné des directives pour que ce soit des militants de chez nous ! [...] Je viens de publier une note indiquant que les candidats devaient impérativement être militants, sans quoi nous n’avons plus de contrôle possible ".
Passée la barrière du recrutement, les membres du DPS doivent affronter des obstacles qui ne sont pas négligeables : à entendre les responsables du DPS, plus que du bénévolat, l’engagement au DPS ressortit du dévouement, voire d’une véritable vocation. " Nous les prévenons qu’il ne s’agit pas de quelque chose de facile, qu’il n’y a pas de rémunération et qu’une fois qu’ils sont repérés comme membre du Front National, ils doivent s’attendre à des critiques, des menaces et des harcèlements de la part de nos adversaires politiques qui utilisent tous les moyens possibles, allant même jusqu’à uriner dans nos boîtes aux lettres " (M. Bernard Courcelle).
C’est en outre un investissement financier qui n’est pas négligeable : " Tout d’abord, on demandait aux membres - bénévoles - du service d’ordre d’acheter un costume, voire deux vestes, car lorsque l’on prend des oeufs sur la figure, il convient d’être présentable quand les autorités arrivent ! Cela représentait un investissement d’au moins 1 000 francs " (M. Bernard Courcelle). Le coût financier de l’engagement au DPS s’est d’ailleurs accru avec le départ de M. Bernard Courcelle, qui, pour des motifs financiers précisément, ne limitait pas l’accès au DPS aux seuls membres du Front National, au contraire de son successeur : " Je ne voulais donc pas leur demander, en plus, d’acheter une carte à 260 francs
– ou à 100 francs, s’il s’agissait d’une carte privilégiée. Beaucoup d’entre eux avaient peu de moyens, certains étaient même chômeurs ou Rmistes " (M. Bernard Courcelle).
De plus, les frais engagés par les membres du DPS à l’occasion de missions (déplacement, repas...) ne semblent pas faire l’objet d’un remboursement systématique . " Quant aux frais, ils étaient remboursés moyennant fiches de frais. Mais nous ne remboursions que les frais de péage et d’essence, sur justificatif, et cela n’a pas toujours été le cas " (M. Gérard Le Vert). Tout au plus les membres du DPS pouvaient-ils compter sur la cérémonie du drapeau, traditionnelle à la fin des réunions politiques du Front National. " Maintenant, il y a les secrétaires départementaux qui peuvent les aider puisque vous savez que chez nous, il existe ce qu’on appelle "le drapeau" : à la fin des meetings on met un drapeau et s’il y a eu des frais de déplacement, les secrétaires départementaux les remboursent, sinon ce sont les militants qui supportent les frais et qui achètent leur cravate : libre à eux de venir ou de ne pas venir " (M. Jean-Pierre Chabrut). D’après ce même dirigeant, il n’existe pas de ligne budgétaire affectée au DPS. Son témoignage concorde avec celui de son prédécesseur, qui se contentait de " réunir toutes les factures, de les vérifier, puis de les donner au trésorier du Front National qui les réglait ".
B) LES MEMBRES DU DPS : UNE MOSAÏQUE DE PERSONNES
. Il n’existe pas de profil type des membres du DPS : " Il s’agit d’une mosaïque de personnes qui viennent de différents corps de métier et ont de 18 à 70 ans " (M. Bernard Courcelle). Même écho de la part de M. Gérard Le Vert qui insiste lui aussi sur la variété du recrutement : " Non, c’est très variable ! On avait aussi bien des garçons de vingt ans que des hommes de soixante. Il y avait de tout ! Quand vous parlez de retraités militaires, il est vrai qu’il y en a un certain nombre au DPS, mais il n’y pas que cela, loin s’en faut ! Le recrutement est très varié ". Quant à M. Jean-Marie Lebraud, s’il admet qu’une forte proportion des membres du DPS est âgée - tout en se hâtant de souligner que " des jeunes viennent nous rejoindre " -, il souligne la diversité des professions représentées au DPS en prenant l’exemple des responsables départementaux. " La personne qui m’a remplacé en Bretagne est un ancien capitaine de corvette à la retraite. Un ouvrier est responsable du département de l’Ille-et-Vilaine, un routier du département du Morbihan, un gardien de la sécurité chez Leclerc des Côtes d’Armor. Les professions sont diverses ".
. Interrogés sur la surreprésentation de certaines professions au sein du DPS, notamment sur le nombre de militaires et de policiers, en activité ou à la retraite, présents dans les rangs de la DPS, les responsables du département ne l’ont pas explicitement reconnue et ont davantage insisté sur leur souhait de ne pas recruter dans ces catégories professionnelles. " Je n’ai jamais souhaité voir des policiers dans les effectifs du DPS : ce n’est pas leur rôle et ils n’ont pas à en faire partie ", a ainsi déclaré M. Gérard Le Vert. Quant à M. Bernard Courcelle, il a distingué deux niveaux dans son propos : le point de vue du professionnel de la sécurité et l’appréciation du militant politique. Pour le premier, le recrutement de militaires était une bonne chose : " Il est vrai que, par leur formation, les anciens militaires, les anciens gendarmes sont habitués à garder un certain sang-froid et savent régler le conflit de bonne façon. Plus il y avait d’anciens militaires et d’anciens gendarmes, plus j’étais satisfait. Ce sont des personnes sur lesquelles on peut compter et qui connaissent la législation, notamment les gendarmes ". En revanche, d’un point de vue politique et médiatique, il a déclaré qu’il déconseillait " aux militaires en activité de faire partie du DPS, car cela risquait de leur poser des problèmes de carrière " et qu’il ne souhaitait " pas non plus recruter des policiers en activité ".
Au total, si l’on tente de rassembler les éléments recueillis au cours des auditions, on doit conclure qu’il n’y a pas de gendarmes en activité au sein du DPS (MM. Gérard Le Vert, Bernard Courcelle) qui compte tout au plus des gendarmes retraités ou réservistes (M. Bernard Courcelle). De manière générale, la présence des militaires au DPS s’observe dans des régions bien délimitées : " on constate que les militaires sont davantage présents dans le Sud de la France, le Sud-Ouest - la région bordelaise - et, parfois, en Alsace-Lorraine " (M. Bernard Courcelle).
. S’agissant ensuite de la participation de membres de sociétés de sécurité et de gardiennage au service d’ordre du Front National, deux types de réponses ont été fournies par l’ensemble des témoins précités :
– le Front National n’a jamais fait appel à des sociétés de sécurité et de gardiennage, notamment pour des raisons financières. MM. Gérard Le Vert et Bernard Courcelle ont été catégoriques sur ce point : " Jamais, nous n’en avons pas les moyens ! Si cela est arrivé, en tout cas, je ne suis pas au courant. Moi, je ne l’ai jamais demandé : nous n’avions pas les moyens de payer des sociétés privées qui sont affreusement chères ! " (M. Gérard Le Vert). De même, pour M. Bernard Courcelle, " Faire appel à des sociétés privées coûte cher ; c’était donc hors de question. Je m’y suis toujours opposé. Certains auraient aimé que l’on procède ainsi, parce que c’était des amis à eux, mais je ne l’ai jamais voulu. De toute façon, le trésorier, et même Jean-Marie Le Pen, s’y seraient opposé ". Du côté des sociétés de sécurité, M. Nicolas Courcelle a également nié l’existence de tout lien entre sa société et le DPS ; quant au responsable de l’autre société de sécurité entendu par la Commission, Normandy, il semblait ignorer totalement le sujet.
– En revanche, des membres de ces sociétés ont pu participer au service d’ordre, à titre individuel. Tous les témoins l’ont reconnu, à commencer par le responsable du Groupe Onze lui-même : " Bien entendu, je sais que parmi les dix ou quinze personnes que je fais travailler régulièrement, certaines ont eu et ont encore des activités militantes et bénévoles au Front National ". Selon M. Bernard Courcelle, ils ont été recrutés comme auxiliaires au DPS à diverses occasions : " Je sais que des personnes qui ont travaillé pour mon frère sont venues nous donner un coup de main, notamment pour la manifestation du 1er mai. Ils se sont présentés et ont été acceptés comme auxiliaires ". De manière étonnante, M. Eric Staelens, pourtant responsable du DPS d’Ile-de-France, a nié cette participation à plusieurs reprises au cours de son audition : " je ne connais pas au niveau du DPS Ile-de-France de gens qui appartiennent au Groupe Onze ". Sans doute a-t-il joué sur les mots, ces personnes " n’étant pas au " DPS puisqu’auxiliaires...
C) NI SKINHEADS, NI NEO-NAZIS AU DPS
Soucieux de savoir jusqu’où allait la diversité sociologique des membres du DPS, les commissaires ont interrogé tous les témoins sur la place des skinheads et des extrémistes néo-nazis au sein de cette structure. Car, à l’évidence, les responsables du DPS ont eu affaire à ces mouvances, comme l’a tragiquement montré le meurtre de Brahim Bouarram le 1er mai 1995. Là encore, les témoignages ont été sans équivoque : ni les skinheads ni les néo-nazis ne sont les bienvenus au DPS aux dires de ses responsables. Et, s’il y a eu des liens entre DPS et mouvements néo-nazis, comme dans l’Est de la France, " cela se faisait à titre individuel " (M. Gérard Le Vert).
M. Bernard Courcelle a d’ailleurs rappelé lors de son audition l’action d’exclusion qu’il avait menée à son arrivée à la tête du DPS : " Tout le monde savait, dans mon entourage, qu’il ne fallait pas me parler de ces choses-là. Ma première tâche, lorsque je suis arrivé au DPS, a été d’exclure tous les néo-nazis, ces skinheads imbéciles, ces petites frappes ridicules qui pensaient trouver un écho chez nous, que je n’acceptais pas et que même Jean-Marie Le Pen n’acceptait pas. Je lui en ai d’ailleurs fait part dès nos premiers entretiens. Je me suis fait un plaisir de mettre dehors tous ces petits racistes primaires, ce qui m’a valu des déconvenues, car certains me tendaient des embuscades ". C’est pour des raisons techniques qu’il s’est débarrassé de cette catégorie de personnes : " Certains skinheads sont des jeunes qui sont peu ou pas contrôlables ; de ce fait, ils ne sont pas les bienvenus dans un service d’ordre ". Les mêmes assurances ont été données par M. Jean-Pierre Chabrut, pour des motifs différents toutefois : " le Front National est un mouvement démocrate, donc tous ceux qui ne le sont pas ne nous suivent pas ".
Certains responsables n’ont cependant pas nié qu’il s’agissait d’un problème récurrent. M. Gérard Le Vert l’a souligné à deux reprises : " Pour ce qui est des mouvements néo-nazis de France, nous avons toujours eu - je dis bien toujours - des problèmes avec eux : dans toutes les manifestations, nous les avons eus systématiquement "dans les pattes" et cela s’est toujours mal passé, que ce soit lors des défilés de Jeanne d’Arc ou lors des BBR, avec ceux qu’on appelle les skinheads et les autres. Ce n’est pas récent, cela a toujours été le cas ! ". " Nous nous battons régulièrement contre eux ", a-t-il ajouté.
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