Le Congo ne joue pas encore un rôle de premier plan dans le trafic international des stupéfiants. Cependant, à l’intérieur de ses frontières, il offre un raccourci saisissant de la place prise par les drogues dans la plupart des autres pays africains : explosion des cultures de en réponse à la crise du secteur agricole ; développement de la délinquance urbaine liée à la crise politique (violences ethniques qui ont suivi les élections législatives de juin 1993 - boycottées par l’opposition - puis qui se sont renouvelées en décembre 1993-janvier 1994 faisant des dizaines de morts) ; inadéquation des législations et corruption de nombreux agents de l’Etat qui rendent inopérants les efforts des polices spécialisées. Parmi ces trois éléments, l’un semble avoir eu une importance toute particulière dans le cas du Congo : les affrontements armés qui ont eu lieu, principalement dans la capitale, entre les milices des différents partis politiques. La consommation de drogues, particulièrement de la marijuana, par les miliciens lors de ces événements a, semble-t-il, contribué à multiplier le nombre des consommateurs. Les différents clans ont ensuite trouvé dans leur distribution une source de financement. De ce fait, les drogues ont pris un rôle fondamental dans le cadre de la géopolitique interne.

Explosion des cultures de cannabis

A l’état sauvage ou sous forme de culture de rente, le cannabis - diamba ou bhangi - pousse dans l’ensemble du Congo. Les régions dans lesquelles se développent ces productions illicites sont celles du Plateau, du Likouala et du Pool. Dans la forêt de Loukoumi, qui se trouve dans cette dernière région, au nord de Missafou, localité située à 110 kilomètres au sud-ouest de Brazzaville sur le chemin de fer Congo-Océan, la culture s’est développée discrètement au cours des dernières années : au flanc des collines, dans les bas-fonds humides, on peut observer des plantations de cannabis en monoculture et d’autres en association avec le manioc, l’arachide et le maïs. Les cultivateurs passent des semaines dans des huttes pour entretenir et surveiller leurs champs d’une dizaine de mètres carrés à 2 hectares. Cette culture permet à leur famille de survivre, de rembourser le terrain sur lequel elle cultive, d’acheter des médicaments et d’envoyer les enfants à l’école. Outre le prix qui leur est payé, un autre élément explique l’engouement des paysans de Missafou pour la culture du cannabis : son cycle relativement court. En effet, 3 mois séparent les semis de la récolte, ce qui permet 3 ou 4 récoltes par an sur différentes parcelles.

La dame-jeanne de marijuana (5 à 6 kilogrammes) est payée 15 000 francs CFA (150 francs français) alors que 50 kg de foufou (pâte) de manioc, nourriture de base des Congolais, se négocient à 7 000 CFA. Le plus gros de la production de Missafou est écoulé dans les deux grandes villes du pays, Brazzaville et Pointe-Noire, où les revendeurs paient 50 000 à 60 000 CFA la dame-jeanne. Au détail, la botte d’environ 50 grammes est vendue autour de 200 CFA, en fonction de la qualité et du marchandage. Une partie de la production alimente également le marché français. Ainsi en mars 1996, 7 passeurs congolais ont été arrêtés à Paris et 21 kg d’herbe saisis.

Les paysans ont tendance à délaisser les productions vivrières, pourtant limitées dans cette région. Cela entraîne leur dépendance à l’égard des centres urbains qui désormais fournissent les denrées de première nécessité : riz, conserves, poisson, viande... Même le manioc est aujourd’hui deux fois plus cher à Missafou qu’à Brazzaville. Un fonctionnaire du ministère de l’Agriculture a déclaré au correspondant de l’OGD que la marijuana est la seule culture qui peut garantir aux paysans un revenu régulier et sûr, contrairement aux rapports aléatoires des produits vivriers et de rentes (café, cacao, arachide) dont l’Etat était le seul client, jusqu’à la faillite de l’Office du cacao et du café à la fin des années 1980. La production de marijuana est donc promise à s’accroître au rythme de la dégradation des conditions de vie des paysans congolais.

La marijuana finance les milices privées

Les zones où se sont installés les camps d’entraînement des milices ont vu la production de cannabis fortement augmenter. A Loudina, dans la région de Bouenza, se sont installés les "Aubervillois", milice présidentielle, entraînée par des mercenaires israéliens. Le Pool est la région d’implantation des "Ninjas", milices de Bernard Kolelas, chef de l’opposition et maire de la capitale. Enfin, la région de La Cuvette est, quant à elle, le domaine des "Cobras", milices de l’ancien chef d’Etat, le général Denis Sassou Nguesso.

A Brazzaville, plusieurs quartiers servent de base-arrière à ces milices privées appelées communément les "chanvrés" (consommateurs-trafiquants) : Bacongo et Makélékélé (quartier sud) sont tenus par les "Ninjas" ; Talagaï, Mpila et Poto-Poto (quartiers nord) sont les fiefs des "Cobras" ; Mfilou (quartier ouest) est contrôlé par les "Zoulous" (milice gouvernementale). Début janvier 1997, les autorités de ce quartier ont demandé que des postes de police soient installés dans les secteurs de Massina, Mutabala et la Base où les populations sont quotidiennement terrorisées par les "drogués". L’indignation était montée d’un cran contre les miliciens, le 9 décembre, après l’affrontement entre un commando du redoutable "ninja", Willy Massanga, et une patrouille de l’unité spéciale d’intervention de la police "Pacific 3". Bilan : trois morts parmi les policiers proches de la garde présidentielle du président Lissouba. La presse a fait état de rumeurs selon lesquelles Willy aurait assuré la protection d’un dealer de drogues camerounais, également spécialiste de la fabrication de faux billets de banques.

Des délinquants arrêtés par la police ont déclaré que certains militaires chassés de l’armée étaient leurs principaux fournisseurs d’armes et de drogues. Plusieurs d’entre eux, ainsi que des militaires à la retraite, participeraient directement aux opérations de deux des plus fameuses bandes du nord de la capitale, "Les Ambassadeurs" et "Les 25 salopards d’Amérique". Cette dernière était dirigée par un ancien policier, Albert Tsika, incarcéré pour le meurtre d’un adolescent. Au début du mois de novembre 1995, un haut responsable de la police a déclaré que de nombreux bandits arrêtés ou en fuite étaient en relation avec des étrangers qui sont dans le circuit du trafic de drogues.

En février 1996, les "Aubervillois" de la caserne Mpila, au nord de la capitale, se sont révoltés contre le retard apporté à leur intégration officielle à la force publique. Pour renforcer leur mouvement, ils ont attiré des volontaires, souvent très jeunes, à qui ils ont enseigné le maniement d’armes, en leur proposant des sommes dérisoires (entre 50 et 200 CFA) ou quelques grammes de cannabis. En mars 1996, l’armée a intégré des jeunes issus des milices privées, protagonistes des guerres politico-ethniques qui se sont déroulées de novembre 1993 à janvier 1994, et dont la population prétend qu’ils se sont livrés à des exactions sous l’influence de la marijuana.

Le trafic international des drogues

Les services spécialisés nationaux, bien que les saisies d’héroïne et de cocaïne soient modestes, se déclarent convaincus que le Congo est une important pays de transit des drogues dures. En 1990, un ressortissant zaïrois a été arrêté avec 2 kg de cocaïne. Un kilo était dissimulé dans le double-fond d’une malette et le deuxième réparti dans quatre talons de chaussures. Chauffeur de taxi à Kinshasa, il avait véhiculé des clients de nationalité grecque qui lui avaient proposé de transporter ces 2 kg jusqu’en Allemagne. Ils devaient se retrouver à Berlin où il recevrait une Mercedes en échange de ses services. Les Grecs avaient acquis la cocaïne en Angola. En 1993, 1,187 kg de cocaïne et 26 g d’héroïne ont été découverts, une partie provenant du Nigeria et l’autre du Zaïre. Depuis, "les événements" ont détourné l’attention des polices spécialisées. Les saisies réalisées sporadiquement mettent en exergue l’implication de ressortissants nigérians et zaïrois. En septembre 1996, 3 kg de cocaïne ont été saisis sur une femme à l’aéroport de Maya Maya de Brazzaville. Le 12 janvier 1997, une importante saisie de cocaïne y a été réalisée "par hasard". En ce qui concerne la redistribution des drogues dures à Brazzaville même, elle est aussi contrôlée par des ressortissants d’autres pays d’Afrique de l’Ouest : Sénégalais, Béninois, Togolais. Ce sont en général des commerçants, en relation avec, entre autre, l’Asie du Sud-Est d’où ils font venir des containers de marchandises diverses par Pointe Noire.

Il est avéré en France qu’un certain nombre de passeurs congolais alimentent le petit - en comparaison de celui de hahchisch marocain - marché de la marijuana. Ainsi, en mars 1996, la police du commissariat des réseaux ferrés français a arrêté sept Congolais impliqués dans un trafic de cannabis depuis le Congo. La filière fonctionnait depuis trois mois. Différentes affaires ont également mis en cause du personnel navigant pour ce trafic de cannabis. En novembre 1996, 20 kg ont été saisis à l’aéroport sur un Congolais.

Au Congo, les seuls indices concernant les exportations de marijuana vers l’Europe ont été relevés à l’aéroport de Maya-Maya. Le manque d’information sur le port et l’aéroport de Pointe Noire ne permet pas d’estimer l’ampleur du trafic qui passe par cette ville. Mais elle est considérée comme un point sensible par les autorités. Des saisies de cannabis ont été effectuées dans la zone de fret par la Police de l’aéroport. La marchandise est en général dissimulée dans des aliments. Malgré la formation reçue par des douaniers de l’aéroport de Maya Maya, des chargements de cannabis continuent de passer.

Contrôle du territoire urbain et toxicomanie

Parallèlement à l’usage du cannabis, qui est l’apanage des plus démunis, celui de la cocaïne et de l’héroïne progresse dans certains lieux huppés (boîtes de nuit, hôtels) fréquentés par la jeunesse dorée et les hommes politiques. Assez curieusement, il existe, sur ce plan, des liens entre les enfants des pauvres et ceux des riches. Les premiers approchent les seconds pour se procurer les drogues dures qui, du fait de leur prix, sont hors de leur portée. En échange, les seconds les recrutent pour commettre des braquages dont ils partagent le butin. En milieu scolaire, il devient courant de voir des enfants de milieux aisés déambuler avec des bouteilles de whisky, des substances psychotropes comme le "valavala" (nom donné au Valium) et le Mandrax quand ce n’est pas des bombes lacrymogènes ou avec des pistolets mitrailleurs Uzi. Cependant, "la police n’arrête que les enfants des démunis qui forment la majorité de la population carcérale" ont déploré les experts congolais du premier séminaire sur la drogue qui s’est tenu à Brazzaville du 23 au 27 avril 1996 à l’intention des enseignants et des agents des affaires sociales.

Depuis les conflits inter-ethniques de 1993-1994, le quartier de Bacongo à Brazzaville, est interdit aux forces de l’ordre. Mettant à profit l’existence de cette zone de non-droit, les vendeurs ambulants vendent à la criée des produits pharmaceutiques fabriqués par des laboratoires européens et asiatiques et qui valent trois ou quatre fois moins chers qu’en Europe. La dévaluation du franc CFA ayant provoqué un renchérissement des médicaments légalement importés et vendus en pharmacie, de nombreux Congolais des classes populaires achètent désormais dans la rue des produits de contrebande dont la qualité n’est pas contrôlée, souvent périmés et dont la posologie est indiquée par les revendeurs eux-mêmes, qui parfois ne savent pas même lire... Cette situation a ouvert la voie à une explosion de la toxicomanie médicamenteuse. Les cachets de Mandrax et de Valium, les plus populaires, ne sont vendus que 25 à 50 CFA l’unité (0,25 à 0,50 francs français) et, selon des consommateurs, produiraient des sensations plus durables que le cannabis. Des adolescents ont déclaré au correspondant de l’OGD consommer du Mandrax pour "surmonter leurs complexes". Quant au Valium, il doit son succès au fait qu’il est souvent utilisé pour mettre les filles dans un état second, "idéal pour les rendre consentantes". Des modes insolites de consommation sont apparus : les deux produits sont dissous dans le vin de palme ou dans le boganda (vin à base de maïs). Réduits en poudre, ils sont également mélangés à du tabac ou inhalés. Les médecins congolais, qui ne disposent pas de statistiques, estiment que cette consommation est aussi répandue que celle de l’herbe.

Ces psychotropes proviennent, dans leur majorité, du Zaïre et sont d’ailleurs descendus dans la rue avec l’arrivée massive d’émigrants zaïrois au début des années 1980. Le marché est également alimenté par les produits subtilisés dans les hôpitaux. D’autres proviennent des dépôts de conteneurs des gares situées le long du chemin de fer, pillés par les miliciens des différents partis politiques, à Brazzaville ou à Pointe-Noire. Pour tenter de décourager la prolifération de ces médicaments, la police effectue souvent des descentes brutales dans les marchés nocturnes, qui sont les plus actifs. Mais ces opérations sont assez inefficaces : les petits vendeurs arrêtés sont relaxés quelques heures plus tard. Et cela d’autant plus qu’ils se contentent aujourd’hui de n’exposer que des emballages vides et aller chercher le produit dissimulé un peu plus loin, à la demande de l’acheteur.

Des dérivés amphétaminiques de fabrication industrielle comme le Maxiton, l’Ortenal, l’Ortedine ou le Touedron sont également à la mode. Si on ne trouve pas d’héroïne à Brazzaville, on peut en revanche y acheter des médicaments à base de codéine, du Néocodion, du Théralène, et de nombreux analgésiques-hypnotiques comme l’Optalidon ou le Gardenal. Selon un médecin français, certains toxicomanes avalent 15 à 20 boites de ces produits en quelques jours. Le Bureau de lutte contre les stupéfiants affirme que quelques pharmaciens exilés depuis longtemps en Europe et revenus au Congo en 1991, à la faveur de la Conférence nationale qui devait préluder au retour à la démocratie, auraient mis en place des laboratoires clandestins où ils fabriqueraient des opiacés de synthèse en recyclant des médicaments disponibles sur le marché.