Assemblée nationale
COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 1998-1999 - 44ème jour de séance, 114ème séance
2ème SÉANCE DU MERCREDI 9 DÉCEMBRE 1998
PRÉSIDENCE DE M. François d’AUBERT
vice- président
La séance est ouverte à vingt et une heures.
MODIFICATION DE L’ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d’Etat à l’outre-mer, ministre de l’intérieur par intérim - L’examen du projet de loi relatif à l’emploi des fonds de la participation des employeurs à l’effort de construction est reporté à demain à quinze heures afin que la séance de ce soir soit levée assez tôt pour que celle de demain matin, séance mensuelle réservée à un ordre du jour décidé par l’Assemblée, puisse se tenir à neuf heures.
L’ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.
COMMISSION D’ENQUETE SUR LE
"DEPARTEMENT PROTECTION SECURITE"
L’ordre du jour appelle la discussion de deux propositions de loi tendant à la créer une commission d’enquête sur le groupement dit "Département Protection Sécurité".
Ces deux propositions ont fait l’objet d’un rapport commun.
M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois - Nous étions jusqu’à peu coutumiers des dérapages verbaux des dirigeants du Front national, le plus souvent, heureusement, sanctionnés par la justice. Mais depuis deux ans ce mouvement nous montre une autre facette de leur triste talent : de Montceau-les-Mines à Mantes-la-Jolie en passant par Strasbourg, son service d’ordre, mieux connu sous ses peu avenantes initiales DPS multiplie des agissements qui vont de l’usurpation de fonctions d’autorité à la voie de fait.
En dehors de nos murs, beaucoup réclament l’application de la loi afin de mettre un terme à ces débordements. De son côté, notre Assemblée est saisie de deux propositions de résolution ayant un objet comparable. La première, déposée le 6 mars 1998 par M. Aschieri et plusieurs membres du groupe RCV tend à créer une commission d’enquête "pour faire toute la lumière sur les agissements et objet du groupement de fait dit Département protection sécurité" ; la seconde, déposée le 7 mai 1998 par M. Gaïa et plusieurs membres du groupe socialiste, demande la création d’une commission d’enquête "afin de faire le point sur l’organisation, le fonctionnement, les objectifs, les soutiens et les agissements du groupement dit Département protection sécurité". L’objet de ces propositions est clair : réunir des informations précises et incontestables sur les agissements d’une organisation qui pour le moins cultive l’opacité.
Selon l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et les articles 140 et 141 de notre Règlement, la commission des lois devait d’abord se prononcer sur la recevabilité de ces propositions de résolution, puis en examiner l’opportunité.
La première condition de recevabilité, posée par l’article 140, suppose que la proposition détermine avec précision les faits qui donnent lieu à enquête. Sans se prononcer sur la qualification des faits en cause, il est peu contestable que ces assertions reposent sur des faits précis, avérés. Comme en outre la commission adopte traditionnellement une interprétation souple, ce constat conduit à admettre comme satisfaite cette première condition de recevabilité.
La seconde consiste à s’assurer que les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne font pas l’objet de poursuites judiciaires en cours. Interrogée, Mme la Garde des Sceaux a confirmé que cette condition était satisfaite.
Recevables, ces propositions de résolution sont-elles opportunes ?
A l’évidence, les comportements du DPS, ainsi que ses activités douteuses, si elles sont avérées, sont graves : utilisation de cartes de police, usurpation de fonctions d’autorité, port d’armes, voies de fait, violences... Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux recourir à l’arsenal juridique, notamment les dispositions relatives aux mouvements dissous ?
La loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées autorise la dissolution, par décret en conseil des ministres, des associations considérées comme portant atteinte à l’ordre public et à la démocratie. En complément de cette sanction
administrative, les articles 431-15, 431-17 et 431-18 du code pénal sanctionnent la participation au maintien ou à la reconstitution d’un mouvement dissous en application de cette loi.
Le nouveau code pénal a également créé une incrimination spécifique pour une catégorie particulière de mouvement mentionnée par la loi de 1936. Le seul fait d’organiser un "groupe de combat" ou d’y participer est pénalement sanctionné, même si ce mouvement n’a pas été dissous au préalable. Pour être qualifié de groupe de combat, un mouvement doit satisfaire quatre conditions : constituer un groupement, détenir des armes ou y avoir accès, être organisé de façon hiérarchique -le responsable du DPS se faisait appeler "colonel", ce qui est bien l’aveu d’une hiérarchie au sein du mouvement- et représenter une menace pour l’ordre public, étant entendu que ce faisceau de critères doit aussi être apprécié à l’aune de la jurisprudence.
Je ne me livrerai pas ici à une exégèse de ces dispositions, dont le maniement est délicat.
Si le DPS possède a priori certaines de ces caractéristiques, il ne les réunit peut-être pas toutes. En outre, il faut préciser qu’au vu des travaux préparatoires du nouveau code pénal, les sanctions pénales n’ont pas pour but de "pénaliser le service d’ordre d’un parti politique".
Reste que des faits inacceptables dans une démocratie ont été commis. Il serait utile de mener des investigations pour savoir si la nature et les missions du DPS le différencient fondamentalement d’un service d’ordre licite, pour le rapprocher d’un groupement interdit par la loi.
La commission a donc jugé utile la création d’une commission d’enquête parlementaire.
Sa composition pluraliste et ses méthodes de travail qui privilégient les auditions devraient assurer une approche fiable et impartiale. En outre, la publicité de ses conclusions permettrait à tous nos concitoyens de disposer d’une information complète.
Les propositions de résolution initiales étaient perfectibles. La commission a préféré retenir une rédaction de synthèse qui définit clairement l’objet de la commission d’enquête.
Compte tenu de ces observations, elle vous demande donc d’adopter cette proposition de résolution.
Personnellement, je me demande si dans le contexte actuel, c’est toujours opportun. Il vous appartiendra de vous prononcer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d’Etat à l’outre-mer, ministre de l’intérieur par intérim - Le groupement de fait, appelé Département protection sécurité, a été créé en 1985 comme service d’ordre du Front national.
Mais des faits graves lui sont reprochés qui ont donné lieu à condamnations. Ainsi, la cour d’appel de Colmar a, au mois d’avril 1998, confirmé la condamnation de deux responsables régionaux du DPS pour "arrestation, séquestration ou détention arbitraire (et) immixtion dans une fonction publique". Ils avaient, en arguant faussement de la qualité de policier, contrôlé l’identité de deux manifestants à Strasbourg. En outre, des auteurs de faits graves ont pu en être des collaborateurs occasionnels, voire réguliers. Racisme et xénophobie y sont souvent présents.
Chaque fois que de tels faits se sont produits, des informations judiciaires ont été ouvertes.
Le Gouvernement suivra avec intérêt les travaux de la commission et lui apportera les contributions qu’elle sollicitera.
Comme les auteurs des deux propositions de résolution, je veux éviter de graves dérives, contraires à l’Etat de droit. Les personnes qui, dans le cadre du DPS ou dans le prolongement de leur appartenance à ce groupement, se livreraient à des actes délictueux, continueront d’être poursuivies sans faiblesse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).
RAPPEL AU REGLEMENT
M. Christian Estrosi - Rappel au Règlement fondé sur l’article 58. Je m’élève contre la modification constante de l’ordre du jour. La discussion de cette proposition de résolution a été avancée à ce soir, le texte sur l’effort de construction des employeurs reporté à demain. Les parlementaires sur tous les bancs s’organisent pour travailler à la fois dans leur circonscription et à l’Assemblée. Ils ont besoin d’un ordre du jour fixe d’une semaine sur l’autre et sont pris au dépourvu par cette mauvaise organisation des travaux.
Je demande instamment qu’un certain ordre soit rétabli dans nos travaux afin que nous puissions nous organiser (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).
M. le Président - J’en prends acte. L’une des raisons de cette décision du Gouvernement est de permettre que la séance de demain matin, réservée à la "niche" parlementaire, puisse se tenir à 9 heures. L’ordre du jour de ce soir étant chargé, il a paru raisonnable d’en reporter une partie à demain en début d’après-midi. En principe, le jeudi est un jour ouvrable de la vie parlementaire... Mais je conçois que ce changement puisse gêner ceux qui étaient inscrits dans la discussion générale.
COMMISSION D’ENQUETE SUR LE
"DEPARTEMENT PROTECTION SECURITE"
QUESTION PREALABLE
M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable, déposée en application de l’article 91-4 du Règlement.
Mme Nicole Catala - Le groupe socialiste espérait-il faire passer en catimini sa résolution tendant à créer une commission d’enquête sur le département protection sécurité ? On pourrait le croire, puisqu’il fait avancer de dix jours l’examen de cette proposition. Etrange Gouvernement en vérité, qui explique qu’il ne peut faire examiner par l’Assemblée les projets de réforme de la justice mais trouve un créneau pour nous soumettre une résolution dont le but inavoué était et reste malgré le contexte nouveau d’agiter l’épouvantail du Front national, pour faire oublier peut-être les échecs et les faux-pas de M. Jospin et de ses ministres.
Pour un peu, cette résolution aurait pu être adoptée à la sauvette et donner du parti socialiste l’image vertueuse d’une formation attachée à la lutte contre l’extrémisme et à son expression la plus brutale, celle du DPS.
Mais le parti socialiste n’est pas un parti vertueux. Certains de ses dirigeants ont manqué et manquent encore de vertu républicaine.
M. Christian Estrosi - Oui !
Mme Nicole Catala - Au demeurant, s’il y a eu des faits inacceptables, des violences répréhensibles, pourquoi proposer une commission d’enquête ? Les faits délictueux relèvent de la police et de la justice. Pourquoi Mme le Garde des Sceaux ne donne-t-elle pas l’instruction de les poursuivre ?
M. José Rossi - Complicité !
Mme Nicole Catala - Ces questions restent sans réponse. Mais on ne peut pas ne pas estimer, même aujourd’hui, que cette proposition de résolution a le mérite de ressouder les troupes de la formation extrémiste que nous n’avons pas cessé de dénoncer.
Face à cette manoeuvre, on serait tenté de défendre une exception d’irrecevabilité non point d’ordre constitutionnel, mais d’ordre politique et moral : "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans". Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Les socialistes auraient dû méditer cette maxime que citait souvent Jean Foyer.
M. Alain Tourret - Usque tandem abutere patientia nostra, Madame.... Catala ?
(Sourires)
Mme Nicole Catala - Car cette question préalable est l’occasion de dénoncer avec force la compromission ancienne et constante de certains dirigeants socialistes avec l’extrême-droite, de dénoncer ces "liaisons dangereuses" nouées du temps de François Mitterrand (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).
La montée en puissance du Front national depuis les années 80, en effet, n’est pas exclusivement due à la force d’entraînement de son chef, conjuguée au désarroi de nombreux Français. Elle a aussi son origine dans le soutien, dissimulé mais efficace, de François Mitterrand (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).
En vérité, tendre le bras aux communistes pour mieux les étouffer, affaiblir la droite républicaine en détournant une partie de son électorat vers l’extrême-droite : tels ont été les objectifs politiques constants de François Mitterrand.
Il les a atteints, de façon temporaire sans doute, mais incontestable : de tous les pays de l’Union européenne, la France est celui qui est le plus affecté par la montée de l’extrémisme. Par des manoeuvres blessant la morale républicaine, le chef de l’Etat a, durant deux septennats, renforcé un courant politique porteur de haine et de rejet de l’autre.
Les moyens employés à cette fin sont toujours les mêmes : d’abord attiser les craintes engendrées par une immigration excessive, jouer sur la réprobation d’une régularisation à tout-va des immigrés clandestins et sur la désapprobation de leur accès au droit de vote, aiguiser la peur de voir l’identité nationale se dissoudre. Ensuite mettre en oeuvre le mode de scrutin le plus favorable à l’extrême droite. Enfin utiliser les médias pour populariser les thèses du Front national et la personne de son chef, tout en le diabolisant.
Depuis le départ de François Mitterrand, ses héritiers n’ont pas véritablement répudié cette politique : bien au contraire, depuis avril 1997, M. Jospin en est le continuateur.
Ainsi, il a reporté le nécessaire débat sur l’exclusion, en cours au moment de la dissolution,...
M. Alain Tourret - Qui a dissous ?
Mme Nicole Catala - ...pour faire voter d’abord par le Parlement la réforme de notre droit de la nationalité et des règles applicables à l’entrée et au séjour des étrangers, sachant bien que sur ces sujets l’opinion est prompte à s’émouvoir. Il a aussi différé la réforme du scrutin régional, alors qu’il disposait de la majorité nécessaire pour l’adopter avant les régionales si tumultueuses. Maintenant, il impose par la force une réforme scélérate !
Les procédés sont toujours les mêmes, notre vie politique des seize dernières années le montre. François Mitterrand a planté le décor avec une habileté diabolique. Il a suffi à Lionel Jospin de poursuivre la pièce, sans inventaire sur ce sujet...
Le premier acte date du début des années 80. Aux élections présidentielles de 1974, Jean-Marie Le Pen n’a obtenu que 0,7 % des suffrages. En 1981, il ne se présente pas, faute, semble-t-il, d’un nombre suffisant de parrainages.
Mais, dès le début de son septennat, François Mitterrand fait régulariser 150 000 clandestins, élargit les conditions d’accès et de séjour des étrangers, propose d’étendre le droit de vote aux étrangers... Ces mesures, qui heurtent et inquiètent la population, ont rapidement des conséquences électorales : lors de cantonales partielles en 1982, deux candidats du Front national obtiennent l’un 10,5 % des voix dans l’Isère, l’autre 12,7 % à Dreux. Les scores de l’extrême droite ne sont plus marginaux...
Simultanément, François Mitterrand veille à ce que Jean-Marie Le Pen diffuse largement ses idées. Ainsi, à la suite d’une rencontre entre M. Le Pen et l’un des conseillers du chef de l’Etat, ce dernier donne l’ordre à TF1 d’inviter le leader du Front national au journal télévisé de 20 heures. Ce sera fait le 29 juin 1982 et dès lors, Jean-Marie Le Pen sera régulièrement convié à s’exprimer sur les ondes.
A l’époque pourtant, le Gouvernement n’était pas démuni des moyens de freiner la médiatisation des thèmes du Front national et de son leader. Or non seulement ils ne sont pas mis en oeuvre, mais aucune réprobation des idées lepénistes n’est formulée : François Mitterrand ne combat pas Jean-Marie Le Pen, il s’en sert. Plusieurs interlocuteurs de François Mitterrand le confirment, tel Jean Daniel : "François Mitterrand pensait que la droite française avait vocation à rejoindre l’extrême-droite..."
M. le Rapporteur - Il avait raison !
Mme Nicole Catala - Nombreux étaient alors à droite, notamment parmi les gaullistes, ceux qui critiquaient l’extrême droite.
M. le Rapporteur - Pas Pasqua !
Mme Nicole Catala - Toujours selon Jean Daniel, François Mitterrand "s’accommodait de cette fatalité au point de la précipiter avec un sadisme réjoui". Cité dans La main droite de Dieu, Paul Quilès indique avoir évoqué la question de l’extrême-droite avec l’ancien Président : "Mes réflexions avec lui ont été nombreuses sur ce sujet. Elles étaient plus stratégiques que politiques. François Mitterrand est assez factieux pour savoir qu’il peut diviser l’adversaire".
Jouissant de la complicité inavouée du chef de l’Etat, le Front national réalise aux élections européennes le score le plus important obtenu par un parti d’extrême droite depuis la deuxième guerre mondiale : 11 % des suffrages. La poussée se confirme aux élections cantonales de 1985, où plus de 1 500 candidats se présentent sous l’étiquette du FN et obtiennent 10,44 % des voix. Le Front est installé dans notre vie politique et il ne reste plus à François Mitterrand qu’à le faire entrer au Parlement. C’est ce qu’il fait en imposant la représentation proportionnelle pour les législatives de 1986. Les listes du Front attirent 2,7 millions de voix, soit 9,7 % des suffrages, et 35 députés du Front font leur entrée à l’Assemblée. La manoeuvre, qui tendait à empêcher la droite républicaine de reconquérir la majorité en divisant son électorat, échoue mais de peu : la droite républicaine ne l’emporte que de trois sièges !
Le scrutin majoritaire sera très vite rétabli par le gouvernement de Jacques Chirac, pour la plus grande fureur de M. Le Pen, qui déclare en septembre 1986 : "En privant mes 2,7 millions d’électeurs de représentation à l’Assemblée nationale, M. Pasqua ouvre la voie à la tentation de la violence". On le voit, M. Pasqua, lui aussi, a su combattre le Front national.
La violence des attaques contre Jacques Chirac et Charles Pasqua contraste avec la retenue de M. Le Pen à l’égard de M. Mitterrand, qu’il n’attaque jamais ouvertement.
Revenue au pouvoir en 1988, la gauche reprend ses pratiques. Dès 1989, à l’initiative de Pierre Joxe, les textes sur l’immigration font l’objet de modifications laxistes, ce qui avive les tentations xénophobes de la fraction de la population la plus directement affectée par la non-intégration de certains étrangers, d’autant que l’insécurité croissante pousse également au vote extrémiste.
M. Le Pen n’a plus besoin de l’aide de M. Mitterrand pour passer à la télévision : il est devenu une vedette médiatique, que condamnent en vain les dirigeants de la droite républicaine. Toutefois, le scrutin majoritaire uninominal a été conservé, ce qui empêchera le piège de se refermer. Certes, aux législatives de 1993, le Front national recueille 3 150 000 voix, soit 12,5 % des suffrages et devient la 3ème force politique française... Mais la barre des 12,5 % de voix au premier tour n’est franchie que par un petit nombre de ses candidats et aucun n’entrera à l’Assemblée. M. Le Pen n’en poursuit pas moins sa route : après avoir violemment attaqué Jacques Chirac, qui le condamne avec force, il obtient 15 % des voix à l’élection présidentielle de 1995, soit près d’un tiers de l’électorat habituel de la droite.
Le deuxième acte de la pièce dont notre pays demeure le théâtre s’est joué au printemps 1997. Le Front national est devenu en 15 ans une force décisive, capable de faire basculer la majorité. Lorsque s’ouvre la brève campagne électorale d’avril-mai 1997, il apparaît vite que M. Le Pen a choisi son camp : celui de la gauche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il le dit d’ailleurs clairement le 13 mai 1997, sur Europe 1 : "Je préférerais une assemblée de gauche à une assemblée de droite, car je pense que cela paralyserait M. Chirac dans le projet qu’il a de dissoudre la France dans l’Europe de Maastricht". "Il serait préférable pour la France que celle-ci ait une cohabitation avec une majorité de gauche parce que cela stopperait la dérive mortelle du pays vers l’euro-mondialisme de Maastricht", ajoute-t-il sur RTL le 15 mai. Et, le même jour, "Le projet de Jacques Chirac est le plus dangereux. Celui de Lionel Jospin me semble moins affirmé".
Durant toute cette campagne, Jean-Marie Le Pen ne cessera de proférer des condamnations violentes et haineuses à l’encontre des dirigeants de la droite modérée, qui sans relâche ont dénoncé son extrémisme, ses propos injurieux et racistes, sa xénophobie.
Ces traits honteux qui le stigmatisent, M. Le Pen vient d’ailleurs de les reconnaître lui-même, dans son différend actuel avec M. Megret, en déclarant que ce dernier s’appuie sur une "minorité extrémiste et même raciste" ! Tel maître, tel élève...
M. Alain Tourret - L’élève était au RPR...
Mme Nicole Catala - La haine de M. Le Pen pour la droite modérée le conduit à condamner à mort politiquement une douzaine de députés RPR et UDF dont MM. Juppé, Mazeaud, Bayrou, Wiltzer et bien d’autres, que les électeurs du FN sont invités à faire battre.
M. Gaëtan Gorce - C’est ridicule ! Ils ont été réélus !
Mme Nicole Catala - Tout au long de la campagne, il est clair que les candidats de la droite républicaine se battent sur deux fronts, que les leaders du FN ont décidé de peser en faveur de la gauche, qu’à aucun moment les chefs de celle-ci n’expriment leur rejet de l’extrême droite.
Ayant obtenu près de 15 % des suffrages, le FN est en mesure de maintenir ses candidats dans 132 circonscriptions. Cette situation sera fatale à la majorité sortante : en cas de triangulaire, le maintien du FN prive ses candidats de l’appoint de voix indispensable, même lorsqu’ils sont arrivés en tête, faute de consigne de retrait du candidat de gauche, qui est ainsi parfois élu. 41 députés de gauche, dont 32 socialistes sont élus du fait des triangulaires décidés par le Front national, donc grâce à lui. M. Le Pen a choisi de faire gagner la gauche, qui, il est vrai, ne l’a que mollement combattu durant la campagne...
Le 3ème acte se déroule entre juin 1997 et mars 1998. Peu après son arrivée à Matignon, M. Jospin chausse les bottes de M. Mitterrand : au lieu de soumettre à l’Assemblée le projet sur l’exclusion, ou de lui proposer une réforme du scrutin proportionnel applicable aux élections régionales, il se borne à faire voter la mesurette de l’article "49-3" régional. En revanche il fait préparer une réforme de notre code de la nationalité et fait annoncer par le ministre de l’intérieur que les étrangers en situation irrégulière seront régularisés. Immédiatement, 140 000 clandestins se manifestent, un véritable lobbying immigrationniste se met en mouvement. L’examen d’une nouvelle loi réformant les règles d’accès et de séjour sur notre territoire se déroule ainsi : sous la pression des associations et de la rue, M. Jospin, qui a voulu jouer avec l’immigration pour gonfler l’électorat de M. Le Pen, se retrouve pris au piège d’une surenchère dont il n’est toujours pas sorti ! Mais les Français, eux, s’inquiètent de ce surcroît d’immigration.
Aussi, les bonnes vieilles méthodes produisant les mêmes effets, la gauche en récolte les fruits vénéneux lors des élections cantonales et régionales du 15 mars. Le maintien de la proportionnelle conduit à ce qu’une majorité de régions ne disposent d’aucune majorité claire, et que dans près d’une moitié d’entre elles les élus du Front national deviennent les arbitres de la situation. Les anathèmes et les violences entourent, dans plusieurs conseils régionaux, l’élection du président, et la gauche conquiert une douzaine de régions. Mais sa victoire doit avoir un goût amer, d’abord parce qu’elle découle en partie de manoeuvres perverses, ensuite parce que dans plusieurs conseils régionaux, c’est la gauche elle-même qui est victime de l’absence de majorité.
Le 4ème acte de cette mauvaise pièce est en train de s’écrire : il s’agit de la réforme du scrutin des élections régionales. Si les auteurs de cette réforme étaient mus par un esprit républicain, ils chercheraient à instaurer un mode de scrutin qui conduise à des majorités claires et à écarter toute modalité de vote qui favorise le Front national. Or c’est le contraire : en instituant un scrutin à deux tours, le texte permet toutes les combinaisons : les listes de la gauche composite fusionneront, cependant qu’à droite toute fusion sera interdite entre droite républicaine et FN.
M. Bernard Grasset - Vous le regrettez ?
Mme Nicole Catala - C’est l’institutionnalisation des triangulaires, c’est la promotion du Front national comme arbitre de la vie politique française. Au moment où ce parti se déchire, vous lui offrez l’assurance qu’il pèsera quand même dans les scrutins régionaux à venir. Cette réforme est scélérate, car elle tend hypocritement à perpétuer l’influence d’une formation extrémiste que, du haut des tribunes, on prétend combattre.
Mais a-t-on entendu un seul des beaux esprits de la gauche s’élever contre ce projet ?
Silence, on tourne le même scénario depuis 1981.
Est-il besoin d’argumenter davantage la question préalable ? La preuve est établie que ceux-là mêmes qui prétendent aujourd’hui enquêter sur le service d’ordre du Front national sont ceux ou les héritiers de ceux qui ont favorisé son essor, grossi son électorat, tout en utilisant les médias pour diaboliser ses chefs et aussi ses électeurs. Ce sont les pyromanes qui crient : au feu ! Ce n’est pas seulement une question préalable que l’on a envie de poser, c’est celle d’un juge : reconnaissez-vous les faits ? Plaidez-vous coupables ?
(Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)
M. le Rapporteur - Si j’avais eu l’honneur d’être le professeur de Mme Catala, j’aurais noté : hors sujet, car son exposé n’a strictement rien à voir avec ce qui nous occupe ce soir. J’ai l’impression que depuis quelque temps l’habitude est venue de parler de sujets totalement extérieurs à notre ordre du jour.
La commission des lois propose ce soir la création d’une commission d’enquête sur le comportement d’une milice nommée DPS et annexe du Front national. Contestez-vous l’existence de ce groupe, contestez-vous des faits avérés et pour certains condamnés par la justice ? Si c’est le cas, cela signifie que vous voulez couvrir d’un manteau d’une blanche pureté les agissements du FN
(Interruptions sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
Comme je sais que votre intention n’était pas de concurrencer Mme Boutin dans la défense d’une question préalable, vos arguments m’ont surpris.
A la commission d’enquête que nous proposons de créer, l’opposition participera. Vous pourrez suggérer des auditions, faire des propositions, dans le sens de la réécriture de l’histoire que vous venez de développer. Créer cette commission devrait recueillir ici le suffrage de tous les républicains (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
EXPLICATIONS DE VOTE
M. José Rossi - Le groupe DL votera la question préalable. Je m’étonne de la position que vient d’exprimer le rapporteur. J’avais cru comprendre, à la fin de son intervention précédente, qu’il avait le sentiment que l’opportunité de la proposition de résolution pouvait faire question. Nous sommes conduits à nous demander s’il s’agit réellement de lutter contre certaines pratiques que nous condamnons tous.
Si des actes délictueux ont été commis, que le ministre de l’intérieur fasse jouer l’arsenal répressif et que des procédures judiciaires soient engagées dès aujourd’hui !
Mais en vérité, il s’agit plutôt d’organiser une sorte de spectacle. D’ailleurs cette proposition de résolution dormait depuis six mois dans les tiroirs de la commission des lois : vous l’en avez tirée à la dernière minute, avant que le délai réglementaire n’expire.
M. le Rapporteur - Il n’y a pas de délai.
M. José Rossi - Quoi qu’il en soit, la police et la justice ont les moyens d’investigation et de sanction nécessaires. Constituer une commission d’enquête ne se justifie donc pas. C’est pourquoi le groupe DL votera la question préalable.
M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le groupe UDF salue le superbe exposé de Mme Catala qui a fort bien rappelé l’histoire du développement du Front national dans ce pays et situé clairement les responsabilités.
Sans doute la gauche espérait-elle un débat limité à l’issue duquel aurait été prise, dans l’indifférence générale, une décision permettant ensuite au Front national de se poser en victime. Stratégie scélérate... Nous, nous avons choisi une voie plus courageuse : expliquer à nos concitoyens qu’ils font une erreur en votant Front national, leur dire que la haine, le racisme, l’antisémitisme et la désignation de boucs émissaires ne régleront pas leurs problèmes quotidiens.
Si des faits délictueux ont été commis, que la justice soit saisie et que la Garde des Sceaux donne, le cas échéant, les instruction nécessaires, comme elle en a fort heureusement encore le pouvoir ! Et si les faits sont graves et les liens entre le service de sécurité et le Front national avérés, que le Gouvernement prenne une décision d’interdiction. Pour le moment, vous ne pouvez pas nous empêcher de penser qu’une étape de plus est franchie dans la spirale de complicité objective dénoncée par Mme Catala. Le groupe UDF votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).
M. Gaëtan Gorce - Le Gouvernement essaie de gouverner sereinement mais l’opposition s’oppose systématiquement et outrancièrement. Vous prétendez condamner l’extrême-droite, Madame Catala, mais l’adoption de votre question préalable aboutirait à protéger le DPS, émanation du Front national, des investigations d’une commission d’enquête.
Vos outrances et vos attaques indécentes contre François Mitterrand n’ont d’autre cause que l’incapacité de la droite à assumer le problème que lui pose l’extrême-droite et sa tentation de passer alliance avec celle-ci, comme elle l’a fait dans quatre régions !
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Je ne peux expliquer autrement vos outrances que par le fait que rester à l’écart du pouvoir vous est insupportable. Mais permettez-moi de vous dire que le Front national restera comme un coin dans le coeur de la droite, comme une plaie purulente (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), tant que la droite n’assumera pas ses responsabilités vis-à-vis de celui-ci et s’en tiendra à la thèse selon laquelle le Front national serait le produit d’une stratégie machiavélique de François Mitterrand et de la gauche au pouvoir !
Figurez-vous qu’il existe une extrême-droite dans ce pays, ainsi que du racisme et de la xénophobie, et tant que vous n’accepterez pas de regarder en face les causes profondes de ce mal, vous n’en aurez pas fini avec le Front national ! La démocratie non plus, malheureusement.
On pouvait aborder ce débat d’une autre façon et éviter les procès d’intention. La question est en effet la suivante : les agissements reprochés sont-ils le produit d’une organisation programmée ou une série d’éléments que des coïncidences auraient rapprochés ?
Beaucoup d’indices donnent à penser que ces agissements obéissent à un plan. Usurpation de fonction publique, menaces, écoutes illégales...
M. Gilbert Meyer - Les écoutes illégales, parlons-en !
M. Gaëtan Gorce - ...armement, entraînement de forces armées, tout cela mérite quand même une enquête. Et il est normal que la République veuille se protéger et s’informer.
En tant qu’élu de la Nièvre et ancien collaborateur de François Mitterrand, vous me permettrez de m’élever contre les attaques personnelles que vous avez lancées à son encontre. Libre à vous de dresser un bilan de son action politique, mais ne vous en prenez pas ainsi à l’homme, surtout quand il ne peut pas vous répondre !
Un député RPR - Rocard !
M. Gaëtan Gorce - La manoeuvre est évidente : vous cherchez à jeter l’opprobre sur la gauche et à la rendre responsable de vos propres défaillances. Qui aide l’extrême-droite à se poser en victime sinon ceux qui opposent cette question préalable ? C’est pourquoi il faut rejeter celle-ci d’un revers de main et laisser l’Assemblée se prononcer sans délai sur une commission d’enquête destinée à aider la République à se protéger
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. Jacques Limouzy - Vous avez dit, Monsieur le rapporteur, que Mme Catala était hors sujet, mais on est toujours un peu hors sujet quand on domine celui-ci et qu’on élève la discussion. Le groupe RPR votera la question préalable pour toutes les raisonsprécédemment exposées et aussi parce que c’est Mme Catala qui l’a défendue.
Plusieurs députés socialistes - En voilà une raison !
M. Jacques Limouzy - Je ne veux pas tomber dans la casuistique de l’orateur précédent. Mais permettez-moi de conclure par un voeu : si par hasard -je n’y crois guère- le Front national s’effondrait, je souhaite qu’il ne manque pas trop à la gauche !
(Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)
La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
M. Alain Tourret - Cette commission d’enquête aurait pu concerner le Front national lui-même tant il est vrai que ce parti qui se met délibérément en marge de la démocratie, utilise l’intimidation, manie l’injure, le racisme et la xénophobie, collectionne les condamnations tant en raison de sa négation des chambres à gaz que de l’égalité des races, n’est pas un parti comme les autres. Mais notre démocratie -c’est sa force, comme ce fut sa faiblesse- a admis l’existence du Front national, et lui donne même le droit de percevoir de l’argent public. Pour autant, le fait que nous ne voulons pas invoquer contre le Front national les textes relatifs aux mouvements dissous et aux groupes de combat, en raison de leur complexité, ne doit pas nous conduire à relâcher notre vigilance. Or le DPS, bras armé du Front national, est organisé de façon paramilitaire et ne s’en cache pas. Pour l’instant, il ne se comporte que comme une cohorte prétorienne, protégeant son chef et organisant des milices musclées. Mais les divisions internes du Front national vont créer des tensions. Le pouvoir des porte-flingues s’annonce. Les purges ordonnées par le "führer" ne se feront pas sans mal. Comme dans les mafias, les éliminations se feront brutalement. Rappelons à ce sujet la disparition inexpliquée de François Duprat, alors opposant à M. Le Pen.
Cette commission d’enquête s’impose donc. Elle permettra de connaître les soutiens du Front national, son origine, le rôle joué par le mouvement Occident, dont de nombreux membres sont aujourd’hui au RPR comme dans les autres partis de droite. MM. Chirac, Balladur, Juppé ont confié les postes les plus éminents à d’anciens membres d’Occident.
M. Mégret a appartenu au RPR. Le maire de Nice, aujourd’hui membre éminent du RPR, était il y a peu de temps au Front national. Les passerelles existent entre le RPR et le Front national, et inversement, comme avec les autres partis de droite. Telle est la réalité, et nul ne peut le contester. Qui a dit, Madame Catala, qu’il y avait des idéaux communs entre le FN et le RPR, sinon M. Pasqua ? Nous, nous n’en avons pas.
M. Patrick Devedjian - Nous, nous ne fréquentions pas les pourvoyeurs de chambres à gaz ! Nous ne fréquentions pas M. Bousquet !
M. Alain Tourret - Avec qui sont alliés M. Millon, M. Soisson, M. Blanc ? Je ne sais si la commission d’enquête le dira, mais je sais combien il est indispensable d’informer la Représentation nationale sur les manoeuvres des fascistes. Nous voterons donc la résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. José Rossi - Ce que vient de dire M. Tourret témoigne de l’intention profonde des auteurs de la proposition de résolution : il s’agit d’une opération politique, destinée à dénoncer des alliances supposées avec le Front national...
M. Jean-Pierre Blazy - Pas "supposées" !
M. José Rossi - En somme M. Tourret a entièrement confirmé le propos de Mme Catala. S’agissant des propositions de M. Aschieri et de M. Gaïa tendant à constituer une commission d’enquête sur les agissements du DPS, nous sommes fondés à nous interroger sur vos motivations. Quoi qu’il en soit, elles ne sont pas fondées. Vous avez aujourd’hui tous les moyens de lutter contre les actes délictueux qui peuvent être commis, comme il est effectivement arrivé. Je le souligne, nous sommes tous attachés aux principes de la démocratie, aux droits de l’homme et aux lois de la République. Nousconsidérons la sûreté comme un droit inaliénable et imprescriptible. Nous pensons qu’il incombe à l’Etat d’assurer la liberté et la sécurité de chacun. Nous condamnons tous les actes de violence d’où qu’ils viennent. Et par conséquent -ce qui, chose étonnante, ne semble pas être votre cas, Monsieur le ministre- nous faisons confiance à la police et à la justice pour punir les contrevenants. En la matière, la justice a d’ailleurs bien fait son travail, et condamné ceux qui s’étaient rendus coupables des actes que vise la présente proposition, arrestation illégale et usurpation des fonctions de police judiciaire. Elle s’est déjà prononcée également sur les actes de violence commis contre des personnes à l’occasion de manifestations publiques. Il nous semble donc que, lorsque des procédures sont mises en route, elles sont opérantes et vont à leur terme.
Mais voyons la chose sous un autre angle. Considérons les commissions d’enquête qui, ces dernières années, ont travaillé dans de bonnes conditions, et dont les conclusions ont connu un certain rayonnement. Pour l’essentiel, ce sont celles qui avaient été présentées comme des instruments indispensables pour contrôler l’action du Gouvernement. Référons-nous d’ailleurs à l’ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires, ainsi qu’aux articles 140 et suivants de notre Règlement. Il en ressort que ces commissions ont pour objet de recueillir des informations sur des faits déterminés, ou sur la gestion des services publics et des entreprises nationales. La proposition de résolution doit déterminer avec précision soit les faits visés, soit les services ou entreprises publics dont la commission est appelée à examiner la gestion. Dans la pratique, ces dernières années, les commissions d’enquête ont été créées le plus souvent pour informer la Représentation nationale sur les carences de l’Etat. Ainsi la commission Novelli sur les aides à l’emploi a souligné les incohérences de la politique de l’emploi. La commission d’enquête sur le Crédit Lyonnais, qu’a dirigée notre président de séance, a montré la grande légèreté qui avait caractérisé le contrôle de l’Etat. La commission d’enquête sur la MNEF qu’a proposée M. Goasguen a visé à faire la lumière -et vous l’avez accepté- sur l’origine de fonds qui auraient pu être détournés, dans un organisme qui remplit une véritable fonction de service public pour les étudiants. Les commissions d’enquête qui ont acquis rayonnement et autorité sont celles qui ont eu pour objet d’éclairer le Parlement sur les dysfonctionnements de l’action étatique. Jamais elles n’ont eu pour but de se substituer à la police ou à la justice. La preuve en est qu’elles ne peuvent se saisir de faits qui donnent lieu à des poursuites judiciaires.
Sommes-nous donc dans un cadre qui justifierait une commission d’enquête ? Le groupe DL ne le pense pas. Le DPS n’est ni un service public ni une entreprise nationale, mais un organisme de droit privé, et il ne touche pas de fonds publics, contrairement au parti auquel il est lié. Les faits que vise la proposition de résolution ne font l’objet d’aucune précision réelle. Certes vous citez les événements de Monceau-les-Mines et de Mantes-la-Jolie, mais il me semble qu’ils ont fait l’objet de procédures judiciaires qui sont parvenues à leur terme. Quel surcroît de lumière peut-on attendre d’une commission d’enquête, sauf à dénigrer le travail de la justice ?
En réalité, et Mme Catala l’a bien montré, cette proposition ressemble à une manoeuvre destinée à alimenter les polémiques et à polariser une fois de plus tout le débat politique autour du Front national. Par une curieuse coïncidence, ce projet arrive alors que votre gouvernement doit faire face à de réelles difficultés. Quel meilleur atout alors que d’agiter à nouveau ce chiffon rouge qui vous a rendu tant de services ?
Dans le rapport, on nous accuse un peu de ne pas prendre nos responsabilités face à ce mouvement qui porte atteinte à la démocratie... Nous ne voulons pas cautionner un tel montage politique, alors que tous les moyens existent pour préserver la République.
Notre position est claire. Nous n’avons aucune complaisance envers des mouvements qui se livrent à des actes délictueux. Comme vous, nous souhaitons que ces actes soient punis. Si le groupe en question agit illégalement, le Gouvernement a les moyens de censurer ses actes. La loi du 10 janvier 1936 autorise la dissolution des associations qui portent atteinte à l’ordre public et à la démocratie, et notamment à celles qui présentent le caractère de groupes de combat ou de milices privées. Dans une réponse à une question écrite du 5 février 1998, M. le ministre de l’intérieur indiquait que les actions des membres du DPS ne conféraient pas à celui-ci les caractères d’un groupe de combat ou d’une milice privée. Il excluait ainsi la voie de la dissolution administrative, s’en remettant aux poursuites judiciaires que de tels actes pourraient appeler. Le nouveau code pénal comporte d’ailleurs une incrimination spécifique pour les groupes de combat. Le ministre de l’intérieur concluait que l’organisme en question devait faire l’objet d’une attention particulière.
Nous nous en remettons donc à vous, Monsieur le ministre. Si une répression est nécessaire, elle incombe à vous-même et à la justice, non au Parlement. Et si rien ne justifie des sanctions, à quoi bon une commission d’enquête ? Nous dénonçons l’ambiguïté de la démarche. Vous êtes la majorité et le gouvernement de la France : vous avez la police et le ministère public. Qu’attendez-vous pour agir, au lieu de vous défausser sur une commission d’enquête-alibi ?
Le groupe Démocratie Libérale, qui désapprouve votre méthode même, ne prendra pas part au vote sur la création de cette commission d’enquête. Il participera en revanche à ses travaux comme en ont le devoir les députés de l’opposition. Il serait cocasse que cette commission soit contrainte de conclure à la défaillance de la police et de la justice elles-mêmes. Nous ne pensons pas que tel soit le cas puisque, chaque fois que nécessaire, des poursuites ont été engagées et des condamnations prononcées.
A quoi servira donc cette commission d’enquête si ce n’est à entretenir le spectacle ?
Point n’était pourtant besoin d’en rajouter en ce moment. Que le Parlement se concentre plutôt sur les sujets qui intéressent les Français au quotidien. Ne détournez pas nos concitoyens des problèmes concrets qui aujourd’hui les angoissent et sont autrement plus graves que celui dont nous débattons ce soir... pour autant que police et justice assument pleinement leurs responsabilités. Et, fort heureusement, il existe dans notre pays les moyens de faire respecter la loi... si on le veut (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).
Mme Geneviève Perrin-Gaillard - C’est avec courage et détermination que nous devrons nous prononcer sur la création d’une commission d’enquête sur le Département protection sécurité, organisation chargée de l’ordre et de la sécurité lors des manifestations du Front national. Je ne rappellerai pas l’histoire de notre mobilisation contre ce parti : elle aurait été à coup sûr plus noble que celle qui vient de nous être livrée sans conviction.
Comment des agissements comme ceux constatés à Strasbourg, Mantes-la-Jolie, Montceau-les-Mines et plus généralement chaque fois que des manifestations de protestation contre le Front national sont organisées, ont-ils été possibles ? Sont-ils le fait d’un groupement susceptible de tomber sous le coup de la loi de 1936 relative aux groupes de combat et aux milices privées ? Ce groupement a-t-il une organisation structurée et hiérarchisée ? C’est à ces questions que la commission se propose de répondre. Son souci, qui répond à une exigence démocratique, aurait pu être largement partagé dans cet hémicycle, au-delà de toute considération politicienne.
Il est grand temps de s’interroger sur le DPS, d’évaluer ses moyens et ses soutiens. S’il porte atteinte à l’ordre public et contrevient à la loi de 1936, il convient de prendre les mesures qui s’imposent. Si tel n’est pas le cas, notre vigilance ne devra pas pour autant se relâcher. Dans les deux cas, le Parlement aura rempli son devoir. Il serait criminel de se défausser sur un sujet qui comporte de tels enjeux, surtout au moment où certains regrettent que les parlementaires voient leurs pouvoirs réduits.
En proposant de créer cette commission d’enquête, l’Assemblée nationale ne fait que son travail, quoi qu’en pensent ceux qui recherchent en permanence la polémique et souhaitent, à cette occasion, jeter l’opprobre sur les parlementaires de gauche en particulier. J’ai, pour ma part, conscience, avec mes collègues socialistes, de remplir mon devoir, en proposant de mener ces investigations nécessaires pour éclairer nos concitoyens. Le sujet est grave. S’il n’était pas abordé en toute transparence et en toute impartialité, c’est-à-dire si les faits n’étaient pas jugés sur pièces, notre pays pourrait voir les principes républicains eux-mêmes menacés. C’est pourquoi je soutiendrai la proposition de création d’une commission d’enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. Patrick Devedjian - Quel est l’objet de cette commission d’enquête ? Ce n’est pas de trouver les moyens de dissoudre le Front national. Vous n’auriez pas autrement mis en cause le seul DPS, indissoluble du parti. Pourquoi vous être centrés sur lui seulement ?
Cette commission peut-elle aboutir à quelque chose ? Soit elle découvrira des infractions avérées susceptibles de justifier l’application de 1936. Soit elle n’en découvrira pas. Quel aura alors été son intérêt ?
Toute la question est là : le Gouvernement peut-il appliquer la loi de 1936, c’est-à-dire prononcer par décret en Conseil des ministres la dissolution du Front national, ou à tout le moins de son service d’ordre, le DPS ? Il est prouvé que ce parti s’appuie sur des milices et que celles-ci ont commis des infractions. Des jugements ont d’ailleurs déjà été rendus sur le sujet. Le Gouvernement peut donc parfaitement et d’ores et déjà dissoudre le Front national. La présente commission d’enquête n’a donc pas pour objet de conduire à l’application de la loi de janvier 1936.
Dans ces conditions, vous vous moquez de nous en inscrivant ces propositions de résolution à l’ordre du jour au moment précis où le Front national traverse de graves turbulences au point que les véritables démocrates peuvent espérer qu’il se scindera au moins en deux. C’est l’espoir sincère de tous ceux qui n’ont pas été élus grâce à lui dans une triangulaire, Monsieur Queyranne.
Que cherchez-vous ? A créer une union sacrée entre les deux protagonistes dont nous espérons qu’ils en viendront à des positions extrêmes mais que vous invitez à se réconcilier, en agitant cette menace, fallacieuse au demeurant. Si la division du Front national vous gêne tant, Monsieur Queyranne, offrez vos bons offices afin que Le Pen et Mégret se serrent de nouveau la main.
Mais ne nous demandez pas de cautionner cette pantalonnade, de surcroît en nous faisant la morale. 41 députés de gauche ont été élus dans une triangulaire avec le Front national, dont vous-même, Monsieur Queyranne. Vous avez trop intérêt à ce que le Front national soit puissant pour vouloir sincèrement sa disparition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les conditions d’application de la loi de 1936 sont d’ores et déjà réunies. Si vous voulez interdire le Front national et le DPS faites-le de suite. Vous en avez les moyens. Quant à nous, nous ne prendrons pas part au vote sur la création de cette commission d’enquête.
Mme Catherine Picard - Quel courage !
M. Guy Hermier - Je vois M. Estrosi protester. Monsieur Estrosi, dois-je rappeler que vous étiez le plus chaud partisan d’une alliance de la droite avec le Front national en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Vous devriez donc vous taire.
Le groupe communiste votera la création de cette commission d’enquête. Mme Catala nous a présenté le RPR comme le fer de lance du combat contre le Front national. Elle nous a demandé de ne pas nous inquiéter et a refusé que l’Assemblée nationale se dote des moyens d’investigation pour savoir si le DPS constituait une milice paramilitaire, susceptible de menacer notre démocratie. Madame Catala, si vous êtes à ce point prête à lutter contre le Front national, faites que la représentation nationale puisse jouer son rôle.
La commission a examiné les deux propositions de résolution le 14 mai dernier et celles-ci étaient inscrites à l’ordre du jour bien avant que le Front national ne tombe sous les feux de l’actualité depuis dimanche dernier.
Le 10 décembre 1997, Georges Hage adressait une question écrite au ministre de l’intérieur pour lui demander une enquête sur l’organisation et les agissements du DPS, alors présenté comme un simple service d’ordre. En effet des faits délictueux, des témoignages, des reportages avaient ému l’opinion et fait craindre la constitution d’une milice qui menacerait la démocratie.
Notre groupe est profondément attaché à l’indépendance des organisations, condition première de la démocratie pluraliste. Ces organisations assurent normalement le service d’ordre de leurs manifestations. Mais il n’est pas permanent, et est composé de bénévoles.
Or d’après les informations dont on dispose, le DPS serait organisé sur un mode paramilitaire, disposerait d’armements non autorisés et dispenserait une formation de combat. Il ferait appel à 3 000 volontaires dont 1 700 régulièrement, avec port d’uniformes et d’insignes distinctifs. Il serait organisé en six zones dirigés par des coordonateurs qui contrôleraient 22 responsables régionaux et 95 responsables départementaux. Il semble enfin avoir recours à des équipes spécialisées pour les interventions musclées. On l’a vu à Montceau-les-Mines le 25 octobre 1996. En mars 1997 lors du congrès du Front national à Strasbourg, des membres du DPS se sont même fait passer pour des policiers. Selon la centrale unitaire de la police, le DPS disposerait d’un fichier de personnes anti-Front national. Enfin, il encourage la discrimination, la violence et la haine parmi ses membres. On les a vu à l’oeuvre à Mantes-la-Jolie.
Aussi beaucoup d’élus ont-ils demandé qu’on applique les lois actuellement en vigueur, comme celle du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, ainsi que les articles du code pénal sur la participation à un mouvement dissous, et ceux du nouveau code pénal de 1992 relatif à la participation à un groupe de combat.
Le 14 mai la commission des lois a estimé que des investigations approfondies étaient nécessaires pour déterminer si la nature et les missions du DPS le rapprochent d’un groupement interdit par la loi. Pour cela elle a proposé la création d’une commission d’enquête pluraliste et assurant une approche fiable et impartiale du dossier. Notre groupe y est favorable et participera activement à ses travaux dans un souci d’impartialité et de vigilance républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV)
M. Renaud Donnedieu de Vabres - Enquêter, contrôler sont des objectifs a atteindre pour revitaliser le Parlement, et lorsqu’on est nouveau parlementaire, on s’étonne de ne pas le faire davantage. Donc, si l’on nous propose de renforcer le rôle de contrôle du Parlement, pourquoi pas ? Mais nous nous heurtons à deux objections.
D’abord, lorsque l’opposition vous l’a demandé, vous l’avez refusé. Nous souhaitions une commission d’enquête ou une mission d’information sur la régularisation des sans-papiers afin de voir comment les choses se passaient département par département et aussi -cela vous aurait été utile- ce qu’il advenait de ceux qui n’étaient pas régularisés.
C’eût été normal. Mais c’était l’opposition qui le proposait. Vous l’avez refusé.
Aujourd’hui, il s’agit du Front national et du DPS, et cela légitime tout. L’argument serait recevable si vous n’aviez pas adopté il y a quelques jours une loi totalement indigne de la démocratie, qui institutionnalise les triangulaires dans les élections régionales et menace l’unité de la République en permettant que des listes départementales s’opposent avant de fusionner. Nous ne pouvons accepter les leçons de vertu républicaine que vous voulez donner aujourd’hui après avoir, il y a quinze jours placé le Front national au centre de la vie politique.
Pourtant certains sujets devraient pouvoir nous rassembler. C’est le cas de la loi électorale. C’aurait pu l’être d’une commission d’enquête sur le DPS, dont l’attitude est contraire aux lois de la République. Mais le cynisme de la gauche ces dernières années et il y a quinze jours encore ne le permet pas. Au lieu de faire reculer les motifs d’exaspération qui conduisent nos concitoyens à l’extrémisme, vous adoptez des mesures de provocation. Y avait-il une urgence sociale à revenir sur le code de la nationalité,...
Mme Nicole Catala - Très bien !
M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...ce qui n’améliorera en rien la cohabitation dans les quartiers ? Vous provoquez...
M. Jean-Pierre Blazy - C’est vous qui êtes provoquant !
M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...puis vous tendez le filet électoral pour ramasser les voix.
Mme Nicole Catala - Très juste.
M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le courage aujourd’hui, c’est de dire que prêcher la haine et l’exclusion, désigner des boucs émissaires ne sont pas des remèdes pour notre société. Le courage, c’est de dire que certains accords n’auraient pas eu les mêmes effets électoraux s’ils avait été non pas souterrains mais officiels.
M. Bernard Grasset - En Picardie ?
M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le courage, c’est de dire à notre électorat que l’accord, l’alliance avec le Front national ne fait pas le jeu de la droite, il fait le jeu de la gauche.
M. Bernard Grasset - Et Millon ?
M. Renaud Donnedieu de Vabres - Ce genre de propos n’est pas facile à tenir. Dans nos circonscriptions, on nous rend responsables d’avoir livré des régions à la gauche en ne faisant pas d’accord avec le Front national. Il nous faut, en réponse, éclairer le jeu que la gauche a souvent pratiqué avec lui. Il consiste d’abord à se livrer à des provocations qui heurtent le bon sens ; ensuite à ne pas traiter les problèmes concrets.
Il faut faire un tri dans ce que disent les électeurs, y compris ceux du Front national, entre les sujets qui devraient être traités davantage et les idées qu’il faut avoir le courage de combattre.
A la création d’une commission d’enquête nous préférons la solution beaucoup plus efficace qui consiste à faire confiance dans la justice, la police, la gendarmerie pour combattre les délits, surtout si les informations dont disposent le ministre de l’intérieur et le garde des Sceaux leur sont transmises. A chacun son rôle : nous, élus, devons nous battre sur le terrain des idées, convaincre nos concitoyens qu’ils sont dans l’erreur, être une force de proposition, d’action, de persuasion, de novation.
Ne nous réjouissons pas trop des divisions actuelles au sein du FN, elles peuvent entraîner des frustrations et éloigner ainsi certains des valeurs de cohésion et de solidarité qui sont les nôtres.
Bien sûr, nous pourrions aujourd’hui nous réjouir de voir le Parlement jouer son rôle, mais la loi adoptée dans l’urgence sur le mode de scrutin pour les régionales discrédite totalement la majorité. Il lui reste une chance en deuxième lecture, en favorisant au deuxième tour, comme nous le proposons, un duel projet contre projet, républicains de droite contre républicains de gauche, de faire oublier ses responsabilités passées car, avant 1981, le Front national ne paralysait pas notre vie politique.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDF, qui assume toutes ses responsabilités dans le combat politique contre l’extrémisme, ne participera pas au vote (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).
M. le Rapporteur - Courage, fuyons...
Mme Marie-Hélène Aubert - Je me réjouis que cette commission d’enquête voie enfin le jour, d’autant que les députés Verts et plusieurs RCV ont déposé une proposition de résolution en ce sens dès le 6 mars dernier.
En effet, si la République garantit à chacun, individuellement comme collectivement, le droit de s’exprimer et de contester, celui-ci doit respecter les principes de souveraineté nationale et de démocratie et l’on ne saurait tolérer, sous couvert d’une formation politique légale -on peut aussi s’interroger sur la légalité du FN, mais c’est un autre débat-la formation d’organisations paramilitaires.
Je ne reviendrai pas sur les faits incriminés, qui méritent à l’évidence une investigation.
Il faut donc faire la lumière sur les agissements du groupe de fait dit DPS, établir s’il tombe sous le coup de la loi du 10 juillet 1936 relative aux groupes de combat et aux milices privées, voir comment son activité délétère a été possible.
La loi de 1936, votée à la suite des événements de février 1934, s’est appliquée aux ligues, par exemple aux Camelots du roi ou aux Croix de feu et, plus récemment, au FANE accusé, en 1985, de "propager une idéologie antisémite, raciste et pronazie" et au HVE, qui présentait en 1993 "les caractères d’un groupe de combat".
En tant qu’écologistes, nous sommes certes héritiers d’une certaine tradition contestataire, mais tout autant des principes de la non-violence. Particulièrement réfractaires à toute idée de censure des idées ou des manifestations, nous pensons que c’est la force de la démocratie que d’accepter leurs différentes expressions, même lorsqu’elles nous heurtent profondément, à condition toutefois qu’elles ne mettent pas en cause la sécurité et n’incitent pas à la violence. Ce qui est intolérable, c’est que ce type de groupements fasse peur à nos concitoyens. Lorsque certains jeunes à la peau mate hésitent à passer leurs vacances dans certaines villes de France ou à assister à un match de football de leur équipe parisienne préférée, où est la sécurité que tout habitant de ce pays est en droit d’attendre de l’Etat ? N’est-ce pas sa fonction régalienne essentielle ?
M. François Goulard - Que fait la police ?
Mme Marie-Hélène Aubert - Pour toutes ces raisons, nous approuvons la création de cette commission d’enquête et souhaitons qu’elle mène son difficile travail à bien. C’est une oeuvre de salubrité publique et le cynisme, Monsieur Donnedieu de Vabres, serait de ne rien faire. Cependant, une telle commission, si elle est nécessaire, ne suffira pas à faire reculer le Front national. C’est la force et la clarté de nos convictions, la rénovation de la démocratie et, surtout, l’efficacité des politiques publiques dans le respect de nos engagements qui le renverront à la marginalité d’où il n’aurait jamais dû sortir.
M. François Goulard - Merci Mitterrand...
M. Bernard Grasset - J’ai vu dans le propos remarquable de Mme Catala plus une comédie en quatre actes qu’une tragédie classique. Le nom de François Mitterrand y revenait comme une litanie, comme si elle le jugeait encore plus grand mort que vivant.
Enfin, dans une conclusion digne de Molière, elle nous a dit, en fait, voilà pourquoi votre fille est muette...
Dans un stade, une réunion publique ou une manifestation autorisée sur la voie publique,
toute association, tout syndicat, tout mouvement politique utilise, pour la bonne marche de son organisation, des adhérents ou des militants chargés d’y maintenir l’ordre et la sécurité sans se substituer en aucun à la force publique.
Mais dès lors, qu’un mouvement utilise un groupe d’individus organisés sous le nom de Département Protection Sécurité, organisés militairement, revêtus d’un semblant d’uniforme et utilisant souvent des armes par destination, il est permis de se demander si l’on ne passe pas insensiblement du service d’ordre à une protection musclée et provocatrice émanant d’un parti politique qui prétend par ailleurs participer à la vie démocratique de notre pays.
Nous avons connu, il y a quelques années, le service d’action civique et ses dérives meurtrières.
De nombreux incidents ont émaillé les actions de ce service d’ordre du Front national, allant de l’usurpation de fonction d’autorité à des voies de fait caractérisées.
Même si les dispositions relatives aux mouvements dissous ou à la participation à un groupe de combat permettent au moins de sanctionner de tels méfaits, il est utile pour tous que nous sachions exactement à quoi nous en tenir sur l’activité de ce DPS, sur ses comportements, sur ses activités.
Il ne s’agit pas de pénaliser le service d’ordre d’un mouvement politique qui accomplit sans violence ni provocation la mission qui lui est impartie mais de collationner et de vérifier les informations relatives aux débordements du DPS, en faisant le point sur son organisation, sur ses objectifs, sur ses soutiens, sur ses agissements.
Nous ne pourrions que nous réjouir que l’enquête ne montre pas de faits répréhensibles.
Mais si, à la lumière de graves incidents répétés, nous constatons que ce service d’ordre, véritable police privée au service d’une formation politique agit hors du cadre légal, dans un but de déstabilisation, il sera alors justifié d’appliquer les lois et règlements qui répriment de tels agissements.
L’histoire bégaie et Mme Catala nous en fait la démonstration. Déjà, en 1936, la droite, sur les mêmes bancs, accusait Léon Blum de faire le jeu des ligues. Aujourd’hui, pour lutter contre le Front national, il ne faudrait surtout pas enquêter sur le DPS...
M. Renaud Donnedieu de Vabres - Nous n’avons jamais dit ça.
M. Bernard Grasset - ...mais agiter les mêmes fantasmes sécuritaires, anti-immigré -qui a parlé des odeurs ?- et homophobes, faire comprendre à ses électeurs que l’on fait aussi bien mais en plus chic. M. Peyrat, qui est des vôtres et qui fut des leurs, l’a bien compris.
Plus convaincu encore après les patenôtres mielleuses des orateurs de droite, je voterai pour la création de cette commission d’enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)
M. le Président - Conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé :
"Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les agissements, l’organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit "Département protection sécurité" et les soutiens dont il bénéficierait."
L’article unique de la proposition, mis aux voix, est adopté.
M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d’enquête dont l’Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l’article 25 du Règlement, avant le mardi 15 décembre, à 17 heures, le nom des candidats qu’ils proposent.
La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.
La séance, suspendue à 23 heures 15, est reprise à 23 heures 25.
M. le Président - Il nous reste deux textes à examiner ce soir. J’invite chaque orateur à s’en tenir strictement à son temps de parole.
Dossier du Réseau Voltaire
"Le DPS : une milice contre le République"
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