Présidence de M. Vincent PEILLON, président
M. le Président : Nous avons rencontré hier l’Association des banques monégasques qui nous a assurés ne pas accepter de versements d’espèces. Or, la première affaire, actuellement en cours, dont on entend parler en arrivant ici, concerne des versements d’espèces. Pourtant les responsables de l’Association de banques nous affirment que tout va bien, qu’il ne peut y avoir de problèmes, etc. alors qu’en réalité, il y en a.
M. Jean-Christophe HULLIN : Il y aurait beaucoup à dire de ce point de vue. Les dépôts d’espèces à Monaco sont, si j’ose dire, monnaie courante. Les banquiers ne peuvent affirmer que l’on ne dépose pas des espèces en Principauté. Certaines personnes viennent faire des dépôts avec des valises. Les banques ne déclarent que les soupçons. Or le fait de venir avec une valise de billets ne provoque pas particulièrement de soupçons.
M. le Président : Au vu des recommandations du GAFI, a priori le fait d’arriver avec des billets doit éveiller une certaine curiosité.
M. Jean-Christophe HULLIN : Cela dépend du montant de la somme. Le tout est de savoir à partir de combien un soupçon est automatique.
M. le Président : Il faudrait en parler avec eux.
M. Jean-Christophe HULLIN : Il convient de remarquer qu’en France, dans certaines affaires, on a pu voir des dépôts de plus d’un million de francs sans que cela éveille des soupçons. Un million, en lui-même, est une somme extrêmement faible. Tout dépend ensuite de la régularité des dépôts. Aujourd’hui, je ne pense pas que des personnes viennent faire des dépôts de cinquante millions de francs ou un million de dollars. Comme il est nécessaire de compter les billets, le directeur de la banque est automatiquement informé du dépôt.
Dans une affaire récente de droit commun, j’ai observé un apport de deux millions de francs français venant de Suisse. C’est passé comme une lettre à la poste, mais comme on a pu le vérifier, cet argent provenait d’une transaction immobilière. Ce sont des investisseurs français qui viennent en Suisse et qui investissent ensuite sur le marché. Tout n’est pas forcément de l’argent sale. On s’en est aperçu avant que la banque nous le signale. D’ailleurs, je ne sais si la banque nous l’aurait signalé.
M. le Président : Sur les affaires que vous instruisez, on a évoqué hier des affaires de blanchiment en cours, ainsi que des affaires concernant de la délinquance financière.
M. Jean-Christophe HULLIN : En fait, à Monaco, il n’y a que des affaires financières. Dans mon cabinet, on peut considérer que 95 % des affaires sont des affaires économiques et financières - des atteintes aux biens, mais pas aux personnes - dont 80 % portent sur des sommes d’argent dans le cadre de circuits économiques, commerciaux ou bancaires. Effectivement, au sens très large, ce sont des affaires relevant du domaine économique et financier.
A Monaco, il n’y a pas de délits d’initié, car il n’y a aucune manipulation de cours possible, ou d’abus de position dominante, délits qui nécessitent une investigation un peu particulière en France. Ce sont essentiellement des détournements de sommes, des abus de confiance. Deux affaires sur trois sont ouvertes sur abus de confiance, c’est-à-dire le détournement par des mandataires de sommes qui leur ont été confiées au sein d’établissements financiers.
M. le Président : Avez-vous des affaires dans le cadre d’opérations passant par des mandataires financiers de banques existantes ou encore - parce que nous avons une interrogation très forte et des échos très différents - de personnes écrans ou prête-noms dans un certain nombre de sociétés ? Je pense notamment à des Monégasques qui auraient droit de faire partie de trustees, qui seraient présents dans les sociétés et qui seraient en fait rémunérés.
M. Jean-Christophe HULLIN : Il y en a, mais c’est très rare. Les trois quarts des affaires dont mon cabinet est chargé concernent des étrangers. Nous n’avons quasiment pas d’affaires impliquant des Monégasques. Les Monégasques contre lesquels mon cabinet a engagé des poursuites interviennent principalement dans le cadre de petites affaires privées, mais c’est vrai qu’à Monaco, le préjudice minimum monte tout de suite à un million de francs. Toutefois ce sont des conflits privés, des détournements d’associés ou autres. Cela ne sort pas de la Principauté.
Hier, Dominique Auter a donné lecture d’une synthèse d’un de mes dossiers. En effet, une kyrielle de sociétés anonymes monégasques appartenant à la même personne, de nationalité monégasque, a servi à recueillir des fonds très importants venant de Suisse, après être passés par les Iles britanniques et l’Irlande. Dans ce cas présent, des sociétés civiles immobilières et des sociétés anonymes monégasques ont effectivement servi à blanchir des fonds. C’est ressorti assez rapidement.
Sur les neuf affaires de blanchiment, mon cabinet en traite sept dont deux sont apparues comme du blanchiment, au sens très large du terme. Ces deux affaires ne rentraient pas dans le cadre de la loi sur le blanchiment, car c’était du blanchiment d’activités de droit commun.
Dans une de ces affaires, je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agit de recel de sommes très importantes, détournées dans le cadre d’activités commerciales en Belgique, par l’intermédiaire d’un ressortissant anglais. Ce sont des escroqueries absolument gigantesques portant sur plusieurs dizaines millions de dollars, détournés depuis la Belgique vers Londres, puis l’Irlande, les Iles vierges britanniques, la Suisse, Monaco et maintenant New York.
On sait aujourd’hui que cela vient du détournement de fonds déposés pour des placements par une grande société de capitaux, société financière qui recueillait de l’épargne en Belgique, mais je ne sais où en est la procédure belge. Des centaines d’épargnants ont été abusés. Cette société anonyme monégasque, qui avait une activité réelle à l’époque, est aujourd’hui une coquille vide et a servi à recueillir ces sommes.
M. le Président : Vous dites que c’est marginal...
M. Jean-Christophe HULLIN : Oui, c’est extrêmement marginal. Je ne connais pas d’autre exemple.
M. le Président : Nous avons une certaine difficulté à faire la part des choses. D’aucuns disent que c’est une industrie monégasque, c’est-à-dire " je prête ma société anonyme monégasque à... ". Par ailleurs, ce système de sociétés anonymes monégasques permet de mettre en prête-nom un administrateur, de déposer sept ou huit millions de francs par an, et de redonner par en dessous... N’avez-vous jamais vu passer de telles affaires ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Il n’existe pas d’abus de biens sociaux à Monaco.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : C’est de l’abus de confiance ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Non, même pas. C’est de la fraude fiscale, car il existe de la fraude fiscale à Monaco, qui est le fait d’éluder la TVA et l’impôt sur les sociétés. C’est vrai que, de façon générale, on arrive à des situations aujourd’hui où ce n’est plus le cas. Il était possible de largement dissiper les bénéfices d’une société anonyme monégasque, en fonction des rémunérations des associés. Vous pouviez avoir une société très florissante ne dégageant qu’une marge brute bénéficiaire absolument insignifiante.
Le fisc a remis un peu d’ordre dans tout cela et on considère aujourd’hui qu’il y a une tolérance de trois millions de francs par an pour l’ensemble des associés. Au-delà de trois millions de francs de rémunérations sur les bénéfices, on considère qu’il y a abus. Le ménage a été fait. J’ai encore vu cela avec des avocats récemment, mais actuellement, on ne peut plus le faire. En dehors de cette affaire d’escroquerie belge, je n’ai pas d’exemple de société qui soit une coquille vide.
Je vois l’affaire dont vous voulez parler. Elle remonte à 1993. Aujourd’hui, il semble qu’une affaire de ce type soit en train de démarrer, c’est-à-dire une société anonyme monégasque qui serait possédée à titre principal par un des barons du blanchiment dans le sud, sous couvert de prête-nom monégasque. Une enquête est actuellement en cours dans un cadre incident. En effet, lors d’une autre enquête, nous avons découvert qu’un certain nombre de sociétés étaient utilisées. On attend de voir les résultats.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : A l’examen des mécanismes à l’_uvre dans les sociétés civiles immobilières (SCI), l’une de nos préoccupations est que toutes les régions du sud de la France, notamment la Côte d’Azur, sont plus sensibles à l’arrivée de fonds en provenance de l’étranger qui s’investissent au travers de la formule de la SCI. Leurs responsables nous disent eux-mêmes qu’en raison de l’ensemble des mécanismes assez opaques, ils ne peuvent pas toujours garantir l’identité de celui qui se cache derrière le porteur de parts. Le constatez-vous, dans le cadre de la SCI française, au travers des affaires que vous avez vu passer, et pouvez-vous confirmer cette impression ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Je n’ai aucune affaire dans laquelle interviennent des sociétés civiles immobilières françaises. Tout du moins, certaines de ces sociétés apparaissent dans mes dossiers, mais elles ne sont pas concernées, et puis ce sont des sociétés constituées en France, sous la loi française. Même si nous sommes proches de communes françaises dans lesquelles une énorme part de l’immobilier de biens en bord de mer est constituée en SCI, cela concerne la France et pas Monaco.
A Monaco, beaucoup de villas, constituées en SCI, fonctionnent de façon tout à fait régulière. Je n’ai aucune raison de penser qu’il en soit autrement. Mais c’est vrai que les projets immobiliers français nous paraissent extrêmement opaques et on sait, notamment sur la baie des Anges, qu’il y a beaucoup d’investissements russes, ce qui n’est pas le cas ici. Je le constate au vu de mes dossiers et des enquêtes que je vois passer car, comme nous vous l’avons dit hier, l’exécution des commissions rogatoires internationales est un point de vue d’observation extraordinaire, qui nous permet de faire des enquêtes par la suite.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Est-il exact que les deux juges, dont vous-même, recevez environ une centaine de commissions rogatoires internationales chaque année ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Cela a augmenté dans des proportions importantes. En dix semaines, j’en ai traité vingt-cinq.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Cela signifie-t-il que la lutte s’intensifie dans toute l’Europe ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Elles ne concernent pas toutes des affaires de blanchiment. Venant de Suisse, cela touche souvent ce domaine, mais qualifié différemment, tel qu’abus de confiance, détournement de sommes. Les gens vont faire des affaires en Suisse. Dès qu’ils ont de l’argent, la place financière à laquelle ils pensent immédiatement est Monaco, qui est toujours une étape. Les Suisses nous demandent simplement de bloquer rapidement les comptes, à titre conservatoire.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Le mécanisme de saisie et de blocage des fonds fonctionne-t-il sur décision du tribunal ? Les ordonnances de séquestre sont-elles prises par le président du tribunal ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Par le juge d’instruction. Cela va très vite, de parquet à parquet. Il faut moins d’un mois pour que cela nous parvienne.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Sur l’exécution des commissions rogatoires internationales, le rôle du parquet est de requérir. Quant au directeur des services judiciaires, il nous assure que les commissions rogatoires internationales sont normalement exécutées par la voie diplomatique. Pour votre part, vous ne voyez que les réquisitions...
M. Jean-Christophe HULLIN : Exactement.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Les contacts de juge à juge viennent-ils doubler les réquisitions du parquet, les contacts de parquet à parquet et de service diplomatique à service diplomatique ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Bien sûr, on ne peut faire autrement. Même dans l’autre sens, quand je fais des instructions sur la France, je traite directement avec le juge d’instruction. C’est peut-être aussi un moyen de faire, en cas de blocage dans la transmission normale. Par exemple, début décembre, les policiers de la sûreté publique m’appellent pour me dire n’avoir pas reçu la commission rogatoire d’Avignon envoyée par fax le jour même. Je monte au parquet où on me répond qu’effectivement on est en train de me transmettre un fax de commission rogatoire arrivé le jour même. Nous avons contacté le juge d’Avignon qui pouvait, le lendemain de son arrivée, faire son expertise d’une tapisserie d’Aubusson de la région. Ils se sont directement adressés à nous et tout s’est fait en quarante-huit heures. Le juge d’Avignon est retourné chez elle avec son audition et son expertise.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Aujourd’hui, sur les mécanismes d’entraide judiciaire, ce dont se plaint le parquet de Stuttgart, dans une affaire sensible, n’est pas quelque chose que vous avez pu observer.
M. Jean-Christophe HULLIN : Non, mais il est vrai qu’au niveau de l’instruction, je ne traite que les commissions rogatoires. Ceci étant, effectivement, Patrice Davost ne fait aucun tri. Dès lors qu’il ne fait aucun tri, je vois mal comment le procureur général pourrait en faire un. Mais c’est un sentiment personnel. Le seul tri qui se fait concerne la réquisition générale. Les Italiens en sont spécialistes et ont tendance à penser que dès lors qu’ils font une enquête sur un ressortissant italien, il y a nécessairement des problèmes d’argent, ce qui est généralement le cas. Cela dit, on ne peut nous saisir immédiatement. Si on enquête sur une personne qui a fraudé le fisc, elle a forcément mis son argent dans la banque.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : C’est un point très important dans la définition générale de la demande d’investigation, car il n’y a pas de fichier centralisé des comptes bancaires à Monaco. Lorsqu’un juge d’instruction italien ou un parquet - car maintenant dans la procédure accusatoire, c’est le parquet qui demande la coopération judiciaire - vous adresse une commission rogatoire internationale, est-il arrivé que le parquet général de Monaco restreigne l’interprétation à donner dans ses réquisitions, à l’exécution de la commission rogatoire internationale ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Oui, on vous l’a confirmé hier. Dans une affaire, le magistrat italien nous demandait de rechercher dans toutes les banques monégasques, si trois personnes avaient des coffres-forts, des comptes ou des dépôts... Le procureur général m’a alors transmis la commission rogatoire, qui comportait huit points, avec interdiction d’enquêter sur les points 6 et 7. Il m’a donné la copie du télex d’Interpol, envoyé le jour même, dans lequel il demandait à Interpol à Rome d’obtenir des renseignements sur les comptes visés. Il peut paraître choquant, à n’importe quel moment pour n’importe quelle infraction, de demander si nos résidents ont des comptes. Ce n’est pas tolérable parce que la direction de la Sûreté publique ne peut gérer ce genre de situation. Elle pourrait le faire de façon isolée. Cette affaire, qui concernait trois personnes, était extrêmement importante et sensible pour les Italiens.
On aurait pu le faire. Immédiatement après, dans les semaines qui suivaient, il est évident qu’on aurait reçu des centaines de demandes de pratiquement tous les parquets d’Italie. La fraude fiscale est la spécialité italienne, et Monaco est un réceptacle. 50 % des affaires qui nous arrivent sont de cette nature. On ne peut ouvrir littéralement les livres des comptes des banques.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Les juges français, quand ils s’adressent au Luxembourg, sont tenus de donner le numéro du compte, le nom du ressortissant français ou étranger sur lequel ils enquêtent et le nom de la banque, faute de quoi ils n’obtiendront pas de coopération sur la découverte éventuelle d’autres comptes bancaires qu’ils ne peuvent pas mentionner dans leur demande d’entraide judiciaire puisqu’ils n’en ont pas connaissance. Ainsi, la coopération judiciaire est paralysée entre la France et le Luxembourg sur la simple obtention de la documentation bancaire parce que le Luxembourg a une vision tout à fait restrictive de la coopération qu’il peut offrir aux pays étrangers en la matière.
La question que je pose est la suivante. A Monaco, quelle est la doctrine actuelle du parquet général sur une demande visant à vérifier qu’il y aurait des comptes, pour des raisons liées au blanchiment ? Si les magistrats européens vous demandent la coopération visant un autre délit que la fraude fiscale, je ne vois pas pourquoi Monaco refuserait la coopération. Mais s’agissant de la recherche tous azimuts de l’ensemble des comptes bancaires, dans une cinquantaine d’établissements financiers, la France offre ce service, parce que nous avons un fichier centralisé. Monaco refusant de construire ce fichier, il revient à la justice d’aller rechercher dans l’ensemble des établissements.
M. Jean-Christophe HULLIN : Dans l’ensemble des dossiers dont j’ai la charge, je n’ai jamais vu une commission rogatoire partir de notre part en France, sur une telle demande. Ce que nous imposons aux étrangers, nous nous l’imposons à nous-mêmes, quel que soit le pays dans lequel nous envoyons la commission rogatoire internationale.
Ce que vous dites pour le Luxembourg est vrai pour la Suisse, la Hollande, l’Italie, tous les pays d’Europe. Inutile de vous dire que pour l’Italie, cela va plus loin. Si l’on ne prend pas littéralement les autorités policières ou judiciaires italiennes par la main, elles ne font pas les investigations. Il me semble que c’est pour une question de moyens et de temps, mais il faut vraiment tout donner. Je n’ai pas connaissance que la France ouvrait si facilement les comptes de ses banques. Jamais il ne nous viendrait à l’idée de faire des réquisitions générales bancaires. Ce n’est pas possible.
M. le Président : Si cela porte sur du blanchiment, c’est-à-dire qu’il y a effectivement, dans la commission rogatoire, une incrimination de blanchiment, mais qu’on n’a ni le nom de la banque ou le numéro du compte, vous ne pouvez diligenter, sur cette simple incrimination, une enquête sur les quarante banques pour trouver...
M. Jean-Christophe HULLIN : En réalité, nous le faisons ici. Sur un acte étranger, nous le recherchons néanmoins. Nous avons les moyens de le faire par des voies détournées. Nous sommes très attentifs à ne pas mettre en péril les procédures et effectivement, nous ne faisons pas, à Monaco, ce genre de réquisitions générales à l’aveugle. C’est rarissime, cela ne se fait pas. Il faut savoir que les autorités étrangères auraient la tentation de nous saisir si on exécutait les premières. En matière de blanchiment, c’est rarissime. Ils nous donnent toujours des indications.
Le procureur de New York nous avait demandé de vérifier les avoirs que possédait l’une de ses ressortissantes dans une banque monégasque. Nous avons fait la réquisition, mais cela a été impossible, car nous n’avions pas le numéro du compte, seulement le nom de la banque pour faire la réquisition. En réalité, on connaissait le numéro du compte, mais dans une autre banque de cette ressortissante américaine, sans savoir comment le communiquer aux Américains. Il se trouve que des agents de la DEA s’étaient déplacés auxquels nous avons donné l’information. Ils l’ont ensuite communiquée au procureur de New York, qui nous a relancés avec des précisions.
Je ne connais pas d’exemple, hormis cette affaire italienne. Après leur avoir demandé des renseignements complémentaires, ils nous les ont donnés. En tout cas, dans la réciproque, on ne le fait jamais.
M. le Président : Dans votre expérience de la place monégasque, pouvez-vous affirmer ou indiquer que les banques sont très hétérogènes ? Certaines sont par nature des banques qui respectent des obligations de diligence et tandis que d’autres posent davantage problème.
M. Jean-Christophe HULLIN : J’irai même plus loin que M. Auter. Non seulement les banques sont hétérogènes, mais au sein même d’un établissement financier, les fonctionnements sont disparates en fonction des clients. Une banque peut avoir cinq agences dans la Principauté. Une même agence peut avoir un traitement extrêmement rigoureux de toute l’information et, en même temps, laisser passer les 2 millions de francs français dont je vous ai parlé tout à l’heure. Elle connaissait son client et a laissé faire, mais il peut y avoir par ailleurs une transparence totale.
M. le Président : Quelle est votre analyse ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Cela dépend du client. Quand les banques connaissent leurs clients, elles peuvent avoir intérêt à ne pas divulguer un certain nombre de choses.
M. le Président : Un blanchisseur ou un délinquant intelligent, plutôt que d’arriver avec une valise, a nécessairement besoin d’utiliser des comptes de personnes bien connues des banques. Avez-vous observé que les grandes affaires de blanchiment se feraient ainsi ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Oui.
M. le Président : Le Sri-Lankais qui arrive avec un million de dollars et que personne ne connaît attirera une certaine suspicion. Mais s’agissant de la grande famille qui a déjà des mouvements de fonds de 300 millions de francs par an, si dix ou quinze millions bougent de façon différente, cela attire moins l’attention.
M. Jean-Christophe HULLIN : Il ne faut pas en tirer les conclusions que vous en tirez. Il est clair que les banquiers veulent connaître leurs clients. Dès lors qu’ils connaissent un client, ils ne sont plus regardants sur les détails du fonctionnement de ses comptes. Un certain nombre de très gros clients peuvent faire absolument ce qu’ils veulent, sans provoquer de soupçons de la part de leur banquier. Mais il faut faire attention car ici, une très grosse partie de l’argent du blanchiment, au sens large du terme, vient de la fraude fiscale, ce n’est pas du blanchiment légalement parlant.
J’ai un exemple, à ce titre, de sommes très importantes déposées en liquide et venant de comptes suisses. Dans une affaire ouverte pour blanchiment, un individu, de nationalité brésilienne, venait régulièrement de Lugano avec des sommes qu’il déposait en liquide, soit six versements de 750 000 dollars. Il disait à son banquier qu’il retirait cet argent d’un compte qu’il avait à Lugano, car le banquier lui avait posé la question. On s’est en fait rendu compte que c’était de l’argent venant d’une escroquerie commise à Londres. L’argent passait sur une banque des Bermudes, puis Lugano, et ensuite Monaco où il le déposait en liquide. Il était parfaitement connu. Il était comptable à Monaco depuis 17 ans et son banquier lui faisait totalement confiance. Mais ce n’était pas du blanchiment.
La conclusion que j’en tire est que l’on peut faire exactement ce que l’on veut, si on a la confiance de son banquier. Dans ce cadre, il peut arriver que des sommes importantes viennent de la criminalité.
M. le Président : Dans l’exemple que vous citez, cela concerne 750 000 dollars par versement, et vous dites qu’il y en a six en tout, soit environ 4,5 millions de dollars. Vous indiquez comme profession qu’il était comptable. Etait-ce un très gros cabinet de comptables et le banquier aurait alors été habitué à voir circuler des sommes de cet ordre ou bien était-ce un comptable au sens ordinaire...
M. Jean-Christophe HULLIN : Cela aurait dû attirer l’attention. C’était le comptable d’une société anonyme monégasque qui avait essentiellement des activités en dehors de la Principauté. Certains ayants droit indélicats de cette société, dont je n’ai pas encore vraiment saisi l’objet social, avaient escroqué d’importants clients américains. Le comptable de cette société, qui avait un fonctionnement normal auprès de cette banque, s’est servi de son image de comptable de cette société. Cela aurait dû attirer l’attention du banquier.
Reste un fait qui aurait dû attirer l’attention, c’est que ces sommes étaient dépensées immédiatement. Ce n’était donc pas de nature à être du blanchiment car généralement, les sommes, dans le cadre du blanchiment, ne sont jamais dépensées, seulement transférées. Lui les dépensait en deux mois. Nous avons retrouvé la totalité des dépenses qu’il a faites avec cet argent.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je reviens sur la fraude fiscale. Quelle est la doctrine actuelle du parquet général sur l’exécution des commissions rogatoires internationales qui mentionnent, dans certains cas, la fraude fiscale, car les circuits de blanchiment de la fraude fiscale sont aussi ceux du blanchiment tout court ? Comment le parquet général vous fait-il faire le tri entre ce que vous devez exécuter ou non ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Il faudra leur poser la question parce qu’en réalité, je n’en sais rien. Il me semble que les Italiens ne nous envoient pas de commissions rogatoires sur de la fraude fiscale. Du moins je n’en ai jamais vu.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Et les Français ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Non plus.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Les Belges ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Je ne crois pas avoir jamais vu d’informations ouvertes strictement sur de la fraude fiscale. Mais on peut toujours mettre quelque chose derrière.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Cela signifie donc qu’il n’y a aucune raison qu’une commission rogatoire soit restreinte dans son exécution.
M. Jean-Christophe HULLIN : Le risque est d’ouvrir cette voie et de laisser supposer aux Italiens qu’ils pourraient le faire sous le motif de fraude fiscale.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Mais puisque vous indiquez que les Italiens ne l’ont jamais demandé ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Oui.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Les Italiens n’utilisent-ils pas la justice pénale et ses procédés coercitifs pour lutter contre la fraude fiscale ?
M. Jean-Christophe HULLIN : En Italie, si.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : C’est-à-dire que c’est la même procédure ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Oui.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Mais puisque aucun juge n’a jamais sollicité Monaco...
M. Jean-Christophe HULLIN : Sur la seule fraude fiscale, non. Il faudra poser la question au parquet général. Je crois qu’effectivement on n’accepterait pas de les traiter.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Quand êtes-vous arrivé ici ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Au mois d’août dernier.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Combien de commissions rogatoires internationales avez-vous déjà traitées ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Vingt-cinq depuis dix semaines, dont la moitié venant de Suisse. Pour l’autre moitié, la majorité vient d’Italie et de France, puis une certaine diversité ensuite avec la Suède, l’Allemagne pour un cas, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Entrez-vous directement en contact avec les magistrats de ces pays qui vous sollicitent ? La France, comme de nombreux pays européens, a mis en place des magistrats de liaison pour faire en sorte que les appareils judiciaires fonctionnent ensemble, dans la mesure où les droits et les règles procédurales sont différents. Pensez-vous que cet instrument améliore le fonctionnement de la coopération ou est-il finalement inutile ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Il est capital. Je viens de la chancellerie. J’ai donc beaucoup travaillé avec des officiers de liaison et des magistrats de liaison américains, néerlandais... C’est un atout dans de grosses affaires qui, dans la durée, sont difficiles. Cependant, l’exécution des commissions rogatoires à Monaco est tellement rapide qu’on aime bien travailler avec nos homologues étrangers, et autant que possible, on prend directement attache avec eux. Nous n’avons pas besoin d’officiers de liaison. Avec les Américains, on travaille directement avec les agents du DEA et du FBI, qui ont des liens extrêmement forts avec les enquêteurs monégasques, donc tout se fait par leur intermédiaire. On s’informe auprès de nos enquêteurs qui sont en rapport direct et permanent avec les Américains.
M. le Président : En France, très souvent, le problème rencontré par les juges d’instruction est leur manque de moyens d’investigations quand ils recourent à la police pour faire des enquêtes. Dans votre cas, il semblerait que vous ne manquiez pas de moyens.
M. Jean-Christophe HULLIN : J’ai été juge d’instruction en Saône-et-Loire. L’indigence des moyens à notre disposition m’a littéralement désespéré. J’en ai été totalement découragé. Ici, je n’ai jamais vu un tel luxe de moyens pour l’activité judiciaire. Est-ce purement de la parade, je n’en sais rien, mais nous disposons quand même de moyens de faire. Par exemple, j’ai deux greffiers en permanence. De 8 heures à 20 heures, je suis assuré d’avoir des gens disponibles. Nous n’avons aucune limite en matière de frais de justice.
La pression que nous mettons, en France, sur nos magistrats, le parquet et la chancellerie, pour restreindre l’hémorragie budgétaire que cela représente, n’existe pas ici. Vous pouvez dépenser pratiquement sans compter, notamment dans les frais d’interprétariat. Hier, par exemple, j’essayais de contacter un magistrat suédois pour une commission rogatoire internationale et lui faire part des divers obstacles qu’il allait rencontrer sur le terrain. Je n’ai pu le faire car il ne s’exprimait pas en français. Je lui ai donc envoyé une lettre en français, de toute urgence, qui a été traduite et puis tout s’est arrangé. On utilise beaucoup les fax entre nous.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Nous n’avons pas encore pu travailler cette question des moyens judiciaires, dans la vie quotidienne d’un cabinet d’instruction français, seulement la question des moyens policiers. Il y a une véritable visite de terrain à faire dans les cabinets d’instruction et les pôles financiers qui, pourtant maintenant, disposent de moyens assez considérables. La Ministre de la Justice a l’intention de concentrer ces moyens sur une dizaine de pôles en France, de manière à permettre la bonne exécution des affaires et favoriser la mise en commun de la connaissance et du savoir en la matière, à la fois des magistrats du parquet et du siège. En effet, nous avons vu des enquêtes ne pas aboutir en raison de la solitude des juges dans les petits tribunaux...
M. Jean-Christophe HULLIN : Je connais, j’étais sur Mâcon.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Cette question franco-française sort quelque peu de notre enquête à Monaco. La pression sur les frais de justice est très forte. Quelles en sont les conséquences concrètes sur le fonctionnement d’un cabinet ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Un contrôle comptable a été mis en place depuis une dizaine d’années, avec parfois un contrôle extrêmement dur du comptable qui contrôle l’aspect budgétaire de l’engagement des frais de justice. Maintenant un contrôle est fait par l’intermédiaire des services administratifs régionaux et puis, il y a la règle selon laquelle toute dépense supérieure à 50 000 francs doit être autorisée par le président de la chambre d’accusation. En matière économique et financière, toutes les dépenses sont au-dessus de 50 000 francs, comme les expertises comptables qui sont extrêmement chères.
M. le Président : Je voudrais revenir sur le blanchiment et profiter de vos lumières car les affaires sont traitées dans votre cabinet. Tout d’abord, pouvez-vous nous donner globalement les montants en jeu cumulés ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Dans une affaire de blanchiment qui concerne la mafia palermitaine, entreprise de blanchiment dont nous n’avons pu mettre à jour qu’une opération parmi toutes les opérations de cette entreprise, nous relevons une opération de 5 millions et une autre de 12,5 millions de francs. Ce ne sont que deux mouvements. La mafia sait très bien gérer cela.
Une autre affaire, entre les Etats-Unis, la Suisse, l’Italie, la France et l’Espagne, concerne 25 millions de francs français. Sur une affaire entre le Luxembourg et les Iles vierges britanniques, il y avait là 10 millions de dollars sur lesquels nous sommes tombés, en partant de 5 milliards de lires italiennes. Cette autre affaire, que j’ai évoquée et qui ne relève pas strictement du blanchiment au sens juridique du terme, concerne plusieurs sommes d’environ 10 millions de dollars. Nous avons l’affaire de ce comptable brésilien avec six mouvements de 750 000 dollars, soit environ 5 millions de dollars.
Nous avons en cours une très grosse affaire dont on vient de mettre à jour trois mouvements, dont deux de 11 millions et un de 3 millions de francs, soit environ 25 millions. Nous sommes également sur une affaire inquiétante directement liée au cartel colombien, où la technique utilisée est celle du morcellement, soit une multitude de virements de 100 000 dollars. Ces affaires couvrent environ trois ans, la plus ancienne remontant à 1997.
M. le Président : Quelle est l’origine criminelle avérée du blanchiment de ces affaires ?
M. Jean-Christophe HULLIN : De façon certaine, dans trois dossiers, c’est l’argent de la drogue ; dans un autre, l’argent de la mafia palermitaine, c’est-à-dire drogue, extorsions et assassinats. Dans le dernier dossier que nous traitons en commun avec les Allemands, c’est la mafia russe. Trois dossiers ne concernent que du blanchiment de la drogue alors que, dans deux autres, on retrouve de l’argent du proxénétisme.
M. le Président : Nous avons donc l’Italie, la Russie...
M. Jean-Christophe HULLIN : Le Venezuela. Quand on parle du Costa Rica, du Venezuela et de la Colombie, en réalité, cela englobe la même région. Nous avons une affaire internationale entre l’Iran, l’Allemagne, New York, la Colombie et l’Espagne, d’où la nationalité des personnes mises en cause.
M. le Président : Cette somme d’environ 200 millions de francs est-elle immobilisée ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Non, pas dans tous les cas. Parfois, nous avons connaissance des mouvements après qu’ils ont déjà eu lieu. Nous nous situons, dans un circuit, à un point donné de l’observation des mouvements bancaires. Nous les repérons une fois passés. Nous ne sommes qu’une étape dans ce circuit qui comprend le Luxembourg, les Iles vierges britanniques, les Iles Caymans, les Bahamas ou les Bermudes. L’argent circulant très rapidement, nous n’avons pas toujours le temps de le bloquer.
M. le Président : Donnez-nous une idée de la somme immobilisée puisque c’est certainement la seule façon de leur faire mal...
M. Jean-Christophe HULLIN : Si on cumule tous les comptes bloqués, cela doit tourner autour de 3 ou 4 millions de francs, pas davantage.
M. le Président : Cela fait du 2 % des montants indiqués.
M. Jean-Christophe HULLIN : Les sommes que je vous ai indiquées au départ sont ce sur quoi nous partons, c’est de la suspicion. Arrivera-t-on à le prouver...
M. le Président : Vous fondez des espoirs sur ces personnes faisant l’objet de soupçons que vous allez étayer afin que cela débouche sur des condamnations. Or jusqu’à ce jour, Monaco n’a connu qu’une seule condamnation pour blanchiment.
M. Jean-Christophe HULLIN : Je n’en connais qu’une, mais elle est réellement significative.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : L’affaire Benyamin.
M. Jean-Christophe HULLIN : D’autres affaires ne sont pas tout à fait bouclées, mais elles ne sont pas marginales en termes financiers.
M. le Président : Par rapport à ces dossiers que vous connaissez très bien, avez-vous l’espoir de voir beaucoup de gens condamnés ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Sur deux affaires, nous avons la quasi-certitude d’obtenir gain de cause puisque des personnes ont été arrêtées pour trafic de stupéfiants.
M. le Président : Sur le territoire monégasque ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Non, à l’étranger. C’est vrai que l’on essaie d’établir, à un moment donné, la preuve de l’implication de ces personnes dans un trafic de stupéfiants d’envergure internationale et très bien organisé. Dans deux cas, nous avons des personnes qui sont en passe d’être jugées définitivement à l’étranger pour ces trafics de stupéfiants. L’un dit que l’argent vient d’un héritage et l’autre de sa société de commerce et de négoce avec Moscou qui était florissante. Après avoir épluché les comptes, nous avons constaté qu’il n’avait gagné que 60 000 francs. Les millions de dollars trouvés ne venaient évidemment pas de là. Ils sont incarcérés, l’un à Miami, l’autre à Pérouse en Italie. Nous prendrons des sanctions pour blanchiment. S’agissant des autres cas, c’est très inquiétant. C’est la principale activité en matière de blanchiment.
M. le Président : Pour nous, c’est un obstacle. Pour vous, en tant que juge d’instruction, l’obstacle que vous rencontrez pour instruire vos dossiers et faire condamner ceux qui vous semblent des blanchisseurs est-il la charge de la preuve ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Très certainement. On en parle énormément. On réfléchit beaucoup à cette idée du renversement de la charge de la preuve. Sur ce point, il faut être extrêmement prudent. On ne peut complètement basculer la charge de la preuve sans avoir au minimum apporté la caractéristique d’un blanchiment criminel.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Comment définissez-vous ces caractéristiques à partir desquelles on pourrait déclencher le renversement ?
M. Jean-Christophe HULLIN : L’élément primordial serait d’arriver à déterminer, pour les personnes mises en cause, l’absence totale d’activités licites. Dès lors que l’on arriverait à prouver qu’ils n’ont actuellement aucune activité déclarée, je pense que cela devrait suffire. De là, on peut renverser la charge de la preuve. Je reprends l’exemple de ce mafieux incarcéré à Pérouse. Il nous a dit que ses 11 millions de francs provenaient de l’héritage de sa femme qu’il gérait et qu’il faisait fructifier. En réalité, après trois commissions rogatoires, à Lugano, Genève et Milan, on a réussi à déterminer que le père n’avait pratiquement rien laissé à sa fille et que la fille n’était pas propriétaire des fonds qui avaient été transférés. Dès lors qu’on a établi que les déclarations initiales étaient fausses, j’aurais tendance à penser que cela suffit. On attend encore la preuve que ce couple est impliqué.
M. le Président : Vous dites que dans cette affaire, les comptes de la société ne faisaient apparaître que 60 000 francs.
M. Jean-Christophe HULLIN : Je vais vous donner des détails plus précis sur cette affaire. Cette personne est arrivée avec des sommes importantes, des virements interbancaires venant de Moscou. Vous savez qu’en Russie, tout se paie en liquide. Son activité était décentrée au Luxembourg où on nous a dit que de grosses sommes y étaient déposées et repartaient aussitôt.
Au départ, nos soupçons ont été étayés par le fait qu’il avait des connaissances. Tous les dossiers sont remontés à partir de renseignements de la police internationale. C’est là que se trouve la difficulté. Entre le renseignement policier et le renseignement judiciaire, il y a un fossé gigantesque pour arriver à déboucher sur une condamnation. Dans certains dossiers, nous avons luxe de détails sur les activités, les connaissances, les relations avec untel, mais jamais d’éléments matériels et constants.
Cette personne, dont la société avait un chiffre d’affaires ridicule sur la Russie, avait été arrêtée en 1994 en Espagne à Marbella avec cinquante kilos de haschich. Il aurait été arrêté par la police espagnole, il aurait été impliqué dans une importation de cinquante kilos de cocaïne à Genève, il aurait... Ce sont les renseignements policiers. Notre chance est qu’il ait été purement et simplement arrêté.
M. le Président : Revenons à la charge de la preuve. Il a une société dont vous avez analysé les comptes et qui ne justifient pas ses dépôts. Dans ce cas, vous avez été obligé de faire cette démonstration. Une fois ce travail de vérification fait montrant que la société est " fictive ", vous n’avez plus à faire le travail suivant, cela devrait suffire...
M. Jean-Christophe HULLIN : Il s’agit, dans la première partie du travail, car il se fait en deux parties, de démontrer que toute son activité ne suffit pas à justifier ces sommes, et ensuite apporter la preuve matérielle que cet argent vient bien de l’une des trois infractions au code pénal. Ce sont deux étapes. Dès lors que l’on a apporté la preuve dans la première étape, on devrait lui laisser la charge de la preuve contraire dans la deuxième étape. C’est seulement alors qu’on doit inverser la charge de la preuve, mais on ne peut partir sur une suspicion et renverser la charge de la preuve dès le départ.
M. le Président : Une dernière indication. Dans l’entraide judiciaire sur le territoire européen, y a-t-il des pays auxquels vous avez fait des demandes d’information et que vous avez trouvé quelque peu sourds et muets ?
M. Jean-Christophe HULLIN : Oui, la Hollande. Ce pays joue un jeu incompréhensible dans les relations judiciaires. Est-ce l’autorité politique hollandaise ou l’autorité judiciaire, je n’en sais rien. Pour une affaire crapuleuse dans laquelle nous avons apporté des indications dans une commission rogatoire très étayée et demandé des éléments en rapport avec les faits, ils ont répondu non. On ne peut aller chercher dans la banque de cette personne. Ils nous ont renvoyé la commission rogatoire. De ce fait, mon prédécesseur avait pris la décision d’un non-lieu, car c’était la seule possibilité.
M. le Président : Cela concerne une affaire...
M. Jean-Christophe HULLIN : Oui, c’est une affaire symbolique et intéressante parce que nous n’avions aucune raison de penser que l’on choquait qui que ce soit. Cette affaire concerne de l’escroquerie de pauvres gens, ce sur des sommes remarquables. Ce non-lieu a été infirmé par la cour d’appel à Monaco, indiquant qu’un obstacle diplomatique ne suffisait pas.
Nous sommes repartis sur une commission rogatoire en Hollande. Nous leur avons respectueusement spécifié que l’analyse de cette information n’était pas très judicieuse et que s’ils y mettaient un empêchement virulent, nous passerions par un officier de liaison. Ils nous ont renvoyé, dans les quinze jours, la copie conforme de leur premier refus. Il n’y avait pas possibilité d’avoir une discussion. Nous n’avons eu aucune discussion avec l’autorité judiciaire.
M. le Président : Dans de tels cas, vous ne prenez pas votre téléphone pour...
M. Jean-Christophe HULLIN : Le magistrat n’a pas la possibilité de le faire. J’en ai référé au directeur des services judiciaires en indiquant qu’il y avait peut-être possibilité de contourner par la voie diplomatique. C’est absolument incompréhensible.
M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Quand nous irons à La Haye, car vous n’êtes pas le seul à attirer notre attention sur le fonctionnement des Pays-Bas, nous demanderons à votre directeur de nous faire un rapport sur ces dysfonctionnements.
M. le Président : Merci beaucoup.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter