Le congrès préparatoire de l’Union fédéraliste des communautés et régions européennes (UFCRE) s’est tenu les 9 et 10 avril 1949 au Palais de Chaillot à Paris. Plusieurs centaines de représentants autodésignés des " ethnies européennes " entendaient proclamer leurs droits, dans le lieu même où, quatre mois plus tôt, l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté la Déclaration universelle des Droits de l’homme.
Philosophiquement, les organisateurs de ce congrès professaient une synthèse du catholicisme social de La Tour du Pin et du socialisme utopique de Proudhon. Ils mettaient en avant l’appartenance de l’individu à des communautés naturelles (la famille, la commune, le canton, etc.) et privilégiaient une conception organiciste de la société sur toute forme artificiellement créée, comme la République. La plupart d’entre eux s’étaient préalablement engagés dans les mouvements fascistes avant de se rallier aux vainqueurs américains. Après l’échec du " Nouvel ordre européen " promu par les nazis, les congressistes entendaient peser sur la dynamique de la construction européenne en cours pour qu’elle s’effectue à partir d’un fédéralisme des régions et non des États.
Leur démarche étaient financièrement soutenue par les États-Unis, parce que compatible avec leurs préoccupations. Pour commercer avec l’Europe, les Américains souhaitaient l’organiser comme un grand marché, unique et ouvert, où la paix et la stabilité seraient garanties par des institutions fédérales. Ainsi, avaient-ils exigé, comme condition au déploiement du plan Marshall, une disparition progressive des États et la constitution d’une Communauté européenne de défense, et avaient-ils imposé à l’Allemagne vaincue l’adoption d’une constitution fédérale. La mise en œuvre de ce programme devait être ralentie par la guerre froide pour finalement se concrétiser aujourd’hui.
La guerre froide précisément conduisait les Américains à récupérer d’anciens éléments fascistes, qui auraient normalement dus être définitivement écartés de la vie politique, et à les utiliser dans leur combat anticommuniste. Cette logique aboutit à intégrer au dispositif atlantiste jusqu’aux pangermanistes, partisans d’une Europe ethnique dominée par les germanophones. Les services secrets nazis furent presque entièrement intégrés dans le dispositif de l’OTAN et leur chef, le général Reinhard Gehlen, fut maintenu à leur tête sous la double tutelle de Bonn et de Washington.
Avec l’aide des services allemands et américains, la réunion préparatoire des 9 et 10 avril 1949 réunissait donc des personnalités réactionnaires et atlantistes, fraîchement débarrassées des oripeaux du fascisme. Si le courant pangermaniste se faisait discret, les congressistes se montraient particulièrement sensibles au modèle habsbourgeois : une Europe des nationalités comparable à l’Empire austro-hongrois. Aussi, dans un effort de synthèse l’Union fédéraliste des communautés et régions européennes devait-elle se présenter comme la reconstitution du Congrès des nationalités (Nationalitäten Kongresse) qui siégea à Genève de 1925 à 1938.
De nombreux participants étaient issus de l’extrême droite catholique et devaient par la suite, groupe après groupe, intégrer l’Opus Dei, qui opérait alors sa transformation de confrérie espagnole en organisation mondiale.
Le congrès préparatoire des 9 et 10 avril 1949 fut ouvert par Joseph Martray. Ce journaliste avait joué un jeu complexe pendant la Seconde Guerre mondiale : délégué régional adjoint à la Jeunesse de l’État français, il avait été nommé membre du Comité consultatif de Bretagne ; sous les ordres de Yann Fouéré (cf. RV 01/0027), il avait utilisé La Dépêche de Brest pour soutenir les nazis radicaux et critiquer la mollesse de Vichy ; en accord avec Yann Fouéré, il avait parallèlement noué des contacts avec la Résistance. Les débats furent animés par André Voisin (qui resta jusqu’à sa mort un ami personnel de François Mitterrand).
L’Union fédéraliste des communautés et régions européennes ne fut officiellement constituée que six mois plus tard, lors d’une réunion à Versailles, en novembre 1949. Le secrétaire d’État à l’information, François Mitterrand (alors étiqueté à la droite extrême), honora le banquet de clôture de sa présence. Parmi les personnalités présentes, on relevait Robert Aron, Jean Bareth, Jacques Bassot, Henri Brugman, Henri Frenay, Joseph Martray, Germaine Peyrolles, Denis de Rougemont, Louis Salleron et André Voisin.
Non sans irrédentisme français, la présidence en revint à l’écrivain wallon de nationalité belge, Charles Plisnier. Joseph Martray en fut secrétaire général jusqu’en 1952. L’UFCRE adhéra au Mouvement européen et semble avoir bénéficié du soutien financier d’Edmond Giscard d’Estaing et d’André Bettencourt.
En juin 1951, l’Union fédéraliste des communautés et régions européennes, qui était animée par des Français, passa sous contrôle danois, à l’occasion de son congrès de Copenhague. Cette évolution fut facilitée par le fait qu’Ole Bjørn Kraft, qui était président honoraire depuis la création à Versailles, était devenu ministre des Affaires étrangères danois. Dans les années cinquante et soixante, l’organisation prit le nom d’Union fédéraliste des communautés ethniques en Europe (UFCE) et intégra des représentants des minorités germanophones déplacées lors de la chute du Reich. Face à ce renforcement du courant pangermaniste, les partisans du modèle habsbourgeois et du fédéralisme européen démissionnèrent tandis que l’Union quittait le Mouvement européen. En 1961, l’UFCE commença a éditer un trimestriel, Europa ethnica, qu’il présenta comme la continuation de Nation und Staat, la revue nazie du Nationalitäten Kongresse des années trente. En 1970, l’Union fédéraliste des communautés ethniques en Europe édita un manuel (Handbuch der europaïschen Volksgruppen) proposant une définition et une hiérarchie objectives des ethnies européennes à partir de l’étude des groupes sanguins prévalents. Un des maîtres à penser de l’UFCE, coéditeur de d’Europa ethnica et du manuel, était le professeur Guy Heraud. Il se présenta en France à l’élection présidentielle de 1974, mais n’obtint que 19 255 voix. Par la suite, il fut l’un des fondateurs de Nouvelle école aux côtés d’Alain de Benoist.
Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, l’UFCE perdit son influence. Trop exclusivement dominée par les pangermanistes, elle fit fuir les organisations celtes et balkaniques, qui créèrent leurs propres fédérations. En collaboration avec l’Association internationale pour la défense des langues et cultures menacées (AIDLCM), elle convoqua à Genève, en 1985, un Congrès des nationalités, qui se voulait la continuité du Nationalitäten Kongresse de l’entre-deux guerres après quarante-sept ans d’interruption. Mais cette manifestation fut un échec. De 1986 à 1990, l’UFCE fut présidée par le séparatiste breton Pierre Lemoine (cf. RV 01/0039).
L’Union fut réactivée, au début des années quatre-vingt-dix, dans le contexte de la fin de la guerre froide, de l’effondrement de l’URSS et de la réunification allemande. Le chancelier Helmut Kohl ambitionnait de reconstituer la grande Allemagne, sur sa base linguistique. Outre, l’annexion de la RDA à la RFA, il engagea des négociations avec la Russie pour le rattachement des Germanophones de la Volga. Devant le refus russe, il accorda la nationalité allemande aux germanophones de la Volga, organisa un pont aérien pour les " rapatrier " en RFA, et leur offrit de généreuses allocations. À la fin de son mandat, il avait engagé des pourparlers similaires en vue du " rapatriement " des germanophones polonais.
Helmut Kohl renouait avec le pangermanisme du XIXe siècle. Cette doctrine se fondait sur une définition linguistique de la nationalité. Elle visait à organiser le continent européen en États linguistiquement homogènes. L’union des germanophones aurait permis de constituer un État allemand massif au cœur du continent, tandis que les autres États-nations auraient été morcelés. En son temps, cette doctrine avait alimenté l’irrédentisme du chancelier Hitler.
Le virage politique d’Helmut Kohl inquiéta ses partenaires. La libération de la RDA du joug stalinien aurait dû se traduire par l’adhésion de cet État nouvellement démocratique à l’Union européenne. Au contraire, son annexion volontaire par la RFA marquait la fin de la construction européenne telle qu’on l’avait connue jusqu’alors. En définitive, les partenaires de l’Allemagne acceptèrent la réunification à la condition de l’arrimage de la RFA à ses partenaires par la création d’une monnaie unique, l’euro.
Néanmoins, les mêmes causes ayant les mêmes effets, la nouvelle politique étrangère allemande s’employa à soutenir la Croatie, faisant exploser la Yougoslavie, puis à susciter la guerre dans la province kosovare de la Serbie.
Outre des fonds secrets, le gouvernement d’Helmut Kohl dégagea deux lignes budgétaires officielles pour ressusciter le pangermanisme. Le ministère de l’Intérieur subventionna les organisations séparatistes de minorités germanophones en Europe, tandis que le ministère des Affaires étrangères subventionna les minorités allophones. Ces deux lignes budgétaires officielles totalisèrent plus de 140 millions de deutschemark par an.
Dans cette perspective, les composantes de l’Union fédéraliste des communautés ethniques en Europe bénéficièrent, par l’entremise de discrètes structures intermédiaires, d’une manne inattendue du gouvernement fédéral pour développer leurs actions autonomistes ou séparatistes en Europe, à la seule condition théorique de renoncer à recourir au terrorisme. L’UFCE, en elle-même, fut officiellement financée par le Land du Schleswig-Holstein et les régions autonomes du Tyrol du Sud et du Trentin. En outre, elle bénéficia du mécénat appuyé de la Fondation Herman Niermann, dont le conseil d’administration comprenait des survivants du nazisme historique. De plus, la diplomatie allemande a soutenu la reconnaissance de l’Union fédéraliste des communautés ethniques en Europe par le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, et les Nations Unies.
En 1996, ce dispositif a été renforcé par la création du Centre européen pour les minorités (ECMI) par les gouvernements allemand et danois et le land du Schleswig-Holstein. Pour masquer la subordination du Centre aux intérêts stratégiques allemands, non seulement sa langue de travail est l’anglais, mais aussi sa dénomination : European Centre for Minority Issues. Bien qu’il se présente comme une unité de recherche académique, l’ECMI joue également un rôle diplomatique officieux en proposant ses bons offices dans des conflits régionaux. L’ECMI s’est doté d’un conseil scientifique restreint où siège l’universitaire français Jacques Rupnik.
Tout laisse à penser que l’ECMI fait aussi office de couverture pour des opérations secrètes du BND allemand (ex-Organisation Gehlen, cf. RV 99/0142).
De 1996 à 2000, son directeur était Stefan Troebst, un brillant professeur de l’École de guerre de la Bundeswehr, spécialiste du fascisme dans les Balkans. Cette personnalité controversée avait accompagné le président allemand Roman Herzog lors de ses voyages officiels dans les Balkans. Prononçant un discours à Skopje, en 1996, Roman Herzog avait brutalement présenté Stefan Troebst comme le continuateur de l’œuvre de Gustav Weigand, dont les travaux ethnologiques avaient servi de base aux nazis pour dépecer les Balkans (cf. RV 99/0126). L’activité de Stefan Troebst dans la région avait suscité la plus vive inquiétude de la Grèce qui voyait en lui un agent chargé de préparer le soulèvement des Kosovars et l’embrasement de la région. Aussi, la Grèce adressa-t-elle une protestation à Bonn et exigea le départ de Stefan Troebst des Balkans. M. Troebst devant se replier, continua son activité en recevant les principaux dirigeants kosovars au siège allemand de l’ECMI.
En août 1998, c’est à nouveau Stefan Troebst qui organisa et présida les entretiens de Mariehamm (Finlande) au cours desquels fut secrètement négocié le processus de Matignon pour la Corse. La publication de cette information par Le Journal du Dimanche, puis du relevé des décisions par le Réseau Voltaire (cf. RV 99/0102) a suscité une batterie de questions du sénateur Jean-Luc Mélenchon au gouvernement, en juillet 1999 (cf. RV 00/0067).
Stefan Troebst étant devenu trop voyant, a quitté la direction de l’ECMI et enseigne aujourd’hui à l’université de Leipzig. Le Centre s’est efforcé de communiquer sur le thème de la " page tournée " et de se refaire une image autour de son nouveau directeur, le juriste Marc Weller, ancien chercheur de l’Université de Cambridge. Or, bien que ressortissant allemand, Marc Weller était membre de la délégation de l’UÇK à la Conférence de Rambouillet, en 1999.
Si l’UFCE et l’ECMI n’ont en principe aucune relation, on peut observer que l’ECMI recrute son personnel par petites annonces dans les publications de l’UFCE. Et surtout, que les deux organisations sont installées dans les mêmes locaux : le prestigieux Kompagnietor de Flensburg.
À ses contributeurs habituels, l’UFCE a pu ajouter la province de Carinthie, depuis l’élection du de Jörg Haider comme gouverneur.
L’UFCE comprend aujourd’hui quarante-cinq organisations membres, vingt-trois organisations associées et vingt et une organisations correspondantes. Les membres français seraient :
– Le Comité d’action régionale de Bretagne
– Kuzul ar Brehoneg
– Le Parti pour l’organisation d’une Bretagne libre (POBL)
– Elsass-Lothringischer Volksbund
– La Convention régionale de Bretagne
– L’Alliance régionaliste de Provence.
Pour en savoir plus :
FUEV : http://www.fuen.org
ECMI : http://www.ecmi.de
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