Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Rollet et Gratieux sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Rollet et Gratieux prêtent serment.

M. le Président : Nous recevons maintenant M. Christian Rollet, chef de l’inspection générale des affaires sociales et secrétaire général de la commission de contrôle des mutuelles, ainsi que M. Laurent Gratieux, inspecteur des affaires sociales et secrétaire général adjoint de la commission de contrôle des mutuelles. Cette audition est commune. Elle interviendra aussi bien au titre du travail relevant de l’IGAS que du travail relevant de la commission de contrôle des mutuelles.

M. Christian ROLLET : Je souhaite diviser mon exposé introductif en trois parties. Je serai bref, puisque disposé ensuite à répondre à toutes vos questions.

La première partie traitera du fonctionnement pratique du contrôle des mutuelles. La question est suffisamment complexe pour que nous vous en disions quelques mots. Nous avons d’ailleurs préparé une note à ce sujet, qui nous permettra de rester brefs. Dans une deuxième partie, plus concrète, je rappellerai les contrôles récents, terminés ou en cours. Il n’est peut-être pas inutile, compte tenu de leur nombre, de faire le point. Je souhaite enfin consacrer la troisième partie de mon intervention à l’information de votre commission et aux différents problèmes juridiques qu’elle peut poser.

Le contrôle des mutuelles dont je vais parler, c’est le contrôle administratif. Je ne traiterai donc pas du contrôle juridictionnel exercé par la Cour des comptes dont vous avez certainement entendu parler, par ailleurs. Ce contrôle administratif s’est complexifié depuis la loi de 1989, dite loi Evin. En effet, avant cette loi, c’était l’IGAS qui assurait le contrôle des mutuelles pour le compte du ministre en charge de la protection sociale, avec le concours, le cas échéant, des inspecteurs des services déconcentrés du ministère des affaires sociales, les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales.

Depuis la loi de 1989, il existe un partage de compétences. Le ministre reste compétent pour le régime obligatoire. Dans le cas des étudiants mais aussi dans le cas des fonctionnaires, la gestion de ce régime obligatoire est confiée à des mutuelles. L’exercice de cette fonction relève donc bien de la compétence du ministre. Le contrôle que peut faire l’IGAS dans ce cadre se fait donc à la demande, sur saisine du ministre. En revanche, la partie purement mutualiste relève dorénavant de la compétence de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance, ou des préfets de région.

La commission de contrôle comprend cinq membres nommés pour six ans. Le président est un membre du Conseil d’Etat. Le secrétaire général se trouve être, en raison de ses fonctions, le chef de l’IGAS et un secrétaire général adjoint est désigné parmi les membres de l’IGAS. Il s’agit de M. Laurent Gratieux. Le commissaire du Gouvernement, c’est le directeur de la sécurité sociale qui assiste aux réunions de la commission.

Le partage des compétences entre la commission et les préfets de région obéit à une règle fixée par le Code : dès lors qu’une mutuelle gère une caisse autonome ou que son chiffre d’affaires dépasse un certain montant - en 1990, le montant était de 150 millions de francs -, c’est la commission de contrôle des mutuelles qui est compétente. Cela représente 115 institutions. Je parle sous le contrôle technique de Laurent Gratieux, que j’autorise à m’interrompre si je me trompe.

En revanche, toutes les autres mutuelles, les plus petites, c’est-à-dire 5 600 institutions, relèvent des préfets de région, en fonction de l’implantation des sièges desdites mutuelles. Ce qui est remarquable, c’est qu’il n’existe pas de liens hiérarchiques entre la commission et les préfets. Habituellement, les préfets représentent le Gouvernement et l’Etat dans les départements et les régions. En l’occurrence, ils détiennent un pouvoir propre, que leur confère la loi. Naturellement, cela n’empêche pas des liens pratiques de travail de se nouer entre la commission et les inspecteurs chargés des contrôles dans les régions. Disons que l’on fonctionne un peu en réseau, mais la commission n’impose ni le contrôle de telle ou telle mutuelle au préfet ni telle ou telle solution juridique face à un contrôle.

Les contrôles de la commission ou des préfets portent essentiellement sur deux points, qui sont assez distincts dans la pratique. Ils concernent, d’une part, la régularité du fonctionnement institutionnel ; je citerai à cet égard les exemples qui reviennent fréquemment. Le contrôle peut porter sur le fonctionnement démocratique des instances, la régularité de leur composition, la régularité de leurs réunions, la tenue de pièces, de procès-verbaux et autres, la régularité des élections des instances et également la non lucrativité de l’activité mutualiste. Ce sont quelques exemples du contrôle de régularité du fonctionnement.

D’autre part, il existe un contrôle prudentiel, plus technique, qui vise à s’assurer que les mutuelles provisionnent des sommes suffisantes pour faire face aux prestations à payer, que la contrepartie des provisions existe bel et bien en des actifs sûrs et liquides ; enfin, on vérifie que les mutuelles ont une marge de sécurité financière supérieure ou égale à 10 % des cotisations nettes de réassurance, chiffre qui pourrait augmenter si la directive européenne était transposée.

La commission et le préfet disposent de pouvoirs d’investigation précis et importants. Ainsi, les commissaires aux comptes sont déliés du secret professionnel vis-à-vis des contrôleurs missionnés par la commission, en pratique vis-à-vis des inspecteurs de l’IGAS. Par ailleurs, la commission dispose de pouvoirs de sanctions énumérés précisément dans le Code, ces sanctions pouvant être de type symbolique - avertissement ou blâme - ou franchement plus graves, du type retrait d’agrément ou désignation d’administrateur provisoire.

Je termine ce survol, qui sera assorti d’une note détaillée que je vous remettrai, en indiquant que l’article L. 951-13 du Code de la sécurité sociale précise que toute personne qui participe ou a participé aux travaux de la commission est tenue au secret professionnel sous les peines prévues aux articles 226-13 et 14 du Code pénal, ce secret n’étant pas opposable à l’autorité judiciaire.

J’en viens à la présentation des contrôles intervenus depuis 1990, année de la mise en place de la commission.

Pour mémoire, mais ce sont des documents très importants, la Cour des comptes a engagé récemment deux types de travaux.

Le premier, qui a fait l’objet d’une partie du rapport public 1998 sur la sécurité sociale, s’appuie sur les travaux des CODEC, comités départementaux d’examen des comptes, auxquels contribuent les fonctionnaires des services déconcentrés du ministère des affaires sociales, en général avec ceux du ministère des finances. Il existe là tout un réseau de contrôles déconcentrés qui ont permis, par voie d’agrégation, à la Cour des comptes d’avoir une vision assez générale de la gestion du régime étudiant.

Plus récemment, un contrôle de la MNEF a été diligenté, dont la phase contradictoire est proche de la fin. Je ne dispose pas d’éléments précis à ce sujet mais le relevé de constatations provisoires, suivant la formule consacrée, a été remis au mois de septembre à la MNEF. La procédure doit être sur le point de s’achever ces jours-ci. Je n’en fais état que pour mémoire puisque j’ai consacré mon exposé aux rapports administratifs.

Les rapports administratifs sont, forcément, de type différent. Je les distinguerai en fonction de leur saisine.

Tout d’abord, il y a les rapports sur saisine ministérielle. Ceux-là portent sur le régime obligatoire, puisque c’est la seule compétence qui revient au ministre en la matière. Ils sont au nombre de deux. Le premier, datant de 1996, est un rapport de l’IGAS (n° 96.024) consacré aux remises de gestion des mutuelles étudiantes. Le second, conjoint entre l’IGAS et l’Inspection générale des finances (n° 99.038), porte également sur les remises de gestion allouées aux mutuelles d’étudiants. Celui-ci est en phase contradictoire, c’est-à-dire que la première partie est rédigée, que les mutuelles sont en train de répondre et que l’on peut penser que, dans quelques semaines, il sera totalement achevé.

D’autres rapports sont établis sur saisine de la commission de contrôle. J’en ai dénombré quatre. Le premier (n° 92.030) date de mai 1992 et porte sur le contrôle de l’UITSEM, une union de mutuelles qui regroupe trois mutuelles régionales importantes : la SMERA Rhône-Alpes, la SMEREB Bourgogne, la SMECO Centre-Ouest. Le deuxième (n° 93.104) est un rapport de l’IGAS qui a trait au contrôle de la MNEF. Il existe également un rapport, qui n’est pas un rapport de contrôle mais d’information, sur la crise interne à la SMEBA Bretagne-Atlantique, qui a été réalisé par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales des pays de Loire. Enfin, il y a la mission en cours, dont M. Fourré a dû vous parler, demandée le 9 novembre par la commission en vue d’évaluer les engagements financiers et de toute nature de la MNEF, et les risques associés. Cette mission est en cours. La première colonne du rapport n’est pas encore rédigée. Les rapporteurs sont actuellement à la MNEF, en train d’y travailler.

La troisième catégorie de rapports, ce sont ceux faits sur saisine des préfets de région. J’en ai dénombré sept ou huit, suivant la classification.

Pour strictement se limiter aux mutuelles étudiantes, nous avons un rapport de juillet 1994 consacré à la SMEBA par la DRASS des pays de Loire, un contrôle d’octobre 1995 de la SMENO par la DRASS Picardie, un nouveau contrôle de 1997 de la même SMENO toujours par la DRASS Picardie et un contrôle de la GEM, Garantie des étudiants mutualistes, réalisé en janvier 1998 par la DRASS Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

Je juge cependant utile de signaler à votre commission que trois ou quatre autres contrôles sont en cours : un contrôle de la DRASS Ile-de-France portant sur la MIF, Mutuelle interprofessionnelle et la MIJ, Mutuelle interjeunes, un contrôle de la MUL, Mutuelle universitaire du logement, diligentée par la DRASS des Pays-de-Loire ainsi qu’un contrôle de l’UTMP, Union technique mutualiste professionnelle, diligentée par la DRASS Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Je mentionne ces contrôles parce que s’ils ne portent pas directement sur des mutuelles étudiantes, ils s’intéressent à ce que je qualifierais de " mutuelles sœurs " de la MNEF. Ce sont, à peu près, les mêmes responsables qui dirigent les différentes instances MNEF, MIF, MIJ, MUL, UTMP.

La première partie de ces rapports vient d’être terminée. Elle a donc été adressée aux mutuelles concernées pour la phase contradictoire. À l’issue de cette procédure contradictoire, la commission a décidé, comme le Code le lui permet, d’évoquer ses rapports au cours d’une séance à venir. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler de mutuelles étudiantes, je trouvais utile de les signaler en raison de leurs liens avec la MNEF.

Cela représente donc une production assez abondante.

La question que je souhaiterais traiter en terminant cet exposé introductif, c’est celle de l’information de votre commission et des modalités pratiques de cette information.

Le problème posé est, à la lumière de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de concilier les obligations qui pèsent sur les membres de l’IGAS. En effet, ceux-ci sont tenus de déférer aux convocations de la commission pour une audition et aussi de communiquer les documents de service au rapporteur. C’est une première obligation très claire. L’autre ne l’est pas moins : ils sont tenus de respecter la séparation des pouvoirs - or, une instruction judiciaire est en cours dans le cadre de la MNEF - ainsi que le secret professionnel, lequel s’applique à tout fonctionnaire, et est, en outre précisé dans le cadre des travaux de la CCMIP par un article du Code que j’ai évoqué tout à l’heure.

La question est assez complexe. Je me permets d’indiquer comment nous la voyons, après en avoir longuement discuté avec mes collègues qui prennent, évidemment, très au sérieux ces questions.

En ce qui concerne l’audition éventuelle de rapporteurs, le partage est très difficile à faire entre les informations d’un même document qui seraient divulgables et celles qui ne le seraient pas, soit au titre du secret professionnel, soit au titre de l’instruction judiciaire. Par ailleurs, il est prévu des peines assez sévères qui s’appliquent, à titre personnel, puisque nous sommes en matière pénale. Les membres de l’IGAS qui, à l’occasion d’une audition, viendraient à enfreindre les règles de protection de certaines données prennent des risques personnels. Cela me conduit à penser que leur audition, en pratique, s’avérerait difficile. Si votre commission souhaitait néanmoins entendre les auteurs de certains rapports, ceux qui sont achevés, les membres de l’IGAS concernés me paraîtraient devoir s’en tenir à des observations de caractère général, en tout cas, excluant les informations de nature à mettre en cause des personnes, directement ou indirectement, ou encore des données comptables et financières non divulgables.

En revanche, en ce qui concerne la communication du rapport, il y a une règle administrative constante, qui veut que l’autorité qui saisit, qui est donc destinataire du rapport, décide de sa diffusion. C’est donc à Madame la ministre ou au président de la Commission de contrôle, suivant les cas, d’apprécier la communicabilité des rapports.

Dans le cas d’espèce, s’agissant de rapports qui contiennent, au moins en partie, des données protégées par le secret professionnel, il me semble que la procédure prévue au deuxième alinéa du II de l’article 6 de l’ordonnance, à savoir la communication des documents au rapporteur de la commission s’applique de façon assez claire. Il me semble que c’est cette procédure qu’il faudrait retenir, sous réserve du respect des procédures judiciaires car, bien sûr, la séparation des pouvoirs s’impose absolument.

Donc, à condition que les rapports soient achevés, c’est-à-dire procédure contradictoire terminée, comme je l’ai dit précédemment, c’est à Madame la ministre de se prononcer et de répondre directement à la question de la communication des rapports qui relèvent de sa compétence - le rapport n° 86-024 et le rapport conjoint avec l’Inspection général des finances, dont nous attendons la sortie. Si Madame la ministre validait mon analyse, ces rapports devraient pouvoir être transmis au rapporteur de votre commission dès lors qu’ils seraient achevés, dans la mesure où ils ne relèvent pas de l’instruction judiciaire en cours, qui porte spécifiquement sur la MNEF et sur les rapports entre la MNEF et certaines sociétés commerciales.

Monsieur le président, je vous assure avoir fait le maximum pour me fixer une ligne de conduite en restant fidèle aux textes qui s’imposent à moi.

M. le Président : Je vous remercie de votre exposé, qui nous interpelle en effet en ce qui concerne la communicabilité des rapports. Nous allons, bien sûr, demander à Mme Martine Aubry, en tant que responsable de son administration, que l’ensemble des rapports nous soit adressé, et il faudra sans doute pour le rapport conjoint une autorisation conjointe des ministres des affaires sociales et des finances. Usant de ses pouvoirs spéciaux, Monsieur le rapporteur prendra connaissance de l’ensemble des informations qui seront mises à sa disposition.

Vous nous avez adressé un certain nombre de documents. Reste un problème que nous nous sommes posé, celui de la comptabilité analytique. Nous avons l’impression de nous retrouver en face de mutuelles dont les règles propres, en termes de comptabilité, ne semblent pas être satisfaisantes. Si les choses étaient mieux prises en amont, peut-être y aurait-il moins de difficultés ensuite. Si plus de transparence pouvait exister en termes de comptabilité analytique, ne serait-ce pas déjà un progrès très important ? Cela pourrait-il être, à votre avis, l’objet d’une réforme du Code de la mutualité ?

M. Christian ROLLET : Il paraît évident qu’une comptabilité analytique, qui sépare bien les dépenses relatives aux deux types de gestion, gestion du régime obligatoire et gestion du régime mutualiste complémentaire, serait de nature à améliorer grandement la connaissance des coûts. C’était d’ailleurs prévu. Cette question est évoquée depuis de nombreuses années.

M. le Président : Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait alors que tout le monde nous en parle ?

M. Laurent GRATIEUX : C’est la source de toutes les difficultés. Tout le monde en a conscience depuis des années et il semble que l’on n’ait guère changé les choses.

M. Christian ROLLET : Je n’en connais pas les raisons, nous les avons constatées, mes collègues et moi-même. Ce n’est pas techniquement une affaire impossible, pas plus compliquée que dans bien d’autres situations. Je ne vois donc pas de raisons vraiment techniques à cette absence de comptabilité analytique.

M. Laurent GRATIEUX : Je travaille uniquement pour la commission de contrôle donc, a priori, la question des remises de gestion n’est pas de mon ressort. Je soulignais simplement que, pour la comptabilité analytique, tout le problème est de définir des clefs de répartition des dépenses qui reflètent la réalité. C’est plus complexe qu’il n’y paraît, parce qu’il faut savoir que les tâches de liquidation des prestations réalisées dans les mutuelles entre le régime complémentaire et le régime obligatoire sont extrêmement imbriquées. Il faudrait donc pouvoir en même temps contrôler l’évaluation des clés de répartition, ce qui exige tout un système. De plus, les mutuelles étudiantes sous-traitent parfois une partie de leurs activités de gestion à d’autres mutuelles, voire d’autres prestataires de services. L’évaluation des coûts de gestion est donc techniquement complexe.

M. Pierre LASBORDES : Je suis surpris de votre réponse parce qu’à deux reprises dans les conventions de 1993 et de 1996, obligation avait été faite aux mutuelles qui l’avaient acceptée de mettre en place une comptabilité analytique et on découvre, maintenant, que c’était trop compliqué à mettre en œuvre. N’y a-t-il pas volonté délibérée de ne pas la mettre en place parce que l’on pourrait être amené à revoir ce régime ? Il est assez étonnant que les parties signent à deux reprises l’engagement de créer une comptabilité analytique et que l’on constate, après deux échecs, que sa mise en place est impossible. C’est surprenant car généralement, dans une convention, on ne met pas des choses irréalisables. De plus, théoriquement, une sanction aurait dû être prévue. Or, on ne voit rien de ce type.

M. Christian ROLLET : La question doit être posée aux acteurs directement concernés.

M. le Président : Nous poserons bien entendu la question à Madame la ministre.

M. Christian ROLLET : J’ajouterai une précision qui reprend la remarque de M. Laurent Gratieux. Nous en avons parlé ensemble avant de venir, c’est donc une question qui ne nous surprend pas : la comptabilité analytique aurait pu être mise en place incontestablement. Mais si tel avait été le cas, il ne faudrait tout de même pas s’imaginer qu’elle aurait été la solution miracle. Si nous avions, grâce à une comptabilité analytique, un coût précis de la gestion du régime obligatoire, il serait intéressant de le comparer avec les remises de gestion. Cela ne voudrait pas dire pour autant que l’on doive se satisfaire de cette mesure. Si la mutuelle est mal gérée, si l’ensemble des mutuelles sont mal gérées, nous verrons seulement apparaître un coût élevé, peut-être moins élevé que les remises de gestion, mais la question de fond est de savoir comment améliorer les performances des mutuelles ou comment leur permettre de rendre le même service un moindre coût. Or, elles ne sont pas assujetties aux règles des marchés publics.

M. le Président : On nous l’a expliqué.

M. Christian ROLLET : Elles ne mettent pas en concurrence les prestataires auxquels elle s’adresse. C’est peut-être là que l’on peut trouver quelques marges de manœuvre pour faire baisser les coûts.

M. le Président : Ces éléments nous ont été indiqués ; nous les signalerons dans notre rapport car il y a véritablement là des propositions d’amélioration que chacun s’accorde à souligner et qui ne semblent pas difficiles à mettre en œuvre. Je ne vois pas en quoi il est difficile de soumettre à concurrence, selon des règles que nous devons tous respecter, la réalisation de prestations extérieures.

M. Joël GOYHENEIX : Je partage l’étonnement de mon collègue et le fait que la comptabilité analytique ne soit pas une condition suffisante pour régler tous les problèmes n’enlève rien à sa nécessité. La question que je souhaite vous poser m’a été inspirée par M. Fourré. Lors de son exposé, celui-ci nous a dit que la diversification des activités de la MNEF avait été encouragée. Je lui ai demandé par qui. Il m’a conseillé de m’adresser à vous pour avoir la réponse, ce que je m’empresse de faire.

M. Christian ROLLET : M. Fourré faisait allusion à des rapports antérieurs, notamment celui de 1994. Ce dernier, comme des rapports plus anciens consacrés à la MNEF, a mis en évidence, mais cela sautait aux yeux, que la gestion de la MNEF était particulièrement opaque. La MNEF engageait des fonds dans de nombreuses sociétés commerciales qui, peu à peu, ont constitué un réseau de plus en plus complexe. Le rapporteur de l’époque, face à ce foisonnement qui compliquait son travail, voire le rendait impossible puisque nous n’avons pas compétence pour contrôler des sociétés commerciales - je parle de mémoire et je vous renvoie à son rapport - disait qu’il serait bien que la MNEF regroupe ses participations. D’une certaine façon, elle l’a fait, en créant l’Union d’économie sociale Saint-Michel et, aujourd’hui, la MNEF nous dit qu’elle a gagné en transparence, comme le demandaient les rapporteurs de l’IGAS, en créant cette union d’économie sociale qui regroupe je ne sais combien de participations.

C’est une réponse sans doute opportune, mais qui ne fait que compliquer les choses parce que nous, nous avons trouvé un écran supplémentaire. Maintenant, on voit bien l’union d’économie sociale mais l’on ne sait plus ce qu’il y a derrière. A la limite, c’est encore pire en termes de connaissance de la situation d’avoir un écran supplémentaire, mais on peut dire, formellement, que cela répondait à une recommandation du rapport de 1994 !

Je pense cependant que l’on n’a pas à faire une histoire de cette affaire. La gestion de la MNEF reste très compliquée, pour ne pas dire opaque. Elle s’est encore complexifiée et malgré l’apparence de réunification simplificatrice, il reste que le nombre, le montant, le volume des engagements de la MNEF dans des sociétés commerciales a augmenté depuis le rapport en question. La réponse de la MNEF est donc, à mon avis, purement formelle.

M. Joël GOYHENEIX : M. Fourré ne faisait absolument pas allusion à cette union d’économie sociale. Il parlait à ce moment là d’encouragements de la part des pouvoirs publics qui demandaient aux mutuelles d’apporter des services supplémentaires au monde étudiant.

M. Christian ROLLET : Cela ne peut pas être l’IGAS. Ce sont les ministres. Je pense qu’il est exact que, pour certaines opérations destinées au milieu étudiant hors du secteur de la santé ou de l’assurance maladie, comme notamment la Carte Jeunes, les gouvernements ont trouvé en la MNEF un partenaire. En l’occurrence, l’IGAS n’y est strictement pour rien. Nous faisons notre métier de contrôle, nous ne prenons pas de décision. Pour répondre sans fuir à votre question, je pense que c’est vrai dans un certain nombre de cas, ce qui ne veut pas dire non plus que toutes les opérations de la MNEF se soient faites avec la bénédiction du gouvernement.

M. Joël GOYHENEIX : Pour revenir sur la dernière partie de votre exposé, j’ai bien entendu vos réserves quant à l’éventuelle audition des auteurs des rapports. Mais je souhaite, personnellement, que notre rapporteur puisse, dans le cadre de ses pouvoirs qui sont plus larges que les nôtres, les auditionner en notre nom.

M. le Président : Le président a, en effet, l’exact pouvoir d’un membre de la commission, à la différence du rapporteur, auquel il peut tout de même donner la parole !

M. le Rapporteur : Je souhaite préalablement, concernant le problème du secret, rappeler que l’article 6 de l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées indique que le secret peut être opposé au rapporteur pour des affaires relevant de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat, intérieure et extérieure, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs. Notre analyse n’est peut-être pas parfaitement symétrique à la vôtre, mais nos points de vue finiront bien par concorder.

Sur le fond, vous avez fait état de l’opacité du système et ma question portera sur l’ensemble du système de sécurité sociale étudiant. Cette opacité et l’existence d’écrans entre la " mutuelle-mère ", dirai-je même si l’expression est impropre, et un certain nombre d’activités est-elle une règle commune à toutes les mutuelles étudiantes ? Au vu des rapports établis par les autorités régionales, dont nous demanderons la communication, qui ont porté sur les différentes mutuelles régionales - SMEBA, SMENO, etc. - et à partir des éléments que vous avez pu rassembler, notamment sur l’UITSEM en 1992, quelles recommandations techniques, en tant que service d’inspection de l’Etat et en tant que praticiens du contrôle, feriez-vous aux parlementaires que nous sommes pour améliorer la transparence ?

M. Christian ROLLET : Je vous répondrai en tant que chef d’un corps de contrôle et " commissionné " par la commission de contrôle. Il me semble que l’on pourrait réexaminer les modalités de ce que l’on appelle le droit de suite. Le droit de suite, c’est la possibilité, lorsque nous allons contrôler l’emploi d’un fonds public - subvention ou remise de gestion puisque les fonds de la sécurité sociale y sont assimilés - d’aller voir, au-delà de l’institution qui en est la première bénéficiaire, d’autres institutions qui, indirectement, en ont bénéficié parce que la première a elle-même subventionné, aidé ou participé à d’autres structures. Ce droit de suite est évidemment bien réglementé par les textes. Mais les textes concernant l’IGAS en tant que corps de contrôle du ministre des Affaires sociales sont finalement plus souples, et permettent plus facilement, au moins sur le papier, d’exercer ce droit de suite. Le Code de la mutualité, lui, a prévu un dispositif très contraignant, qui exige pour aller faire des contrôles dans une société commerciale, que les liens entre la mutuelle et la société en question soient tels qu’ils mettent en péril l’équilibre financier de la mutuelle. Pour prouver cela a priori il faut réunir beaucoup d’éléments qu’un rapporteur ne peut pas trouver comme ça.

C’est incontestablement un obstacle qui s’est présenté très concrètement dans le cas de la MNEF, peut-être dans d’autres cas également, mais tous ces textes sont assez récents, on n’en a pas encore beaucoup l’usage. On pourrait harmoniser le droit de suite accordé à l’IGAS défini récemment par une loi de 1996, donc encore très peu usitée, pour ne pas dire pas du tout, avec le droit de suite prévu dans le Code de la mutualité qui règle les contrôles pour le compte de la commission de contrôle et celui de la Cour des comptes et qui lui répond à une réglementation différente. Il y a certainement lieu de regarder si l’on peut faciliter les contrôles en élargissant les possibilités d’exercice de ce droit de suite. C’est un débat difficile entre les pouvoirs de contrôle et le respect de libertés telles que la liberté d’entreprise, le secret professionnel, etc. Voilà une piste qui me paraît relever du législateur.

Par ailleurs, je pense que les mutuelles étudiantes, en général, se diversifient et ont des structures assez ramifiées. La MNEF est peut-être le plus beau fleuron dans le genre, mais les autres qui sont plus récentes et qui n’ont pas la même envergure le font aussi, je pense.

Mon analyse est plutôt sociologique, mais il me semble qu’il n’est pas facile de proposer à des étudiants une couverture maladie complémentaire car généralement ceux-ci sont en bonne santé et ne pensent pas tellement à accroître l’étendue de leur couverture sociale en cas de maladie, d’autant qu’un régime obligatoire leur est donné. Ce n’est pas une préoccupation prioritaire. En revanche, ils pensent à se loger, à leurs loisirs, à des aspects de la vie étudiante assez éloignés de la santé. Les mutuelles rivalisent donc d’efforts pour les attirer par le biais de services qui ne sont pas des services d’assurance. D’où la nécessité de créer des structures ad hoc dans le domaine du logement, des voyages etc. C’est l’analyse socio-économique que j’en fais.

M. le Président : D’un point de vue éthique, estimez-vous qu’il revient au système de la sécurité sociale ou aux mutuelles d’assurer tous ces services, qui sont par ailleurs indispensables pour les étudiants ? Il y a là un véritable problème de fond.

M. Christian ROLLET : Pour ce qui est de la sécurité sociale, la réponse est clairement non, mais il n’y a pas de réponses techniques en la matière.

Est-ce à des organismes mutualistes d’assurer l’ensemble de ces services ? L’article premier du Code de la mutualité définit les objectifs et les buts de la mutualité de manière très large. Il s’agit de tout ce qui concerne la solidarité entre les adhérents. Je n’ai plus les termes exacts en tête, mais cet article autorise les mutuelles à prendre des participations dans les sociétés commerciales. Pour cette raison, on ne peut pas condamner les mutuelles qui le font car c’est au fronton même des règles de la mutualité.

Autant il me paraît évident que la sécurité sociale, intervenant au titre du régime d’assurance maladie obligatoire, n’a pas à se mêler du logement des étudiants ou de leurs voyages, autant je serais plus réservé pour les organismes mutualistes. Cela mériterait un débat de fond et de repréciser le Code dans ses articles les plus fondamentaux.

M. le Président : Le problème vient du fait que, face au système plus ou moins archaïque de contrôle et à une présentation plus ou moins archaïque des comptes, les besoins ne cessent de s’accroître. Or, j’ai ici l’article premier du Code de la mutualité qui vise le " développement culturel, moral, intellectuel et physique des membres, amélioration de toutes leurs conditions de vie ". Cet objectif peut tout recouvrir.

C’est dans ce cadre que nous devrons faire des propositions. Il n’est pas question de remettre en cause cet article premier. En revanche, nous devons réfléchir, en nous inspirant de la législation sur les sociétés anonymes, à l’application aux mutuelles de règles plus rigoureuses - présence de commissaires aux comptes, obligation d’établir des comptes consolidés - et à l’obligation de mettre en place une comptabilité analytique plus transparente. D’autre part, le contrôle a posteriori en rafale me paraît épouvantable et très éprouvant. Certaines mutuelles en ont trois en même temps : judiciaire, audits de la Cour des comptes, contrôles de l’IGAS ou d’autres corps de contrôle. N’y aurait-il pas de nouveaux dispositifs à mettre en place en amont tout en respectant l’article premier du Code de la mutualité qui constitue en quelque sorte un acquis social et sera toujours considéré comme tel.

M. Laurent GRATIEUX : En ce qui concerne l’objet social des mutuelles, la transposition des directives européennes apportera sans doute un élément de réponse, qui conduira à distinguer au sein des activités des mutuelles, celles qui relèvent des activités d’assurance et celles qui relèvent d’autres types d’activités avec, éventuellement une distinction entre œuvres liées à des activités d’assurance - prestations en nature peut être, comme établissements ou centres de santé, etc. - et les autres œuvres qui n’ont rien à voir avec des prestations de santé, qui sont, comme on le voit dans certaines mutuelles, des agences de voyages, des centres de vacances, des maisons de retraite pour personnes âgées, etc. C’est là une hypothèse sur laquelle un groupe de travail réfléchit actuellement et Madame la ministre pourra vous dire mieux que moi où en sont les discussions. Il y aura vraisemblablement une proposition qui conduira à limiter le champ de l’objet social des mutuelles.

Je ne reviens pas particulièrement sur les contrôles sur le régime obligatoire. Il nous semble cependant qu’il faudrait au moins instaurer, soit sous forme de comptabilité analytique, soit sous forme de comptabilité séparée proprement dite, une méthode qui permette de distinguer clairement les opérations qui relèvent du régime obligatoire de celles qui relèvent de la gestion du régime complémentaire. Il est clair que les prestations et les cotisations versées au titre du régime obligatoire n’entrent pas dans les comptes des mutuelles. Elles entrent mais uniquement en " compte de tiers ", si je puis dire. Elles n’entrent pas dans le résultat des mutuelles. En revanche, ce qui entre dans ce résultat, ce sont, effectivement, d’un côté, les charges de gestion du régime obligatoire et, de l’autre, les remises de gestion.

Est-il possible d’instaurer une seconde comptabilité distincte des opérations de gestion du régime obligatoire ? Techniquement, c’est un peu complexe parce que, évidemment, les tâches de liquidation, par exemple, sont très imbriquées entre régime complémentaire et régime obligatoire. En tout état de cause, s’il n’est pas possible d’instaurer une comptabilité distincte, il est toujours possible d’instaurer, avec les réserves que j’ai formulées tout à l’heure, une comptabilité analytique qui permettrait au moins de mieux apprécier les coûts.

Je crois également qu’il conviendrait de réfléchir sur les contraintes de service public que l’on peut imposer aux mutuelles. On ne voit pas très bien pourquoi les mutuelles qui gèrent des régimes de sécurité sociale ne sont pas astreintes aux mêmes contraintes que des caisses de sécurité sociale qui gèrent le régime de sécurité sociale. Je pense notamment aux marchés publics.

M. le Rapporteur : A propos des responsabilités que peuvent exercer, au sein des organismes dans lesquels les mutuelles ont des participations majoritaires, les administrateurs de ces mutuelles, avez-vous le sentiment que le régime d’incompatibilité actuel est suffisant ou vous semblerait-il souhaitable d’en instaurer un plus efficace ?

M. Christian ROLLET : Cette question fait partie des points sur lesquels on pourrait revoir la réglementation. En principe, les administrateurs exercent leurs fonctions à titre bénévole. Ils peuvent être défrayés et une indemnité leur est versée, mais dans des limites étroites, lorsque l’on peut prouver qu’il y a des sujétions particulières. Honnêtement, nous avons le sentiment que cette règle n’est pas respectée, et pas simplement dans les mutuelles étudiantes, mais dans toutes les mutuelles.

Le problème de la rémunération des administrateurs est un problème sérieux parce que les mutuelles manquent d’administrateurs. La tâche d’administrateur est complexe et prenante. Il n’y a guère que les retraités qui puissent, à titre bénévole, donner de leur temps pour la gestion d’une mutuelle. Mais il n’est pas nécessairement souhaitable que les mutuelles soient gérées uniquement par les retraités.

A partir du moment où la règle est très stricte, elle est largement enfreinte et l’imagination est alors très fertile pour trouver des biais indirects de rémunération des administrateurs, comme, par exemple, les faire rémunérer par des sociétés commerciales. De plus, il peut y avoir des conflits d’intérêts. Tout cela n’est effectivement pas sain.

Il nous semble qu’il conviendrait d’être un peu moins sévère sur le caractère strictement bénévole de l’administration d’une mutuelle, d’autant que l’administrateur a une responsabilité personnelle ; il engage la mutuelle dans les actes les plus importants de la vie mutualiste. Cela mérite peut-être qu’on le rémunère, dans des conditions raisonnables. Mais, en tout cas, si l’on pouvait mettre fin à toutes les voies détournées de rémunération des administrateurs, parfois d’ailleurs d’un montant non négligeable, ce serait une bonne chose.

M. le Président : Permettez-moi de vous interrompre : quel est, selon vous, le temps passé par un administrateur au sein d’une mutuelle ?

M. Laurent GRATIEUX : Il est extrêmement variable selon les mutuelles. En fait, il existe deux cas de figure très tranchés. Celui de la mutuelle où l’administrateur est une personne non rémunérée, qui fait cela en plus de ses activités professionnelles et qui, généralement, n’assure pas une présence réelle. Ce cas constitue aussi une situation à risque puisque le personnage clé de la mutuelle devient le directeur ou le directeur général qui réussit, par ce biais, à tenir tous les leviers de commande. Cette situation ne constitue pas toujours une solution extrêmement favorable si l’on se réfère au fonctionnement démocratique qui caractérise en principe une mutuelle.

Il existe également la situation inverse où les administrateurs s’impliquent réellement dans le fonctionnement de leur mutuelle. J’en contrôle une en ce moment qui est dans ce cas. Les administrateurs sont présents pratiquement cinq jours sur cinq et exercent des fonctions qui sont, en réalité, à la fois des fonctions d’administration et de direction, mais où s’est mis en place un système de rémunération des administrateurs.

M. le Président : De quel ordre sont ces rémunérations ?

M. Laurent GRATIEUX : Je ne vais pas entrer dans le détail d’un dossier qui est encore en cours de contrôle, mais il peut y avoir des rémunérations par une structure tierce ou par des systèmes de mise à disposition.

M. le Président : Ce n’est pas très sain. Un administrateur n’a pas à être là tous les jours.

M. Christian ROLLET : Sans doute. Mais il lui faut tout de même être relativement présent ou alors il ne faut pas lui laisser les responsabilités qu’il a aujourd’hui. Il a des responsabilités propres, il engage la mutuelle. Lors de la dernière séance de la commission de contrôle des mutuelles, nous avons auditionné les représentants d’une mutuelle. Ils ont décliné leurs titres, directeur général et directeur financier. Le président de la commission leur a demandé s’ils avaient un mandat de leur président. Ils étaient très étonnés de la question et n’avaient manifestement pas de mandat du président. Ils ne l’avaient même pas demandé. Ils considéraient qu’ils engageaient la mutuelle. Le président Fourré a accepté de les entendre puisqu’ils étaient là et certainement très compétents, mais en leur indiquant que leurs propos n’engageaient pas la mutuelle. Il faut donc approfondir cette question.

Dans un établissement public, c’est clair, c’est le directeur général qui engage l’établissement. J’ai été directeur d’un établissement public. J’avais un conseil d’administration. Il était absolument évident que ce n’était pas le président du conseil d’administration, qui était présent, qui me dictait les décisions importantes. Il en était informé, bien sûr, mais prendre les décisions, c’était le rôle du directeur. Ce n’est pas le cas du régime des mutuelles.

M. Joël GOYHENEIX : Il me semble que l’on peut très facilement rapprocher le problème des administrateurs des mutuelles de la problématique de l’indemnisation des élus. Soit l’élu d’une collectivité locale n’est pas là, c’est le secrétaire général qui est le véritable patron, et c’est un affaiblissement net de la démocratie, soit on veut qu’il soit là et on lui donne effectivement les moyens d’y être, sauf à ce qu’il soit bénévole et seuls alors les retraités peuvent le faire. C’est la même chose dans une mutuelle. Le fait qu’un administrateur ne vienne qu’en pointillés constitue un affaiblissement réel de la démocratie. Il y a certainement un vide juridique dans lequel les gens se sont engouffrés.

M. le Président : Mais pour l’élu, tout est réglementé. On ne pourrait pas concevoir qu’un maire puisse toucher d’un autre établissement public ou d’une autre collectivité des indemnités pour lui permettre d’accomplir son travail de maire de façon plus complète.

M. Christian ROLLET : M’adressant au législateur, je pense pouvoir dire qu’il serait certainement utile de modifier la situation actuelle, qui est malsaine.

M. le Président : Nous en prenons acte. Je terminerai sur une dernière question concernant la trésorerie des mutuelles. Pourriez-vous nous parler du contrôle de cette trésorerie, et éventuellement des décisions d’affectation ? Exercez-vous un contrôle de la trésorerie des mutuelles ?

M. Laurent GRATIEUX : Nous n’exerçons pas de contrôle de trésorerie à proprement parler. Il existe une règle prudentielle dans le Code de la mutualité, qui oblige les mutuelles à avoir, à leur actif, un certain nombre d’actifs dits réglementés pour " représenter " - c’est le terme employé par le Code - les provisions pour prestations à payer, c’est-à-dire les prestations dues mais non réglées, ainsi que le fonds de réserve ou les cotisations perçues d’avance. C’est la réglementation des placements. Pour le reste, il n’y a pas de réglementation particulière concernant la trésorerie.

Evidemment, lorsque nous contrôlons une mutuelle, nous examinons sa situation de trésorerie. Mais, généralement, les mutuelles, comme toutes les entreprises d’assurance, ont rarement des problèmes de trésorerie parce qu’elles encaissent les cotisations avant de payer les prestations. Donc, normalement, une mutuelle doit avoir une trésorerie excédentaire.

M. le Président : Excusez-moi, mais pendant un temps, il va y avoir de l’argent. Y a-t-il un contrôle des décisions d’affectation, des placements, de l’utilisation de cet argent ?

M. Christian ROLLET : Bien sûr.

M. le Président : Supposons qu’il y ait 25 millions à un moment donné, est-il possible pour une mutuelle de les placer pour qu’ils rapportent et exercez-vous un contrôle sur de telles décisions ?

M. Laurent GRATIEUX : Les mutuelles sont bien entendu libres de placer leurs trésoreries et heureusement qu’elles le font, dans l’intérêt de leurs adhérents. Les placements doivent toutefois obéir à des règles qui ne concernent pas la totalité des placements, mais seulement ceux qui doivent couvrir, si je puis dire, les provisions. Ces placements, pour les mutuelles qui ne gèrent que le risque santé, sont, en gros, des obligations françaises et des titres du marché monétaire négociables. Mais, au-delà de ce qui est nécessaire pour couvrir les provisions, les mutuelles peuvent placer librement. Elles peuvent faire des investissements, voire prendre des participations dans des sociétés. Nous n’avons pas les moyens d’empêcher cela.

Le Code ne distingue pas les placements faits uniquement dans le but de rapporter un certain rendement financier des prises de participations qui sont, à mon avis, d’une nature un peu différente puisque, derrière l’idée de prise de participation, il y a éventuellement celle de prise de contrôle de sociétés commerciales. A mon avis, il y a là deux choses différentes et le Code de la mutualité ne réglemente pas les prises de participation. Dans le Code des assurances, en revanche, il est prévu qu’une société d’assurance ne peut pas prendre plus de 50 % du capital d’une société, pour les mutuelles, il n’existe pas de règle similaire.

M. Christian ROLLET : Il faut bien rappeler que les mutuelles sont des organismes de droit privé. Par conséquent, le contrôle effectué par un corps comme l’IGAS est très réglementé, plus qu’ailleurs. Je fais là exception de la partie régime obligatoire car dans ce domaine où l’argent public est concerné, notre contrôle, notamment quand il s’exerce sur des mutuelles des étudiants, est par définition beaucoup plus approfondi. Nous ne rencontrons là aucun obstacle juridique car nous étudions l’usage qui est fait de l’argent public, qui est celui de la sécurité sociale.

En revanche, nous sommes beaucoup plus contraints lorsque nous regardons la gestion mutualiste. D’ailleurs, les mutuelles ne se privent pas de nous le rappeler. La loi Evin, qui a créé la commission de contrôle, a voulu protéger l’adhérent. Il existait un certain nombre de scandales, surtout dans d’autres pays et le législateur a cherché à prévenir les risques d’incapacité de la mutuelle à honorer ses engagements vis-à-vis de ses adhérents. Le contrôle s’inscrit dans cette optique. Cela peut nous amener à aller très loin dans l’examen d’un placement, à dire que tel placement est très risqué, qu’il est contraire aux règles fixées dans le Code, mais au-delà même des règles, nous pouvons critiquer tout ce qui est de nature à se retourner contre l’adhérent, à augmenter les risques d’incapacité de la mutuelle à remplir ses engagements.

M. le Rapporteur : A propos de l’utilisation de l’argent public, les personnes qui vous ont précédés, nous ont donné le sentiment qu’en faisant des efforts de gestion, d’organisation, les mutuelles arrivaient à dégager des marges sur le montant des remises de gestion qui leur étaient accordées. Ces marges ainsi dégagées restent-elles de l’argent public ou passent-elles dans le domaine privé de la mutuelle ? Quelle est, pour vous, la frontière légale entre l’aspect argent public dans le cadre de la remise de gestion pour gérer un service public, et les marges dégagées dessus ?

M Christian ROLLET : Du point de vue du principe, il me semble que les remises de gestion doivent servir exclusivement à la gestion du régime obligatoire. Dans la pratique, comme nous l’avons vu, pour toute une série de raisons liées au manque de rigueur de gestion et de contrôle, on ne sait pas dire exactement si le coût de gestion de ce régime excède ou pas les remises de gestion.

Nous disposons tout de même maintenant, et avec le rapport qui va sortir, d’une masse de simulations. Nous n’avons pas de comptabilité, nous avons des simulations. Ces simulations conduisent, suivant les clefs de répartition et suivant les méthodes, à dire que les remises de gestion sont supérieures ou égales au coût. Une des simulations tend à dire que, grosso modo, c’est le bon niveau correspondant aux dépenses réelles. D’autres disent que les remises sont excessives. Mais, vous aurez les chiffres. Toutefois, l’excédent n’est pas considérable. Il n’y a pas de trésor caché.

Certes, tous les corps de contrôle ont le sentiment que l’on pourrait faire mieux avec l’argent donné ou faire aussi bien avec moins d’argent. Nous n’avons pas d’éléments comptables pour le prouver. Nous pouvons montrer dans quels domaines des améliorations de gestion nous semblent possibles, mais cela ne représentera pas des centaines de millions d’économie.

M. le Président : Lorsque l’on nous parle d’une marge de 15 %, cela vous semble exagéré ?

M. Christian ROLLET : C’est peut-être la partie haute de la fourchette.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions pour l’intérêt de vos déclarations. Vous pouvez transmettre à la commission vos observations et vos propositions, et lui faire parvenir tous les documents que vous jugerez utiles, en plus de ceux cités par Monsieur le rapporteur.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr