Présidence de M. Paul Quilès, Président
L’Amiral Jacques Lanxade a tout d’abord rappelé que, nommé Chef d’Etat-major des armées en avril 1991, il avait été chargé des trois opérations conduites par les forces françaises au Rwanda, Noroît, Amaryllis et Turquoise, et qu’auparavant, en tant que Chef de l’état-major particulier du Président de la République, il était présent à l’Elysée lorsque fut prise la décision de déployer le détachement Noroît. Il a souligné que ces trois opérations, conduites sous son contrôle opérationnel, avaient été exécutées en application stricte des directives des autorités politiques, avant d’en rappeler l’objet et le déroulement.
Lorsque le Président de la République, M. François Mitterrand, décida début octobre 1990 de déployer deux compagnies d’infanterie à Kigali, une tentative de déstabilisation du Rwanda qui, de surcroît, menaçait la sécurité de nos ressortissants, était menée à partir de l’Ouganda par un mouvement d’opposition, le FPR. Le Président de la République a estimé qu’il convenait de donner un signal clair de la volonté française de maintenir la stabilité du Rwanda car il craignait une déstabilisation générale de l’ensemble de la région, qui risquait de toucher ensuite le Burundi. Il considérait que l’agression du FPR était une action déterminée contre une zone francophone à laquelle il convenait de s’opposer, sans pour autant s’engager directement dans le conflit ou dans les combats. L’exiguïté du pays commandait une réaction rapide qui s’est traduite par le déploiement de deux compagnies et la constitution du détachement Noroît. En complément, il était décidé d’aider le gouvernement rwandais à améliorer la capacité de son armée, à s’opposer à l’action du FPR, cette tâche revenant pour une grande part au ministère de la Coopération.
L’Amiral Jacques Lanxade a indiqué que le Président avait insisté pour que le régime rwandais s’engage dans un processus de démocratisation et pour que notre présence militaire ait comme contrepartie cette évolution politique dans le sens de l’ouverture afin de permettre la réconciliation nationale. Cette politique d’ensemble sera maintenue dans les mois suivants. La situation militaire s’aggravant sur le terrain, une intense activité diplomatique, soutenue par la France, s’est développée à partir du printemps 1992. Centrée sur les négociations d’Arusha, elle a abouti à un cessez-le-feu, sous l’égide des Nations Unies, puis au déploiement de la MINUAR à l’automne 1993. Dès lors, a pu s’effectuer le retrait du détachement Noroît signifiant l’achèvement de cette opération.
Durant les trois années de l’opération Noroît, les forces françaises étaient déployées pour manifester l’opposition de la France à la déstabilisation du Rwanda. Elles ont été maintenues à Kigali sans jamais intervenir dans les combats, jusqu’à la conclusion des accords d’Arusha qui laissaient espérer une solution pacifique à la crise et transféraient la gestion des opérations aux Nations Unies.
L’attentat du 6 avril 1994 fut le signal de la reprise des combats entre le FPR et les Forces armées rwandaises à Kigali et autour de la capitale. La décision fut immédiatement prise par les autorités françaises de lancer une opération d’évacuation de nos ressortissants. Il faut rappeler à cet égard que deux gendarmes français et l’épouse de l’un d’entre eux avaient été assassinés par le FPR le 8 avril. L’opération Amaryllis, menée du 9 au 14 avril 1994, débuta par la prise de contrôle de l’aéroport de Kigali avec l’aide des éléments du détachement d’assistance militaire qui étaient encore présents au Rwanda. Conduite avec des moyens limités, environ 500 hommes, elle se déroula dans des conditions très difficiles, au milieu des combats. Elle permit cependant l’évacuation sans pertes de près de 1 200 personnes dont 450 Français. Une opération belge, qui avait débuté 36 heures après, se poursuivit jusqu’au 16 avril, ainsi qu’une opération italienne plus limitée.
L’Amiral Jacques Lanxade a ensuite souligné que le Président de la République et le Gouvernement avaient décidé de lancer l’opération Turquoise devant le développement des massacres, en mai et juin 1994, après avoir pris conscience qu’un véritable génocide se déroulait dans la zone encore contrôlée par les restes de l’armée rwandaise. Cette opération strictement humanitaire, mettant en oeuvre environ 3 000 hommes, fut organisée à partir du Zaïre entre le 23 juin et le 21 août 1994, après qu’une résolution du Conseil de Sécurité eut autorisé la France à intervenir au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Comme Amaryllis, Turquoise fut conduite dans des conditions très difficiles face aux critiques quasi générales de la presse française et internationale et sans le soutien des pays qui disposaient de moyens utiles, ce qui a limité la participation à quelques pays africains francophones, qui ont constitué un remarquable bataillon interafricain.
Il a précisé qu’en raison du développement de la situation militaire, il avait demandé le 7 juillet aux autorités politiques l’autorisation d’établir une zone de sécurité dite " zone humanitaire sûre ", dans le but de permettre à nos forces de poursuivre les actions de protection des populations et d’empêcher un nouvel exode de réfugiés vers le Zaïre. Il s’agissait d’interdire l’accès à cette zone aux combattants afin d’en préserver le calme. L’opération Turquoise a effectivement permis d’arrêter les massacres et de sauver des dizaines de milliers de vies humaines. Elle permit en outre de stopper le flux des réfugiés, dont la situation était dramatique, dans la région de Goma. Son efficacité modifia l’attitude internationale et notamment celle des Etats-Unis qui décidèrent d’intervenir à des fins humanitaires à partir de Goma. Le 21 août 1994, comme le prévoyait la résolution n° 929 du Conseil de sécurité, le dernier soldat français quittait la région et la France confiait à nouveau la sécurité de la zone aux Nations Unies.
L’Amiral Jacques Lanxade a souligné que, durant ces quatre années, les forces françaises avaient agi en se conformant strictement aux décisions des autorités politiques et qu’agissant en collaboration étroite avec les autorités diplomatiques, elles avaient démontré leur disponibilité, leur compétence et leur courage, et respecté la dignité de la personne humaine en apportant, chaque fois que possible, du réconfort et des vivres aux populations, ainsi que des soins, avec l’aide du service de santé des armées. Les hommes qui sont intervenus au Rwanda sont les mêmes que ceux engagés au Cambodge, en Somalie ou encore en ex-Yougoslavie pour le maintien de la paix et, qui ont subi des pertes sérieuses. Tous ont été horrifiés par le génocide dont ils gardent un souvenir terrible, associé aux milliers de cadavres jonchant les rues de Goma, qu’il leur a fallu enterrer. Mais, en remplissant leur mission, ils ont eu conscience de tout tenter, dans le cadre de la politique extérieure française, pour éviter que l’irréparable ne se produise, puis de contribuer à atténuer, autant qu’il leur était possible, les conséquences de la tragédie.
L’Amiral Jacques Lanxade a déclaré que les forces françaises avaient été dignes de la confiance des autorités politiques et qu’elles méritaient la considération des Français. Il a ajouté qu’à titre personnel, il avait été, en tant que chef d’Etat-major des Armées, le conseiller militaire des Gouvernements successifs et qu’il avait participé à des prises de décision difficiles dont il se sent solidaire.
Enfin, il a affirmé que la France n’était pas responsable de la déstabilisation du Rwanda mais qu’elle avait cherché au contraire à prévenir le drame. La communauté internationale qui prit la responsabilité de la situation à partir des accords d’Arusha fut ensuite dans l’incapacité, faute sans doute de l’engagement de ceux qui auraient pu y contribuer, d’empêcher la tragédie. La France ayant été la seule à intervenir pour tenter d’arrêter le génocide, il a conclu en faisant valoir que, s’il y avait eu un échec, ce n’était pas le sien et que les soupçons que certains cherchaient à faire peser sur la France étaient d’une extrême injustice.
Le Président Paul Quilès a souhaité savoir quel rôle avait tenu l’Amiral Jacques Lanxade dans la détermination du volet militaire de la politique française au Rwanda au cours des différentes fonctions qu’il avait exercées. Il s’est ensuite interrogé sur la part respective de l’ambassadeur et de l’attaché de défense dans la mise en oeuvre de cette politique, l’attaché de défense relevant de l’ambassadeur mais ayant pu également assumer d’autres fonctions. Il a également demandé à l’Amiral Jacques Lanxade quelle analyse il faisait de l’attaque du FPR à Kigali en octobre 1990 et ce qu’il pensait des propos selon lesquels il s’agissait d’une attaque simulée destinée à rassembler les Rwandais autour du Président Habyarimana. Enfin, il a souhaité que l’Amiral Jacques Lanxade puisse apporter des précisions sur la participation de militaires français au contrôle des papiers d’identité au nord de Kigali et sur la présence de militaires français en uniforme rwandais auprès de l’état-major des FAR. Il lui a enfin demandé si des militaires français avaient participé aux combats auprès des FAR, notamment en février 1993.
L’Amiral Jacques Lanxade a répondu que les fonctions de chef d’état-major particulier du Président de la République et de chef d’état-major des armées étaient très différentes. Le Président de la République étant Chef des Armées, le rôle du chef d’état-major particulier du Président de la République est un rôle d’information du Président sur la situation militaire, notamment dans les zones de crise, de préparation des dossiers à son attention et d’apport d’éléments d’appréciation ; s’y ajoute, lorsque le Président de la République ne le fait pas lui-même, la transmission de ses instructions au Chef d’état-major des armées ou auprès des différents Ministres. Il s’agit donc d’un poste de conseiller du Président de la République. L’Amiral Jacques Lanxade a ajouté que cette fonction avait une déontologie : le chef d’état-major particulier du Président de la République ne doit pas se mêler directement de la conduite des opérations. Il a précisé qu’il s’était toujours interdit de le faire et que, lorsqu’il était chef d’état-major des armées, il n’avait pas eu l’impression que son successeur avait agi autrement. Il a en revanche indiqué que les fonctions de chef d’état-major des armées étaient de nature très différente. Le Chef d’Etat-major des Armées est d’abord le responsable des opérations extérieures. A cet effet, il reçoit ses directives des autorités politiques et d’abord du Président de la République, Chef des Armées aux termes de la Constitution. Pour conduire les opérations, il dispose du Centre Opérationnel Interarmées (COIA) à partir duquel il suit la situation dans le monde. Il transmet ses instructions auprès des commandants d’opération, qu’il a désignés. L’Amiral Jacques Lanxade a donc jugé qu’il y avait une chaîne opérationnelle très claire qui partait principalement du Président de la République et passait par le chef d’état-major des armées pour aboutir aux commandants d’opérations sur le terrain. Il a ajouté qu’il n’y avait aucun doute à avoir sur les auteurs des instructions que reçoivent les chefs d’opération sur le terrain : c’est le chef d’état-major des armées qui en est l’auteur, il est celui par qui l’on doit passer si l’on veut que des ordres leur soient donnés sur le terrain et il ne saurait accepter que d’autres que lui leur donnent des directives. L’Amiral Jacques Lanxade a ajouté que lui-même ne s’était jamais trouvé en difficulté de ce point de vue, les commandants d’opérations sachant très bien que c’est du chef d’état-major des armées qu’ils relevaient et que les ordres qu’ils recevaient ne pouvaient venir que du COIA.
M. François Lamy a alors demandé à l’Amiral Jacques Lanxade s’il avait eu, ès qualités, des contacts directs avec les autorités politiques et militaires rwandaises.
L’Amiral Jacques Lanxade a répondu qu’en tant que chef d’état-major des armées il n’en avait normalement pas mais que, lorsqu’il s’était rendu au Rwanda, à la fin 1991 et en 1993, il avait non seulement inspecté le dispositif français mais aussi rencontré le Président Habyarimana, et que, lors de sa deuxième visite, les partis d’opposition ayant demandé à le rencontrer, il avait reçu de Paris, par l’intermédiaire de l’ambassadeur, instruction de les recevoir, ce qu’il avait fait.
Par ailleurs, quand il était chef d’état-major particulier du Président de la République il n’avait pas non plus à avoir de relation avec les autorités politiques rwandaises. Il n’avait donc reçu que fort rarement un appel téléphonique du Président Habyarimana, tel jour où celui-ci n’avait pu contacter personne d’autre à l’Elysée.
Rappelant que beaucoup avait été dit sur le rôle des diverses structures qui concourent à l’Elysée à l’élaboration et à la mise en oeuvre de la politique africaine, et notamment sur le rôle de l’état-major particulier du Président de la République, et évoquant une liaison directe qui aurait pu être établie entre cet état-major et les forces françaises au Rwanda à l’aide d’un dispositif de transmissions situé au 14 rue de l’Elysée, M. Bernard Cazeneuve a demandé ce qu’il en était et si l’existence de ce dispositif aurait pu concourir à désorganiser la chaîne de commandement des forces françaises sur place.
L’Amiral Jacques Lanxade a répondu que, bien que les moyens techniques aient existé, l’Elysée disposant même d’un terminal du réseau Syracuse, à aucun moment le chef d’état-major particulier du Président de la République ne s’était adressé directement aux forces sur place, cela était contraire à la déontologie de la fonction. Il a ajouté que lui-même ne l’aurait pas accepté.
A la question relative à l’organisation des opérations, à la fois à Paris et sur zone, l’Amiral Jacques Lanxade a répondu qu’à partir de la guerre du Golfe, avaient été réorganisées non seulement la chaîne de commandement des opérations militaires, qui avait été transformée en une chaîne interarmées aux fonctions bien précises sous la conduite du chef d’état-major des armées, mais aussi, parallèlement, la prise de décision politico-militaire, avec l’instauration des conseils ministériels restreints. Il a ajouté que ces conseils restreints réunissaient, en général chaque semaine après le conseil des Ministres, le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre des Affaires étrangères, le Ministre de la Défense, le Ministre de la Coopération lorsqu’il s’agissait de l’Afrique, et le chef d’état-major des armées, ainsi que quelques conseillers du Président de la République dont le chef d’état-major particulier. C’est au cours de ce conseil restreint qu’étaient arrêtées les décisions. Pour le Président de la République, la coordination, semaine après semaine, se faisait là, y compris pendant la période de cohabitation.
L’Amiral Jacques Lanxade a précisé que ces conseils restreints, au sein desquels s’engageaient des débats tout à fait libres, aboutissaient toujours, pour le chef d’état-major des armées, à la formulation d’instructions par le Président de la République, Chef des Armées, et ce, en présence du Gouvernement, ce qui le mettait dans une situation particulièrement confortable. Il a ajouté que les principaux alliés de la France lui enviaient cette organisation, dans la mesure où elle permet d’assurer une complète cohérence de la politique extérieure française dans les situations de crise.
Quant à l’organisation sur le terrain, l’Amiral Jacques Lanxade a indiqué que, dans la mesure où c’est l’ambassadeur qui est le représentant de la France, c’est sous son couvert que s’y mènent les actions de coopération, tant civiles que militaires. En revanche, dès que se manifeste une tension susceptible de conduire au déclenchement d’opérations militaires, ce qui est arrivé deux fois pendant l’opération Noroît, il y a séparation de la chaîne diplomatique et de la chaîne militaire, tandis que la coordination se renforce à Paris, à la fois par la multiplication des conseils restreints et par la mise en place d’une cellule de crise au ministère des Affaires étrangères, présidée normalement par le Ministre, mais le plus souvent par son Directeur de cabinet.
Il a ajouté que cette organisation avait prévalu notamment lors de l’offensive de 1993 et de l’opération Amaryllis.
Evoquant alors la situation de l’attaché de défense, qui reçoit ses instructions du ministère de la Défense, mais est aussi très souvent en même temps chef de la Mission d’assistance militaire, fonction pour laquelle il reçoit ses ordres du Ministre de la Coopération, l’Amiral Jacques Lanxade a attiré l’attention sur le fait qu’à Paris, la coopération entre l’état-major des armées et le ministère de la Coopération se faisait de façon quasi quotidienne, et que si, malgré cela, l’attaché de défense se trouve en difficulté, il peut toujours se retourner vers le chef d’état-major des armées pour lui demander des instructions.
L’Amiral Jacques Lanxade a conclu que si, sur le terrain, la situation pouvait être ardue, la chaîne de commandement, elle, était claire.
L’Amiral Jacques Lanxade a alors indiqué que, si l’on pouvait avoir un doute sur la nature et l’origine des incidents de la nuit du 4 au 5 octobre 1990, la décision de lancer l’opération Noroît, c’est-à-dire de déployer une compagnie à Kigali avait été prise avant ceux-ci, et sur la foi des informations dont la France disposait au début du mois d’octobre par l’intermédiaire de ses représentants, indépendamment des pressions exercées par le Président Habyarimana en vue d’une intervention française.
Il a précisé que la réalité d’une action d’envergure menée depuis l’Ouganda par le FPR ne faisait pas de doute et que l’exiguïté du territoire rwandais obligeait à prendre des précautions. Il a ajouté que les événements de la nuit du 4 au 5 n’avaient amené qu’à la décision de renforcer le dispositif d’une compagnie supplémentaire, la première compagnie arrivée ayant essuyé des coups de feu.
M. Jacques Myard a demandé quels avaient été l’état d’esprit et l’information du Président de la République et du Gouvernement français lors du lancement de l’opération Noroît, puis des opérations Amaryllis et Turquoise.
L’Amiral Jacques Lanxade a répondu que le Président de la République avait, en octobre 1990, une connaissance assez exacte de la situation politique au Rwanda, et était conscient que le Président Habyarimana était lui-même pris entre l’action du FPR, qui menaçait non seulement l’intégrité du territoire mais la stabilité même du pays, et les extrémistes hutus. C’est pourquoi le Président considérait qu’outre la nécessaire protection de nos ressortissants, il fallait stabiliser le pays, c’est-à-dire conforter la situation au Rwanda pour éviter ce qui s’est finalement passé, et que, pour cela, il fallait déployer des forces, d’où l’opération Noroît.
L’Amiral Jacques Lanxade a jugé que cette appréciation de la situation au Rwanda était très juste. Il a ajouté que cette doctrine avait eu cours jusqu’aux accords d’Arusha, après lesquels la France s’était retirée et avait passé la main aux Nations Unies.
En revanche, il a expliqué que l’opération Amaryllis procédait d’une autre logique. Les combats ayant repris après l’attentat -il y avait un bataillon du FPR cantonné à Kigali- il est apparu très vite qu’il fallait évacuer les ressortissants français, ce qui fut techniquement réussi.
Enfin, l’opération Turquoise est due au fait que, dans les semaines qui suivent l’opération Amaryllis, on a pris conscience qu’un véritable génocide était en train de se dérouler. La question d’une intervention pour arrêter les massacres s’est posée alors au Président de la République et au Gouvernement : elle n’était pas simple à résoudre car la France était accusée d’avoir soutenu le Président Habyarimana et le FPR la considérait comme très opposée à sa propre action. Cependant, aucun pays ne voulant intervenir, la décision a finalement été prise de le faire.
Des discussions internes ont néanmoins eu lieu au sein des conseils restreints pour savoir quelle forme donner à l’intervention. Personnellement, il a estimé qu’en intervenant à Kigali même, la France risquait d’être considérée comme se plaçant en situation d’interposition au profit des responsables du génocide. Par ailleurs, d’un point de vue technique, l’opération aurait risqué d’être très difficile et coûteuse sur le plan militaire, la France n’ayant plus le contrôle de l’aéroport ; c’est pourquoi il était opposé à une intervention à Kigali. Dès lors que la décision était de mener une opération clairement humanitaire, la seule solution était de la développer à partir du Zaïre. C’est donc ce qui a été fait.
M. Michel Voisin, après avoir rappelé que les effectifs des FAR s’élevaient à 5 000 hommes en 1990, a demandé une estimation de ceux du FPR.
L’Amiral Jacques Lanxade a précisé que les effectifs des FAR étaient, en 1990, probablement plus proches de 10 000 que de 5 000 mais que ceux-ci étaient très mal entraînés. Les forces du FPR n’étaient que de quelques milliers d’hommes mais il fallait tenir compte de celles présentes de l’autre côté de la frontière. En conséquence, lorsque la tension est devenue forte, et afin de faire face à un éventuel effondrement des FAR, le dispositif Noroît a été augmenté jusqu’à atteindre un régiment.
M. Jean-Claude Lefort s’est interrogé sur la signification des propos de l’Amiral Jacques Lanxade, selon lesquels la présence française au Rwanda avait pour but de manifester un signe clair face à une volonté de déstabilisation. Il a également souhaité savoir ce que l’Amiral voulait dire en déclarant que, s’il y avait eu un échec, ce n’était pas l’échec de la France.
L’Amiral Jacques Lanxade a rappelé qu’en 1990, la France était consciente du risque que courait le Rwanda, sous la double pression du FPR, prêt à conquérir le pouvoir par la force, et des extrémistes hutus, prêts à s’y opposer. Le Président Habyarimana apparaissait comme le seul responsable à pouvoir éviter la tragédie. L’opération Noroît, qui a aussi permis d’évacuer 850 personnes, avait pour rôle de stabiliser le pays et d’inciter le Président Habyarimana à oeuvrer pour la réconciliation nationale. La France a préservé la stabilité du Rwanda jusqu’aux accords d’Arusha et a passé ensuite la main aux Nations Unies. C’est au moment où on pouvait espérer que la situation allait s’améliorer que le Président a été assassiné.
L’Amiral Jacques Lanxade a regretté l’échec qui a suivi les accords d’Arusha mais cet échec est d’abord celui de la communauté internationale, pas celui de la France qui a fait tout ce qu’elle pouvait.
M. Jacques Myard a demandé si, compte tenu du savoir-faire des Français, l’enchaînement des événements aurait pu être différent, à supposer que l’opération Noroît ait continué au lieu d’être relayée par la MINUAR.
L’Amiral Jacques Lanxade s’est refusé à réécrire l’Histoire et a précisé que la politique de la France était, à cette époque, de s’effacer devant les Nations Unies. Il a souligné que le problème des moyens d’action et du rôle de la communauté internationale était d’actualité après les échecs de la Somalie et du Rwanda et que l’enjeu était d’éviter de revenir au choc des intérêts des puissances, tel qu’on pouvait l’observer avant 1989.
M. Pierre Brana a demandé sur quel fondement juridique les forces françaises étaient intervenues en octobre 1990 pour stabiliser la situation, alors qu’il n’existait pas d’accord de défense liant la France au Rwanda. Il a souhaité connaître les moyens militaires fournis par la France au Rwanda, une fois l’opération Noroît démantelée, fin 1993. Enfin, il a rappelé que deux thèses principales prédominaient pour expliquer l’attentat du 6 avril.
Le Président Paul Quilès est intervenu pour affirmer qu’il y avait au moins quatre thèses en présence.
M. Pierre Brana a précisé qu’il ne voulait retenir que les deux principales : celle qui met en cause les extrémistes hutus, défendue semble-t-il par la DGSE, et celle qui accuse le FPR, soutenue semble-t-il par les renseignements militaires. Il a demandé s’il était exact qu’il y avait des appréciations différentes selon nos services et quel était à ce sujet le sentiment personnel de l’Amiral Lanxade.
L’Amiral Jacques Lanxade a expliqué que l’opération Noroît s’était déployée sur décision du Président de la République française, M. François Mitterrand, à la demande du Président du Rwanda, M. Habyarimana. Cette opération peut donc s’inscrire dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui autorise la légitime défense. Il a fait remarquer que ce n’était pas un cas isolé : la France est intervenue à plusieurs reprises au Tchad, alors même qu’il n’existait pas d’accord de défense avec ce pays.
En ce qui concerne l’aide militaire accordée au Rwanda après les accords d’Arusha, l’Amiral Jacques Lanxade a renvoyé cette question au Ministre de la Coopération. Il a toutefois rappelé que seuls quelques coopérants de l’assistance militaire technique avaient été maintenus et que leur aide s’est révélée particulièrement utile dans le cadre de l’opération Amaryllis puisqu’elle a permis à nos avions de se poser sans risques majeurs sur l’aéroport.
L’Amiral Jacques Lanxade s’est refusé à choisir entre les deux thèses concernant l’attentat contre l’avion présidentiel et a émis des doutes sur l’adhésion de tel ou tel service à telle ou telle hypothèse. Il a estimé qu’aujourd’hui personne n’était en mesure de dire ce qui s’est passé exactement.
M. François Lamy a demandé quelles instructions concernant l’évacuation des non-Européens avaient été données à nos forces dans le cadre de l’opération Amaryllis. Il a souligné à ce propos que de nombreux membres de la famille de M. Habyarimana et dirigeants hutus avaient pu être évacués.
Il a également souhaité savoir quelles avaient été les missions confiées aux forces spéciales lors de l’opération Turquoise et s’il y avait eu des affrontements armés entre militaires français et FPR.
L’Amiral Jacques Lanxade a expliqué comment s’organisaient les opérations d’évacuation. Une fois la décision d’évacuer prise par l’autorité politique, notamment sur la proposition de notre ambassadeur, une cellule de crise est réunie au Quai d’Orsay, dont les missions principales sont de proposer des directives d’évacuation au Président de la République et au Gouvernement et d’assurer la coordination entre la chaîne diplomatique et la chaîne militaire. C’est ce qui s’est passé pour l’opération Amaryllis. Les ressortissants français ont été évacués, ainsi que des Européens, des Américains, des Canadiens, des Russes et des Africains. En ce qui concerne les Rwandais, l’ambassadeur avait recueilli un certain nombre de personnes dont il estimait que la vie était menacée et il a demandé des instructions à Paris. Ces personnes ont finalement été évacuées soit vers Bujumbura, soit vers Bangui, par les autorités militaires, conformément aux directives.
L’Amiral Jacques Lanxade a précisé que le commandement des opérations spéciales est intervenu au début de l’opération Turquoise jusqu’à l’installation, à Goma, de son poste de commandement par le Général Lafourcade. Il s’agissait de conduire à distance, par des moyens de transmission sophistiqués, des opérations spécifiques, réalisées par des unités de faible effectif -300 en l’occurrence- habituées à agir dans des conditions difficiles. Ces unités ont été déployées les premières au Rwanda et leur commandement a été transmis au Général Lafourcade dans les quarante-huit heures qui ont suivi, une fois que son quartier général a été installé à Goma. La mission de ces unités était celle de Turquoise : arrêter les massacres et protéger les personnes menacées.
L’Amiral Jacques Lanxade a rappelé qu’une fois reçue, un mercredi en conseil restreint, l’instruction de préparer l’opération Turquoise, il a fallu construire un plan d’opérations et affréter des moyens logistiques pour transporter les 3 000 hommes prévus. Une demande d’aide adressée aux Etats-Unis est restée sans réponse. Aussi a-t-il fallu se retourner vers des sociétés d’affrètement russes et ukrainiennes. La confirmation de la décision a été donnée le dimanche. L’intervention a commencé le mercredi suivant, après le vote de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies et, dès le jeudi, 300 hommes étaient sur place et commençaient à arrêter les massacres. Sur le plan technique, l’opération Turquoise a donc été menée avec une grande efficacité.
L’Amiral Jacques Lanxade a rappelé la préoccupation exprimée par le Premier Ministre, M. Edouard Balladur, soucieux de s’assurer que nos forces avaient la capacité d’assurer l’intégrité de la zone humanitaire sûre. Il a déclaré n’avoir aucune connaissance de pertes subies par le FPR et a signalé que le seul incident vraiment sérieux avec ce dernier s’était produit lorsqu’il avait tiré au mortier sur un camp de réfugiés à la frontière, en face de Goma. La France avait répliqué en faisant voler ses avions de combat, basés à Kisangani, et en menaçant de détruire les batteries de mortiers du FPR. Il a précisé que le FPR avait dès lors compris qu’il valait mieux en rester là.
L’Amiral Jacques Lanxade a par ailleurs indiqué que des représentants des autorités françaises avaient rencontré des représentants du FPR à Kigali afin de leur expliquer clairement que l’opération Turquoise répondait à des objectifs strictement humanitaires qui conduisaient à interdire la zone humanitaire sûre aux combattants.
M. Bernard Cazeneuve a tout d’abord souligné que la France était présente au Rwanda à la fois au titre des accords de 1975 et en application d’une décision du Président de la République, répondant à une demande des autorités rwandaises consécutive à une invasion de leur pays. Il s’est ensuite interrogé sur le cumul des fonctions qui veut que l’attaché de défense soit aussi en même temps, dans certains cas, le commandant des opérations militaires sur place et s’est demandé si cette confusion était souhaitable, notamment en cas de crise. Il a demandé si, de 1990 à 1994, l’assistance militaire technique et les détachements d’assistance militaire et d’instruction avaient toujours relevé de la Mission militaire de coopération ou s’il y avait eu des exceptions dont il a souhaité connaître les raisons.
Il a enfin abordé la question de l’évacuation, dans le cadre d’Amaryllis, des ressortissants rwandais travaillant à la mission de coopération ou auprès de nos représentants diplomatiques et a conclu en demandant si, en dehors de nos forces classiques présentes au titre des différentes opérations, des missions militaires spéciales avaient été effectuées au Rwanda et quelle en était la nature.
L’Amiral Jacques Lanxade a précisé que les structures de coopération mises en place au Rwanda ne différaient en rien des dispositifs que l’on retrouve dans les autres pays où nous sommes présents. Il a estimé que la réunion sous un même commandement de la mission d’assistance militaire et du détachement Noroît traduisait clairement l’unité de la politique française représentée par l’ambassadeur mais qu’en situation de crise, proche de la conduite des opérations de combat, comme en février 1993, il était procédé à la séparation des chaînes de responsabilités, la gestion de la chaîne militaire relevant dès lors clairement du chef d’Etat-major des armées et du centre opérationnel des armées. Il s’est félicité de la souplesse de notre système qui permet de passer ainsi d’une organisation à une autre.
S’agissant de l’assistance militaire technique (AMT) et du détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI), ceux-ci sont placés sous l’autorité du ministère de la Coopération qui en assure le financement et reçoivent leurs instructions du chef de la mission militaire de coopération mais le chef d’Etat-major des armées suit avec beaucoup d’attention l’activité de ces deux structures car elles contribuent à la mission d’ensemble et constituent une source de renseignements sur la situation militaire. Il a fait enfin remarquer que la présence d’un petit détachement sur place est toujours utile si nous avons besoin d’intervenir, mais a souligné que les DAMI ne participaient pas aux opérations proprement dites.
L’opération Amaryllis a obéi aux ordres de rapatriement donnés par Paris et il conviendrait d’interroger l’ambassadeur sur les critères qui l’ont conduit à rassembler un certain nombre de personnes menacées, que le Gouvernement français avait choisi de protéger. Il a précisé qu’il n’appartenait pas aux militaires de faire le tri entre les personnes à évacuer.
Aucune mission militaire spéciale, qui aurait été effectuée par des militaires relevant du commandement des opérations spéciales (COS) ou de l’état-major sur place n’a eu lieu au Rwanda.
A la question du Président Paul Quilès s’interrogeant sur d’éventuels contrôles d’identité autour de Kigali pendant l’opération Noroît, l’Amiral Jacques Lanxade a rappelé qu’il s’agissait là d’une mission de protection de nos ressortissants. Compte tenu de l’exiguïté du pays, des postes avancés avaient été placés au Nord de Kigali pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’arrivée de forces du FPR, mais il n’y avait pas eu de contrôles d’identité stricto sensu. Répondant à une question sur la tenue des coopérants militaires (AMT et DAMI), il a précisé que ceux-ci opéraient sous uniforme rwandais, ce qui contribuait à leur protection.
Il a également souligné que nos forces n’avaient pas participé aux combats aux côtés des FAR, même si la petitesse du territoire faisait, qu’en accomplissant leur mission d’assistance technique et de conseil, les coopérants militaires français pouvaient se retrouver à proximité des zones d’engagement.
M. Yves Dauge s’est demandé si, au fond, avec l’opération Noroît, nous ne nous sommes pas trouvés pris dans un engrenage, dans une situation que nous ne souhaitions pas et si notre présence, justifiée par la nécessité de sécuriser la région, ne nous a pas conduits à nous engager trop nettement et à donner le sentiment que la France apportait à l’un des camps son soutien actif. Il a estimé qu’entre l’engagement militaire et la participation à des actions d’instruction sur le terrain la marge était parfois bien étroite et s’est demandé s’il n’y avait pas là une situation de confusion qui s’était sans doute retournée contre nous.
M. François Loncle est intervenu à propos du rôle des Etats-Unis qui auraient contribué à la formation du FPR en Ouganda.
L’Amiral Jacques Lanxade a considéré que la France n’avait pas été prise dans un engrenage mais qu’elle avait voulu pousser les parties à négocier en vue d’une solution politique. Toutefois le FPR ayant poursuivi son action armée, il nous a fallu en tenir compte et nous adapter en modifiant notre dispositif au fur et à mesure de l’évolution de la situation sur le terrain. Ce qui apparaissait de plus en plus nettement, ce n’était pas le sentiment, qui n’a d’ailleurs jamais été exprimé dans les instances de décision comme le conseil restreint, que nous étions pris dans un engrenage mais plutôt la nécessité d’une solution diplomatique, au fur et à mesure qu’avançaient les négociations d’Arusha et que s’aggravaient les tensions sur le terrain.
Il a indiqué que l’implication des Etats-Unis n’avait pas constitué un élément essentiel au plan diplomatique, dans la mesure où son action n’était pas allée au-delà de la formation de certains cadres du FPR. En revanche, le problème sérieux était celui de l’implication du voisin du Nord.
Répondant à M. François Lamy qui s’interrogeait sur le rôle du Général Huchon à ses côtés, quand il occupait les fonctions de Chef de l’état-major particulier du Président de la République, l’Amiral Jacques Lanxade a répondu qu’il était son adjoint, plus particulièrement chargé du dossier des affaires africaines, et qu’il agissait sur la base des instructions qu’il recevait.
Le Président Paul Quilès a précisé que la mission d’information recevrait le Général Huchon, comme tous les autres responsables militaires et civils. Il a enfin évoqué les propos qu’aurait, selon la presse, tenus le Général Dallaire selon lesquels, d’une part, la France serait intervenue pour qu’il quitte le commandement de la MINUAR, et, d’autre part, il aurait donné l’ordre de tirer sur les avions français si, après l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, les parachutistes français avaient " sauté sur Kigali ". Le Président Paul Quilès a souhaité connaître le sentiment de l’Amiral Jacques Lanxade sur de telles affirmations.
L’Amiral Jacques Lanxade a déclaré n’avoir aucun souvenir d’une intervention de la France pour écarter le Général Dallaire ; celui-ci remplissait la fonction qui était la sienne à Kigali. C’est au moment de l’opération Turquoise que les relations avec le Général Dallaire ont pu être tendues, la France voulant qu’il fasse bien comprendre au FPR que l’objectif de cette opération était humanitaire et qu’il n’était pas question pour les autorités françaises d’agir au profit de l’un des deux camps.
L’Amiral Jacques Lanxade a récusé l’hypothèse selon laquelle le Général Dallaire aurait voulu tirer sur les avions français, d’abord parce qu’il n’a jamais été question d’en envoyer à Kigali pour y larguer des unités parachutistes, ensuite parce qu’il n’aurait pas eu les moyens de les abattre. Il a estimé impensable que le Général Dallaire, qu’il connaît personnellement, ait pu tenir de tels propos. Il convient néanmoins de garder à l’esprit que le Général Dallaire est un homme durement marqué par ce qu’il a vécu au Rwanda.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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