L’apparition d’une structure identifiée comme service d’ordre est tardive au Front National, sa date même faisant l’objet d’évaluations divergentes. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’avant 1983-1984, aucune structure n’a comme mission exclusive d’assurer l’ordre des réunions du Front National ni la sécurité de son chef. Selon MM. Michaël Darmon et Romain Rosso, cette fonction est, de fait, assurée par M. Roger Holeindre, responsable du Cercle national des combattants (CNC), à partir de la fondation du parti en 1972. Cette situation est somme toute logique pour un parti encore très minoritaire, faiblement implanté et qui rassemble au mieux 2 000 adhérents à l’aube des années 1980.
– LES PREMIERS BALBUTIEMENTS : LA DOM
Les premiers succès électoraux du Front National mettent à l’honneur la question de la constitution de son service d’ordre. A compter de l’élection municipale partielle de Dreux, en septembre 1983, et plus encore avec les élections européennes du 17 juin 1984, qui voient le Front National s’implanter durablement et de façon croissante dans la vie politique française, une ébauche de service d’ordre apparaît. Cette période de balbutiements reste aujourd’hui encore floue : selon Le Canard Enchaîné12, faute d’organisation ad hoc, c’est le Front National de la Jeunesse (FNJ) qui, sous la houlette de M. Carl Lang, joue le rôle de service d’ordre dans les années 1983-1984, date qui voit se créer la première structure exclusivement attachée à la sécurité des meetings. " En 1983-1984, la tâche était plus ou moins dévolue au Front National de la Jeunesse, sous les ordres de Carl Lang. Quand la question se pose, au printemps 1984, lors d’une réunion du comité central à Quarré-les-Tombes (Bourgogne), de mettre sur pied une organisation plus solide, un nommé Daniel Godot est pressenti à ce poste. Il a des titres : ex-lieutenant du 1er REP, adjoint de feu Pierre Sergent à la tête de l’OAS métro, plus particulièrement chargé de l’organisation des masses, il n’en a pas moins organisé des actions très dures. Mais, à la demande de Le Pen, c’est finalement à l’ancien chef OAS du maquis Bonaparte, Roger Holeindre, dit Popeye, qu’est confiée la responsabilité de la direction de l’organisation des meetings. Avec de modestes moyens, mais de gros bras, une dizaine d’hommes et un petit car, il court la France, de meeting en meeting, s’évertuant à s’entourer d’un service d’ordre d’hommes formé à "la tenue impeccable", de "militants exemplaires", acceptant d’être "aux ordres durant toute la durée du meeting". " Selon d’autres sources, c’est dès 1983 que la DOM (Défense Organisation des Meetings) apparaît. Quoi qu’il en soit, il est clair, comme M. Yves Bertrand, directeur central des renseignements généraux, l’a souligné devant la Commission, que " la création de l’organisation a correspondu au début de la montée en puissance du Front National ".
Vraisemblablement, le nouveau système mis en place fonctionne mal : M. Roger Holeindre ne parvient pas à monter le service d’ordre qu’il appelle de ses voeux, faute d’un professionnalisme suffisant de ses membres. En témoigne la note qu’il adresse aux secrétaires fédéraux, le 25 juillet 1985 : " Je passe ma vie à faire des circulaires [...]. Je tiens à rappeler que le mot "directive" est le mot libéral qui veut dire "ordre" ".
– 1985-1993 : UN DPS TRES HETEROGENE
Au deuxième semestre 1985, c’est donc un autre système qui est adopté, qui se veut plus efficace et surtout mieux à même d’encadrer la montée en puissance du parti, alors que les élections législatives de 1986 se profilent. Les initiales " DPS " apparaissent alors. Que signifient-elles exactement ? Direction protection sécurité ? Division ? Défense ? Département, déjà ? L’incertitude est voulue mais on notera que les membres de longue date ou de la première heure tendent toujours à évoquer la DPS. Selon Le Canard Enchaîné, l’apparition de cette nouvelle structure fait l’objet d’une cérémonie spécifique durant l’été 1986 : " Ces marques distinctives [du DPS] ont été distribuées pour la première fois à tous les responsables régionaux et départementaux au cours d’une "cérémonie officielle" tout à fait confidentielle, "lors d’un rassemblement national organisé à leur intention par le président et en sa présence" dans le courant de l’été 1986. Quelques jours plus tard, les DPS faisaient leur première apparition publique à la fête des BBR ".
Le premier responsable, M. Jean Fort, désigné sans aucune consultation par M. Jean-Marie Le Pen, est encore un ancien de l’OAS : capitaine de réserve - bien qu’il se fasse appeler colonel Janbart -, incarcéré administrativement au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise pour ses activités à l’OAS métro, c’est au Front National des Combattants qu’il rencontre M. Jean-Marie Le Pen, alors président de ce mouvement. M. Jean Fort, qui est à la tête du DPS jusqu’en 1993, imprime à cette structure des caractéristiques qu’elle garde aujourd’hui, notamment en ce qui concerne son organisation hiérarchisée.
Le DPS de l’époque est néanmoins caractérisé par sa très grande hétérogénéité et, de ce fait, par une relative difficulté pour ses dirigeants de le modeler comme ils l’entendent. " C’est le temps où le Front National entretient des relations pour le moins ambiguës avec les skinheads et autres extrémistes violents, enrôlés régulièrement pour assurer la sécurité de ses réunions. Les étudiants du GUD (Groupe Union Défense), groupuscule antisémite ultra-radical célèbre pour ses actions d’éclat à la faculté d’Assas à Paris, jouent régulièrement les supplétifs du Front. "13 M. Eric Giacommetti, dans un article paru dans Le Parisien du 11 janvier 1999, qualifie le Front National de l’époque de " mélange hétéroclite composé de skinheads et d’anciens barbouzes sans grande discipline ".
– 1993-1998 : ADAPTER LE DPS AU NOUVEAU STATUT POLITIQUE DU FRONT NATIONAL
L’arrivée du capitaine Jean-Pierre Fabre à la tête du DPS en 1993 est révélatrice de la conception que M. Jean-Marie Le Pen se fait de son service d’ordre. Il n’est pas douteux en effet que le choix d’un officier de gendarmerie - en disponibilité - marque la volonté de rationaliser, voire de respectabiliser le DPS. Car, comme le rappellent avec justesse MM. Michaël Darmon et Romain Rosso dans leur ouvrage, d’une part, avec la montée en puissance du Front National, son électorat se diversifie (" des enfants, des familles issues de la classe moyenne et de la bourgeoisie côtoient les militants de la première heure " (p. 174)), d’autre part, journalistes, photographes et cameraman commencent à faire les frais des méthodes musclées des DPS, à tel point qu’il devient difficile, voire dangereux de couvrir les réunions du Front National14. " Dès lors, il devient nécessaire de rassurer : plus question de laisser le service d’ordre aux mains d’activistes d’extrême-droite de tout poil. "
Le capitaine Jean-Pierre Fabre ne parvient vraisemblablement pas à remplir à la mission que lui a confiée M. Jean-Marie Le Pen. Au mois de mai 1994, il est, en effet, remplacé par M. Bernard Courcelle, choisi pour son profil de professionnel de la sécurité. Les premiers actes de M. Bernard Courcelle confirment cette volonté de crédibiliser le service d’ordre. Ce dernier entreprend de " nettoyer " le DPS de ses trublions extrémistes. Toute son action à la tête du DPS vise d’ailleurs à présenter le visage d’un service d’ordre comme les autres.
– 1999 : UN DPS A RECONSTRUIRE
Le DPS est touché de plein fouet par la scission du Front National, à commencer par celui qui en était le responsable depuis plus de quatre ans. Ayant annoncé son souhait de se rendre au congrès de Marignane tenu par M. Bruno Mégret les 23 et 24 janvier 1999, M. Bernard Courcelle est mis à pied puis licencié le 8 mars 1999. Après l’intérim assuré par M. Marc Bellier, la direction du DPS est prise en main depuis le 1er mars 1999 par M. Jean-Pierre Chabrut, choisi vraisemblablement, non plus sur des critères professionnels, mais subjectifs. Priorité semble, en effet, désormais donnée à la fidélité au président du Front National. S’il est encore trop tôt pour caractériser le DPS tel qu’issu de la scission, on peut néanmoins estimer, à l’appui notamment des auditions des responsables - anciens et actuels - du DPS et des sympathisants du Front National ou du Mouvement National, que le DPS est numériquement affaibli, et surtout désorganisé puisque la majorité de ses cadres ont rejoint M. Bruno Mégret.
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Ce bref historique, en dépit de quelques points d’incertitude, met en avant trois caractéristiques du DPS :
– le lien avec le président du Front National, dont témoignent notamment les conditions de désignation de ses dirigeants successifs ;
– le lien avec les milieux militaires ou paramilitaires qui se traduit d’abord par le rôle moteur des anciens de l’OAS dans la constitution d’une véritable structure puis par le poids des professionnels de la sécurité ;
– le caractère laborieux de la constitution d’une structure maîtrisée.
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