Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Hermant, Delemarre et Marchandon sont introduits

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Hermant, Delemarre et Marchandon prêtent serment.

M. Michel HERMANT : Monsieur le président, messieurs les députés, vous avez souhaité entendre notre fédération sur l’organisation et le fonctionnement du système de protection sociale des étudiants. Permettez-moi tout d’abord de vous décrire le paysage mutualiste français actuel. Il est composé de trois organisations relevant toutes du Code de la mutualité : la FNMF, la FMF et notre fédération, la FNIM qui rassemble aujourd’hui près de 2,5 millions de personnes protégées.

Le mouvement mutualiste français est un mouvement de liberté. Il a combattu pour son pluralisme à travers trois courants désormais représentés par trois fédérations, chacune disposant de sa propre philosophie, de sa propre éthique et de sa propre conception de l’action mutualiste dans notre pays comme en Europe.

La création de ces différents courants est donc née de la volonté de citoyens responsables qui souhaitaient la création d’un fédération pour représenter leur propre conception de la société. C’est donc tout naturellement que j’affirme que notre fédération mettra tout en œuvre pour défendre le pluralisme mutualiste au sein du mouvement des mutuelles interprofessionnelles, ainsi qu’au sein du mouvement étudiant.

S’agissant du mouvement mutualiste étudiant, notre fédération n’accepterait pas que l’on remette en cause la spécificité du régime de sécurité sociale étudiant, géré en vertu d’une loi de 1948 par délégation, par des mutuelles d’étudiants, relevant du Code de la mutualité. En effet, délégation de gestion et pluralité de la mutualité étudiante sont pour nous les deux caractéristiques de ce régime particulier de protection sociale de la population jeune. Nous ne voyons pas, après étude approfondie du dossier, les avantages réels qui résulteraient de la disparition de la spécificité de gestion de la sécurité sociale étudiante, en maladie et maternité, par les mutuelles étudiantes.

Nous nous interrogeons sur les motifs réels qui conduiraient à la remise en cause du pluralisme mutualiste du régime de sécurité sociale étudiant. Nous en voulons d’ailleurs pour preuve la déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la solidarité, du 18 septembre 1998 : " Je peux vous assurer que le Gouvernement est très attaché à garantir la pérennité des mutuelles étudiantes ".

La délégation de gestion par le régime général présente des avantages pour les étudiants qui sont reconnus par la Cour des comptes : unité d’interlocuteur, simplification pour les remboursements, proximité, facilité de contact, possibilité de dialogue, meilleure prise en compte des problèmes spécifiques de la population étudiante.

Monsieur le président, messieurs les députés, c’est donc à partir des dernières déclarations du ministre de la Santé que notre organisation va vous développer maintenant son analyse de la situation des étudiants.

M. Philippe DELEMARRE : Monsieur le président, votre commission a ciblé son enquête sur l’organisation et le fonctionnement du système de protection sociale des étudiants. Aussi, afin de répondre très ouvertement à vos questions, nous avons étudié différents documents mis à notre disposition. Tout d’abord, le rapport de la Cour des comptes ; ensuite, les débats auxquels le Parlement s’est livré lors de la création de la commission d’enquête ; enfin, la lettre de Mme Martine Aubry, du 18 septembre 1998, concernant la gestion du régime étudiant.

Premier point, l’historique du régime étudiant. En 1948, la loi a créé ce régime de sécurité sociale des étudiants. Elle a prévu qu’il serait rattaché au régime général de sécurité sociale et que les prestations seraient confiées à des mutuelles étudiantes, sous la responsabilité et le contrôle des caisses primaires d’assurance maladie.

A la libération, le législateur a ainsi voulu " prendre en compte les besoins spécifiques de cette population " étudiante qui n’est plus scolarisée, qui n’est pas encore active et que certains ont définie comme une population de jeunes en situation de formation. Pourquoi, dès lors, la spécificité des besoins et des attentes des étudiants reconnue en 1948 aurait-elle disparu en 1999, même si ces derniers ont bien évidemment évolué ?

Ainsi, entre 20 et 28 ans les étudiants bénéficient de la sécurité sociale. Un débat est ouvert depuis maintenant plusieurs années pour délimiter le périmètre de ce régime. Sur cette question, notre fédération estime que tout usager du service public de l’enseignement supérieur devrait pouvoir bénéficier de la sécurité sociale étudiante, quelle que soit l’université - ou l’établissement d’enseignement - et quel que soit son ministère de rattachement - ministère de l’enseignement supérieur, ministère de l’agriculture ou de la culture. Il s’agirait là d’un progrès social pour les jeunes étudiants en situation d’usagers de l’enseignement supérieur. D’autre part, lorsqu’on veut, comme le prévoit le projet du ministre de l’Education nationale, instituer, dans les premiers cycles, des passerelles entre les différents enseignements, la question du rattachement ou non au régime de sécurité sociale étudiant ne devrait pas se poser. Il conviendrait, selon nous, dans un souci de clarification, d’établir la liste des établissements faisant partie du service public de l’enseignement supérieur dont tout usager relèverait du régime étudiant de sécurité sociale.

Le champ du régime a été élargi à deux reprises. La première fois un décret de 1994 a porté la limite d’âge de 26 à 28 ans pour tenir compte de l’allongement de la durée des études. La seconde fois, une loi de 1995 a pris en considération la situation un peu particulière de certains étudiants de 18-20 ans ayant droit à majorité autonome (ADMA), en donnant à ces jeunes la possibilité, lorsqu’ils sont dans l’enseignement supérieur, de bénéficier du régime étudiant.

Ces deux exemples montrent bien que si l’on pouvait reconfigurer le périmètre du régime, ce serait une bonne chose, à la fois pour les gestionnaires et pour les étudiants qui bénéficient de ce régime.

De 1975 à 1997, la population étudiante est passée de 976 000 à 2,126 millions de personnes. On constate, par ailleurs, un allongement de la durée des études supérieures et, de plus en plus souvent après l’obtention de son diplôme, l’étudiant qui n’a pas encore trouvé d’emploi ne sait pas trop à quel régime il va s’affilier pendant cette période. Ne pourrait-on pas régler ce problème en continuant d’accorder le bénéfice de la protection sociale étudiante aux titulaires d’un bac + 8, âgés en principe de 26 ans, qui ne trouvent pas immédiatement un emploi ?

Parmi la population jeune, on compte 1,4 million d’assurés sociaux et 2,1 millions d’étudiants, répartis sur 500 sites d’enseignement supérieur qui ont été traités dans le cadre du plan Universités 2000, et vont l’être à nouveau dans le cadre du plan Universités du troisième millénaire (U3M).

Chaque région réfléchit actuellement sur la répartition et le nombre de ses universités et la gestion des étudiants, et l’exemple de l’Ile-de-France est tout à fait significatif de cette démarche. La question de la répartition et de la gestion de ces 1,4 million d’étudiants assurés sociaux du régime étudiant nous paraît importante à souligner devant votre commission.

Quel constat peut-on établir s’agissant de ces étudiants, par rapport à la protection sociale et à leur protection santé-sanitaire ?

Je me référerai, encore une fois, à des travaux qui ont été effectués par des experts de l’Observatoire de la vie étudiante. Ceux-ci ont constaté, dans leurs récents rapports, qu’il existait un risque de précarisation sociale incontestable. Nous avons d’ailleurs nous-mêmes travaillé avec les services de Mme Martine Aubry afin de savoir quelle part de la population étudiante serait concernée par la CMU. Quoi qu’il en soit, il convient que tous les acteurs se mobilisent pour empêcher qu’un jeune qui sort du secondaire se retrouve en situation de précarisation, inacceptable en cette fin de siècle.

Préalablement à cette audition, nous avons pris contact avec un certain nombre d’organisations étudiantes syndicales pour connaître leurs positions. Nous avons été étonnés de l’unanimité en ce qui concerne les deux aspects suivants : maintien du régime étudiant spécifique et gestion spécifique par les mutuelles étudiantes du régime. Constatant que le monde syndical étudiant faisait l’unanimité sur ces questions, il serait de ce fait incompréhensible que notre mouvement s’oppose à cette démarche des syndicats étudiants.

Venons-en maintenant aux rapports que nous avons pu lire sur le régime étudiant.

Nous avons lu dans la presse que l’un des gestionnaires mutualistes étudiants avait rencontré des difficultés. Tout d’abord, nous avons constaté que cette campagne médiatique était notamment fondée sur un rapport de la Cour des comptes. Nous prenons donc acte des constatations de la Cour, et si celle-ci a engagé une procédure judiciaire, nous n’avons pas à nous prononcer.

Le gestionnaire en question a-t-il commis des fautes ? Si oui, quelles sont-elles et quelles doivent être les sanctions ? C’est à la justice de trancher ; pour notre part, nous ne prenons pas partie sur cette question.

En revanche, il est certain que l’amalgame qui a été fait par les médias nous a interpellés. C’est pour cette raison que nous avons cité la lettre de Mme Martine Aubry du 18 septembre 1998, au moment où la Cour des comptes transmettait à la justice un dossier concernant ce gestionnaire. Dans cette lettre, deux grands principes étaient réaffirmés par le Gouvernement : la pérennité du régime, et sa gestion par un mouvement pluraliste étudiant.

S’agissant de la mutuelle gestionnaire qui a rencontré des difficultés, celle-ci a, semble-t-il, procédé à des élections, auxquelles auraient participé 30 000 à 40 000 étudiants - ce qui n’est pas négligeable -, au cours desquelles, le président, le bureau, le conseil d’administration et l’assemblée générale ont été renouvelés. Un assainissement est donc en cours.

Cet élément est important, car il répond bien au grand principe de la mutualité : des élections démocratiques, un bénévolat et une volonté de s’inscrire dans le cadre même du Code de la mutualité et de son article L. 111-1, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

Si nous constatons, à un instant donné, en un lieu donné, avec des hommes donnés, un dérapage, que la justice soit rendue. Nous ne porterons pas de jugement en ce domaine. Cela dit, il ne faudrait pas pour autant jeter l’opprobre sur l’ensemble du régime étudiant et sur l’ensemble des mutuelles gestionnaires.

Nous avons repris les rapports de la commission de contrôle des mutuelles, et il ne nous a pas semblé que de tels dérapages et de telles constatations aient été systématiquement dénoncés dans ses rapports établis aussi bien sous la présidence de M. Holleaux que sous celle de M. Fourré.

La Cour des comptes, quant à elle, a, effectivement, évoqué un certain nombre de difficultés sur la gestion de ce régime par les mutuelles. A ce stade, je souhaiterais rappeler que les textes constitutifs du Code de la mutualité remontent à 1948, et n’ont, depuis, jamais fait l’objet d’une révision, notamment en ce qui concerne l’objet de la mutualité.

La mutualité est un groupement de mutuelles à but non lucratif qui vivent avec les cotisations de leurs membres et qui se proposent de mener, dans l’intérêt de leurs membres et de leurs familles, des actions de prévoyance, de solidarité et d’entraide. Cet objet s’étend à la prévention des risques sociaux liés à la personne et à leur réparation ; à un encouragement de la maternité, à la protection de l’enfance, de la famille, des personnes âgées et du handicap. Enfin, l’article L. 111-1 du Code de la mutualité fait référence au développement culturel, moral, intellectuel et physique des membres de la mutualité, ainsi qu’à une amélioration de leurs conditions de vie. Ce troisième élément doit être au cœur de nos débats, car il va éclairer l’un des aspects de la vie du régime étudiant.

Mme Martine Aubry a déclaré le 4 mars 1999 devant les parlementaires que le caractère spécifique de la population étudiante et le fait d’être géré par des mutuelles étudiantes répondaient aux principes traditionnels de la mutualité, à savoir l’absence de but lucratif, la solidarité entre les adhérents, une représentation fondée sur des règles démocratiques.

On peut donc estimer que si les mutuelles gestionnaires ont répondu à ces grands principes en développant en particulier des prestations qui les respectent, il n’y a probablement pas eu, de leur part, de dérapages ou à tout le moins ces dérapages peuvent-ils être aisément corrigés.

On connaît les points forts du système mutualiste étudiant : accueil personnalisé, facilité de contact, possibilité de dialogue, proximité, interlocuteur unique, simplification des remboursements. Dans son rapport, la Cour des comptes dit avoir effectué des contrôles en septembre 1998, et indique que les Codec ont rendu un avis portant une appréciation " favorable sur la qualité du service rendu, même si certains aspects de la gestion du régime méritent d’être modernisés ". A cet égard, la mise en place d’une gestion rigoureuse, exemplaire et transparente répondrait bien à cette nécessité.

La déclaration de Mme Martine Aubry et le rapport de la Cour nous paraissent clairs : oui au maintien de la spécificité du régime social étudiant, oui à sa gestion par délégation par la mutualité pluraliste. Cependant, nous sommes ouverts à des évolutions dans la gestion de ce régime pour y rendre la démocratie, la liberté, la solidarité, l’entraide, la responsabilité plus transparentes. Nous sommes prêts à étudier ce point.

S’agissant de l’accroissement des services et prestations proposés aux étudiants, il convient de rappeler que ceux-ci se sont développés, la plupart du temps, sur la base du troisième alinéa de l’article L. 111-1 que j’évoquais tout à l’heure faisant plus largement référence au bien-être de l’étudiant et concernant aussi bien le domaine intellectuel que celui du logement, ou de la politique sanitaire.

Je serai bref en ce qui concerne les remises de gestion. Il y a sans doute une clarification à faire sur le niveau de la remise de gestion. Toutefois, je rappellerai simplement que le coût moyen de gestion des caisses primaires est de 426 F, le coût moyen des cinquante caisses primaires les mieux gérées est de 353 F, et celui des mutuelles de fonctionnaires comparables au régime étudiant est de 700 F. Nous sommes donc favorables à ce que ces remises soient étudiées dans le cadre d’un partenariat rénové, d’un dialogue constant entre les régimes obligatoires et les régimes complémentaires, comme nous le faisons actuellement dans le partenariat Sesam-Vitale.

Je terminerai sur ce point en insistant sur le fait que la diversification des services des mutuelles doit s’effectuer dans une transparence totale, exclusive de toute prise d’intérêts particuliers.

Dès lors que l’on respecte, dans le développement de ces services, le fait que les administrateurs ne sont pas rémunérés, que les personnels salariés ne perçoivent pas de complément de rémunération, que la structure créée est identifiée et isolée de manière comptable, que la transparence est garantie, ni les pouvoirs publics, ni la Cour des comptes, ni l’IGAS, ni la commission de contrôle ne condamnent ce type de diversification des activités des mutuelles.

J’insisterai à ce sujet sur l’action des mutuelles concernant la gestion du logement des étudiants. Un journal titrait il y a quelques jours : " Coup de cafard sur les cités universitaires ". Cet article soulignait qu’en Ile-de-France, sur 320 000 étudiants, 90 000 d’entre eux cherchent à se loger dans des conditions financières accessibles alors qu’on ne peut obtenir que 10 000 à 15 000 logements provenant du secteur public. Peut-on dans ces conditions condamner les structures mutualistes qui se diversifient ? Nous ne le pensons pas, à la condition, bien sûr, que cette activité soit totalement transparente.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie pour la qualité de vos exposés. Nous avons déjà auditionné un certain nombre de personnes, et nous commençons à percevoir plus clairement la situation de la mutualité, ses dysfonctionnements, et quelques solutions. Je vous poserai donc des questions plus techniques. Est-il nécessaire, ou pas, d’imposer à la mutualité le respect du Code des marchés publics, notamment dans le cadre de ses diversifications ?

M. Philippe DELEMARRE : N’étant pas directement gestionnaire de ce régime-là, nous n’avons pas étudié cette question. Les organismes mutualistes relèvent du droit privé et il ne nous semble, par exemple, que lorsque les mutuelles de fonctionnaires, qui sont un peu la référence du régime étudiant, passent un certain nombre de contrats, les dispositions du Code des marchés publics leur soient applicables.

Si la mesure était envisagée pour la mutualité " gestionnaire en général " d’un régime obligatoire, nous trouverions que c’est un système certes lourd, mais qui permettrait peut-être la clarification d’un certain nombre de situations. Nous ne voyons donc pas d’inconvénient si aucun argument technique ne s’y oppose à ce que cette réflexion s’engage.

M. le Président : Quel est votre sentiment sur le fait de rapprocher les règles comptables de la mutualité de celles des sociétés commerciales, en imposant notamment aux mutuelles l’établissement de comptes consolidés et la publicité des résultats ? En effet, certaines mutuelles créent un certain nombre de sociétés à responsabilité limitée, de sociétés anonymes, de sociétés en nom collectif qui elles-mêmes prennent des participations, qui prennent d’autres participations de participations, etc. Il n’y a alors plus de possibilité de contrôle.

M. Philippe DELEMARRE : Notre fédération a toujours défendu le principe d’une totale transparence. Nous sommes donc favorables à la publication des résultats, à condition que cette exigence s’applique à l’ensemble des acteurs - nous sommes en effet dans un milieu où la concurrence est vive autour de l’offre de santé entre les différents secteurs et, vous le savez, le taux de mutualisation des étudiants reste faible.

S’agissant des comptes consolidés, je crois que les mutuelles étudiantes régionales qui n’ont pas mis en place la comptabilité analytique ont eu tort. Si, en outre, elles n’ont pas transmis leurs comptes à la caisse nationale, elles ont eu tort. Mais tel ne doit pas être le cas. Je crois qu’il y a simplement eu une prise de conscience un peu tardive, à la fois de la part des gestionnaires et des contrôleurs eux-mêmes ; il aurait été préférable de leur dire de transmettre leurs comptes. Je suis certain qu’elles l’auraient fait. Les comptes consolidés nous semblent également un élément de transparence de gestion.

M. le Président : Concernant la suppression de l’obligation pour les mutuelles d’adhérer à une caisse de garantie, quel est la position de votre fédération ?

M. Michel HERMANT : Notre fédération propose en effet aux mutuelles de rester membres d’un système fédéral de garantie qui permet de prévenir et d’être accompagné au niveau des risques. Nous nous prononçons clairement en faveur du maintien des systèmes fédéraux de garantie.

M. le Président : Venons-en au statut des administrateurs de mutuelles et au vide juridique qui l’entoure. Quel doit être véritablement le rôle d’un administrateur ? Doit-il passer l’essentiel de son temps à cette tâche et être rémunéré en conséquence ? Si oui, doit-on fixer un montant maximum ? Faut-il au contraire poser le principe d’un simple remboursement de frais ? Dans ces condition l’administrateur peut-il être indemnisé par des filiales ?

Nous souhaitons réellement approfondir cette question du statut des administrateurs et faire des propositions au ministre.

M. Michel HERMANT : Il s’agit, Monsieur le président, véritablement d’un de nos sujets de préoccupation. Il convient avant tout de distinguer l’administrateur d’une mutuelle, d’une union de mutuelle ou d’une fédération car selon la taille la situation est à analyser différemment, notamment pour les petites structures.

La situation des administrateurs dans les mutuelles interprofessionnelles n’est guère tenable telle qu’elle est conçue actuellement. En effet, on risque fort d’aboutir à ce que seuls les retraités ou les travailleurs non salariés puissent véritablement participer à l’engagement et à la responsabilité mutualiste si une solution n’est pas trouvée.

M. Philippe DELEMARRE : Si l’on prend actuellement le régime des fonctionnaires, quand un fonctionnaire devient administrateur d’une mutuelle à plein temps, il peut y avoir mise à disposition et celle-ci peut ou non faire l’objet de remboursement de la mutuelle au ministère.

Prenons maintenant le cas des personnes qui travaillent et vont ensuite faire du bénévolat dans une mutuelle. Nous considérons que celui qui a exercé des responsabilités au niveau national ou à la tête d’une structure importante a une charge de travail par définition plus importante et qu’il convient désormais d’aborder la question de sa rémunération.

Sur ce point, nous prenons comme référence l’instruction fiscale du 15 septembre 1998 sur les associations qui constitue un précédent indiscutable, le Conseil d’Etat s’étant prononcé à ce sujet à la suite du rapport Goulard, le ministre ayant ensuite établi une instruction fiscale qui s’applique maintenant au système associatif.

Nous sommes favorables à des règles claires. Si une assemblée générale décide d’indemniser, il faut que cette indemnisation soit calculée dans le respect des textes sur la base de règles clairement établies. Le système associatif reconnaît le principe d’une indemnisation égale aux trois quarts du SMIC, quel que soit le nombre de mandats. Cela nous paraît être un bon système, qui pourrait être transposé aux mutuelles.

Pour répondre très directement à la question des filiales, nous pensons que si l’on admet les cumuls de rémunérations, on met en place un système qui ne répond pas aux principes mutualistes. Par conséquent il serait préférable de prévoir un mode unique de rémunération reconnu par l’administration fiscale et sociale, voté en assemblée générale, accepté par tout le monde et dont le montant correspondrait au niveau des compétences et des responsabilités exercées. Les directives européennes rappellent d’ailleurs cette notion de compétence et de personnalités qualifiées.

Faut-il prévoir une indemnisation pour les administrateurs étudiants qui n’ont pas de revenus ? Nous pensons également que celle-ci doit être calculée selon des règles claires, qu’elle ne doit pas être cumulable avec des rémunérations par des filiales diverses et variées, et qu’elle doit être raisonnable - les trois quarts du SMIC nous paraissent un montant convenable pour un étudiant qui s’engage dans la vie mutualiste.

Il est évident que le statut du mutualiste et du bénévole doit être modifié, sinon nous n’aurons plus de bénévoles. Il convient donc de l’organiser afin que personne ne puisse se trouver en situation difficile.

M. le Président : J’en viens à la question du pluralisme des mutuelles étudiantes. A côté de la grande mutuelle nationale qu’est la MNEF, il existe une dizaine d’autres mutuelles régionales ainsi que la possibilité de créer d’autres mutuelles. Or nous avons le sentiment que la concurrence à laquelle les mutuelles se livrent n’est pas forcément favorable aux étudiants, et qu’elle aboutit à une débauche de dépenses.

M. Philippe DELEMARRE : Nous avons posé cette question à nos différents interlocuteurs. Il nous semble, d’abord, que la démonstration du coût plus élevé pour l’étudiant qui résulterait de la concurrence n’est pas évidente. En revanche, il est clair que la sensibilisation de la population étudiante à travers des actions d’information ou de prévention concernant la protection sociale, la protection sanitaire, la protection de santé, a bénéficié de cette forme de pluralisme. On le constate notamment sur les garanties proposées aux étudiants.

Un étudiant me comparait un dépliant de mutuelle, de 1974, où la partie sécurité sociale est séparée de la partie mutualiste avec celui de 1999 : ce sont deux mondes. Et il ne me semble pas qu’il y aurait eu un tel progrès social s’il n’y avait pas eu cette sorte d’émulation entre les différentes mutuelles étudiantes.

Par ailleurs, les étudiants ont des sensibilités multiples, et ils le montrent à travers le pluralisme syndical. Le pluralisme mutualiste correspond mieux à leurs aspirations. Le libre choix, l’indépendance, l’autonomie sont des éléments fondamentaux d’un statut social de l’étudiant. Le statut social de l’étudiant, c’est la liberté de choix de la filière professionnelle ; c’est la même chose en matière de santé.

Il est significatif de voir à quel point les campagnes de prévention menées sur l’hépatite, le sida ou le VIH ont été utiles et bénéfiques, parce qu’organisées avec des intervenants multiples : les CPAM et les services de médecine préventive universitaires.

M. le Président : Les étudiants étrangers ont-ils les mêmes droits que les étudiants français ?

M. Philippe DELEMARRE : Je ne suis pas un expert en la matière. Ce que je sais, c’est que les étudiants étrangers transitent, sur le plan local, par les consulats ou les ambassades, et ensuite par le CNOUS. C’est ce dernier qui ventile les étudiants étrangers sur le territoire national en les affectant à des centres.

S’agissant du régime général, ils bénéficient des mêmes prestations que les nationaux, mais ils ont une garantie adaptée en matière de couverture complémentaire. Il y a peut-être là une amélioration à prévoir, il paraît également que le système n’est pas très bon, s’agissant de la répartition des affectations entre les différents centres universitaires.

Je me demande d’autre part s’il ne conviendrait pas de replacer les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) et le centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) sous l’égide des universités. Il y a un anachronisme à les maintenir totalement en dehors des universités. Il me semble qu’il faut conserver au sein de l’université une gestion des œuvres sociales, sous forme d’une section, d’une division ou d’un département car elles sont au cœur de la vie quotidienne de l’étudiant. Le système parallèle de la médecine préventive universitaire (MPU) dont j’ai entendu parler par les syndicats étudiants, qui n’en sont pas très contents, ne me paraît pas satisfaisant et la réforme actuellement en cours est salutaire.

Je ne dis pas pour autant que les CROUS ont failli à leur mission en matière de restauration ou de logement. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient et ils ont rempli une mission difficile depuis 1945.

M. le Président : La protection sociale étudiante actuelle est-elle selon vous satisfaisante ? On nous a beaucoup parlé d’un état sanitaire des étudiants qui laisserait à désirer. Pourquoi le taux d’adhésion aux mutuelles étudiantes est-il si faible ?

M. Philippe DELEMARRE : Les chiffres de la protection sanitaire des étudiants sont maintenant connus. Selon l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) : environ 10 % des étudiants assurés sociaux se trouvent dans une situation précaire en matière sanitaire - ce qui, bien entendu, n’est pas négligeable, puisqu’elle représente 100 000 personnes.

Sur ce sujet, la FNIM estime que la CMU, en particulier pour les étudiants boursiers, doit jouer à fond, en faisant bénéficier de la gratuité ceux qui en ont réellement besoin. Nous pensons d’ailleurs à cette occasion qu’il ne serait peut-être pas inintéressant pour cette population jeune, qui n’est pas facile à fixer, non pas de se rendre dans les caisses primaires, mais d’aller voir la section locale mutualiste qui est leur interlocuteur naturel, pour obtenir une information sur la CMU et pour pouvoir en bénéficier. Au fond, les sections locales mutualistes étudiantes devraient être pour les jeunes le " quatrième mousquetaire " de la sécurité sociale. Elles pourraient obtenir une sorte de référent social.

Sur le terrain, je souligne qu’il existe une action réelle, conjointe, coordonnée, des différents acteurs - caisses primaires, médecine préventive universitaire, sections locales mutualistes.

J’ai parlé tout à l’heure du problème de prévention. En ce qui concerne le sida, les campagnes de prévention ont été élaborées très en amont bien avant le dépistage afin que les jeunes concernés soient alertés au plus tôt.

Au cours des états généraux de la santé des étudiants, qui se sont tenus récemment à Paris à la maison de la mutualité, on s’est rendu compte que les principaux problèmes que rencontrent les étudiants sont le stress, l’inquiétude fasse à l’avenir, le tabac, l’alcool. Il s’agit de facteurs qui nécessitent, dans le cadre d’un partenariat rénové entre la CNAM et les mutuelles, la mise en place d’un système de prévention réalisé en coordination entre les CPAM, MPU et sections locales mutualistes étudiantes. Il pourrait être réglé en particulier grâce à l’action des médecins référents et de la CMU.

Deuxième question, la concurrence. La stagnation du nombre des étudiants adhérents à la mutualité étudiante correspond à une évolution du système de protection sociale, en matière de santé, dans notre pays. Les contrats collectifs se sont considérablement développés depuis 1945, tout comme les contrats familiaux proposés aux fonctionnaires ou au secteur privé. Ces organismes proposent aux jeunes des contrats à tarifs réduits dont le montant est à la limite de la concurrence déloyale par rapport à certaines organisations mutualistes ou assurancielles et qui sont sans aucun rapport avec la consommation médicale du jeune. Je rappelle que la consommation médicale d’un étudiant est de l’ordre de 2 400 F par an. Il y a donc une contradiction à proposer une garantie, dans un contrat dit familial, à 300 ou 400 F.

Toutefois si on analyse le taux de mutualisation par région, on constate d’assez fortes disparités. Il m’a été signalé que dans la région lyonnaise, 63 % de la population étudiante était couverte par les mutuelles étudiantes. Dans d’autres régions au contraire, la couverture n’est que de 30 %.

Nous croyons, là encore, que ce phénomène d’émulation entre les différentes mutuelles étudiantes peut avoir des effets positifs s’il est mieux organisé. Prenons l’exemple, en termes de gestion, de Sesam-Vitale : il est évident que la mise en place du réseau Sesam-Vitale obligera ces organismes mutualistes à se moderniser et à faire des efforts de gestion et des gains de productivité. On peut réfléchir d’ailleurs à des systèmes d’applications informatiques proposés par le régime général d’assurance maladie à l’ensemble des sections locales. On aurait ainsi, à la fois une économie de gestion et une concurrence saine.

M. le Président : Ce que vous avez dit sur le stress est particulièrement intéressant, car lorsque j’étais professeur, le taux de suicide des étudiants était déjà très élevé. L’absence totale de prévention en la matière est très douloureusement ressentie et il reste beaucoup à faire à ce sujet.

M. Philippe DELEMARRE : Je pense qu’il s’agit moins de la question du suicide que de la peur de l’avenir. Je me suis intéressé, à la demande de la DRASS, au problème du suicide dans la région Auvergne où l’on compte environ 430 suicides par an. Ce chiffre est élevé, mais par comparaison le nombre d’étudiants stressés et ayant peur de l’avenir est relativement beaucoup plus important et préoccupant. Sur ce point on peut dire que la situation est dramatique. Les états généraux de la santé ont bien fait ressortir ce problème de l’étudiant qui a véritablement peur de l’avenir. Il convient donc de mener, avec l’aide des parlementaires et des pouvoirs publics, une action sur ce terrain.

M. le Président : Lors d’une précédente audition, on nous a parlé du désir d’enfants des étudiantes, contrarié dans la réalité par l’absence de confiance dans la couverture médicale et sociale.

M. Philippe DELEMARRE : C’est la raison pour laquelle j’insistais sur le rôle important du médecin référent et du système de la CMU pour cette population. A travers ces deux outils, on pourrait arriver à mettre en place des réseaux de santé, de soins coordonnés, ainsi que cette notion de référent sanitaire et social dans le cadre de la CMU.

Il me semble très important que ce référent social existe pour une population en état de stress et de peur de l’avenir. Je voudrais également souligner que les conseils d’administration des structures mutualistes sont composés par des étudiants et que leur renouvellement est très fréquent, ce qui permet à ces conseils de rester en contact avec les étudiants. Vous ne pourrez jamais faire en sorte qu’un administrateur de caisse primaire ait les mêmes relations avec le milieu universitaire que ces responsables mutualistes étudiants qui, par définition, partagent les conditions de vie et bénéficient du système de protection sociale de leurs congénères, qui adhèrent à la mutuelle. C’est un lien personnel très fort. Lorsqu’on évoquait, aux états généraux de la santé, le stress, la peur de l’avenir, le repli sur soi, la solitude de l’étudiant dans son logement, on sentait sur ces thèmes la compréhension de tous. Le jeune ne veut plus vivre dans 8 m ? d’un immeuble de 1945. Il préfère 18 m ? dans un immeuble neuf. Dans ce domaine, l’ALS a joué un rôle formidable. Et nous nous sommes battus contre les mesures visant à modifier l’ALS - le fait que 550 000 familles qui ont un enfant dans l’université avec l’ALS ne peut pas être rayé d’un trait de plume.

Avec des moyens qui restent à définir, nous préconisons d’une façon générale la créations de centres spécifiques, destinés aux besoins des étudiants, la création de points de rencontre dans la section locale mutuelle ; l’accueil, le guichet CMU pourrait se trouver, avec l’aide de la caisse primaire et de la MPU, dans cette section locale. La population jeune serait ainsi prise en charge, ce qui est indispensable en matière de prévention.

M. le Président : J’aimerais en revenir à des aspects plus techniques. Estimez-vous que le mécanisme de contrôle des mutuelles est satisfaisant ? Sinon, quel mécanisme préconiseriez-vous ?

M. Philippe DELEMARRE : Qui contrôle ces sections locales mutualistes : l’IGAS, la Cour des comptes, l’IGF, le CRC, les DRASS et les CPAM ! Voilà le problème ! Ma réponse est donc simple : ne peut-on avoir un organe de contrôle unique et sérieux qui soit le seul interlocuteur - un peu comme pour les mutuelles classiques ?

Bien entendu, il est indispensable que les sections locales acceptent de jouer le jeu de la transparence totale en présentant une comptabilité analytique et des comptes consolidés, ainsi qu’une répartition des charges entre régime obligatoire et régime complémentaire. Dès lors que les étudiants auront en face d’eux un interlocuteur à l’écoute de leurs problèmes, les mutuelles étudiantes joueront le jeu de la transparence.

M. le Président : Il a été suggéré, au cours de nos précédentes auditions, de faire participer des personnes extérieures au conseil d’administration - notamment de la CNAM. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

M. Philippe DELEMARRE : Il est vrai que la situation des sections locales mutualistes est particulière. Il ne serait pas anormal d’y organiser la représentation des conseils d’administration des caisses primaires et de la CNAM.

Je rappelle cependant qu’à la caisse nationale, et dans les caisses primaires, tous les organismes complémentaires ne sont pas représentés, puisque notre fédération, par exemple, n’a pas accès au conseil d’administration de la CNAM - elle ne participe qu’au conseil de surveillance.

Il y a donc là une représentation à organiser, mais il ne faut pas que cela gêne le fonctionnement des organismes des régimes obligatoires. La solution ne serait-elle pas plutôt dans un comité technique consultatif permanent qui se réunirait parallèlement aux conseils d’administration ?

Régis par ordonnances, l’organisation et le fonctionnement des conseils d’administration sont difficiles à modifier. En revanche, on pourrait organiser un conseil des sections locales où seraient représentées les structures régionales qui gèrent les régimes obligatoires - CANAM, MSA, CNAM. On voit d’ailleurs avec la mise en place de Sesam-Vitale, qu’il est indispensable de pouvoir recourir à ce type d’instance réunissant les différents acteurs.

On pourrait aussi estimer que la CNAM et les CPAM se rencontrent régulièrement avec les sections locales, dans une instance ad hoc. Ainsi l’établissement de comptes rendus consécutifs à ces réunions permettrait d’exercer un suivi et une comparaison entre différentes mutuelles.

M. le Président : Ma dernière question portera sur les exonérations de taxe professionnelle et d’impôt sur les sociétés pour les mutuelles. A partir du moment où l’on veut réformer le régime associatif, il convient de se poser également cette question pour les mutuelles.

M. Philippe DELEMARRE : Il s’agit là d’une question très difficile, Monsieur le président, car nous sommes en pleine réflexion sur deux aspects de ce dossier : d’une part, la transposition des directives européennes, et, d’autre part, le problème de la fiscalité de la mutualité.

Certaines directives européennes, comme les directives relatives aux provisions et aux marges de solvabilité, ont été transposées directement dans le Code de la mutualité.

Nous ne voulons pas avoir tout à la fois à respecter les obligations nouvelles résultant de la transposition des directives européennes et à supporter une fiscalisation croissante trop importante. Il faut rappeler que la mutualité est fondée sur des principes contraignants, tels que la non-sélection des risques, la non-exclusion dans les contrats mutualistes, la noncompensation des risques, dont les autres opérateurs du marché s’affranchissent.

Le système doit donc être équilibré entre ce qui est du ressort de la fiscalité, que l’on pourrait éventuellement faire évoluer, et ce qui est du ressort des directives européennes. Il ne faudrait pas que nous cumulions des charges ou des obligations nouvelles de toute part.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr