Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Kerrest et Cazade sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Kerrest et Cazade prêtent serment.

M. Corentin KERREST : Nous sommes les représentants de la FAGE, qui est une fédération d’associations étudiantes à la différence d’autres organisations étudiantes, qui sont des organisations syndicales. Nous regroupons par ville ou par discipline des fédérations d’associations étudiantes.

Lors des élections en 1994, nous étions la première organisation étudiante représentative des étudiants. Nous sommes actuellement la seconde.

Notre fédération est assez diversifiée car elle est basée sur un réseau d’associations locales, fédérées à la fois par villes et par disciplines. Il s’agit donc d’un réseau très divers où s’expriment des idées variées et relativement plurielles.

Je suis président de la FAGE depuis novembre dernier, date à laquelle nous avons réélu notre bureau national, et Stephen Cazade en est le vice-président.

M. Stephen CAZADE : Je ferai pour introduire le sujet un bref rappel sur le régime étudiant.

La création du régime spécifique étudiant de sécurité sociale, qui coïncide avec celle de la MNEF en 1948, est considérée encore comme un très fort acquis des étudiants et des organisations étudiantes - et de l’UNEF, à l’époque - qui l’avaient obtenu en se basant sur le fait que l’étudiant avait un statut bien particulier.

La forte démocratisation de l’enseignement supérieur qui se manifeste depuis maintenant près de cinquante ans, a accru le nombre d’étudiants dans les universités, qui atteint aujourd’hui environ deux millions. Plus que jamais, la population étudiante constitue un groupe social bien particulier, représentatif, qui a besoin d’un statut social spécifique, puisque n’étant pas salarié, il ne peut bénéficier du statut de salarié et qu’il n’est plus en âge d’être couvert par ses parents.

Qui plus est, le fait de ne plus dépendre de la sécurité sociale de ses parents fut une victoire pour l’autonomie de la jeunesse, que nous revendiquons. Je citerai pour exemple le cas de jeunes filles qui ont besoin de pratiquer une IVG et n’ont plus à " passer " par la sécurité sociale de leur parents, elles sont tout à fait autonomes dans leur choix de santé.

Ce régime étudiant de sécurité sociale est d’autant plus d’actualité qu’un récent rapport du Haut comité à la santé publique a montré que les 18-25 ans, étudiants ou non, était la catégorie de la population française la plus mal soignée, d’où la nécessité d’une couverture sociale adaptée à la population étudiante.

Ce régime étudiant atteint l’équilibre grâce à la contribution d’autres régimes en vertu du principe que nous défendons de solidarité entre les générations. La légitimité de ce principe tient dans le fait que les étudiants, faute de ressources pendant leur vie d’étudiant, ne sont pas en mesure de supporter seuls le coût de leur couverture sociale, mais qu’ils formeront la part la plus performante des futurs actifs, qui cotiseront à leur tour dans le système de solidarité intergénérationnel. Ce principe doit donc être plus que jamais maintenu, même s’il se trouve de plus en plus remis en cause et si l’on constate une augmentation régulière et importante du montant de la cotisation de la sécurité sociale des étudiants.

Depuis 1984, celle-ci a en effet augmenté de 340 % alors que le coût de la vie augmentait de 41 % pendant cette quinzaine d’années. Cette augmentation est un facteur qui accroît l’inégalité sociale et réduit, pour les plus démunis, la possibilité de cotiser à un régime complémentaire de santé en plus du régime général pour bénéficier d’un ticket modérateur moins important et de meilleures conditions de soin.

Certes, tous les étudiants boursiers sont exonérés de cette cotisation, mais il y a le cas des étudiants issus des classes sociales dites moyennes, qui ne peuvent pas être boursiers et, donc, exonérés mais qui ne sont pourtant pas dans des conditions financières très favorables ; il y a aussi le cas des redoublants qui ne peuvent plus être boursiers. Malgré les progrès annoncés dans ce domaine par le ministère de l’éducation nationale concernant le plan social étudiant, tous les redoublants ne seront pas touchés par cette mesure nouvelle. Ainsi, de nombreux étudiants resteront encore dans des situations financières défavorables, devront verser plus de 1 000 F pour leur cotisation de sécurité sociale, et ne pourront pas financièrement se permettre de cotiser à un régime complémentaire de couverture sociale.

De plus, nous remarquons que les organisations étudiantes ne sont pas consultées, ou alors seulement pour la forme, chaque année, lors de la fixation du montant de la cotisation. Nous revendiquons le droit d’être informé et de participer, dans le cadre d’une réflexion sur le régime étudiant, à une sorte de table ronde, concernant la fixation du montant de la cotisation car nous trouvons cette augmentation régulière très élevée et injustifiée.

Nous estimons que le régime étudiant doit continuer à être géré directement par les étudiants, comme cela se fait depuis 1948, par l’intermédiaire des mutuelles étudiantes ; à l’époque, par la MNEF et, depuis bientôt trente ans, également par les mutuelles régionales dont le conseil d’administration est composé par des étudiants. Cet acquis social de 1948, obtenu parmi d’autres, a fortement contribué au développement de la citoyenneté étudiante.

Par ailleurs, nous restons fortement attachés aux valeurs mutualistes qui doivent être plus que jamais enseignées à la jeunesse étudiante face au danger, que l’on voit se profiler avec les directives européennes de 1992, que constitue l’entrée du marché des assurances dans les universités. Face à ce risque qui nous inquiète, il nous semble important d’enseigner aux étudiants ces valeurs de démocratie, de solidarité, de non-lucrativité développées par les mutuelles étudiantes qu’elles soient nationales ou régionales.

En cela, la situation actuelle nous convient puisque les mutuelles étudiantes sont multiples et représentent l’ensemble du monde étudiant dans sa diversité. En tant qu’association étudiante, nous participons directement à la gestion des mutuelles par l’intermédiaire de certains de nos acteurs locaux, membres responsables associatifs dans chaque ville. En effet, un nombre important de membres d’associations, parce qu’ils ont une expérience associative sur le terrain et une légitimité de représentants des étudiants, liée souvent à leur statut d’élu étudiant dans les UFR ou les universités, sont élus, à titre personnel, dans les mutuelles et participent à leur gestion. Il y a là une suite logique puisque des actions de partenariat sont menées entre les mutuelles étudiantes et associations étudiantes, qui concernent des opérations de prévention ou des actions conduites pour améliorer le bien-être des étudiants.

En revanche, nous sommes méfiants et opposés à une prise d’intérêt trop importante dans les mutuelles par une organisation étudiante car nous pensons que les mutuelles n’ont pas à appartenir ou à subir des pressions politiques trop fortes d’une organisation étudiante. Il faut préserver une séparation des pouvoirs marquée entre mutuelles étudiantes et organisations étudiantes.

L’existence des mutuelles étudiantes représente une avancée pour les étudiants. Ces mutuelles, qu’elles soient nationales ou régionales, ont été placées dans une situation de concurrence que nous jugeons favorablement puisqu’elle a permis une augmentation de la qualité de service pour les adhérents étudiants. Qu’il s’agisse des délais de remboursement, des services extérieurs qui peuvent être rendus, de formation ou de prévention et d’information dans le domaine de la santé, on constate que cette concurrence a produit une émulation saine favorable aux étudiants.

A l’inverse, les alternatives au régime étudiant de sécurité sociale que l’on semble nous proposer ou qui sont évoquées par les mutuelles, nous paraissent très mal adaptées. Je pense aux caisses primaires d’assurance maladie, qui ne sont pas en phase avec les attentes exprimées par les étudiants, contrairement aux mutuelles étudiantes qui y répondent par un accueil physique adapté aux horaires étudiants et par l’existence d’agences des mutuelles étudiantes sur presque tous les campus. Celles-ci sont animées par un personnel jeune, en phase avec le milieu, d’autant que les étudiants sont associés à sa gestion. Entre la MNEF et les mutuelles régionales, les mutuelles étudiantes ont développé une politique de proximité qu’il nous semblerait dangereux de remettre en cause. De plus, nous ne voyons pas en quoi la remise en cause du régime étudiant au profit des caisses primaires d’assurance maladie pourrait répondre aux besoins sanitaires et sociaux des étudiants.

Sur l’aspect financier, nous ne possédons pas toutes les données pour juger de ce qu’il serait préférable de mettre en place entre les caisses primaires et les mutuelles étudiantes. Les seules données précises que nous ayons concernent le montant des remises de gestion de 320 francs par affilié qui est versé aux mutuelles. Il semblerait que les coûts de gestion pour une caisse primaire d’assurance maladie seraient plus importants, de l’ordre de 420 francs par affilié. En fait, nous n’avons pas toutes les données pour en juger, mais nous pensons qu’il faut bien prendre en compte tous les coûts qui pourraient résulter d’une gestion du régime étudiant de sécurité sociale par les caisses d’assurance maladie.

Le coût social serait beaucoup plus élevé si la gestion se faisait par les CPAM. Nous pensons que les mutuelles étudiantes répondent bien en matière de prévention, de remboursement et de service rendu aux attentes des étudiants. Nous sommes donc très dubitatifs sur le fait que les caisses primaires d’assurance maladie puissent faire aussi bien. Qui plus est, même si l’on nous démontrait le bien-fondé de cette solution, en additionnant tous les coûts directs et indirects qui viendraient en diminution pour le budget de l’Etat, nous craignons très fortement que cela se fasse au détriment du bien-être et de la santé des étudiants. Je rappelle que l’état de santé de la population des 18-25 ans est le moins bon de toutes les générations. Ce constat nous rend totalement défavorables à une gestion par les CPAM.

M. Corentin KERREST : Par delà notre attachement aux principes du régime étudiant de sécurité sociale, nous avons réfléchi aux divers choix qui nous sont proposés.

On peut effectivement s’interroger sur des solutions de meilleure gestion du régime étudiant de sécurité sociale. Une des solutions proposées est celle d’un centre payeur unique. Il existe actuellement une dizaine de centres payeurs et de gestion, il est effectivement possible d’imaginer l’existence d’un centre payeur unique, co-administré par les différentes mutuelles étudiantes. On voit tout de suite l’intérêt de la CNAM, qui réaliserait ainsi des économies de gestion et pourrait abaisser le montant des remises de gestion. En revanche, nous ne voyons pas clairement ce qu’y gagneraient les usagers. Au contraire !

Le choix entre deux centres payeurs peut constituer un avantage pour les étudiants, notamment en termes de qualité de service et de rapidité des remboursements. Nous l’avons constaté à la dernière rentrée, mais cela est vrai depuis des années, l’émulation entre les mutuelles étudiantes, a permis d’améliorer les délais des remboursements. Les étudiants en parlent beaucoup, c’est un aspect important du service qu’ils attendent des mutuelles étudiantes de sécurité sociale.

Ce centre unique amènerait-il des avantages pour les étudiants ? Certains parlent de baisse ou de stabilisation du montant des cotisations de base et d’amélioration de la qualité de service, et de baisse du montant des cotisations à un régime complémentaire. Pour l’instant, nous ne voyons pas l’intérêt de ce centre unique tant que les effets bénéfiques qu’il pourrait engendrer ne nous ont pas été clairement démontrés. Nous n’avons pas les données qui pourraient rendre intéressante cette hypothèse. Ce n’est donc pas une solution que nous envisageons pour l’instant.

La deuxième solution qui nous a été proposée est celle de la perception des cotisations directement par les centres payeurs. Il est vrai que lors de la dernière rentrée, nous avons eu des problèmes pour la remise des cartes d’assurés sociaux et pour les inscriptions des étudiants dans les centres payeurs. L’idée serait que les centres payeurs procèdent à l’inscription de sécurité sociale des étudiants, assurant la gestion de toute la partie administrative du dossier et la perception des droits, à la fin de ce que nous appelons dans notre jargon les chaînes d’inscription, c’est-à-dire l’endroit où les étudiants s’inscrivent à l’université ou dans leurs écoles. Pour l’instant, ce sont les universités qui assurent ce service. Cette proposition émane de l’USEM et je crois que les autres mutuelles étudiantes l’ont accueillie de manière positive. Nous percevons l’intérêt que cela pourrait présenter pour les mutuelles, mais nous voyons aussi l’intérêt que cela représenterait pour les étudiants, le principal étant l’accélération des délais de remboursement, notamment en début d’année. L’année universitaire s’écoule très vite et raccourcir les délais de remboursement en début d’année est très important car il y a eu des abus dont les étudiants ont eu à souffrir.

Cette proposition peut également favoriser une remutualisation des étudiants. C’est un aspect très important pour nous, mais nous ne savons pas si ce phénomène sera marginal ou significatif. Le fait que les mutuelles puissent gérer l’inscription des étudiants dans le centre payeur nous paraît intéressant car cela permet une meilleure information des étudiants, donne directement à la mutuelle la possibilité d’expliquer la différence entre le régime obligatoire et le régime complémentaire mutualiste et lui donne la possibilité d’intéresser plus facilement les étudiants que lorsque l’inscription est faite par les universités, car les étudiants ont alors plus de difficultés à comprendre le système.

La dernière question que nous nous posons et sur laquelle nous avons le moins d’éléments, est celle de l’incidence de la CMU sur le régime étudiant de sécurité sociale. Pour nous, la CMU, pour le régime obligatoire, est très intéressante, car des catégories de la population jeune seront concernées par ce dispositif. Nous y sommes tout à fait favorables, mais nous nous posons des questions sur la partie complémentaire et sur le choix des étudiants qui en bénéficieront. Là encore, nous n’avons pas assez d’informations, mais nous n’émettons pas d’avis négatif a priori.

Sur ces trois perspectives, notre position n’est pas arrêtée, elle peut évoluer en fonction d’éléments nouveaux. Notre souhait est, premièrement, de ne pas être pénalisé et, deuxièmement, si des évolutions sont nécessaires, qu’elles soient positives.

Néanmoins, nous tenions à souligner que le régime étudiant de sécurité sociale a défini le statut de l’étudiant et permet l’exercice de la citoyenneté. Ainsi, par exemple, pour les élections au conseil des œuvres universitaires et scolaires, c’est le régime étudiant de sécurité sociale qui définit le fait qu’un étudiant peut voter et participer. C’est donc un point très important dans le statut de l’étudiant.

Nous nous battons depuis des années pour la mise en place d’un plan social étudiant et pour une reconnaissance de la spécificité des étudiants qui ne se réduit pas uniquement au régime étudiant de sécurité sociale. Des mesures sont attendues pour la rentrée prochaine, mais nous comprendrions mal la mise en place d’un plan social étudiant assorti d’une remise en cause du régime de sécurité sociale étudiant qui, à notre avis, en constitue le point de départ ; le plan social étudiant ne fait qu’exister en parallèle et complète les acquis déjà obtenus par les étudiants.

Par ailleurs, ce qui nous tient particulièrement à cœur, c’est la pluralité des acteurs. Il y a deux millions d’étudiants aujourd’hui, qui ont depuis des années l’habitude d’avoir plusieurs partenaires dans le domaine de la santé et ont bien compris que cela crée une saine émulation et qu’à la rentrée, ils ont un choix à faire. Ces choix les intéressent, ils y sont attachés et comprendraient mal la remise en cause du système, d’autant qu’il existe différents types d’organisations étudiantes, associatives, syndicalistes ou mutualistes, qui reflètent la diversité du monde étudiant.

M. le Président : Je vous remercie de ces deux exposés introductifs.

Quelques questions avant de donner la parole aux autres commissaires. Comment se déroulent les élections aux assemblées générales des mutuelles étudiantes ? Présentez-vous des listes de candidats et aux élections de quelle mutuelle ?

M. Stephen CAZADE : Concernant les élections, il faut faire la différence entre la MNEF, mutuelle nationale qui, encore très récemment, a organisé des élections nationales et les mutuelles régionales qui le font à un niveau local. Dans les deux cas, il n’y a aucune participation directe de la FAGE.

En revanche, il existe une participation, à titre personnel, plus ou moins forte selon les régions, selon les mutuelles et notre réseau, de tel ou tel responsable associatif qui a une connaissance du terrain, qui a réalisé des opérations de santé, de prévention en collaboration avec la mutuelle. Il arrive fréquemment que des responsables associatifs se présentent sur les listes aux élections dans les mutuelles régionales étudiantes et se retrouvent ensuite dans les assemblées générales, conseils d’administration et autres bureaux.

S’agissant de la MNEF, les associations étudiantes, et encore moins la FAGE, n’ont pas participé aux élections à l’échelon national. En revanche, au niveau local, puisque la MNEF a des bureaux étudiants locaux, des responsables associatifs, à titre personnel, ont figuré sur des listes aux élections locales.

Lors des dernières élections générales à la MNEF, nous avons considéré qu’une organisation nationale comme la FAGE n’avait pas à s’impliquer dans des élections mutualistes. Ce n’est pas son rôle. Toutefois, certains acteurs locaux telles que nos fédérations de ville ou des associations de campus ont pu choisir de participer à ce processus électoral. C’est ainsi que huit fédérations de la FAGE sur une trentaine ont décidé de soutenir et d’avoir des représentant sur une des listes présentées aux élections de la MNEF.

M. le président : Vous nous avez expliqué que vous étiez très favorables à la multiplicité et à la diversité des choix offerts aux étudiants. Dès lors, comment expliquez-vous le très faible taux de participation alors même qu’existe cette pluralité qui devrait entraîner un taux beaucoup plus élevé de participation ?

Par ailleurs, n’avez-vous pas le sentiment que les mutuelles dépensent de fortes sommes pour se lancer dans la course aux votes d’étudiants qui sont, au demeurant, fort peu nombreux ?

M. Stephen CAZADE : Pour répondre à votre première question sur les taux de participation, j’avoue que je ne connais pas tous les chiffres, mutuelle régionale par mutuelle régionale. Pour y avoir participé personnellement, le taux de participation lors des dernières élections de la MNEF avoisinait les 18 %, soit un taux plus important que celui de la participation aux élections universitaires. Or, les élections universitaires, qu’il s’agisse des CROUS ou des conseils d’université, touchent de près les étudiants alors que les élections mutualistes sont plus éloignées de leurs préoccupations quotidiennes. Je n’ai pas les chiffres de la FNMF, mais je ne pense pas que les taux de participation soient très élevés dans l’ensemble des mutuelles car nous avons du mal à faire comprendre que les mutuelles sont gérées par leurs adhérents. Il reste que ce taux de 18 % de participation aux élections à la MNEF est plus élevé que celui des élections universitaires, qui s’établit en moyenne à 13 %.

Une réflexion s’amorce depuis quelques temps au sein des mutuelles, et notamment à la MNEF, sur la nécessité de cette participation, de cette démocratie. Cela n’a pas toujours été le cas au cours des dernières années où la conception de la gestion de la mutuelle était différente. On s’aperçoit cependant que lorsqu’une mutuelle s’en donne la peine, comme l’ont très bien fait certaines mutuelles régionales ou la MNEF récemment, les étudiants comprennent l’intérêt de ces élections comme le montre le taux de participation.

M. Corentin KERREST : Pour les mutuelles régionales, partie que je connais le mieux, les chiffres sont grosso modo ceux obtenus aux élections étudiantes. Toutefois, il serait peut-être intéressant de s’interroger de façon plus générale sur la position des étudiants face à la citoyenneté étudiante que sur leur citoyenneté dans la mutuelle dont ils sont les adhérents, puisque, malheureusement, les chiffres sont quasiment identiques, que ce soient pour les élections étudiantes ou pour les élections dans les mutuelles.

M. le Président : Mais n’avez-vous pas le sentiment que cette diversité a un coût prohibitif stigmatisé dans de nombreux rapports, compte tenu des dépenses que les mutuelles engagent pour recueillir le vote des étudiants ?

M. Stephen CAZADE : S’il y a des coûts de communication importants, je pense que cela correspond à la volonté des mutuelles d’avoir le plus possible d’affiliés et d’adhérents.

Nous-même, à la lecture de ces rapports, nous constatons certaines dérives qui, à notre sens, sont plus de la responsabilité de la direction et qu’il faut étudier au cas par cas. Il est vrai que certaines mutuelles ont eu des dérives en matière de communication et se sont éloignées de leur rôle de mutuelle étudiante centré sur le domaine de la prévention et sur la couverture sociale. Cependant, il appartient à chaque mutuelle mise en accusation de répondre et de remédier à ces dérives.

M. Corentin KERREST : Je considère, pour ma part, qu’une mutuelle doit communiquer, mais qu’il faut distinguer l’objet de cette communication et savoir s’il s’agit de la course aux affiliés, ce que soulignaient les rapports, ou de la course aux adhérents. La course aux adhérents me paraît légitime : il est normal pour une mutuelle d’essayer d’avoir de nombreux adhérents.

Je pense que c’est le système qui, chaque année à la rentrée, donne à l’étudiant le droit de choisir sa mutuelle, qui a provoqué cette course à la communication, car il faut l’inciter à cocher telle ou telle case puisque ce choix engendre des recettes. Il faudrait vraiment recadrer l’action de communication des mutuelles pour en faire une campagne d’explication du geste d’adhésion à une mutuelle et de souscription à une couverture sociale complémentaire.

A mon avis, le système des adhésions et des affiliations dans une mutuelle, joue pour beaucoup dans ces dérives de communication. Il manque, on le constate aussi lors des élections étudiantes, une communication institutionnelle pour expliquer à l’étudiant ce que signifie ce choix et quelle est la différence entre le régime obligatoire et le régime complémentaire. Ce serait mieux et les dérives seraient moins importantes si les étudiants comprenaient qu’ils ne choisissent pas leur mutuelle uniquement en cochant la case de l’affiliation.

M. le Rapporteur : Tout ce que vous nous dites tend à nous conforter dans ce que nous pensons du mode de fonctionnement des mutuelles étudiantes. Vous venez de dire que des directions sont à l’origine d’un certain nombre de dérives. Cela me semble être aussi la preuve d’un mauvais ou plutôt d’un non fonctionnement des conseils d’administration qui sont pourtant censés détenir le pouvoir politique dans les structures et expliquer à la direction générale ce qu’elle doit faire. Il semblerait que, dans le cas de la MNEF notamment, cela ne se soit pas tout à fait passé ainsi.

Vous parlez de votre attachement au pluralisme du monde étudiant, qui doit se retrouver au sein de la mutualité. Il se trouve qu’il existe d’autres systèmes mutualistes, qui font moins parler d’eux dans l’actualité mais au sein desquels cette pluralité est organisée en interne alors qu’un seul système gère le régime obligatoire. Ne vous semblerait-il pas plus judicieux que le système mutualiste étudiant, qui gère le régime obligatoire et le régime complémentaire, puisse être unifié et que la pluralité et, donc, les possibilités de contrôle de ce que fait la direction générale puissent s’organiser en interne plutôt que d’organiser le pluralisme de la mutualité étudiante sous la forme d’une organisation nationale et de plusieurs organisations régionales ?

M. Corentin KERREST : C’est ce que nous disions précédemment à propos du centre payeur unique. Vu ce que nous connaissons de la gestion des CPAM, nous ne pouvons que douter de l’efficacité de ce centre. Nous n’avons pas envie de perdre en qualité de service. L’idée paraît intéressante, notamment pour la réduction des coûts mais, d’une part, je ne suis pas persuadé qu’il y aurait une réduction des coûts aussi nette qu’on le prétend ; d’autre part, je pense que les étudiants perdraient suffisamment en variété et en qualité de services pour se mobiliser afin d’obtenir le rétablissement du système antérieur.

M. le Rapporteur : Vous avez fait allusion à huit de vos fédérations qui avaient soutenu une des listes participant aux élections à la MNEF. De quelle liste s’agissait-il ?

M. Corentin Kerrest : Il s’agissait de la liste " Reconstruire ensemble la MNEF ", qui était soutenue par huit fédérations de villes, qui peuvent elles-mêmes représenter jusqu’à vingt-cinq fédérations plus des associations. Cela fait entre 100 et 150 associations.

M. le Rapporteur : La FAGE bénéficie-t-elle en tant que telle à travers ses publications de ressources publicitaires venant de mutuelles, qu’elles soient nationales ou régionales ?

M. Corentin KERREST : Dans l’histoire des manifestations ou des opérations que la FAGE a pu monter, il y a eu des participations de toutes les mutuelles. Pour votre information, depuis le début de notre mandat, il n’y a eu aucune somme versée. Il n’y a donc pas de liens financiers significatifs entre les mutuelles étudiantes et notre organisation. Cependant, il existe généralement une participation des mutuelles dans les activités des associations étudiantes. L’échelon national n’est pas, de ce point de vue, le plus intéressant, en tout cas à ce niveau aucune somme n’est en jeu. En revanche, il nous paraît très important que les associations étudiantes existent pour donner un service aux étudiants, qui n’est pas forcément un service commercial mais qui est pour beaucoup un service social, un service d’aide, d’écoute, une aide pour s’organiser. Le but d’une mutuelle, c’est l’organisation d’étudiants pour s’entraider. Le but d’une association étudiante est en grande partie celui-là, d’accueillir les étudiants, de leur expliquer comment fonctionne l’université, et aussi comment marche leur service de soins. Donc, entre services d’entraide, une assistance s’est mise en place à laquelle nous sommes attachés, surtout pour ce qui concerne le travail effectué en commun sur des opérations de prévention en matière de santé ou toute autre action que les mutuelles peuvent être amenées à faire.

Il devient alors intéressant de savoir, idéologiquement, si ce sont les organisations étudiantes qui doivent contrôler une mutuelle ou si ce sont les mutuelles qui contrôlent les organisations étudiantes par l’argent qu’elles leur versent. Pour nous, la question ne se pose même pas. La position que nous avons adoptée lors des élections à la MNEF était claire. Pour nous, ce sont deux modes d’organisations étudiantes dont les buts peuvent être souvent les mêmes, mais qui sont séparés. Cette séparation est très importante pour éviter les dérives et pour les étudiants. Néanmoins, il est normal qu’il y ait des participations croisées entre les deux structures, puisque les étudiants intervenant sur le terrain sont parfois les mêmes. Notre position qui consiste à dire que les organisations étudiantes n’ont pas à prendre le pouvoir dans les mutuelles est la même que celle que nous pourrions avoir si des adhérents d’une mutuelle venaient prendre le pouvoir dans les organisations étudiantes.

M. le Rapporteur : A votre connaissance, la part des mutuelles dans le budget de fonctionnement de ces associations est-elle très importante ou reste-t-elle marginale ?

M. Corentin KERREST : Nous avons publié le mois dernier les résultats d’un sondage que nous avons effectué auprès de 4 000 associations, dont 800 ont répondu, soit un échantillon relativement représentatif, compte tenu notamment des différents types d’associations qui ont renvoyé ce questionnaire. La part des ressources provenant des mutuelles dans le fonctionnement n’était pas très importante, entre 10 et 15 %. Elle venait très loin derrière celle des collectivités locales, qui viennent en seconde position après les écoles et les universités qui sont les premiers partenaires des associations, les partenaires privés, notamment les banques - j’entends qu’une mutuelle n’est pas un partenaire privé - étant placés avant les mutuelles dans les partenariats avec les associations.

M. le Rapporteur : Notre commission peut-elle prendre connaissance de ce document car c’est effectivement un aspect qui me semble intéressant ?

M. Corentin KERREST : Tout à fait.

M. Bruno BOURG-BROC : Quelles pourraient ou devraient être, à vos yeux, les grandes lignes d’un statut social de l’étudiant ?

M. Stephen CAZADE : Nous nous battons pour obtenir ce statut social de l’étudiant depuis tant d’années que nous finissons même par oublier où nous en sommes, au vu des faibles avancées que nous constatons depuis quarante ans. C’est une idée qui a commencé à prendre forme avec l’obtention de ce régime étudiant de sécurité sociale et qui continue avec les réflexions que l’on peut avoir sur l’autonomie de la jeunesse et sur les relations entre la famille, le jeune, la nécessité d’indépendance, les choix pour la santé. Il s’agit d’essayer d’établir de façon plus claire le passage entre la vie pré-citoyenne, ou pré-adulte, et la revendication d’un nouveau statut qui est celui de l’étudiant parce que cette population étudiante ne peut pas être totalement assimilée aux jeunes du même âge qui ne sont pas étudiants mais salariés. C’est un statut qui a toujours été à part.

Nous attendons encore de nombreuses mesures visant à garantir l’autonomie de l’étudiant, pour laquelle nous ne disposons encore d’aucune solution. Chaque organisation a développé sa théorie sur ce statut social de l’étudiant, sur la nécessité d’aider financièrement les étudiants à être autonomes s’ils le veulent. Chacun a développé ensuite son système - parts fiscales, etc. -pour déterminer l’autonomie d’un jeune. Nous n’allons pas engager le débat ici qui serait trop long, mais toutes les organisations y ont réfléchi.

Un débat sur le sujet réunissait dernièrement de nombreuses organisations étudiantes mais aussi de nombreuses organisations de jeunesse, car nous ne sommes pas les seuls à réfléchir sur ce sujet, qui ont elles aussi admis que l’étudiant avait un statut spécifique dans la jeunesse, qu’il fallait aider. Ce n’est pas pour cela qu’ils ne réfléchissent pas sur l’autonomie de la jeunesse en général.

M. le Président : Vous avez dit que l’état de santé des 18-24 ans n’était pas brillant. On a beaucoup parlé à la commission des difficultés morales des étudiants, et du problème des jeunes femmes étudiantes. Voyez-vous un secteur spécifique sur lequel vous estimez qu’une attention toute particulière devrait être portée ?

M. Stephen CAZADE : Une action que nous essayons de mener aussi bien en tant que responsables associatifs nationaux qu’en tant qu’élus à l’université, sur le terrain, avec la médecine préventive universitaire, ou en tant qu’élus mutualistes, est celle qui touche à la question du bien-être des étudiants. Il serait plus juste de parler du mal-être actuel des étudiants. De multiples enquêtes, qu’elles soient menées par les collectivités, par les mutuelles ou les associations étudiantes, révèlent ce phénomène. Il suffit de constater que le suicide est la première cause de mortalité pour la tranche des 15-25 ans. Cela prouve bien le mal-être de plus en plus important des étudiants en particulier, et de la jeunesse en général.

Une de nos revendications concernant le régime de sécurité sociale étudiant est le remboursement des consultations neuro-psychiatriques qui, pour le moment, ne le sont pas ou ne le sont qu’au compte gouttes : six séances par an par la MNEF et la plupart des mutuelles régionales. C’est vraiment infime pour des jeunes qui se retrouvent dans des états psychologiques difficiles. Six consultations, cela passe très vite et lorsqu’on connaît le coût d’une consultation chez un psychiatre et les ressources des étudiants, on comprend aisément que ces derniers n’aient guère la possibilité de se soigner moralement et psychologiquement. Ce serait un des aspects particuliers concernant le bien-être des étudiants qu’il faut améliorer.

Le bien-être des jeunes femmes touche de nombreux autres points. L’IVG a été une grande avancée morale et sociale acquise par ce régime étudiant spécifique et autonome, qui donne la possibilité à une jeune femme de pratiquer une IVG sans que sa famille en soit informée. C’est très important quand on imagine la pression familiale qui peut s’exercer dans ces situations.

Cette amélioration du bien-être étudiant ne peut passer que par un régime étudiant spécifique et une reconnaissance du statut social de l’étudiant. Pour l’instant, il serait effectivement nécessaire pour les mutuelles étudiantes d’améliorer leur gestion mais aussi de les aider à améliorer le système, en facilitant, par exemple, le remboursement des consultations neuro-psychiatriques.

M. Corentin KERREST : J’apporterai une précision : le remboursement des consultations neuro-psychiatriques ou celui de l’IVG ont été acquis grâce à la concurrence entre les mutuelles et au terme de nombreuses années de débat entre les différentes mutuelles. C’est cette concurrence qui a entraîné une baisse des frais pour arriver à proposer ces remboursements par les régimes complémentaires. C’est un point important à souligner.

En ce qui concerne le mal-être étudiant, actuellement, un réseau intégré s’est mis en place entre les différents acteurs, réunissant les organisations, associations et mutuelles étudiantes et la médecine préventive universitaire, pour répondre à ce mal-être, notamment par l’accueil et l’écoute des étudiants, qui constitue le premier stade d’intervention. On parlait du réseau des agences des mutuelles étudiantes, qui est très étendu, mais il y a également des centres d’accueil d’étudiants qui se mettent en place sur les campus de façon temporaire, dont l’action est très importante en ce qui concerne la lutte contre le mal-être des étudiants. Ce serait très dangereux de supprimer tous ces points d’accueil.

M. le Président : Le logement social étudiant doit-il, à votre avis, relever des mutuelles ? Est-ce aux étudiants de s’en préoccuper ? Aux sociétés d’HLM ? Estimez-vous que ce secteur soit actuellement satisfaisant ?

M. Stephen CAZADE : Je répondrais avant tout qu’aucun étudiant ne peut se déclarer satisfait de la situation actuelle du logement social. J’emploie ce terme de social pour évoquer les étudiants qui en ont le plus besoin et qui disposent de faibles ressources, car les autres n’auront jamais de problème pour bien se loger.

Est-ce bien le rôle des mutuelles ? Certaines directives les ont conduites à intervenir dans ce domaine. C’est d’ailleurs ce qui a engendré une diversification, que ce soit de la part de la MNEF ou des mutuelles régionales. Cette diversification s’est parfois révélée utile dans le cadre du logement social. De bons exemples le montrent, quoique cela dépende des villes, des mutuelles. Cependant, on a pu remarquer - mon expérience me permet de connaître un peu mieux la MNEF -, que dans certaines villes, ces logements ne répondaient plus à leur objet social initial, et qu’ils coûtaient parfois plus cher que des résidences privées pour le même nombre de mètres carrés. Donc, pour l’instant, les mutuelles ne répondent pas toujours pleinement à leur objet social lorsqu’elles gèrent des activités dans le domaine du logement. Est-ce à elles d’y répondre ? Oui, à condition de leur en donner les moyens. Mais il faut d’abord donner les moyens aux CNOUS et au CROUS parce que c’est une des premières raisons d’être du centre national de proposer des aides dans le domaine du logement. Quand on connaît le nombre de chambres en cité universitaire ou en résidence universitaire, je ne parlerai pas de Paris où la situation est catastrophique ou de celle de bon nombre de villes, on constate qu’il existe un problème du logement social. A notre avis, les premiers moyens sont à attribuer aux CROUS et à l’Etat, dont une des missions est de répondre à ce problème. Que l’on donne déjà aux CROUS les moyens de développer davantage les résidences universitaires. Actuellement, ce qui se fait se réalise malheureusement à un rythme insuffisant compte tenu de la démocratisation de l’enseignement supérieur et du nombre encore très élevé des étudiants, même s’il diminue quelque peu. Les CROUS n’ont pas répondu à cette augmentation.

Quant aux mutuelles étudiantes, je dirais qu’elles peuvent avoir un rôle à jouer, en recentrant leur action sur un objet social, qu’il s’agisse du logement ou d’autres activités car, après les directives, on a laissé faire tout et parfois n’importe quoi. Il faut redéfinir précisément l’objet social du logement. Pourquoi pas par les mutuelles ? Si elles s’en donnent les moyens, elles le peuvent.

M. le Président : Je vous remercie de cette audition et des précisions que vous nous avez apportées.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr