Le Languedoc-Roussillon, c’est Jacques Blanc. C’est le seul président de région, élu avec les voix lepénistes à assumer complètement ce choix et à ne s’en être jamais caché. S’engageant à plein, et sans fard, dans sa politique de compromission avec l’extrême droite, Jacques Blanc fait des émules sur les bords de la Méditerranée. En guerre contre ses opposants, il sait préserver de solides amitiés dans les états-majors parisiens comme en témoigne son intégration récente, et d’une " évidence " déstabilisante, en tant que député au groupe Démocratie Libérale de l’Assemblée Nationale.
LA REGION AVANT 1998
Président du Conseil Régional sortant, député (UDF - DL) de Lozère, l’ancien secrétaire d’Etat sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, a déjà conçu, avec l’extrême droite, un accord de gestion régionale entre 1986 et 1992. Puis pendant le mandat suivant, il a su trouver des alliés écologistes pour tenir sa majorité
LES ELECTIONS REGIONALES DE MARS 1998
La gauche plurielle compte 31 élus au conseil régional en 1998 (8 PC, 1 MDC, 20 PS et 2 PRG), la droite 22 élus (10 UDF, 11 RPR, 1 DVD.,) 1 CPNT et le FN 13 élus.
Aux élections cantonales, si la gauche est majoritaire, la poussée du FN est impressionante. Dans le Gard, il est en mesure de se maintenir dans seize cantons, et de contribuer à faire perdre la droite dans quatre d’entre eux.
L’ELECTION DU PRESIDENT DU CONSEIL REGIONAL
Dès le premier tour de scrutin, Jacques Blanc, le candidat sortant et officiel RPR-UDF, est réélu président de la région Languedoc-Roussillon grâce aux voix du FN. Il obtient 35 voix, soit l’ensemble des voix de la droite classique (22 voix) et de l’extrême droite (13 voix), contre 31 pour Georges Frêche, maire socialiste de Montpellier et candidat de gauche plurielle et 1 pour le candidat CNPT. Tous les élus de droite votent donc avec le FN
sans sourciller : Françoise Barate, Alphonse Cacciaguerra, François Calvet, Mireille Cellier, Isabelle Chesa, Raymond Courderc, Jean-Paul Fournier, Arlette Franco, Pierre Hugon, Yvan Lachaud, Alain Madalle, Georges Meissonnier, Michel Moynier, Jean-Christophe Ozil, Marcel Roques, Stéphan Rossignol, Max Roustan, André Savonne, Pierrette Soulas, Roger Toreilles, Michel Vaillat.
Stéphan Rossignol, secrétaire du RPR dans l’Hérault, explique (Le Monde, le 22 mars 1998) : " Nous avons un combat commun. Celui de dire non à la main mise du maire de Montpellier. Ce n’est pas nous qui avons pactisé avec le Front. C’est le Front qui a voulu que ses élus nous apportent leur voix ". Alain Madalle, élu RPR de l’Aude, surenchérit : " J’ai beaucoup hésité, mais ce qui l’a emporté, c’est qu’au fond de moi je me suis dit " tu n’es pas né socialiste" et je ne pouvais pas voter Frêche ". Sans commentaire !
Dans les Pyrénées-Orientales, les militants et sympathisants de droite soutiennent leurs quatre conseillers régionaux, qui ont voté pour Jacques Blanc. " Pour un qui nous engueulait, au moins soixante nous encourageaient à ne pas laisser la région à la gauche ", témoigne l’ancien député Claude Barate (RPR) dont l’épouse est l’une des quatre élus. " Pour trois lettres de critiques, j’en ai eu quatre cents de soutien ", confirme Arlette Franco, maire (RPR) de Canet-en-Roussillon. De plus, les militants " veulent un accord avec le Front National " confirme François Calvet, secrétaire fédéral de Démocratie libérale et conseiller régional (Le Monde, le 9 juin 1998).
UNE ALLIANCE DE FAIT
Lors de la campagne électorale des régionales puis préalablement à l’élection du président de la région, Jacques Blanc affirme publiquement qu’il ne signera aucun accord ni aucune alliance avec le FN, mais qu’il ne récusera aucune voix, d’où qu’elles viennent, sauf si elles le plaçaient dans une position de dépendance. Or, le 20 mars 1998, sa déclaration de candidature comprend précisément les 6 conditions posées par le FN en échange de son soutien dont, entre autres, la lutte pour la sécurité dans les lycées, le refus de la " dictature culturelle " de la gauche, la réduction de 2% de la fiscalité... Jacques Blanc, président réélu, est donc bien devenu l’otage consentant du Front National. Pour nier toute collusion entre la droite et l’extrême droite, Jacques Blanc laisse entendre que les frontistes n’ont pas voté pour lui mais contre Frêche, " pour l’empêcher de prendre en main cette région ". D’ailleurs, ajoute-t-il, le FN n’entend pas participer à l’exécutif de la région. En effet, les extrémistes ne présentent pas de candidats aux présidences des commissions lors de leurs désignations le 18 mai 1998, mais exigent des vice-présidences sans affectation pour la commission exécutive. Non content de les obtenir, ils parviennent à imposer à la droite une représentation dans la commission d’appel d’offre, ainsi que leur présence dans les conseils d’administration des lycées.
Les élus RPR-UDF élisent également comme un seul homme des candidats FN à trois vice-présidences de commissions : celles des sports, du tourisme, et de l’enseignement et de la recherche. Sans oublier les représentants lepénistes dans trente cinq lycées. Le Conseil régional continue de fonctionner comme un parfait laboratoire des alliances entre la droite et l’extrême droite.
Afin de représenter les élus frontistes dans toutes les instances dans lesquelles la région se trouve, Jacques Blanc institue la représentation proportionnelle. Que ce soit dans les Conseils administration des lycées ou lors de l’élection de la commission permanente. Fait unique en France, cette Commission permanente comprend tous les conseillers régionaux, sans exception. Jacques Blanc se préserve ainsi une majorité identique aux équilibres du conseil régional.
On apprendra plus tard, de la bouche de certains élus d’extrême droite et même du RPR ou de l’UDF, que ces décisions font parties de l’accord que Blanc à conclu secrètement avec le FN.
DEUX ANS DE RESISTANCE : LA GAUCHE PLURIELLE
La stratégie des élus socialistes est l’opposition systématique à tous les projets présentés par Jacques Blanc et l’extrême droite. Ils misent sur la dissidence d’élus de droite pour obtenir un changement de majorité. Jusqu’à ce jour, seul Jean-Pierre Grand, maire RPR de Castelnau-le-Lez (Hérault) s’est opposé ouvertement à la politique du Président de la Région. Les socialistes mènent, dès lors, la bataille sur le plan juridique et tentent de faire annuler certaines décisions prises par le Président de Région. Ils s’appuient sur la non modification du nombre de membres de la commission permanente préalablement au vote sur sa composition. Las, Jacques Blanc s’en sort par quelques subterfuges administratifs dont il a le secret.
Les socialistes emploient également d’autres moyens plus symboliques pour manifester leur désapprobation à l’égard de Jacques Blanc. Ils refusent ainsi de lui serrer la main, retournent leurs tasses en signe de protestation lors des déjeuners de travail... L’opposition de principe préconisée par le PS a plusieurs fois abouti à des votes contradictoires. Et les communistes refusent désormais cette stratégie. Ils défendent la conception d’une opposition constructive selon lesquelles il faut voter pour tout projet qui va dans le sens de l’intérêt général. Ils estiment que laisser faire Blanc et le FN en votant contre toutes leurs propositions est le plus grand service qu’on puisse leur rendre. C’est pourquoi, ils ont suivi le Président de la Région pour la relance de la ligne ferroviaire Paris-Béziers.
Cette ligne de conduite plus souple a surtout l’avantage pour le PC d’éviter de voir le PS renforcer sa position dans la région. Et d’ailleurs si les communistes s’opposent à Jacques Blanc c’est non pas pour le remplacer par Georges Frêche mais pour faire plier la droite. Cependant, peut-on dire que les subventions si généreusement accordées à certains élus locaux communistes sont une contrepartie à leur soutien occasionnel ? Au printemps 1999, le Conseil Régional achete et paye rubis sur l’ongle des espaces publicitaires dans L’Humanité (il est vrai très mal en point financièrement) et le Travailleur Catalan, l’organe de la fédération communiste des Pyrénées-Orientales. Cela se reproduit, comme le 18 novembre 2000 : deux pleines pages couleur dans l’Humanité Hebdo.
LE " DU CULTUREL "
Le FN ne tarde pas à exiger la contrepartie du soutien offert à Jacques Blanc le 20 mars 1998. À ce sujet, le contrôle des milieux culturels semble revêtir un caractère prioritaire pour le FN. Dès le 27 mars 1998, les lepénistes réclament leur " dû culturel " : Alain Jamet, président du groupe FN à la région, vient rappeler que l’abandon de la " dictature culturelle " de la gauche en Languedoc-Roussillon fait partie des engagements pris par Jacques Blanc. Il profite de cette mise en garde pour s’en prendre aux associations qui ont soutenu Georges Frêche lors de sa campagne. Sont nommément visés : Jean-Claude Fall, directeur du Théâtre des Treize Vents, Mathilde Monnier, directrice du Centre Chorégraphique de Montpellier, René Koering, directeur de l’Orchestre Philar-monique de Montpellier et Jean-Paul Montanari, directeur du Festival de Danse de Montpellier.
Opportuniste, Jacques Blanc fait savoir qu’il entend respecter les créateurs et les acteurs de la culture, comme il l’a fait depuis 12 ans de présidence : " je n’ai pas changé, je ne changerai pas ". Or, dès août, il fait sienne la liste noire des " amis " d’Alain Jamet en décidant de ne pas renouveler les aides de ceux qui " insultent " le FN. Avant même les élections, il décide que certaines subventions ne seront pas attribuées, notamment celles du Festival de Danse, du Festival de cinéma méditerranéen et d’Action Chanson Montpellier-Hérault en raison du soutien de leurs responsables à Georges Frêche. Cette décision est confortée par leur appartenance au " collectif du 20 mars " qui dénonce l’entente entre Blanc et le FN. En novembre 1998, lors du débat d’orientation budgétaire, Jacques Blanc affirme ainsi que les " associations culturelles ne peuvent pas se transformer en tribune politique " et que si elles le font, elles devront " assumer leurs actes ". En décembre, il déclare qu’il n’est " pas question de subventionner des associations qui se comportent comme des institutions politiques ". Le Festival du cinéma méditerranéen perd ainsi 100 000 F de la région et le festival Montpellier Danse 500 000 F. Le 19 mars 1999, les conseillers régionaux rejetent les subventions accordées à certaines associations culturelles. Le FN obtient ce qu’il veut : la tête des trois artistes (Fall, Monnier et Koering) accusés de faire régner " une dictature de la gauche " sur la culture.
Les élus de la gauche plurielle, pour leur part, votent contre ces subventions, à la demande des associations culturelles, pour une toute autre raison : ils estiment que la convention de partenariat proposée par Blanc pose des conditions drastiques inacceptables en demandant aux artistes de " s’abstenir de porter atteinte à l’institution régionale ". Ils le font également pour demeurer solidaires des associations afin qu’elles évitent de faire allégeance à la région. Jacques Blanc se prononce pour le versement des deux tiers des crédits attribués en 1998, mais il assortit le paiement du tiers restant à la signature d’une convention par laquelle les associations s’engagent à " respecter les principes de laïcité et de neutralité républicaine ". Autrement dit, tout comme le FN, Jacques Blanc désire museler les associations, et étouffer toutes celles qui ne rentrent pas dans le rang.
En réponse au Président de la Région, le 23 mars 1999, les associations culturelles se mobilisent au Théâtre de l’Odéon, dans le sixième arrondissement de Paris, pour que soit mis un terme à la politique de censure et de menace exercée par le Conseil Régional. Catherine Trautmann, alors ministre la culture, condamne les agissements de la droite languedocienne en menaçant de ne pas faire valoir le volet culturel dans le prochain plan Etat-Région (2000-2006) si les financements concernant ces structures ne sont pas rétablis par la région. Cela peut représenter pour celle-ci une perte de 75 millions de Francs.
Face à la pression exercée par les milieux culturels, Jacques Blanc fait volte-face puisque, fin avril 1999, un nouveau texte est soumis au vote des élus du Conseil Régional. Il stipule que la région doit respecter " la liberté totale des acteurs culturels dans leurs actes de créations comme dans leur vie citoyenne ". Le FN signe cette convention, estimant que " si la lettre changeait, l’esprit demeurait le même ". Les socialistes, méfiants, votent contre. Depuis quelques mois, le FN ne semble plus faire du vote des subventions culturelles un motif de rupture avec la droite classique. Il faut dire que le Conseil Régional lui offre une base logistique bureaux, téléphones, voitures, assistants - dont il ne peut plus se priver aujourd’hui.
DEUX ANS DE RESISTANCES : LES ASSOCIATIONS CULTURELLES
Au lendemain de l’élection de Jacques Blanc à la présidence de la région grâce aux voix du Front National, les artistes languedociens partent en guerre contre la droite et l’extrême droite. Un collectif " Appel du 20 mars " est alors créé. Il regroupe des syndicalistes, des universitaires, des parents d’élèves et la quasi-totalité des structures culturelles de la région, soit plus de 300 artistes. Tous demandent la démission du président de région et appellent les élus de la droite républicaine à prendre position publiquement. Le 28 mars 1998, le collectif organise une manifestation à Montpel-lier qui rassemble plus de 15 000 personnes. Le 18 avril, il mobilise de nouveau les opposants de Jacques Blanc devant la préfecture de l’Hérault. Il appelle surtout à la résistance au quotidien : les artistes doivent, soir après soir, continuer à lire au public des salles de spectacle de la région un message condamnant l’alliance de Blanc avec le FN.
En juin 1999, les acteurs du milieux de la danse entrent en résistance. Ils réussissent à organiser 144 manifestations, investissent 49 lieux, invitent 37 compagnies et totalisent 32 000 spectateurs alors que ce milieux culturel n’a reçu aucune subvention de la région. En octobre 1999, différentes associations culturelles et notamment les cibles récurrentes du FN refusent de signer une convention instaurant des chèques-culture pour les lycéens les liant au Conseil Régional.
L’ETINCELLE LYCEENNE MET LE FEU AUX POUDRES
Lycéens, parents d’élèves, syndicats d’enseignants et partis politiques de gauche s’organisent eux aussi pour s’opposer à la présence d’élus FN au conseil d’administration de douze lycées de la région. Aucun des conseils ne peut fonctionner, en raison des heurts violents qui opposent élus du FN et lycéens. En novembre 1998, plus de 200 lycéens manifestent contre la présence de Serge Martinez, élu FN, au conseil d’administration du lycée Dhuoda. Au LEP de l’Etincelle, ils sont plus de 400 jeunes à chahuter Max Janin, l’élu FN. Au lycée Gaston Darboux, Elisabeth Pascal, élu FN, est bousculée lors du conseil d’administration. Philippe Darbelet, proviseur de ce même lycée, menace de démissionner car il n’accepte pas la présence dans son CA d’un mouvement politique en totale contradiction avec les principes de la République. Depuis la fin 1998, l’opposition s’étend aux élus de droite qui soutiennent le FN. À Alès, le maire Max Roustan (DL) est pris à partie parcequ’il a un suppléant FN au CA d’un lycée et parce qu’il est lui-même suppléant d’un élu FN dans un autre établissement.
A Carcassonne, des élèves bloquent l’entrée du Conseil d’administration du lycée Charlemagne à la représentante de la région, Isabelle Chésa, également conseillère municipale de la commune, ainsi qu’à son père, Raymond Chésa, le maire de la ville qui a toujours apporté son soutien à Jacques Blanc et à son alliance avec l’extrême droite et qui est un adepte des relations ambigues avec le FN lors de municipales. Les chauffeurs font le coup de poing afin de permettre l’accés au lycée pour les élus. Ces manifestations d’hostilité se produisent même dans le fief électoral de Jacques Blanc devant le lycée de La Canourgue, en Lozère. Là aussi, des jeunes font barrage aux élus de droite et du FN siégeant au conseil d’admininistration de leur lycée.
Tous ces actes reçoivent la bienveillance, voire le soutien de nombreux proviseurs de la région. Les élus de gauche se gardent d’intervenir, même s’ils sont présents sur les lieux, afin de ne pas donner une image de récupération de ces mouvements spontanés et légitimes.
Excédé, Serge Martinez réplique et dénonce les atteintes portées à la démocratie. Il menace : ses militants pourraient " perdre les pédales si les choses continuaient ainsi ". Marie-Josée Cros, élue FN, ne peut se rendre aux CA des établissements scolaires de Bagnols-sur-Cèze (lycée Gérard Philippe) les 5 et 17 novembre 1998, et d’Uzès le 10 novembre 1998, grâce aux manifestations de vigilance. Au sujet de ces manifestations devant les lycées, Françoise Monestier, "journaliste" de National Hebdo, écrit, le 2 décembre 1998 : " Même si certains proviseurs réagissent de façon tout à fait saine, on ne peut que déplorer l’installation d’un climat délétère qui rappelle finalement que le Gard est bel et bien le département de ceux qui avaient la gâchette facile en 1944 ou qui ont organisé de graves émeutes au moment des grandes grèves de 1947 ".
Les votes des budgets 1999 et 2000 apportent des preuves supplémentaires de l’alliance : lors des deux votes, le budget présenté par Jacques Blanc est adopté par l’ensemble des élus de la droite et de l’extrême droite. Systématiquement, les représentants de la gauche plurielle font bloc et votent contre. Certes, ces budgets ne laissent apparaître aucune concession majeure aux frontistes. Cependant, ils leur permettent de s’y retrouver puisque sont abordés des sujets chers à leurs yeux, comme l’aide aux projets locaux de développement, la lutte contre la " dictature culturelle " de la gauche, la baisse de la fiscalité, l’aide financière pour améliorer la sécurité dans les lycées.
Même dépendant du FN dans les faits, Jacques Blanc (DL) demeure le maître du jeu car il sait composer avec des majorités de circonstance. En effet, depuis que les communistes ont pris part aux débats et aux votes, c’est-à-dire depuis juin 1998, il n’a plus nécessairement besoin du FN. À deux reprises, le PC vient à son secours alors que les frontistes se braquent sur un dossier (mise en place de l’Euro et subvention attribuée au Secours populaire, association caritative proche du PCF).
Source : Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) http://www.mjsfrance.org
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