Sur proposition d’un rapport d’enquête de l’Assemblée nationale portant sur "les sectes en France" (22 décembre 1995), le gouvernement décide d’instituer un Observatoire interministériel. Le ministre de l’Intérieur adresse le 7 novembre 1997 une circulaire aux préfets qui rappelle les fondements en droit des libertés de penser, de croire et de s’associer et leur demande d’exercer leur vigilance en tenant compte de deux considérations principales :
- la lutte contre les agissements répréhensibles au regard de la loi des mouvements sectaires implique une véritable sensibilisation du public ;
- l’efficacité de la lutte contre les dérives sectaires répréhensibles au regard de la loi repose au premier chef sur la mobilisation de tous les services concernés.
Constatant la complexité du phénomène, cette même circulaire observe que l’on ne peut "prétendre maîtriser un phénomène aussi complexe que si l’on commence par procéder à son analyse et à en diagnostiquer les manifestations les plus marquantes par une étude appropriée". Elle indique que "c’est précisément à cette fin qu’a été institué auprès du Premier ministre un Observatoire interministériel, chargé d’analyser le phénomène des sectes, de l’informer du résultat de ses travaux et de lui faire des propositions afin d’améliorer les moyens de lutte contre les dérives sectaires tombant sous le coup de la loi".
Dès cette époque, la puissance publique constatait le caractère essentiel d’une relation à construire et à développer entre l’organisme interministériel nouvellement institué et les services déconcentrés de l’Etat.
Une seconde circulaire, datée du 20 décembre 1999 précise qu’il revient aux préfets de coordonner les actions des services déconcentrés des administrations de l’Etat, dans leur région ou leur département, qui ont vocation à connaître des questions liées au phénomène sectaire en instituant des "cellules" de lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires, cellules auxquelles l’autorité judiciaire est conviée de participer.
Pour achever cette architecture et parfaire ces orientations de travail, le ministre de l’Intérieur demande de réunir la cellule autant de fois que nécessaire, d’associer la MILS à ces réunions et d’y convier les associations de défense lorsqu’elles sont localement constituées.
Depuis deux ans, la Mission a donc encouragé la mise en place des cellules de vigilance, dans les régions et départements où celles-ci n’étaient pas encore constituées, soutenu l’action administrative par tous les moyens dont elle dispose et participé fréquemment aux réunions organisées par les préfets.
Le vote de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales donne une dimension nouvelle et une responsabilité accrue à la relation maintenant établie entre la Mission et les cellules de coordination administrative déconcentrées.
Implantation des cellules de vigilance : une situation contrastée
Les premières créations de cellules ont été constituées peu après la parution de la première circulaire du ministre de l’Intérieur.
Il importe aujourd’hui d’analyser les progrès et éventuellement les limites de l’action conduite au niveau de services déconcentrés. Cet examen s’avère d’autant plus indispensable que le vote de la loi impose aux services de l’Etat et, en premier lieu, à la Mission un engagement supplémentaire.
L’analyse de la carte de fonctionnement des cellules de vigilance fait apparaître des situations très diverses qui peuvent être approchées grâce aux critères suivants :
- fréquence des réunions ;
- nombre d’organismes observés ;
– modes d’observation de phénomènes sectaires au plan local (départemental et régional) ;
- degré de mobilisation des administrations de contrôle et d’enquête ;
- niveau et nature des relations entre autorité préfectorale et autorité judiciaire.
Concernant l’implantation proprement dite, trois observations peuvent être formulées :
– 1er cas, le plus fréquent, les cellules ont été installées et sont réunies selon une fréquence trimestrielle ou semestrielle, parfois annuelle, selon les nécessités ;
– 2ème cas, les cellules ont été installées. Les contacts sont établis entre administrations ainsi qu’avec l’autorité judiciaire. Ils sont opérants. Des réunions plénières n’ont pas été systématiquement organisées ;
– 3ème cas, quelques cellules étaient encore en attente d’installation, trois ans après la circulaire de 1997. La Mission a dû intervenir pour en rappeler la nécessité.
Cette description demande à être précisée. Il convient en effet de noter une assez grande homogénéité de comportements administratifs par grande région. Une lecture cartographique de l’action de coordination des services de l’Etat aux niveaux régional et départemental montre que bien souvent là où un préfet de région s’est fortement impliqué, les autres départements de la même région administrative progressent à un rythme comparable.
Outre-mer, les cellules de vigilance des DOM ont été mises en place depuis deux ans. Elles fonctionnent et, sur certains points, exercent leur activité avec une énergie qu’impose leur situation particulière (espaces maritimes). Une cellule n’a pu être installée pour la première fois en Nouvelle-Calédonie qu’en 2001. Elle n’en est pas moins fort active.
La liaison entre les cellules départementales et régionales, d’une part, et les services de la Mission, d’autre part, est généralement excellente. Les échanges d’informations sont permanents et les rapports fournis se révèlent de plus en plus substantiels.
La Mission dispose ainsi de nombreux éléments d’appréciation qui ne pourront que faciliter la mise en œuvre de son programme d’actions auprès des autorités préfectorales dans le cadre de la nécessaire coordination des services de l’Etat tant au niveau national (administrations centrales) qu’à celui des services déconcentrés.
Les pratiques d’observation du phénomène et l’engagement des services dans l’activité de détection et de constatation des agissements répréhensibles
De fortes disparités existent entre départements du double point de vue du volume et de la typologie des groupements localisés ou actifs au sein de chaque département.
S’agissant du recensement des groupes, en raison de l’éventail très étendu des situations observées, l’analyse et l’évaluation des risques d’agissements répréhensibles sont de plus en plus des tâches à accomplir en coordination locale, même si les relations avec l’échelon national demeurent indispensables.
De même, les modes de recueil de l’information et les méthodes d’observation et d’étude appellent une interaction entre services déconcentrés, la MILS intervenant comme conseil ou comme source de documentation, notamment en ce qui concerne les publications des sectes en France et dans plusieurs Etats européens ou étrangers.
D’autre part, la variété d’approches constatée peut rendre indispensable l’analyse comparée d’un même phénomène sectaire à l’échelle de plusieurs départements limitrophes ou appartenant à une même zone géographique.
Compte-tenu de l’évolution rapide du phénomène dans son ensemble, ses mutations nombreuses en termes de structures juridiques, de dénominations, de stratégie de développement impliquant création de sociétés productrices de biens et de services, de la diversification des ressources et des placements/investissements opérés par les mouvements sectaires et leurs filiales de fait, il devient urgent de rechercher une harmonisation des techniques et moyens d’analyse mis en œuvre au niveau des cellules préfectorales.
Parmi les évolutions de situations dans le paysage sectaire rencontrées tant au niveau national que local, il convient de citer :
– le changement de dénomination d’un organisme, avec ou non maintien des dirigeants initiaux ;
– la modification de statut juridique d’une partie de l’organisation à caractère sectaire ;
– la délocalisation ou relocalisation des sièges ou lieux d’activité par vente puis rachat d’investissements immobiliers ;
– la constitution de nouvelles entités, sans lien juridique avec la secte elle-même, chargées de développer d’autres formes de recrutement, d’animation et de prestations économiques, commerciales, thérapeutiques, cultuelles ou autres ;
– les mutations de comptes bancaires ou l’extension des instruments bancaires et financiers à disposition de l’organisme ;
– les tentatives d’associations au sein d’organismes bancaires reconnus ;
– les changements fréquents d’attitudes des responsables de mouvements sectaires à l’égard des administrations et des élus (demandes de subventions, demandes de délivrance de permis de construire et d’autorisations, sollicitations appuyées de certification ou d’honorabilité, etc...).
Une nouvelle étape doit être franchie
De plus en plus, le recueil et l’analyse de l’information vont impliquer de multiples services. Cette nouvelle donne tient notamment au fait que de nombreux services de l’Etat ont peu à peu amélioré leur connaissance du champ d’investigation en développant des actions d’information et de sensibilisation de leurs agents. La MILS participe à d’innombrables séminaires de formation et d’information des agents des trois fonctions publiques (Etat, collectivités territoriales et fonction publique hospitalière).
La mise en place de formations transversales doit désormais être envisagée simultanément au renforcement de la formation pluridisciplinaire déjà engagée, au niveau notamment des préfectures de région.
Le passage de la vigilance à la coordination opérationnelle
Deux ans de mise en œuvre d’une synergie interministérielle tant au niveau national qu’au niveau régional et départemental apportent un éclairage intéressant sur les nombreuses difficultés à surmonter afin de rendre plus efficiente la résorption de la menace sectaire.
Ces difficultés reposent en particulier sur deux constats principaux :
– le choix d’analyser un organisme ou un groupe d’organismes présentant un profil ou des caractéristiques sectaires peut être contesté a priori par certaines des composantes ayant acquis une certaine légitimité voire une reconnaissance de fait notamment au plan institutionnel. Le nombre réduit de jugements, impliquant des personnes ou des structures susceptibles d’être associées à une démarche d’organisme sectaire, donne du poids à l’apparent argument consistant à prétendre que le cumul d’une relative légitimité et l’inexistence de condamnations rend infondé l’engagement par une autorité administrative d’une action de veille, de contrôle ou d’investigation sur des personnes morales susceptibles de s’inscrire dans le champ d’investigation. Cette difficulté est patente dans le cas d’organismes sectaires tentant d’intégrer une structure française honorable ou d’organiser un nouveau pôle bancaire en liaison avec des établissements financiers déjà constitués à l’étranger.
– le passage de l’observation du phénomène à diverses formes d’interventions administratives nécessite de plus en plus souvent l’interaction de différents services Sans l’existence d’une forte autorité administrative, cette indispensable coordination ne peut avoir lieu et les moyens juridiques et humains sont difficiles à mobiliser.
Tout en permettant de mieux mesurer la complexité de la mission qui incombe aux pouvoirs publics, ces observations sont de nature à favoriser les initiatives de renforcement des actions à conduire tant au sein des cellules de vigilance qu’au sein des coordinations assurées par les représentants du ministère public. Elles visent simultanément à rappeler, s’il en était encore nécessaire, que l’action des cellules de vigilance ne saurait être mise en sommeil lorsqu’aucun fait sectaire grave n’est signalé : on ne traite pas un événement de cette nature par surprise ; on ne mobilise utilement les moyens humains de ce combat que lorsqu’ils sont engagés dans une action de prévention dont la caractéristique première est la durée, hors des contraintes de l’actualité.
De surcroît, la fréquente obligation de dépasser le cadre départemental, voire régional au titre d’une action d’investigation et d’enquête rend essentielle une relation opérationnelle entre niveaux national et local. La MILS qui s’emploie déjà à favoriser cette pratique de coordination interministérielle est déterminée à renforcer son action en ce sens.
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