Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Bernard Lodiot, qui a été ambassadeur de France en Tanzanie de mars 1990 à décembre 1992.
Il a rappelé qu’en 1990 et 1991, la Tanzanie a offert sa médiation à l’Ouganda et au Rwanda pour que soit trouvé un accord concernant le conflit entre le Président Habyarimana et le FPR ainsi que le grave problème des réfugiés. La Tanzanie a également proposé sa médiation en 1992 dans la négociation d’Arusha pour pacifier définitivement le Rwanda. Elle a donc joué un rôle diplomatique extrêmement actif.
M. Bernard Lodiot a précisé que pendant toute la durée de son séjour à Dar Es-Salam, le problème du Rwanda et de la stabilité régionale a toujours été au coeur des entretiens qu’il avait eu, tant avec le Président Mwinyi qu’avec le ministère des Affaires étrangères et ses divers interlocuteurs habituels. Tout ce qui pouvait risquer de porter atteinte à la stabilité régionale était une source de préoccupations pour la Tanzanie.
Le problème des réfugiés constituait une préoccupation majeure pour Dar Es-Salam.. M. Bernard Lodiot a cité un entretien entre M. Jacques Pelletier, qui était alors Ministre de la Coopération, et le Président Mwinyi, au cours duquel ce dernier disait à son interlocuteur : " On n’a jamais entendu parler d’un seul réfugié tanzanien à l’extérieur. En revanche, nous accueillons sur notre sol des centaines de milliers de réfugiés rwandais, burundais ou zaïrois. C’est à ce titre que nous appelons la communauté internationale à prendre en compte ce problème des réfugiés et à nous aider à le régler. "
Le Rwanda était à l’évidence une des préoccupations majeures de la politique étrangère de la Tanzanie.
Au départ, la Tanzanie témoignait une sympathie non dissimulée pour le Président Museveni, une attente un peu impatiente vis-à-vis du Général Habyarimana à qui il était reproché de ne pas faire assez pour ouvrir le dialogue politique à l’opposition, et enfin beaucoup d’agacement à l’égard du Maréchal Mobutu que l’on accusait de se mêler de choses qui le regardaient peu et pour des fins de pure politique intérieure.
M. Bernard Lodiot a déclaré avoir entendu le Président et ses interlocuteurs dire que la présence militaire française au Rwanda était légitime car fondée sur des accords : ils espéraient que la France exercerait sur Habyarimana les pressions nécessaires pour que le processus démocratique s’accélère. Il n’a jamais perçu chez ses interlocuteurs tanzaniens la moindre acrimonie ou la moindre réticence vis-à-vis de la politique du Gouvernement français.
Le Président Paul Quilès a évoqué une réunion tripartite d’octobre 1990 entre M. Mwinyi, M. Museveni et le Président Habyarimana soulignant que cette réunion avait dégagé des principes qui auraient pu permettre un règlement du conflit, il a demandé à M. Lodiot comment il expliquait l’échec de ces premières initiatives.
M. Bernard Lodiot a mis en avant la méfiance entre les Présidents Habyarimana et Museveni.
Il a fait remarquer que les principes qui avaient été acquis à la conférence de Mwanza, à savoir l’engagement du Président Habyarimana de renforcer l’ouverture politique de son gouvernement sous les auspices de l’OUA, et l’engagement de la Tanzanie et de l’Ouganda de faire pression sur le FPR pour qu’il accepte à la fois le cessez-le-feu et son contrôle par des troupes neutres, constituaient des préalables dont les conditions ne paraissaient pas réunies à l’époque. Personne ne croyait beaucoup au cessez-le-feu.
La mise sur pied d’un groupe d’observateurs militaires était rendue d’autant plus difficile qu’on ne savait pas à quel pays faire appel pour le constituer. Tout cela explique qu’à l’issue de la rencontre de Mwanza le pessimisme était tout à fait réel.
Le Président Paul Quilès a demandé pourquoi il n’avait pas été possible de mettre en place ce groupe d’observateurs militaires. Il a fait remarquer qu’il semblait un peu étrange, avec le recul du temps, qu’on puisse prendre des décisions, sans se préoccuper de leur mise en oeuvre.
M. Bernard Lodiot a rappelé que les quatre-vingts observateurs militaires dont on parlait à l’époque, sont apparus, d’entrée de jeu, tout à fait insuffisants pour contrôler l’intégralité du cessez-le-feu.
Il était indispensable, par ailleurs, de trouver des observateurs neutres. La Tanzanie, si elle contribuait à la constitution de ce groupe d’observateurs militaires, n’offrait pas la garantie que ses troupes seraient neutres et suffisamment objectives.
Le faible nombre d’observateurs militaires sur lequel on s’était entendu à l’origine et la difficulté de trouver des observateurs militaires venant d’autres pays non voisins du Rwanda n’ont donc fait qu’alimenter le pessimisme de l’époque.
Le Président Paul Quilès a évoqué une conférence sur les réfugiés tenue à Dar Es-Salam au mois de février 1991 et souligné que cette conférence a formulé des propositions qui n’ont pas été appliquées sur le terrain.
Il a demandé à M. Lodiot s’il jugeait que les uns et les autres s’étaient suffisamment engagés dans la traduction en actes concrets de ces intentions.
M. Bernard Lodiot a souligné qu’aucun des pays n’avait les moyens financiers de contribuer à résoudre le problème des réfugiés dans la région. C’est la raison pour laquelle la Tanzanie a constamment fait appel à l’Europe et, en particulier, à la France, pour aider à résoudre ce problème. Mais les moyens financiers n’ont jamais suivi.
M. Pierre Brana a demandé si des pressions étaient exercées par le Gouvernement de la Tanzanie et son Président, auprès de M. Habyarimana, pour que ce dernier accepte le retour des réfugiés présents en Ouganda depuis 1959.
M. Bernard Lodiot a répondu que M. Mwinyi a souvent dit à M. Habyarimana qu’il fallait qu’il accepte le retour des réfugiés où qu’ils soient, aussi bien en Ouganda qu’en Tanzanie. Le Président Mwinyi était très souvent agacé par le FPR. Il a déclaré avoir entendu le Ministre des Affaires étrangères s’exclamer : " Ils exagèrent, ils posent des conditions absolument inacceptables par Habyarimana. "
Le gouvernement tanzanien était finalement plus proche de l’opposition démocratique rwandaise que du FPR car ce dernier, du fait de ses exigences estimées outrancières à Dar Es-Salam, avait perdu beaucoup de crédibilité.
M. Yves Dauge a demandé si le FPR avait une existence et une action en Tanzanie, ou si les réfugiés y attendaient simplement un éventuel retour sans participer au conflit.
M. Bernard Lodiot a répondu que le FPR n’avait pas de base à Dar Es-Salam, mais qu’il existait des camps de réfugiés.
M. Pierre Brana a demandé si le gouvernement tanzanien était conscient que le problème des réfugiés rwandais d’Ouganda, avec un FPR qui bénéficiait du soutien logistique du Président Museveni, pouvait constituer un facteur de déséquilibre profond pour toute la région dans les années à venir.
M. Bernard Lodiot a répondu que le gouvernement tanzanien n’avait sûrement pas considéré à l’époque que la présence des réfugiés rwandais en Ouganda et l’attaque de 1990 pouvaient constituer le facteur déclenchant d’une crise grave au Rwanda. En fait, la Tanzanie était plus préoccupée par les réfugiés rwandais sur son propre sol que par les réfugiés rwandais dans les autres pays.
M. Pierre Brana a pris acte que les deux grandes préoccupations de la Tanzanie étaient, d’une part, les réfugiés et, d’autre part, la stabilité de la région. Il a demandé si le gouvernement tanzanien faisait le lien entre ces deux problèmes.
M. Bernard Lodiot a estimé que le gouvernement tanzanien n’avait pas pris toute la mesure du risque.
Le Président Paul Quilès a demandé si gouvernement tanzanien était proche du gouvernement ougandais, s’il avait de bonnes relations avec lui.
M. Bernard Lodiot a confirmé qu’il y avait toujours eu de bonnes relations entre les gouvernements tanzanien et ougandais.
Le Président Paul Quilès a demandé si ces bonnes relations avaient amené la Tanzanie à garder une attitude de stricte neutralité quand les choses se sont envenimées sur le plan militaire.
M. Bernard Lodiot a répété que le Président Mwinyi avait toujours entretenu de bonnes relations avec le Président Museveni mais que le FPR avait fini par singulièrement l’agacer. Il a cité l’exemple de la conférence d’Arusha de juillet 1992 où les exigences de la délégation du FPR avaient provoqué une sérieuse crise entre le facilitateur tanzanien et cette délégation.
Le Président Paul Quilès a rappelé que le progrès des négociations avait été dû en grande partie à l’attitude du Ministre des Affaires étrangères du premier gouvernement pluripartite du Rwanda, M. Ngulinzira. Il a demandé quelles étaient les relations entre le Président Habyarimana et son Ministre et quelle avait été l’attitude de la France au regard des divergences qui opposaient les deux hommes.
M. Bernard Lodiot s’est déclaré avoir été très frappé par l’expérience, la cohésion et l’intelligence de la délégation du FPR, en comparaison d’une délégation gouvernementale rwandaise dépourvue d’instruction. M. Ngulinzira était issu de l’opposition démocratique. Ses relations avec le Président Habyarimana n’étaient pas bonnes, pas plus qu’avec les autres membres de la délégation. Cette situation avait produit une impression extrêmement pénible sur la présidence tanzanienne et les observateurs.
Le Président Paul Quilès a demandé s’il était vrai que M. Ngulinzira avait fait progresser les négociations et comment ses efforts étaient ressentis par les gens proches du Président Habyarimana.
M. Bernard Lodiot a rappelé que le facilitateur tanzanien avait, au préalable, demandé à la délégation gouvernementale rwandaise de s’entendre avec le Président Habyarimana. La délégation rwandaise était donc retournée à Kigali et avait obtenu du Président rwandais des instructions beaucoup plus précises qu’en juillet 1992.
M. Yves Dauge a demandé s’il y avait en Tanzanie une population tutsie présente depuis des générations, comme cela était le cas dans d’autres pays avoisinants.
M. Bernard Lodiot à répondu qu’à l’origine, il n’y avait pas de population tutsie en Tanzanie.
M. Yves Dauge a demandé si les Tutsis ont participé à des gouvernements tanzaniens.
M. Bernard Lodiot a répondu par la négative. La politique tanzanienne vis-à-vis des réfugiés a toujours consisté à permettre leur installation en leur donnant des terres et la possibilité de s’intégrer, notamment en leur octroyant la nationalité tanzanienne, ce qui n’allait pas sans tensions parfois avec les populations locales qui se sentaient particulièrement frustrées. Mais il n’y a jamais eu d’incident majeur entre les réfugiés et les populations locales.
Le Président Paul Quilès a demandé pourquoi la Tanzanie avait été choisie, de préférence au Zaïre, pour être le pays facilitateur de la négociation.
M. Bernard Lodiot a rappelé que le Président Mobutu n’avait pas toute la sympathie qu’on aurait pu attendre de la part des pays de la région. En revanche, compte tenu de sa politique vis-à-vis des réfugiés et de son souci affiché de stabilité régionale, compte tenu également du passé et de la personnalité du Président Nyerere, la Tanzanie avait toujours été un des pays les plus respectés dans la région.
Le Président Paul Quilès a demandé si les Etats-Unis et la Belgique avaient un avis sur ce choix et quels étaient les rapports de ces pays avec la Tanzanie au cours de ces négociations.
M. Bernard Lodiot a précisé qu’après avoir connu des vicissitudes très graves, les relations entre les Etats-Unis et la Tanzanie étaient redevenues bonnes. Il a indiqué qu’il assistait à la conférence d’Arusha en tant qu’observateur de même que l’ambassadeur des Etats-Unis, l’ambassadeur du Burundi et le directeur d’Afrique au ministère belge des Affaires étrangères. Les Belges, les Français et les Américains étaient les observateurs occidentaux privilégiés. Il a ajouté que l’on attendait moins des Américains que des Français pour faire pression sur le gouvernement rwandais.
M. Pierre Brana a demandé s’il avait eu l’impression que les Etats-Unis s’intéressaient beaucoup plus que par le passé à l’Afrique orientale.
M. Bernard Lodiot a répondu par la négative.
M. Pierre Brana a demandé si les Etats-Unis attachaient une attention particulière au Rwanda.
M. Bernard Lodiot a répondu à nouveau par la négative et a déclaré que l’ambassadeur américain présent comme observateur obéissait à ses instructions mais semblait avoir une connaissance assez limitée du dossier.
Le Président Paul Quilès a demandé comment la Tanzanie avait réagi lorsqu’il a été question d’installer à la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda et au Rwanda même des contingents sous l’autorité de l’ONU et que les Français se sont engagés à retirer leurs troupes du Rwanda.
M. Bernard Lodiot a répondu que les Tanzaniens n’ont jamais insisté sur ce point. Le problème s’est posé lorsque le groupe d’observateurs militaires a été mis en place. L’article 2, paragraphe 6 de l’accord de N’Sele prévoyait qu’il fallait que les troupes étrangères quittent le Rwanda. Or, les Tanzaniens n’ont jamais exercé de pression pour que cette stipulation s’applique à la France.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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